LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
IK
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 novembre 2020
Cassation
M. CATHALA, président
Arrêt n° 969 FS-P+B
Pourvoi n° D 18-15.669
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 NOVEMBRE 2020
La société Eurodécision, société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° D 18-15.669 contre l'arrêt rendu le 27 février 2018 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. C... W..., domicilié [...] ,
2°/ au syndicat CGT Renault Guyancourt Aubevoye, pris en la personne de M. B... U...,
3°/ au syndicat Sud Renault Guyancourt Aubevoye, pris en la personne de M. Q... J...,
ayant tous deux leur siège [...] ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Richard, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de la société Eurodécision, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. W... et des syndicats CGT Renault Guyancourt Aubevoye et Sud Renault Guyancourt Aubevoye, et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 septembre 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Richard, conseiller rapporteur, Mme Leprieur, conseiller doyen, M. Pietton, Mmes Le Lay, Mariette, conseillers, Mme Duvallet, M. Le Corre, Mmes Prache, Marguerite, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué statuant en référé (Versailles, 27 février 2018), M. W..., engagé en qualité de consultant senior par la société Eurodécision, spécialisée dans le développement de solutions logicielles et d'expertises dans le domaine de l'optimisation et des solutions d'aide à la décision, s'est vu confier une mission auprès d'un technocentre Renault. Lors d'un entretien du 16 mars 2016, l'employeur a évoqué avec le salarié avoir été averti de l'envoi par l'intéressé d'un courriel politique à des salariés de la société Renault. Le 18 mars 2016, il lui a notifié une mise à pied conservatoire et l'a convoqué à un entretien préalable prévu le 25 mars suivant en vue d'un éventuel licenciement. Le 31 mars 2016, le salarié a fait l'objet d'un avertissement pour violation du guide d'information de la société Renault et notamment de sa lettre de mission au technocentre. Il a été licencié le 21 avril 2016 pour faute grave, l'employeur lui reprochant un manquement à ses obligations de loyauté et de bonne foi, pour avoir procédé à l'enregistrement sonore de l'entretien informel du 16 mars 2016 à son insu et pour avoir communiqué cet enregistrement à des tiers afin d'assurer sa diffusion le 21 mars 2016 dans le cadre d'une vidéo postée sur le site internet Youtube. L'enregistrement diffusé révélait qu'au cours de l'entretien du 16 mars 2016 l'employeur avait déclaré : "donc ils surveillent, ils surveillent les mails, et à ton avis les mails de qui ils surveillent en priorité '...Bah les mails des syndicalistes bien évidemment... t'es pas censé, en tant qu'intervenant chez Renault, (de) discuter avec les syndicats Renault. Les syndicats de Renault, ils sont là pour les salariés de Renault..."
2. Le salarié, faisant valoir que son licenciement était intervenu en violation de la protection des lanceurs d'alerte, a sollicité devant le juge des référés la cessation du trouble manifestement illicite résultant de la nullité de son licenciement et l'octroi de provisions à valoir sur la réparation de son préjudice. Les syndicats se sont joints à ces demandes.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
3. L'employeur fait grief à l'arrêt statuant en référé, de prononcer la nullité du licenciement du salarié pour atteinte à la liberté d'expression et de le condamner au paiement de diverses sommes au bénéfice du salarié et des syndicats, alors « que la nullité du licenciement fondé sur la dénonciation par le salarié de conduites ou d'actes illicites constatés par lui sur son lieu de travail ne peut être prononcée pour violation de sa liberté d'expression que si les faits ainsi relatés sont de nature à caractériser des infractions pénales reprochables à son employeur ; qu'en prêtant au salarié la qualité de « lanceur d'alerte » en l'absence de la moindre caractérisation d'une faute pénale de l'employeur, la cour a derechef violé les dispositions de l'article L. 1132-3-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 :
4. Selon ce texte, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
5. Pour prononcer la nullité du licenciement et condamner l'employeur au paiement de diverses sommes au salarié et aux syndicats, l'arrêt retient que la révélation des faits d'atteinte à la liberté d'expression dans le cadre d'échanges avec un syndicat est intervenue par la voie de médias par internet lors de la diffusion de l'enregistrement litigieux le 21 mars 2016 puis de l'entretien entre le salarié et un journaliste le 22 mars 2016, alors que M. W... avait personnellement et préalablement constaté que son employeur remettait en cause son droit à sa libre communication avec les syndicats de la société Renault, au vu des propos tenus par le dirigeant de la société Eurodécision lors de l'entretien informel du 16 mars 2016 et de la procédure disciplinaire avec mise à pied conservatoire engagée dès le 18 mars 2016 et suivie d'un avertissement puis de son licenciement pour faute grave. L'arrêt en déduit que le salarié est recevable à invoquer le statut de lanceur d'alerte et en conclut qu'en application des articles L. 1132-3-3 et L. 1132-3-4 du code du travail, il y a lieu de prononcer la nullité du licenciement.
