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14/10/2020 | FRANCE | N°18-22119

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 14 octobre 2020, 18-22119


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 14 octobre 2020

Cassation partielle

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 527 F-D

Pourvoi n° Q 18-22.119

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 OCTOBRE 2020

La société Annick Goutal, société

par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Q 18-22.119 contre l'arrêt rendu le 4 juillet 2018 par la ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 14 octobre 2020

Cassation partielle

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 527 F-D

Pourvoi n° Q 18-22.119

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 OCTOBRE 2020

La société Annick Goutal, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Q 18-22.119 contre l'arrêt rendu le 4 juillet 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant à la société Dispar SpA, société de droit Italien, dont le siège est [...] ), défenderesse à la cassation.

La société Dispar SpA a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Champalaune, conseiller, les observations de la SCP Colin-Stoclet, avocat de la société Annick Goutal, de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la société Dispar SpA, et l'avis de Mme Beaudonnet, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 juillet 2020 où étaient présentes Mme Mouillard, président, Mme Champalaune, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 juillet 2018), la société Annick Goutal a, par contrat du 23 juillet 1998, confié à la société Dispar SpA (la société Dispar) la distribution exclusive des produits de sa marque sur le territoire italien. Conclu pour une durée de trois ans à compter du 1er septembre 1998, ce contrat était renouvelable par tacite reconduction pour des périodes successives d'une année, sauf dénonciation, par l'une ou l'autre des parties, trois mois avant son échéance.

2. Par lettre du 29 mars 2013, la société Annick Goutal, invoquant une mauvaise gestion des stocks, a notifié à la société Dispar sa décision de ne pas poursuivre le contrat et d'y mettre un terme à compter du 31 août 2013.

3. Estimant que la rupture de la relation avait été brutale et abusive, la société Dispar a assigné la société Annick Goutal en réparation de son préjudice et lui a également réclamé le paiement de la valeur du stock à reprendre et de frais de stockage.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi incident éventuel

Enoncé du moyen

4. La société Dispar fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande au titre du paiement des frais de stockage des produits et matériels publicitaires, alors :

« 1°/ qu'elle produisait deux documents émanant de la société ICR qui stockait, pour son compte, les produits Annick Goutal ; que par un courriel du 5 mars 2014, la société ICR informait la société Dispar du coût de stockage des trente "palettes stockées dans [son] magasin" relatives au "marché Annick Goutal", à savoir 225 euros par mois ; que par une lettre du 26 juillet 2016, la société ICR informait la société Dispar que trente palettes étaient affectées "aux produits de la marque Annick Goutal stockés dans [ses] entrepôts pour la période allant du 01.09.2013 au 31.07.2016", le "total facturé" pour ce stockage étant de 7 875,60 euros, le détail de cette facturation par mois et années étant précisé ; qu'en retenant cependant que "la société Dispar ne produi[sai]t aucune facture ni justificatif de paiement correspondant à des frais de stockage pour les produits Annick Goutal [et que] les pièces produites, un courriel relatif à une information sur des prix, tout comme un courrier mentionnant le prix d'une période de stockage (pièces 19 et 37) ne p[ouvai]ent établir le principe comme le montant de la somme réclamée", la cour d'appel a dénaturé le courriel du 5 mars 2014 et la lettre du 26 juillet 2016 (pièces produites devant la cour d'appel sous les numéros 19 et 37), violant ainsi le principe de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

2°/ que la conservation des produits de la marque Annick Goutal entre la rupture de la relation contractuelle intervenue en 2013 et la reprise des produits stockés par la société Annick Goutal, le 16 mars 2017, a nécessairement engendré des frais de stockage pour la société Dispar ; qu'en se fondant cependant sur l'insuffisance des preuves relatives au coût du stockage pour refuser d'évaluer un préjudice dont l'existence était certaine, la cour d'appel a violé les articles 4 et 1147, devenu 1231-1, du code civil. »

Réponse de la Cour

5. Sous le couvert des griefs infondés de dénaturation et de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en question l'appréciation souveraine des juges du fond, qui ont estimé qu'en l'état des documents produits, la société Dispar ne rapportait pas la preuve, qui lui incombait, de la réalité des frais de stockage dont elle demandait le remboursement.

6. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Mais sur le premier moyen du pourvoi incident éventuel, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

7. La société Dispar fait grief à l'arrêt de limiter à la somme de 49 221,64 euros la condamnation de la société Annick Goutal au titre de la reprise de stock, alors « qu'elle contestait le caractère périmé des produits antérieurs à 2011 et faisait valoir que l'état des produits devait être apprécié en 2013, date à laquelle ils auraient dû être repris, le caractère tardif de l'inventaire réalisé en 2016 étant entièrement imputable à la société Annick Goutal ; qu'en appréciant l'état des produits à la date du contrôle des stocks réalisé en 2016, sans répondre à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

8. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

9. Pour fixer à 49 221,64 euros HT la somme due par la société Annick Goutal à la société Dispar au titre de la reprise du stock des produits en bon état de vente, prévue par le contrat à son expiration pour quelque cause que ce soit, l'arrêt retient que les parties ont réalisé, le 21 juin 2016, un contrôle physique contradictoire de l'état du stock détenu par la société Dispar, le valorisant à un montant de 66 293,20 euros HT, mais que ce stock comprend des produits antérieurs à 2011 qui, trop anciens, ne peuvent être considérés, compte tenu de leur nature cosmétique, comme étant en « bon état de vente », de sorte que le coût de ces produits, d'un montant de 17 071,56 euros, doit rester à la charge de la société Dispar.

10. En statuant ainsi, alors que la société Dispar contestait le caractère périmé des produits antérieurs à 2011, et faisait valoir qu'ils devaient être appréciés en 2013, date à laquelle ils auraient dû être repris, la cour d'appel, qui n'a pas précisé à quelle date elle se plaçait pour apprécier l'état de péremption des produits cosmétiques ni à quelle durée elle fixait celle-ci, ne mettant pas la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

11. La société Annick Goutal fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il disait que la résiliation du contrat du 23 juillet 1998 et la rupture de la relation commerciale entre la société Dispar et la société Annick Goutal étaient justifiées par l'inexécution, par la société Dispar, de ses obligations contractuelles et en ce qu'il déboutait la société Dispar de sa demande de dommages-intérêts et, statuant à nouveau, en ce qu'il la condamne à payer à la société Dispar la somme de 211 504 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies, alors « que la gravité du comportement d'une partie à une relation commerciale autorise
l'autre partie à y mettre fin sans préavis mais n'interdit pas à celle-ci de prévoir un préavis ; qu'en se bornant, pour condamner la société Annick Goutal à réparer les conséquences de la rupture de la relation commerciale entretenue avec la société Dispar, à retenir la circonstance inopérante que, pour rompre la relation, la société Annick Goutal avait opté pour le non-renouvellement du contrat plutôt que pour sa résiliation immédiate, ce qui revenait à prévoir un préavis de cinq mois, sans rechercher elle-même si les fautes commises par la société Dispar n'étaient pas d'une gravité telle qu'elles auraient justifié la rupture sans préavis de la relation commerciale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :

12. Il résulte de ce texte qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale. Cette règle ne souffre d'exception qu'en cas de force majeure ou d'inexécution par l'autre partie de ses obligations, suffisamment grave pour justifier la rupture unilatérale immédiate de la relation.

13. Pour juger que la société Annick Goutal avait brutalement rompu la relation commerciale établie avec la société Dispar et la condamner à réparer le préjudice en résultant, l'arrêt retient que la société Annick Goutal n'a pas, le 29 mars 2013, résilié le contrat mais a choisi de ne pas le renouveler à son échéance du 31 août 2013, en application des stipulations de l'article 10 du contrat de distribution, et qu'en conséquence, il apparaît qu'au moment de la rupture, elle ne considérait pas que ces fautes, qui sont celles invoquées dans le cadre de cette instance, revêtaient une gravité suffisante pour justifier une rupture immédiate sans préavis.

14. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants pris de l'octroi d'un préavis dès lors que, même en présence de manquements d'une partie suffisamment graves pour justifier la rupture immédiate de la relation commerciale, il est toujours loisible à l'autre partie de lui accorder un préavis, la cour d'appel, qui devait rechercher elle-même, si, comme le prétendait la société Annick Goutal, les fautes commises par la société Dispar n'étaient pas d'une gravité telle qu'elles auraient pu justifier la rupture immédiate de la relation commerciale, a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de la société Dispar SpA en paiement de la somme de 9 567,60 euros au titre de frais de stockage, l'arrêt rendu le 4 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze octobre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Colin-Stoclet, avocat aux Conseils, pour la société Annick Goutal.

