LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er octobre 2020
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 698 F-D
Pourvoi n° P 19-18.649
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 1ER OCTOBRE 2020
M. T... M..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° P 19-18.649 contre l'arrêt rendu le 20 mars 2019 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 2), dans le litige l'opposant :
1°/ au préfet de la Corse du Sud, domicilié [...] ,
2°/ à la commune d'[...], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité, [...],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. M..., de Me Haas, avocat du préfet de la Corse du Sud, après débats en l'audience publique du 7 juillet 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. M... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la commune d'[...].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 20 mars 2019), rendu en référé, la juridiction pénale ayant condamné M. M... à démolir des ouvrages réalisés sans permis de construire, le préfet de Corse du Sud l'a assigné en référé, sur le fondement de l'article L. 480-9 du code de l'urbanisme, pour obtenir son expulsion et la démolition des constructions.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. M... fait grief à l'arrêt d'accueillir les demandes, alors :
« 1°/ que lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire statuant en référé à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative ; qu'en ayant énoncé (p. 7 in fine), s'agissant des constructions à usage d'habitation et de commerce, qu'elles avaient été érigées sans permis de construire et que leur usage d'habitation et de commerce n'était pas démontré, sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. M... n'avait pas obtenu un permis de construire par arrêté du 31 juillet 2012 pour l'édification d'une maison et d'un atelier sur le site litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 480-9, L. 480-13 du code de l'urbanisme et 809 du code de procédure civile ;
2°/ qu'il n'y a pas lieu à référé si le trouble manifestement illicite résultant du refus d'obtempérer à la condamnation pénale à remettre les lieux en l'état n'est pas caractérisé à la date à laquelle le juge statue en raison d'une délibération du conseil municipal ayant déclassé la parcelle située en zone non constructible en parcelle en zone affectée essentiellement à l'habitat ; qu'en considérant qu'aucune modification ultérieure du classement de la zone, à la supposer possible, n'était de nature à permettre a posteriori la régularisation de constructions déclarées illicites et en retenant l'existence d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile ;
3°/ que la démolition porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du propriétaire d'une maison d'habitation, de surcroît âgé, qui y vit depuis longtemps avec sa famille ; qu'en condamnant, en référé, M. M..., âgé de 74 ans, à démolir sous astreinte les constructions litigieuses, à usage d'habitation et de commerce après avoir prononcé son expulsion en raison de leur édification dans un site classé au patrimoine mondial de l'UNESCO et du « caractère remarquable » du site classé, sans se prononcer sur l'atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie familiale de l'exposant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 809 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. La cour d'appel a, d'abord, relevé que, en exécution d'un arrêt du 17 mars 2010, devenu irrévocable, M. M... avait été condamné, d'une part, à une peine d'amende en raison de l'exécution de travaux sans permis de construire, de l'exploitation sans autorisation d'installation ou d'ouvrage nuisible au débit des eaux ou au milieu aquatique et de la modification sans autorisation de l'état ou de l'aspect d'un monument ou site classé, et, d'autre part, à démolir la plate-forme en béton de 50 m² et de deux mètres de haut, celle d'environ 450 m² d'une hauteur d'environ quatre mètres destinée à accueillir une aire de lavage de véhicules, ainsi qu'une plate-forme située en contrebas et à remettre les lieux en l'état.
5. Elle a, ensuite, retenu à bon droit qu'une modification ultérieure du classement de la zone, à la supposer possible, s'agissant d'un site naturel remarquable et d'un site classé, de surcroît inconstructible puisqu'en zone d'aléa fort, n'était pas, à elle seule, de nature à permettre la régularisation de constructions définitivement déclarées illicites en l'absence d'autorisation d'urbanisme.
6. Elle a, enfin, constaté que les nouvelles constructions avaient été érigées sans permis de construire, sans qu'il fût justifié de la réalité de leur affectation à usage d'habitation.
7. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, relative à l'obtention ultérieure d'un permis de construire une maison et un atelier sur les plates-formes illégales, et qui n'était pas tenue de procéder à un contrôle de proportionnalité que ses constatations, relatives à la situation de la parcelle litigieuse en zone d'aléa fort dans laquelle toute construction était interdite et dans un site naturel remarquable inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco, ainsi qu'à l'absence d'affectation démontrée des constructions à un usage d'habitation, rendaient inopérant, a pu en déduire que l'inexécution des mesures de démolition constituait un trouble manifestement illicite et a ainsi légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. M... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. M... et le condamne à payer au préfet de la Corse du sud la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier octobre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. M....