6. En statuant ainsi, sans constater que le salarié avait relaté ou témoigné de faits susceptibles d'être constitutifs d'un délit ou d'un crime, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne M. W... et les syndicats CGT Renault Guyancourt Aubevoye et Sud Renault Guyancourt Aubevoye aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Bouthors, avocat aux Conseils, pour la société Eurodécision
Premier moyen de cassation
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué, statuant en référé, d'avoir prononcé la nullité du licenciement du salarié pour atteinte à la liberté d'expression, d'avoir condamné l'employeur à lui régler 10.271,71 € brut à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payés y afférents, 3.424,88 € à titre d'indemnité de licenciement, 25.000 € à valoir sur l'indemnité de licenciement nul, outre 2.000 € sur le fondement de l'article 700, avec intérêt au taux légal à compter de l'arrêt et d'avoir alloué à chacun des syndicats intervenants 3.000 € à titre de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral pour atteinte à la liberté syndicale, outre 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
aux motifs que en matière de licenciement, le juge des référés peut statuer si le licenciement lui apparaît manifestement abusif, notamment lorsqu'il constate que des dispositions relatives aux discriminations syndicales ou à des principes fondamentaux n'ont pas été respectées ; il rentre donc dans les pouvoirs du juge des référés de rechercher si en l'espèce le licenciement pour faute grave de M. W... est fondé sur de telles atteintes, en examinant le bien-fondé de la mise à pied et de l'avertissement, bien que leur annulation ne soit pas demandée, puis celui de son licenciement pour faute grave, les deux étant liés ; en dernier lieu et dans le cadre de la contestation sur le licenciement, il sera examiné si M. W... peut être considéré comme un lanceur d'alerte ; (
) aux termes de la lettre de licenciement en date du 21 avril 2016, la société Eurovision reproche à Monsieur W... d'avoir diffusé sur le site internet YouTube le 21 mars l'entretien du 16 mars avec son PDG M. F..., enregistré à l'insu de ce dernier, apportant ainsi une large diffusion à un échange informel et privé, et nuisant à l'image et la réputation de la société, tout en ayant un impact négatif sur l'ambiance au sein de la société et sur les relations entre la société et la société cliente Renault ; elle estime que cette attitude caractérise une absence de loyauté et un manquement à l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail ; (
) si M. W... a laissé diffuser sur internet l'enregistrement des propos de M. F..., et ce par le journal O... avec lequel il collaborait à titre bénévole, c'est en raison de sa crainte de faire l'objet de manière injustifiée d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, crainte réelle consécutive à la réception de la lettre de convocation à un entretien préalable reçue le 18 mars, soit 3 jours avant la diffusion le 21 mars d'extraits anonymisés de l'enregistrement sur Youtube et 4 jours avant l'interview de M. W... par O... le 22 mars ; il est avéré que cette diffusion a rapidement donné lieu à de multiples articles de presse dénonçant l'attitude des sociétés Eurodécision et Renault sur plusieurs sites internet (Arrêt sur images le 31 mars, Free le 2 avril, Médiapart le 7 avril, Yahoo le 8 avril) à partir du 31 mars 2016, soit 7 jours avant l'envoi de la convocation préalable au licenciement envoyée le 24 mars ; dans la lettre de licenciement, le société émet deux griefs à l'égard de M. W..., le fait d'avoir enregistré le 16 mars à son insu une conversation privée entre le dirigeant de la société et le fait d'avoir laissé diffuser le 21 mars cet enregistrement avec des commentaires dans le cadre de l'interview le 22 mars, faits qui auraient entraîné les conséquences préjudiciables suivantes pour la société : - l'atteinte portée à son image et à sa réputation, avec les conséquences sur le climat social au sein de l'entreprise mais aussi sur l'activité, - la crainte de certains clients de la société, notamment une diffusion d'informations confidentielles confiées aux salariés de la société dans le cadre de l'exécution de leur mission, - l'impact