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement en ce qu'il a dit que la résiliation du contrat du 23 juillet 1998 et la rupture de la relation commerciale entre la société Dispar et la société Annick Goutal étaient justifiées par l'inexécution par la société Dispar de ses obligations contractuelles, en ce qu'il a débouté, en conséquence, la société Dispar de sa demande de dommages et intérêts au titre de la perte de marge brute et du préjudice lié à l'atteinte de son image fondée et d'avoir,statuant à nouveau, condamné la société Annick Goutal à payer à la société Dispar la somme de 211.504 € à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies ;

AUX MOTIFS QUE, sur la rupture brutale des relations commerciales établies, la société Dispar rappelle, au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, que seule une faute grave ou un manquement d'une gravité suffisante peut justifier la rupture des relations commerciales établies sans que le cocontractant n'ait à respecter un préavis suffisant qu'elle relève ainsi qu'aucun des manquements mentionnés dans le contrat de distribution ne peut lui être reproché et qu'ainsi elle n'a pas manqué à ses obligations contractuelles pouvant justifier une éventuelle résiliation et en déduit qu'aucune résiliation anticipée ne peut alors être justifiée par la société Annick Goutal, étant également relevé que cette dernière ne lui a jamais notifié ou reproché les prétendus manquements et aurait même contribué au sur-stockage sur le marché italien ; qu'elle fait valoir que la société Annick Goutal ne lui a pas octroyé un préavis suffisant compte tenu de la durée des relations commerciales, 14 ans, de l'exclusivité dans la distribution des produits dont elle a bénéficié sur le territoire italien et de la notoriété de ceux-ci ; qu'elle soutient que la rupture initiée par la société Annick Goutal était imprévisible et injustifiée ; qu'elle indique qu'elle n'a pas pu se réorganiser, la distribution des produits de la société Annick Goutal occupant une place significative dans son activité qu'elle en déduit qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 18 mois et non pas seulement de 5 mois ; que la société Annick Goutal réplique qu'elle pouvait rompre les relations commerciales avec la société Dispar sans préavis, celle-ci n'ayant pas exécuté ses obligations contractuelles ; qu'elle lui reproche en effet de ne pas avoir contrôlé l'état de son stock et donc d'avoir manqué à ses obligations contractuelles ; qu'elle fait ainsi valoir que la rupture des relations commerciales était parfaitement justifiée et que les manquements graves imputables à la société Dispar ne lui ont pas permis de renouveler le contrat de distribution à son échéance ; qu'elle soutient que l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ne fait pas obstacle au droit de résilier un contrat à son échéance et ce alors même que cette décision est motivée par les fautes commises par l'autre partie ; qu'en outre, elle estime que la rupture des relations n'était pas brutale et que le préavis accordé est raisonnable dans la mesure où celui-ci est supérieur au délai de préavis prévu par les clauses du contrat de distribution ; qu'elle explique que la société Dispar pouvait se réorganiser et procéder au remplacement de son activité dans le délai de 5 mois, puisque l'activité de distribution de produits cosmétiques et de parfumerie est particulièrement riche sur le marché italien et que la société Dispar est distributeur multi-marques de produits tant cosmétiques que de parfumerie ; que les parties s'accordent sur le caractère établi de leurs relations commerciales, leur durée, à savoir 14 ans, sur l'auteur et la date de la rupture ; qu'elles s'opposent, en revanche, sur la brutalité de la rupture, la durée du préavis, son effectivité et les fautes commises par la société Dispar ; qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (
) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure » ; que, sur les griefs allégués, la rupture des relations commerciales établies peut intervenir à effet immédiat à la condition qu'elle soit justifiée par des fautes suffisamment graves imputées au partenaire commercial ; que par courrier du 29 mars 2013, la société Annick Goutal a signifié à la société Dispar qu'elle ne renouvelait pas le contrat de distribution qui les liait, à l'échéance contractuelle du 31 août 2013, au motif que cette dernière avait une « gestion approximative de son réseau, détenant, ainsi que ses distributeurs à cette date des marchandises pour une valeur totale de 1,6 million d'euros et 16 mois de stock. Elle indique également que la présence d'un tel stock atteste de l'insuffisance de suivi et de contrôle régulier du réseau depuis de nombreux mois ainsi qu'une faible rotation des stocks et de facto, la présence de produits périmés chez les détaillants », pour conclure que « compte tenu de l'historique de nos relations, nous avons décidé de poursuivre notre contrat jusqu'à sa prochaine échéance contractuelle du 31 août 2013, date à laquelle il ne sera pas renouvelé » ; que la société Annick Goutal n'a donc pas résilié le contrat mais a choisi de ne pas le renouveler en application des dispositions contractuelles de l'article 10 du contrat de distribution ; qu'en conséquence, au regard de ces éléments, il apparaît que la société Annick Goutal au moment de la rupture ne considérait pas que ces fautes, qui sont celles invoquées dans le cadre de cette instance, revêtaient une gravité suffisante pour justifier une rupture immédiate sans préavis ; qu'en outre, la société Annick Goutal reproche à la société Dispar le nombre de points de vente appartenant au réseau de distribution animé par cette dernière ; que, toutefois, ce grief n'est pas invoqué dans la lettre de rupture et n'a fait l'objet d'aucun courrier pendant l'exécution du contrat ; que ce grief ne peut donc être utilement invoqué par la société Annick Goutal et caractériser une faute, et encore moins une faute d'une gravité suffisante, justifiant la rupture des relations commerciales ; qu'ainsi, la société Annick Goutal n'invoquant pas de fautes suffisamment graves justifiant une rupture immédiate des relations commerciales avec la société Dispar, et ayant rompu les relations commerciales en octroyant à celle-ci un délai de préavis, ne peut aujourd'hui faire valoir ces fautes pour réduire la durée du préavis ou caractériser l'absence de brutalité de la rupture ; que les griefs de la société Annick Goutal à l'encontre de la société Dispar ne peuvent, dans ces conditions, plus être utilement invoqués pour démontrer que la rupture n'a pas été brutale ; que, sur le préavis suffisant, le respect du préavis contractuel n'empêche pas qu'une rupture puisse revêtir un caractère brutal, si les conditions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce précité sont réunies ; qu'il ressort également dudit article que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis ; que l'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé avec l'auteur de la rupture, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables dédiées à la relation et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire sur le marché de rang équivalent ; qu'il est constant que les relations commerciales établies ont duré 14 années ; que le flux d'affaires entre les parties n'est pas contesté : la société Dispar communique en pièce 15 le chiffre d'affaires réalisé par elle avec la société Annick Goutal ; qu'il y a lieu de réaliser une moyenne des trois dernières années pleines, à savoir 2010, 2011 et 2012, l'année 2013 n'ayant pas été complète en raison de la rupture en cours d'année, afin de déterminer le flux moyen d'affaires au moment de la rupture ; qu'ainsi, le chiffre d'affaires moyen annuel est de 1.208.595 euros, soit 100.716 euros mensuellement ; que la société Dispar ne justifie pas en revanche de la particulière notoriété des produits Annick Goutal ni de la particularité du secteur économique des parfumeries ; que l'exclusivité qui lui était accordée aux termes du contrat n'est pas de nature à influer sur la durée du préavis dont elle aurait dû bénéficier pour retrouver un partenaire commercial ; qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments et du temps nécessaire pour que la société Dispar puisse se réorganiser et redéployer son activité, le préavis aurait dû être de 12 mois ; que, n'ayant bénéficié que d'un délai de 5 mois, la rupture des relations commerciales établies entre les parties a été brutale ;

