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30/09/2020 | FRANCE | N°19-17995

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 30 septembre 2020, 19-17995


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 30 septembre 2020

Cassation partielle

Mme BATUT, président

Arrêt n° 561 F-D

Pourvoi n° C 19-17.995

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 30 SEPTEMBRE 2020

Mme X... V... B... , domiciliée [...] , a formé le

pourvoi n° C 19-17.995 contre l'arrêt rendu le 16 avril 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant au proc...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 30 septembre 2020

Cassation partielle

Mme BATUT, président

Arrêt n° 561 F-D

Pourvoi n° C 19-17.995

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 30 SEPTEMBRE 2020

Mme X... V... B... , domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° C 19-17.995 contre l'arrêt rendu le 16 avril 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, 34 quai des Orfèvres, 75055 Paris cedex 01, défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations de la SCP Krivine et Viaud, avocat de Mme B..., après débats en l'audience publique du 7 juillet 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 avril 2019) et les pièces de la procédure, Mme B..., originaire du Togo, a assigné le ministère public aux fins d'enregistrement de la déclaration de nationalité qu'elle avait souscrite en application de l'article 21-12 du code civil. A l'appui de sa demande, elle a produit un jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 18 août 2004 par le tribunal de première instance de Lomé, qui vise la requête ainsi que l'enquête à laquelle il a été procédé à la barre par l'audition des témoins produits et régulièrement convoqués, et spécifie que, de cette enquête, résulte la preuve des faits exposés par la requérante.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur la troisième branche du même moyen

Enoncé du moyen

3. Mme B... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'enregistrement de déclaration de nationalité, alors « que l'existence d'une motivation doit être appréciée plus souplement dans l'hypothèse d'une décision gracieuse ne concernant qu'une partie que dans l'hypothèse d'une décision contentieuse ; qu'au cas d'espèce, dès lors qu'il était constant que le jugement supplétif togolais du 18 août 2004 renvoyait à l'enquête à laquelle le juge disait avoir procédé à la barre par l'audition de témoins ainsi qu'à la requête déposée par la mère de Mme B..., il devait être considéré que ce jugement gracieux, ne concernant que Mme B..., était suffisamment motivé sous l'angle de la conception française de l'ordre public international ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 37 de la convention judiciaire conclue entre la France et le Togo le 23 mars 1976, ensemble les principes généraux régissant la reconnaissance des jugements étrangers. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 37 de la convention judiciaire entre la France et le Togo du 23 mars 1976 :

4. Selon ce texte, et spécialement son d), les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant au Togo ont, de plein droit, l'autorité de la chose jugée en France si, notamment, elles ne contiennent rien de contraire à l'ordre public international français ou aux principes de droit public applicables en France.

5. Pour dire que Mme B... n'est pas de nationalité française, l'arrêt retient que le jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 18 août 2004 par le tribunal de première instance de Lomé ne mentionne le nom et l'âge d'aucun témoin et ne comporte aucune énonciation de faits susceptibles de justifier la décision et que ce défaut de motivation n'est suppléé par aucun autre élément.

6. En statuant ainsi, alors que le jugement togolais était pourvu d'une motivation, la cour d'appel, qui ne pouvait substituer sa propre appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve à celle du juge togolais, sans procéder à une révision au fond de ce jugement, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il constate que le récépissé prévu à l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré, l'arrêt rendu le 16 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme B... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Krivine et Viaud, avocat aux Conseils, pour Mme B....

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR débouté Mme B... de sa demande d'enregistrement de la déclaration de nationalité souscrite le 19 mars 2014, D'AVOIR dit que Mme B... n'était pas de nationalité française et D'AVOIR ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil ;