négatif sur l'entreprise cliente (Renault) directement visée par cette vidéo et la diffusion publique des propos du PDG de la société à son égard ; or, M. W... n'a révélé aucune information confidentielle de clients liée à l'exécution de son travail, les informations communiquées dans les courriels reprochés en date des 15 mars 2016 n'ont aucun lien avec une quelconque information confidentielle, puisqu'il s'agissait d'informations sur les manifestations et évènements contre la loi Le Khomri qui agitait l'opinion publique à l'époque ; l'entretien informel entre M. W... et M. F... le 16 mars 2016, que ce dernier a souhaité confidentiel, ne constitue pas une conversation privée mais un entretien professionnel dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, annonciateur d'une procédure disciplinaire, qui ne saurait donc bénéficier de la protection due à la vie privée ; toutefois, il peut être relevé à l'encontre de M. W... le non respect de son devoir de discrétion à l'égard de son employeur et de la société cliente dans le cadre de sa mission au TCR, en laissant diffuser, même de manière anonymisée en ce qui concerne son employeur, des propos enregistrés à l'insu de ce dernier et pouvant avoir un impact dur l'image de ce dernier et de son client ; cependant, ces agissements sont intervenus dans un contexte d'angoisse liée à la crainte d'être injustement licencié, crainte qui s'est avérée fondée, ce qui ne permet pas de retenir ce grief comme suffisamment sérieux pour justifier un licenciement, mais tout au plus un avertissement ; en outre, s'il ressort des articles de presse sur internet que l'image et la réputation de la société et de la société cliente ont été manifestement impactées par cette diffusion, pour le reste des griefs, la société Eurodécision ne procède que par affirmation, ne démontrant pas que cette diffusion a eu un impact sur ses propres salariés ni sur son activité, ni encore sur ses relations avec l'entreprise cliente à l'origine des faits ; par ailleurs, ces deux sociétés ont participé à la réalisation de leur propre préjudice, en ne respectant pas une liberté fondamentale et, pour ce qui concerne la société Eurodécision, en donnant aux faits reprochés initialement, que la cour a jugé non établis, une portée disproportionnée, ce qui a eu pour effet de déclencher dès avant cette diffusion reprochée au salarié une procédure disciplinaire avec mise à pied immédiate, laissant supposer par les termes de la convocation du 18 mars qu'un licenciement pour faute grave allait suivre, provoquant chez le salarié un mécanisme de défense (l'alerte médiatique le 21 mars) qui s'est retourné à la fois contre lui-même (son licenciement effectif) et contre les deux sociétés (atteinte à leur image) protagonistes de l'atteinte à la liberté d'expression ; que la société invoque à l'égard de son salarié l'atteinte à la loyauté dans les relations contractuelles, cette atteinte peut être considérée comme réciproque ;
alors qu'aux termes de l'article R.1455-6 du code du travail, c'est uniquement pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite que le juge des référés est autorisé à prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent ; qu'en prononçant la nullité du licenciement pour atteinte à la liberté d'expression du salarié auquel l'employeur reprochait ici exclusivement d'avoir enregistré à son insu et médiatisé une conversation privée l'informant de la réclamation d'une société cliente où il était en mission au sujet d'un usage extraprofessionnel de ses propres ressources informatiques, la cour, qui a mobilisé des éléments extérieurs aux stricts motifs du licenciement, a estimé que l'atteinte à la loyauté contractuelle pouvait être considérée comme « réciproque », de sorte que le grief ici en cause ne serait pas, selon elle, « suffisamment sérieux pour justifier un licenciement » (arrêt p.10) ; qu'en se déterminant de la sorte, le juge des référés a préjugé de l'imputabilité de la rupture et préjudicié au fond en portant une appréciation sur la portée des griefs controversés par les parties – ce qui est exclusif de la reconnaissance d'un « trouble manifestement illicite » ; que la cour en conséquence a excédé ses pouvoirs et violé les dispositions du texte susvisé.