1°) ALORS QUE, dans son courrier du 29 mars 2013, la société Annick Goutal avait, d'abord, indiqué à la société Dispar qu'il était « patent » qu'elle ne respectait plus les obligations mises à sa charge par le contrat de distribution et que « le non-respect de ces obligations justifie à lui seul la résiliation à effet immédiat de notre contrat » avant de préciser que « toutefois, compte tenu de l'historique de nos relations, nous avons choisi de poursuivre notre contrat jusqu'à sa prochaine échéance contractuelle du 31 août 2013, date à laquelle il ne sera pas renouvelé » ; que la société Annick Goutal avait donc clairement notifié sa volonté de rompre, en raison de la faute grave de la société Dispar, la relation commerciale établie entre elles, le choix du non-renouvellement du contrat venant à échéance cinq mois plus tard plutôt que de sa résiliation immédiate relevant seulement des modalités de la rupture ; qu'en considérant que le choix de ne pas renouveler le contrat au lieu de la résilier révélait que la société Annick Goutal estimait elle-même que les fautes de la société Dispar n'étaient pas d'une gravité suffisante pour entraîner sa résiliation immédiate, la cour d'appel a méconnu son obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui était soumis ;

2°) ALORS QUE la gravité du comportement d'une partie à une relation commerciale autorise l'autre partie à y mettre fin sans préavis mais n'interdit pas à celle-ci de prévoir un préavis ; qu'en se bornant, pour condamner la société Annick Goutal à réparer les conséquences de la rupture de la relation commerciale entretenue avec la société Dispar, à retenir la circonstance inopérante que, pour rompre la relation, la société Annick Goutal avait opté pour le non-renouvellement du contrat plutôt que pour sa résiliation immédiate, ce qui revenait à prévoir un préavis de cinq mois, sans rechercher elle-même si les fautes commises par la société Dispar n'étaient pas d'une gravité telle qu'elles auraient justifié la rupture sans préavis de la relation commerciale (conclusions pp. 22-28), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

3°) ALORS QUE la lettre de rupture d'une relation commerciale établie ne fixe pas les termes du litige ; qu'en retenant, pour dénier à la société Annick Goutal le droit d'invoquer la faute de la société Dispar tirée de la diminution du nombre de points de vente, que ce grief n'était pas mentionné dans la lettre de notification du non-renouvellement du contrat de distribution (arrêt p. 7, § 4), la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

4°) ALORS QU'en en concluant, sans mieux s'en expliquer, que la société Annick Goutal n'invoquait pas de fautes suffisamment graves justifiant une rupture immédiate des relations commerciales avec la société Dispar (arrêt p. 7, § 5), la cour d'appel a encore privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. Moyens produits au pourvoi incident éventuel par la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat aux Conseils, pour la société Dispar SpA.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir limité à la somme de 49 221,64 euros la condamnation de la société Annick Goutal à l'égard de la société Dispar au titre de la reprise de stock ;

AUX MOTIFS QUE « L'article 17 (vii) du contrat de distribution prévoit qu' « à l'expiration du contrat, à quelque moment et pour quelque cause que ce soit, l'ensemble des stocks des produits finis en bon état de vente sera repris par Annick Goutal elle-même, ou à sa demande recédé à tout tiers désigné, aux conditions d'achat initiales. Les matériels publicitaires et promotionnels en sa possession restant utilisables et actuels seront également repris au prix d'achat. A cet égard, le Distributeur adressera à Annick Goutal un état des stocks de produits et matériels publicitaires en sa possession, et les parties procèderont à un inventaire contradictoire de ces stocks avant leur reprise ». Le 21 juin 2016, les parties ont réalisé, contradictoirement, un contrôle physique de l'état du stock détenu par la société Dispar, faisant apparaître une valorisation du stock à un montant de 66.293,20 euros HT. Toutefois, des produits antérieurs à 2011 font partie du stock repris par la société Annick Goutal, correspondant à la somme de 17.071,56 euros. Ces produits sont trop anciens, pour être effectivement repris par la société Annick Goutal, ne pouvant être considéré compte tenu de leur nature cosmétique, comme étant en « bon état de vente » : le coût de ces produits doit donc rester à la charge de la société Dispar. Dès lors, la société Annick Goutal doit payer à la société Dispar la somme de 49.221,64 euros HT au titre de la reprise du stock. Il y a donc lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Annick Goutal à payer à la société Dispar la somme de 89.427,88 euros au titre de la reprise de stock, et statuant à nouveau, de condamner la société Annick Goutal à payer à la société Dispar la somme de 49.221,64 euros au titre de la reprise de stock, avec intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2014, date de l'assignation valant mise en demeure, en vertu de l'article 1146 ancien du code civil applicable aux faits de l'espèce. »

