LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 novembre 2020
Cassation
Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1096 F-D
Pourvoi n° F 19-18.481
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 NOVEMBRE 2020
M. B... G..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° F 19-18.481 contre l'arrêt rendu le 29 juin 2018 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société de la Raffinerie de Dunkerque, société anonyme, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Duval, conseiller référendaire, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de M. G..., de Me Le Prado, avocat de la société de la Raffinerie de Dunkerque, après débats en l'audience publique du 6 octobre 2020 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Duval, conseiller référendaire rapporteur, M. Ricour, conseiller, Mme Rémery, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 29 juin 2018) M. G... a été engagé à compter du 4 décembre 1972 par la société de la Raffinerie de Dunkerque (la société) en qualité d'ouvrier qualifié. A compter du 29 octobre 1985 et jusqu'à son départ de l'entreprise le 31 août 1999, il a occupé un poste d'opérateur tableau.
2. Soutenant avoir subi un préjudice du fait de son exposition à l'amiante, M. G... a saisi la juridiction prud'homale d'une demande d'indemnisation à ce titre.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. G... fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'indemnisation, alors « que le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; qu'en l'espèce, pour débouter M. G... de sa demande d'indemnisation, la cour d'appel a énoncé que le préjudice qu'il invoque n'est pas différent du préjudice d'anxiété et que seuls les salariés qui ont travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, peuvent prétendre à l'indemnisation de ce préjudice de sorte que M. G... ne répondant pas aux conditions exigées, faute pour son employeur d'être inscrit sur la liste des entreprises relevant de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, il ne peut prétendre à la réparation de son préjudice ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige :
4. Il résulte de ces textes que le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, en application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, pour manquement de ce dernier à cette obligation, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée.
5. Pour débouter M. G... de sa demande, l'arrêt retient que s'agissant de l'exposition aux poussières d'amiante, seuls les salariés qui ont travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, peuvent prétendre à l'indemnisation d'un préjudice moral dit d'anxiété résultant du fait de se trouver, par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, et que M. G..., dont l'employeur n'est pas inscrit sur la liste des entreprises relevant de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, ne répondant pas aux conditions exigées pour être indemnisé d'un préjudice moral d'anxiété résultant de l'exposition aux poussières d'amiante, doit être débouté de sa demande d'indemnisation.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;
Condamne la société Raffinerie de Dunkerque aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Raffinerie de Dunkerque et la condamne à payer à M. G... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour M. G...
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. B... G... de sa demande d'indemnisation ;
AUX MOTIFS QUE l'article L. 4121-1 du code du travail impose à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés ; que s'agissant de l'exposition aux poussières d'amiante, seuls les salariés qui ont travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du [23 décembre] 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, peuvent prétendre à l'indemnisation d'un préjudice moral dit d'anxiété résultant du fait de se trouver, par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; que M. B... G..., dont l'employeur n'est pas inscrit sur la liste des entreprises relevant de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, allègue avoir subi un préjudice matériel distinct de ce préjudice moral d'anxiété résultant nécessairement de l'exposition à l'inhalation de fibres d'amiante pendant l'exécution de son travail ; que cependant, alors qu'il n'évoque ni dommage matériel ni dommage physique, il n'apporte aucun élément démontrant que le préjudice en résultant, qui serait moral, diffère du préjudice d'anxiété tel que défini ci-dessus ; qu'il s'ensuit que ne répondant pas aux conditions exigées pour être indemnisé de ce préjudice moral d'anxiété résultant de l'exposition aux poussières d'amiante et de ses répercussions psychologiques face au risque encouru, M. B... G... doit être débouté de sa demande d'indemnisation et le jugement déféré infirmé ;
1) ALORS QUE le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; qu'en l'espèce, pour débouter M. G... de sa demande d'indemnisation, la cour d'appel a énoncé que le préjudice qu'il invoque n'est pas différent du préjudice d'anxiété et que seuls les salariés qui ont travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, peuvent prétendre à l'indemnisation de ce préjudice de sorte que M. G... ne répondant pas aux conditions exigées, faute pour son employeur d'être inscrit sur la liste des entreprises relevant de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, il ne peut prétendre à la réparation de son préjudice ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2) ALORS QUE subsidiairement, si l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée a créé un régime d'indemnisation spécifique du préjudice objectif d'exposition au profit des salariés ou anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, sous la forme d'une cessation anticipée d'activité assortie d'une allocation, le salarié qui n'a pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée, mais qui justifie d'une exposition à l'amiante par le fait de son employeur, subit tout autant un préjudice objectif consécutif à son exposition qu'il appartient à l'employeur de réparer ; qu'en l'espèce, pour débouter M. G... de sa demande d'indemnisation, la cour d'appel a énoncé, en substance, qu'il ne démontrait pas en quoi le préjudice qu'il invoquait comme résultant nécessairement de son exposition à l'inhalation de fibres d'amiante serait différent du préjudice d'anxiété ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, ensemble l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3) ALORS QUE plus subsidiairement, la prééminence du droit et le droit à un procès équitable, ensemble le droit au respect des biens, s'opposent à ce que la victime d'un acte fautif qui a modifié sa demande d'indemnisation uniquement en considération d'une jurisprudence constante qui lui refusait la réparation d'un chef de préjudice, sans pouvoir prévoir qu'un revirement serait opéré, puisse se voir priver de son droit à indemnisation ; qu'en l'espèce, dans ses écritures d'appel (concl. d'appel de M. G... pages 4 et 5) le salarié exposait qu'il avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande en réparation d'un préjudice qualifié d'anxiété mais qu'il avait modifié sa demande en considération de la jurisprudence réservant, à l'époque, la réparation de ce préjudice aux seuls salariés remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ; qu'il est constant que le salarié ne pouvait alors prévoir qu'un arrêt d'Assemblée plénière du 5 avril 2019 opérerait un revirement de jurisprudence et reconnaitrait à tout salarié justifiant d'une exposition à l'amiante par le fait de son employeur le droit d'engager sa responsabilité pour obtenir la réparation de son préjudice d'anxiété ; qu'en conséquence le rejet de la demande de dommages et intérêts du salarié, prononcé par la cour d'appel en considération d'une ancienne jurisprudence qui le privait de son droit à indemnisation mais qui est désormais inapplicable, méconnait le droit à un procès équitable, ensemble le droit au respect des biens, en violation des articles 6, §1, de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du Premier Protocole additionnel à ladite Convention.