Second moyen de cassation
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué, statuant en référé, d'avoir prononcé la nullité du licenciement du salarié pour atteinte à la liberté d'expression, d'avoir condamné l'employeur à lui régler 10.271,71 € brut à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payés y afférents, 3.424,88 € à titre d'indemnité de licenciement, 25.000 € à valoir sur l'indemnité de licenciement nul, outre 2.000 € sur le fondement de l'article 700, avec intérêt au taux légal à compter de l'arrêt et d'avoir alloué à chacun des syndicats intervenants 3.000 € à titre de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral pour atteinte à la liberté syndicale, outre 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
aux motifs qu'en matière de licenciement, le juge des référés peut statuer si le licenciement lui apparaît manifestement abusif, notamment lorsqu'il constate que des dispositions relatives aux discriminations syndicales ou à des principes fondamentaux n'ont pas été respectées ; il rentre donc dans les pouvoirs du juge des référés de rechercher si en l'espèce le licenciement pour faute grave de M. W... est fondé sur de telles atteintes, en examinant le bienfondé de la mise à pied et de l'avertissement, bien que leur annulation ne soit pas demandée, puis celui de son licenciement pour faute grave, les deux étant liés ; en dernier lieu et dans le cadre de la contestation sur le licenciement, il sera examiné si M. W... peut être considéré comme un lanceur d'alerte ;
Sur le bien-fondé de la mise à pied conservatoire du 18 mars et de l'avertissement du 31 mars 2016 : une décision de mise à pied conservatoire, première étape d'une procédure disciplinaire, écarte le salarié de son poste et de l'entreprise tout en le privant de son salaire, pendant la durée de la procédure de la convocation à entretien préalable à la notification de la décision disciplinaire ; elle suppose que les faits reprochés soient suffisamment graves pour rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée de cette procédure ; elle peut permettre à l'employeur d'enquêter au sein de l'entreprise sur les faits reprochés sans que le salarié n'interfère, ce qui a été le choix de la société dans le cas présent ; les motifs invoqués par la société sont la violation du guide d'information de la société et de la charte de bonne conduite et de protection du système d'information inclue dans sa lettre de mission au sein du Technocentre Renault de Guyancourt, par l'utilisation des moyens internes à la société Renault à sa disposition dans le cadre de sa mission, à savoir l'intranet et la liste des adresses électroniques des salariés de Renault pour assurer l'envoi d'un courriel politique le 15 mars 2016 ; pour rappel, la décision de mise à pied a été notifiée le 18 mars 2016, soit avant la diffusion du 21 mars des extraits de l'entretien litigieux enregistré le 16 mars à l'insu du dirigeant de la société ;
Sur la violation du guide du système d'information de la société employeur : ce guide émanant de la société Eurodécision a été porté à la connaissance de M. W... le 3 janvier 2012, et interdit de véhiculer par la messagerie intranet de la société Eurodécision des informations de nature politique ou religieuse ou de manière générale sans rapport avec l'activité de la société, tout en permettant des courriels à titre privé sous certaines conditions ; or, les courriels litigieux (envoyés à deux salariés du syndicat CFE CGC sur leur adresse professionnelle chez Renault) n'ont pas été envoyés par M. W... par sa messagerie professionnelle (dont l'intranet partie du système d'information de la société) à savoir son adresse électronique chez la société Eurodécision, ni à partir d'un ordinateur de cette dernière, puisque M. W... a envoyé des courriels à partir de son propre ordinateur et de son adresse électronique personnelle ; en outre, ces courriels n'ont pas été reçus par des salariés de la société Eurodécision sur leur messagerie professionnelle ; aucune violation du guide du système d'information de cette société n'est donc établie ;
Sur la violation de la charte de bonne conduite et de protection dit système d'information inclue dans sa lettre de mission au sein du technocentre Renault de Guyancourt : dans la lettre de mission de M. W... il est mentionné que l'utilisation des ressources du système d'information du lieu de mission (du client Renault) n'est autorisée que dans le cadre de l'activité professionnelle ; M. W... ne conteste pas avoir consulté le site intranet du Technocentre Renault pour avoir les coordonnées des syndicats pour leur envoyer par courriel une invitation à la "nuit rouge", de sorte que des courriels ont été envoyés sur la messagerie personnelle de certains syndicats (ce qui est autorisé par le système intranet de Renault) mais deux ont été envoyés sur la messagerie professionnelle de salariés de Renault représentant le syndicat CFE CGC, ces derniers étant la cause du litige ; le seul fait, pour M. W..., salarié d'une entreprise sous-traitante de Renault, de consulter le site intranet du Technocentre Renault n'apparaît pas interdit, mais il s'agit de savoir si le fait de contacter, à des fins d'échanges à titre politique et/ou syndical, un syndicat par l'intermédiaire de la messagerie électronique strictement professionnelle des représentants de ce syndicat CFE CGC, par ailleurs salariés du Technocentre Renault, est contraire à cette charte de bonne conduite et de