1°) ALORS QUE la société Dispar contestait le caractère périmé des produits antérieurs à 2011 et ajoutait que ces produits auraient dû être repris par la société Annick Goutal en 2013 (conclusions de la société Dispar, p.18, 19, 21, 29, 30 et 31) ; qu'en retenant que les produits antérieurs à 2011 étaient trop anciens pour être considérés comme étant en bon état de vente, sans préciser les éléments de preuve sur lesquels elle se fondait, la cour d'appel a statué par voie de simple affirmation, violant l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE la société Dispar contestait le caractère périmé des produits antérieurs à 2011 et faisait valoir que l'état des produits devait être apprécié en 2013, date à laquelle ils auraient dû être repris, le caractère tardif de l'inventaire réalisé en 2016 étant entièrement imputable à la société Annick Goutal (conclusions de la société Dispar, p.18, 19, 21, 29, 30 et 31) ; qu'en appréciant l'état des produits à la date du contrôle des stocks réalisé en 2016, sans répondre à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE le contrat de distribution prévoyait, en son article 17 (vii) qu'à l'expiration du contrat, l'ensemble des stocks des produits finis en bon état de vente serait repris par la société Annick Goutal et que les parties procèderaient à un inventaire contradictoire de ces stocks avant leur reprise ; qu'en appréciant l'état des produits en 2016, cependant que le contrat imposait un inventaire et une évaluation au moment de la rupture du contrat, soit en 2013, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, devenu l'article 1103 dudit code.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Dispar de sa demande au titre du paiement des frais de stockage des produits et matériels publicitaires ;

AUX MOTIFS QUE « la société Dispar estime qu'elle a dû supporter des frais pour le stockage des produits et du matériel publicitaire et promotionnel qui doivent être pris en charge par la société Annick Goutal. La société Annick Goutal ne conclut pas sur ce point. La société Dispar ne produit aucune facture ni justificatif de paiement correspondant à des frais de stockage pour les produits Annick Goutal, finalement repris. Les pièces produites, un courriel relatif à une information sur des prix, tout comme un courrier mentionnant le prix d'une période de stockage (pièces 19 et 37) ne peuvent établir le principe comme le montant de la somme réclamée. Il y a donc lieu de rejeter la demande. »

1°) ALORS QUE la société Dispar produisait deux documents émanant de la société ICR qui stockait, pour son compte, les produits Annick Goutal ; que par un courriel du 5 mars 2014, la société ICR informait la société Dispar du coût de stockage des trente « palettes stockées dans [son] magasin » relatives au « marché Annick Goutal », à savoir 225 euros par mois ; que par une lettre du 26 juillet 2016, la société ICR informait la société Dispar que trente palettes étaient affectées « aux produits de la marque Annick Goutal stockés dans [ses] entrepôts pour la période allant du 01.09.2013 au 31.07.2016 », le « total facturé » pour ce stockage étant de 7 875,60 euros, le détail de cette facturation par mois et années étant précisé ; qu'en retenant cependant que « la société Dispar ne produi[sai]t aucune facture ni justificatif de paiement correspondant à des frais de stockage pour les produits Annick Goutal [et que] les pièces produites, un courriel relatif à une information sur des prix, tout comme un courrier mentionnant le prix d'une période de stockage (pièces 19 et 37) ne p[ouvai]ent établir le principe comme le montant de la somme réclamée », la cour d'appel a dénaturé le courriel du 5 mars 2014 et le la lettre du 26 juillet 2016 (pièces produites devant la cour d'appel sous les numéros 19 et 37), violant ainsi le principe de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

2°) ALORS QUE la conservation des produits de la marque Annick Goutal entre la rupture de la relation contractuelle intervenue en 2013 et la reprise des produits stockés par la société Annick Goutal, le 16 mars 2017, a nécessairement engendré des frais de stockage pour la société Dispar ; qu'en se fondant cependant sur l'insuffisance des preuves relatives au coût du stockage pour refuser d'évaluer un préjudice dont l'existence était certaine, la cour d'appel a violé les articles 4 et 1147, devenu 1231-1, du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 18-22119
Date de la décision : 14/10/2020
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 04 juillet 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 14 oct. 2020, pourvoi n°18-22119


Composition du Tribunal
Président : Mme Mouillard (président)
Avocat(s) : SCP Colin-Stoclet, SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.22119
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