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir ordonné l'expulsion de M. M... de la parcelle de terre cadastrée [...] et de l'avoir condamné à démolir les constructions litigieuses sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
Aux motifs que M. M... avait été condamné, par décision définitive du 17 mars 2010 rendue par la cour d'appel de Bastia, à démolir sous astreinte les constructions illicites, ce qu'il n'avait pas fait bien au contraire puisqu'il avait érigé sur une plateforme illicite une nouvelle construction au mépris de la réglementation et de la condamnation pénale, la mairie faisant montre a minima de négligence sinon de complaisance à son endroit ; que la condamnation pénale définitive visait à la démolition de la plate-forme en béton d'environ 50 mètres carrés d'une hauteur de deux mètres, la plate-forme de 450 mètres carrés d'une hauteur d'environ quatre mètres pour accueillir une aire de lavage de véhicules, la plate-forme en contrebas et la remise en état des lieux ; qu'aux termes de l'article L. 480-9 du code de l'urbanisme, « si à l'expiration du délai fixé par le jugement, la démolition ordonnée n'est pas complètement achevée, le maire ou le fonctionnaire compétent peut faire procéder d'office à tous travaux nécessaires à l'exécution de la décision de justice (
), le maire ou le fonctionnaire compétent ne pourra faire procéder aux travaux mentionnés à l'alinéa précédent qu'après décision du tribunal de grande instance qui ordonnera, le cas échéant, l'expulsion de tous occupants » ; que le préfet était désigné par l'article R. 480-4 du code de l'urbanisme comme l'autorité administrative habilitée à exercer les attributions définies à l'article L. 480-9 et le juge des référés était compétent pour en connaître, s'agissant de prescrire toutes mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposaient afin de faire cesser le trouble manifestement illicite que constituait l'inexécution des mesures de démolition ordonnées judiciairement ; que si, malgré la condamnation pénale, M. M... avait cru devoir ériger de nouvelles constructions sur l'une des plates-formes, il l'avait fait à ses risques et périls et ces constructions devaient suivre le sort de la plate-forme illicite sur laquelle elles étaient érigées, aucune modification ultérieure du classement de la zone, à la supposer possible s'agissant d'un espace naturel remarquable et d'un site classé, de surcroît inconstructible puisqu'en zone d'aléa fort, n'étant de nature à permettre a posteriori la régularisation de constructions définitivement déclarées illicites ; qu'il n'était donc pas fondé à invoquer l'absence de proportionnalité des mesures exigées par le préfet, ni invoquer la tolérance de la commune à son égard, cette complaisance n'étant pas de nature à régulariser la situation en l'état de l'opposition du représentant de l'Etat ; que de plus, l'astreinte avait déjà été relevée par arrêt du 12 mai 2014 à la somme de 300 euros par jour de retard ; que l'intimé n'était donc pas fondé à se plaindre du manque de réactivité de la préfecture, laquelle avait combattu judiciairement ces constructions devant les juridictions administratives ; que dès lors, le préfet disposait d'un titre exécutoire en raison de la condamnation pénale définitive qu'il lui appartenait de faire exécuter tant par la liquidation de l'astreinte que par la poursuite de la démolition des constructions définitivement illégales s'agissant, outre l'exécution de travaux sans permis de construire, d'exploitation sans autorisation d'installation ou d'ouvrage nuisible au débit des eaux ou au débit aquatique et de la modification sans autorisation de l'état ou de l'aspect d'un monument ou site classé ; que la faculté donnée au juge d'ordonner la démolition des ouvrages construits en méconnaissance des règles du code de l'urbanisme justifiée par la protection de l'environnement n'était pas contraire à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif à la protection de la vie privée ni à l'article premier du protocole additionnel relatif à la protection de la propriété, nonobstant les vaines tentatives de régularisation par la commune en l'état d'une condamnation pénale définitive ayant ordonné la démolition et des actions du préfet pour parvenir à l'exécution de la condamnation ; qu'en outre, s'agissant des constructions à usage allégué d'habitation et de commerce, elles avaient été érigées sans permis de construire dans un site classé au patrimoine mondial de l'UNESCO et il n'était pas justifié de la réalité de leur affectation à un usage d'habitation ; qu'en conséquence et afin de faire cesser le trouble manifestement illicite constituée par l'inexécution des mesures de démolition ordonnées par le juge pénal, il y avait lieu d'ordonner l'expulsion de M. M... et de tous occupants de son chef de la parcelle de terre sous astreinte de 500 euro par jour de retard ;
Alors 1°) que lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire statuant en référé à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative ; qu'en ayant énoncé (p. 7 in fine), s'agissant des constructions à usage d'habitation et de commerce, qu'elles avaient été érigées sans permis de construire et que leur usage d'habitation et de commerce n'était pas démontré, sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. M... n'avait pas obtenu un permis de construire par arrêté du 31 juillet 2012 pour l'édification d'une maison et d'un atelier sur le site litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 480-9, L. 480-13 du code de l'urbanisme et 809 du code de procédure civile ;
Alors 2°) qu' il n'y a pas lieu à référé si le trouble manifestement illicite résultant du refus d'obtempérer à la condamnation pénale à remettre les lieux en l'état n'est pas caractérisé à la date à laquelle le juge statue en raison d'une délibération du conseil municipal ayant déclassé la parcelle située en zone non constructible en parcelle en zone affectée essentiellement à l'habitat ; qu'en considérant qu'aucune modification ultérieure du classement de la zone, à la supposer possible, n'était de nature à permettre a posteriori la régularisation de constructions déclarées illicites et en retenant l'existence d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile ;
Alors 3°) et en tout état de cause que la démolition porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du propriétaire d'une maison d'habitation, de surcroît âgé, qui y vit depuis longtemps avec sa famille ; qu'en condamnant, en référé, M. M..., âgé de 74 ans, à démolir sous astreinte les constructions litigieuses, à usage d'habitation et de commerce après avoir prononcé son expulsion en raison de leur édification dans un site classé au patrimoine mondial de l'UNESCO et du « caractère remarquable » du site classé, sans se prononcer sur l'atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie familiale de l'exposant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 809 du code de procédure civile.