protection du système d'information du Technocentre de la société Renault ; pour répondre à cette question, il faut rechercher d'une part si M. W... faisait partie de la collectivité de travail du Technocentre Renault depuis plus d'un an, ce qui l'autorisait à contacter les syndicats de la société utilisatrice, tant pour des motifs professionnels que dans un but d'échanges inter-syndical sur des sujets, d'actualité ou non, en lien avec le droit du travail et les droits des salariés, puis d'autre part, de vérifier si ces modalités de contact avec une organisation syndicale par courriel sur la messagerie interne du Technocentre Renault contrevient à la charte de bonne conduite et de protection du système d'information du Technocentre, et enfin s'il peut y avoir un contrôle ou une surveillance de l'employeur sur le contenu des échanges entre un salarié et un syndicat, lorsque ces échanges transitent par la messagerie interne de la société employeur ou de celle de sa société cliente ; la première problématique relève de l'article L. 1111-2 du code du travail issu de la loi du 20 août 2008, dans le droit fil de la jurisprudence de la cour de cassation, laquelle tendait à rapprocher la situation des salariés des entreprises extérieures travaillant au sein des entreprises utilisatrices à celle des salariés de ces entreprises au sein d'une collectivité de travail avec les mêmes droits collectifs ; cet article dispose que pour la mise en oeuvre du présent code (du travail) et le calcul des seuils d'effectifs, les effectifs de l'entreprise comprennent notamment les salariés mis à disposition d'une entreprise utilisatrice par une entreprise extérieure et qui travaillent dans les locaux de cette dernière depuis au moins un an, ce qui a des conséquences sur les élections professionnelles, sur les seuils relatifs à la constitution du CHSCT et du comité d'entreprise mais aussi sur l'ensemble des droits et libertés individuelles dans l'entreprise utilisatrice, vu la référence à l'ensemble du code du travail ; or, contrairement à ce que soutient la société, M. W... faisait partie de la collectivité de travail du Technocentre Renault depuis plus d'un an, au vu des 9 pages de relevés de ses notes de frais du 8 juillet 2014 au 20 mars 2015 indiquant comme motif "Renault Etude 2014"et concernant ses frais de trajet et de repas ; l'ordre de mission signé le 3 avril 2015 par la société est venu poser un cadre à compter du 1er avril 2015, prévisionnellement pour un an, à cette mission qui avait en réalité débuté en juillet 2014 ; ainsi, à la date du 15 mars 2016 M. W... travaillait au sein du Technocentre Renault depuis environ 20 mois ; les seconde et troisième problématiques concernent les modalités d'exercice et le contenu des droits et libertés dans l'entreprise, dont la liberté syndicale et notamment la libre communication entre les salariés et les organisations syndicales ; l'article L. 1121-1 du code du travail dispose que "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché" ; toute atteinte à la liberté syndicale, qui dérive du droit fondamental à la liberté d'expression, peut conduire le juge des référés à annuler un licenciement prononcé comme sanction de la liberté d'expression du salarié ; en l'espèce, l'article L.2142-6 du code du travail, invoqué par la société, dispose qu'un "accord d'entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise ; dans ce dernier cas, cette diffusion doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau informatique de l'entreprise et ne doit pas entraver l'accomplissement du travail..." ; or, il s'avère qu'en tant que salarié d'une entreprise extérieure appartenant à la collectivité de travail du Technocentre Renault (TCR), comme jugé plus haut, M. W... pouvait à l'évidence consulter le site intranet du Technocentre, comme tout salarié de ce dernier, afin d'avoir les coordonnées des syndicats ; il s'avère, au vu des pièces produites, qu'à l'exception d'un syndicat, le syndicat CFE CGC, les autres syndicats avaient une adresse de messagerie personnelle au syndicat (ex : [...]), de sorte que M. W... a pu leur envoyer des courriels sans utiliser leur adresse électronique personnelle professionnelle sur l'intranet du Technocentre ; ce n'est qu'en raison de l'absence de mention sur ce site d'une adresse personnelle au syndicat CFE CGC que Monsieur W... a envoyé le 15 mars 2016 ses deux courriels (respectivement à deux représentants de ce syndicat) à leur adresse électronique personnelle professionnelle sur l'intranet (ex : [...]), déclenchant le contrôle de ces deux courriels par la société Renault et provoquant l'avertissement de M. W... par son employeur ; il est manifeste que la société Renault avait autorisé les salariés à contacter le syndicat CFE CGC par cette adresse électronique personnelle professionnelle, sinon cette adresse ne serait pas sur son site intranet ; la société reproche aussi à M. W... le contenu des courriels, qui contiendraient un message politique adressé à chacun des deux membres de ce syndicat les invitant à participer à la "nuit rouge" et à la diffusion du film « Merci patron », notamment en ses termes : "...je suis actuellement prestataire au TCR... je suis très humblement bénévole au journal O... ; Vous connaissez probablement le film, financé par ce journal, Merci patron, film qui montre un couple de chômeurs faire plier A... E.... Les gens se sont aperçus que ce film permettait de galvaniser les gens, de leur redonner l'espoir que la lutte est utile et que l'oligarchie en place craint non pas Le Monde, non pas France Inter, mais le petit O.... Il ne faut pas perdre ce regain d'énergie. On veut donc regrouper toutes les contestations qui n'ont eu au final qu'une seule et unique cause : l'oligarchie en place. Si on se regroupe tous on peut au minimum les faire vaciller ! L'idée est de ne pas finir la manifestation du 31 mars en rentrant chez nous après l'arrivée mais d'occuper la place la soirée, la nuit et plus si on est nombreux. Et pour que ce premier essai soit réussi, on va devoir être nombreux. C'est pourquoi je viens vers vous pour vous faire connaître l'événement et pour vous inviter à le faire connaître de votre côté. Si cela vous intéresse, il est également possible d'organiser des projections de Merci patron suivi d'un débat avec quelqu'un de chez vous... Plusieurs sections syndicales ont déjà organisé ce genre d'événement.... " ; ce n'est donc pas directement en tant que syndiqué que M. W... s'adresse au syndicat CFE CGC mais à la fois en tant que salarié travaillant sur le site et en tant que bénévole du journal O..., ce bénévolat constituant une activité privée mais en lien direct avec les droits des salariés, vu le thème du film et l'objet de la manifestation du 31 mars (contre la loi travail dite Le Khomri) ;
Ces deux courriels ont donc un contenu à la fois politique et syndical, et n'ont pas été envoyés à tous les salariés du TCR mais seulement à deux salariés syndiqués représentant la section syndicale CFE CGC, par hypothèse déjà sensibilisés au thème général de la défense des droits des salariés, objet des courriels ; pour analyser le contenu prohibé ou non de ces courriels, il convient de se référer à l'objet des syndicats s'est développé depuis la loi du 28 octobre 1982, puisque selon l'article L.2131-1 du code du travail dont il est issu : « Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes visées par leurs statuts » ; les syndicats défendent donc les intérêts professionnels de leurs membres, grâce à l'étude de leurs droits matériels et moraux, ce qui implique qu'ils soient bien renseignés sur les projets de lois et les lois relatifs aux droits des salariés, comme ici la loi travail objet des courriels ; les termes des courriels ne mettent pas en cause la société Renault, et il n'est pas allégué que ces courriels aient posé une difficulté technique sur la messagerie intranet du TCR ; dès lors, en application du droit à l'information syndicale et au principe de libre détermination du contenu des communications syndicales, sous réserve d'abus tels que des propos injurieux, il ne peut être reproché à M. W... d'avoir utilisé l'adresse électronique personnelle professionnelle de deux représentants d'un syndicat au sein du TCR, à des fins de partage d'informations et de participation à la "nuit rouge" et à la diffusion du film "merci patron" ;
Sur la nullité du licenciement pour faute grave et la protection du lanceur d'alerte : aux termes de la lettre de licenciement en date du 21 avril 2016, la société Eurovision reproche à Monsieur W... d'avoir diffusé sur le site internet Youtube le 21 mars l'entretien du 16 mars avec son PDG M. F..., enregistré à l'insu de ce dernier, apportant ainsi une large diffusion à un échange informel et privé, et nuisant à l'image et la réputation de la société, tout en ayant un impact négatif sur l'ambiance au sein de la société et sur les relations entre la société et la société cliente Renault ; elle estime que cette attitude caractérise une absence de loyauté et un manquement à l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail ; M. W... invoque la protection édictée par l'article L. 1132-3-3 du code du travail pour les salariés qui dénoncent de bonne foi des actes de discrimination ou des faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de leurs fonctions ; il sollicite la nullité de son licenciement sur le fondement de cet article et de l'article L. 1132-3-4, lequel prévoit la nullité de tout acte pris en méconnaissance de l'article L. 1132-3-3 ; la société soutient que le licenciement est fondé sur la violation des obligations contractuelles de loyauté et de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail, estimant que c'est bien M. W... qui, d'emblée, a décidé d'enregistrer l'intégralité de l'entretien du 16 mars, puis de communiquer l'enregistrement litigieux aux journalistes, ne pouvant ignorer que ces derniers en diffuseraient des extraits ; il sera recherché si M. W... peut bénéficier du statut de lanceur d'alerte et peut être sanctionné pour avoir laissé diffuser publiquement, sans mentionner son nom ni celui de son employeur, les propos de son employeur, qu'il avait enregistrés à son insu et qui portaient en germe une discrimination syndicale ou une atteinte à la liberté syndicale et plus généralement une atteinte à la liberté d'expression, comme établi plus haut ; l'article L.1132-3-3 du code du travail dispose : « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, des faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. En cas de litige relatif à l'application du premier alinéa, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles » ; cet article a été complété depuis la loi Sapin II du 9 décembre 2016 par des dispositions sur le lanceur d'alerte et son statut, dans la continuité de la jurisprudence qui s'est développée à partir de 2015 sur la base de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui reconnaît le droit à la liberté d'expression, et dont est issu le statut de lanceur d'alerte reconnu par une recommandation du Conseil de l'Europe en date du 30 avril 2014 ; ainsi, la cour de cassation a accordé une protection au salarié qui révèle des informations concernant un préjudice pour l'intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, à condition que les termes de ces révélations ne soient pas injurieux ni outranciers et sans fondement à l'égard des dirigeants de l'entreprise. (Cass, soc 28 janvier 2016) ; dans un autre arrêt la cour de cassation (30 juin 2016) rappelle : "qu'en raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté d'expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d'un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité... » ; désormais, ce statut du lanceur d'alerte, qui ne recouvre pas seulement la dénonciation de faits de corruption ou d'autres frais de délinquance économique ou financière, est codifié dans le code du travail, dans les mêmes termes que la jurisprudence antérieure, l'article L.1161-1 du code du travail, issu de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite loi « Sapin II », disposant que le lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale : un crime ou un délit ; une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement ; ou une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général ; le lanceur d'alerte doit avoir eu personnellement connaissance des faits allégués ; en l'espèce, la révélation des faits d'atteinte à la liberté d'expression dans le cadre d'échanges avec un syndicat est intervenue par la voie de médias par internet, lors de la diffusion de l'enregistrement litigieux le 21 mars puis de l'entretien entre le salarié et le journaliste du journal O... le 22 mars 2016 immédiatement diffusé sur Youtube, alors que M. W... avait personnellement et préalablement constaté que son employeur remettait en cause plus généralement son droit à sa libre communication avec les syndicats de la société Renault, au vu des propos tenus par le dirigeant de la société Eurodécision lors de l'entretien informel du 16 mars 2016 (cf plus haut) et de la procédure disciplinaire avec mise à pied conservatoire engagée dès le 18 mars et suivie d'un avertissement puis de son licenciement pour faute grave ; M. W... est donc recevable à invoquer le statut de lanceur d'alerte ; par ailleurs, si M. W... a laissé diffuser sur internet l'enregistrement des propos de M. F..., et ce par le journal O... avec lequel il collaborait à titre bénévole, c'est en raison de sa crainte de faire l'objet de manière injustifiée d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, crainte réelle consécutive à la réception de la lettre de convocation à un entretien préalable reçue le 18 mars, soit 3 jours avant la diffusion le 21 mars d'extraits anonymisés de l'enregistrement sur Youtube et 4 jours avant l'interview de M. W... par O... le 22 mars ; il est avéré que cette diffusion a rapidement donné lieu à de multiples articles de presse dénonçant l'attitude des sociétés Eurodécision et Renault sur plusieurs sites internet (Arrêt sur images le 31 mars, Free le 2 avril, Médiapart le 7 avril, Yahoo le 8 avril) à partir du 31 mars 2016, soit 7 jours avant l'envoi de la convocation préalable au licenciement envoyée le 24 mars ; dans la lettre de licenciement, la société émet deux griefs à l'égard de M. W..., le fait d'avoir enregistré le 16 mars à son insu une conversation privée entre le dirigeant de la société et le fait d'avoir laissé diffuser le 21 mars cet enregistrement avec des commentaires dans le cadre de l'interview le 22 mars, faits qui auraient entraîné les conséquences préjudiciables suivantes pour la société : l'atteinte portée à son image et à sa réputation, avec les conséquences sur le climat social au sein de l'entreprise mais aussi sur l'activité, la crainte de certains clients de la société, notamment une diffusion d'informations confidentielles confiées aux salariés de la société dans le cadre de l'exécution de leur mission, l'impact négatif sur l'entreprise cliente (Renault) directement visée par cette vidéo et la diffusion publique des propos du PDG de la société à son égard ; or, M. W... n'a révélé aucune information confidentielle de clients liée à l'exécution de son travail, les informations communiquées dans les courriels reprochés en date des 15 mars 2016 n'ont aucun lien avec une quelconque information confidentielle, puisqu'il s'agissait d'informations sur les manifestations et événements contre la loi Le Khomri qui agitait l'opinion publique à l'époque ; l'entretien informel entre M. W... et M. F... le 16 mars 2016, que ce dernier a souhaité confidentiel, ne constitue pas une conversation privée mais un entretien professionnel dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, annonciateur d'une procédure disciplinaire, qui ne saurait donc bénéficier de la protection due à la vie privée ; toutefois, il peut être relevé à l'encontre de M. W... le non respect de son devoir de discrétion à l'égard de son employeur et de la société cliente dans le cadre de sa mission au TCR, en laissant diffuser, même de manière anonymisée en ce qui concerne son employeur, des propos enregistrés à l'insu de ce dernier et pouvant avoir un impact sur l'image de ce dernier et de son client ; cependant, ces agissements sont intervenus dans un contexte d'angoisse liée à la crainte d'être injustement licencié, crainte qui s'est avérée fondée, ce qui ne permet pas de retenir ce grief comme suffisamment sérieux pour justifier un licenciement, mais tout au plus un avertissement ; en outre, s'il ressort des articles de presse sur internet que l'image et la réputation de la société et de la société cliente ont été manifestement impactées par cette diffusion, pour le reste des griefs, la société Eurodécision ne procède que par affirmation, ne démontrant pas que cette diffusion a eu un impact sur ses propres salariés ni sur son activité, ni encore sur ses relations avec l'entreprise cliente à l'origine des faits ; par ailleurs, ces deux sociétés ont participé à la réalisation de leur propre préjudice, en ne respectant pas une liberté fondamentale et, pour ce qui concerne la société Eurodécision, en donnant aux faits reprochés initialement, que la cour a jugé non établis, une portée disproportionnée, ce qui a eu pour- effet de déclencher dès avant cette diffusion reprochée au salarié une procédure disciplinaire avec mise à pied immédiate, laissant supposer par les termes de la convocation du 18 mars qu'un licenciement pour faute grave allait suivre, provoquant chez le salarié un mécanisme de défense (l'alerte médiatique le 21 mars) qui s'est retourné à la fois contre lui-même (son licenciement effectif) et contre les deux sociétés (atteinte à leur image) protagonistes de l'atteinte à la liberté d'expression ; si la société invoque à l'égard de son salarié l'atteinte à la loyauté dans les relations contractuelles, cette atteinte peut être considérée comme réciproque ; c'est pourquoi, en application des articles L. 1132-3-3 et L. 1132-3-4 du code du travail au vu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de prononcer la nullité du licenciement de M. W... pour faute grave et de condamner la société à lui payer à titre provisionnel les sommes suivantes, sur la base d'un salaire de référence de 3427,27 euros brut et de calculs non contestés : 10 271,71 euros brut à titre d'indemnité de préavis (3 mois pour les cadres selon la convention collective), outre celle de 1 027,17 euros brut au titre des congés payés afférents, étant précisé que la somme exacte serait de 10 281,81 euros mais la cour ne peut statuer au-delà de la demande, 3 424,88 euros à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2016, date de l'assignation devant le conseil ; en application de l'article L. 1235-3 du code du travail et en l'absence de demande de réintégration à la suite d'un licenciement nul, le juge accorde une indemnité de licenciement qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire, ce qui correspond ici à la somme de 20 563,62 euros ; au vu de l'ancienneté de 4 ans et demi de M. W..., de son salaire, de son préjudice moral subi du fait de l'atteinte à sa liberté d'expression et de son éviction brutale de la société, mais au vu de l'absence d'éléments produits sur sa situation d'emploi depuis son licenciement, la somme de 25 000 euros lui sera allouée à titre provisionnel à titre d'indemnité de licenciement nul ; en conséquence la cour infirmera le conseil ; la société succombant en ses demandes, les dépens de première instance et d'appel resteront à sa charge et elle devra payer à M. W... la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Sur les demandes des syndicats : selon l'article L 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice concernant des faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ; en l'espèce, les syndicats CGT Renault Guyancourt Aubevoye et Sud Guyancourt Aubevoye contestent le licenciement de M. W... qui est intervenu en contradiction avec le principe de liberté de communication des salariés avec les syndicats, ce qui porte atteinte à la liberté syndicale ; les deux organisations syndicales, agissant dans l'intérêt des salariés qu'elles représentent au sein de l'entreprise et dont elles défendent la profession conformément à leur statut, sont intervenues pour soutenir M. W... dès avril 2016, au travers de tracts qu'elles produisent ; elles sont donc recevables et fondées à réclamer des dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral, le présent litige ayant nécessairement suscité de la crainte de la part des salariés en cas d'adhésion syndicale, voire de simple contact avec les syndicats ;
1°) alors, d'une part, qu'en l'absence de disposition le prévoyant et à défaut de violation manifeste d'une liberté fondamentale, le juge de référés ne peut annuler un licenciement ; qu'en prononçant la nullité du licenciement du salarié pour atteinte à sa liberté d'expression alors qu'elle constatait que le licenciement n'était pas fondé sur la mobilisation d'un email professionnel à des fins personnelles, mais sur la captation illicite par le salarié des propos tenus par son employeur et leur diffusion aux médias, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles L.1232-6, L.1235-1 et L.1235-3 du code du travail ;
2°) alors, d'autre part, que la nullité du licenciement fondé sur la dénonciation par le salarié de conduites ou d'actes illicites constatés par lui sur son lieu de travail ne peut être prononcée pour violation de sa liberté d'expression que si les faits ainsi relatés sont de nature à caractériser des infractions pénales reprochables à son employeur ; qu'en prêtant au salarié la qualité de « lanceur d'alerte » en l'absence de la moindre caractérisation d'une faute pénale de l'employeur, la cour a derechef violé les dispositions de l'article L.1132-3-3 du code du travail.