AUX MOTIFS QUE Mme X... V... B... , se disant née le [...] à Lomé, a souscrit le 19 mars 2014 une déclaration de nationalité en vertu de l'article 21-12, alinéa 3, 1°, du code civil, dans sa rédaction alors applicable ; que selon ce texte, jusqu'à sa majorité, peut déclarer dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants, qu'il réclame la qualité de Français, pourvu qu'à l'époque de sa déclaration il réside en France, « L'enfant qui, depuis au moins cinq années, est recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française ou qui, depuis au moins trois années, est confié au service de l'aide sociale à l'enfance » ; qu'en application de l'article 16 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 relatif à la manifestation de volonté, aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, modifié par décret n° 2005-25 du 14 janvier 2005, pour souscrire la déclaration prévue à l'article 21-12 du code civil, le déclarant doit fournir notamment l'extrait de son acte de naissance ; que le 12 décembre 2014, Mme B... s'est vu notifier un refus d'enregistrement au motif « qu'après vérification faite auprès des autorités locales de l'acte de naissance que vous avez produit, référencé sous le n° 930 (volet n° 1) de l'année 2006, transcrit le 29 décembre 2006 suite à un jugement du tribunal de première instance de Lomé en date du 18 août 2004, il s'avère qu'un acte de naissance a été enregistré sous les mêmes références à l'état civil de Lomé au nom d'une autre personne » ; qu'il appartient à Mme B... d'apporter la preuve qu'elle satisfait aux conditions exigées par les dispositions de l'article 21-12, alinéa 3, 1°, du code civil ; que conformément à l'article 47 du code civil, « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité » ; que Mme B... doit donc justifier d'une identité certaine, attestée par des actes d'état civil fiables au sens de cet article, établissant en particulier sa minorité à la date de souscription ; que pour établir son état civil, Mme B... produit un jugement n° 6142 tenant lieu d'acte de naissance en date du 18 août 2004, rendu par le tribunal de première instance de Lomé, qui déclare qu'elle est née le [...] à Lomé, qui dit que le jugement tiendra lieu d'acte de naissance et que son dispositif sera transcrit sur les registres de l'état civil de l'année en cours de la commune de Lomé et que mention en sera faite en marge de l'acte de naissance le plus proche en date de celle de la naissance sur le registre de l'année 1996 et ce tant sur l'exemplaire conservé à la mairie que celui déposé au greffe ; que ce jugement a été transcrit au registre des actes de naissance de l'année 2006 sous le n° 930 figurant sur le feuillet n° 30 du registre n° 10 à la date du 29 décembre 2006 ; que l'intimée produit également en cause d'appel, en pièce n° 21, un duplicata certifié conforme à l'original du volet n° 1 de son acte de naissance, visant le jugement supplétif n° 6142 rendu le 18 août 2004 par le tribunal de première instance de Lomé figurant sur le feuillet n° 30 du registre n° 10 à la date du 29 décembre 2006 ; que le ministère public soutient que le jugement est contraire à l'ordre public international en ce qu'il est dépourvu de motivation, ce que Mme B... conteste, estimant que le jugement est régulier et conforme à l'article 37 du code civil togolais et doit produire son plein effet, sans procédure d'exequatur ; qu'est contraire à la conception française de l'ordre public international la reconnaissance d'une décision étrangère non motivée, à moins que soient produits des documents de nature à servir d'équivalents à la motivation défaillante ; qu'en l'espèce, le jugement supplétif du 18 août 2004 ne mentionne le nom et l'âge d'aucun témoin et ne comporte aucune énonciation de faits susceptibles de justifier la décision ; que contrairement à ce que soutient Mme B..., ce défaut de motivation qui n'est suppléé par aucun autre élément, notamment par la production de la requête présentée qui aurait énoncé les faits la motivant et l'identité et l'âge des témoins, interdit de reconnaître ce jugement dans l'ordre juridique français ; qu'au surplus, le ministère public produit une demande de levée d'acte effectuée par la section consulaire de l'Ambassade de France au Togo qui a relevé que l'acte n° 930 de l'année 2006, figurant dans le registre des actes de naissance de Lomé, sur le feuillet n° 30 du registre n° 10, établi le 11 avril 2006 concernait T... U... S... O... née le [...] ; que pour expliquer l'existence d'un acte de naissance concernant une tierce personne, Mme B... soutient qu'il existe en réalité deux registres de naissance, l'un concernant les naissances enregistrées dans un délai de 45 jours et l'autre, les naissances enregistrées à partir d'un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance ; mais que le décret n° 62-89 du 2 juillet 1962 portant réorganisation de l'état civil au Togo, en vigueur au jour de l'établissement de l'acte de naissance de l'intéressée, ne prévoit pas la tenue de registres différents ; qu'au contraire, comme le souligne le ministère public, l'article 18, alinéa 4 de ce décret précise que « le dispositif de tout jugement de reconstitution ou supplétif d'acte d'État Civil devenu définitif est transcrit dans les mêmes formes à sa date, au dos de la souche sur le registre de l'année en cours où a été dressé l'acte détruit ou perdu ou sur le registre de l'année où la déclaration aurait dû être faite » ; que les documents produits par Mme B... pour justifier l'existence d'une pratique de double registre, contraire à ces textes, n'est pas de nature à lui conférer un état civil fiable et certain au sens de l'article 47 du code civil ; que le jugement qui a ordonné l'enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite par l'intéressée doit donc être infirmé ; que Mme X... V... B... doit être déboutée de sa demande d'enregistrement de la déclaration de nationalité souscrite le 19 mars 2014 ;

1. ALORS QUE l'article 37 de la Convention judiciaire conclue entre la France et le Togo le 23 mars 1976 régit seul les conditions de régularité en France d'une décision rendue par les juridictions togolaises en matière civile ; qu'au cas d'espèce, en décidant, en application des règles de droit commun de reconnaissance des jugements étrangers, que le jugement supplétif togolais du 18 août 2004 ne pouvait être reconnu comme contraire à la conception française de l'ordre public international, quand ce contrôle devait être exercé au regard de l'article 37 de la convention franco-togolaise susvisée, la cour d'appel a violé ce dernier texte ;

2. ALORS, subsidiairement, QUE la contrariété à l'ordre public international de procédure d'une décision étrangère ne peut être admise que s'il est démontré que les intérêts d'une partie ont été objectivement compromis par une violation des principes fondamentaux de la procédure ; que tel n'est pas le cas de l'absence de motivation d'une décision étrangère de nature gracieuse dont se prévaut la seule partie qu'elle concerne ; qu'en l'espèce, en décidant que le jugement supplétif togolais du 18 août 2004 ne pouvait être reconnu comme contraire à la conception française de l'ordre public international en raison de son absence de motivation, quand ce jugement, qui déclarait l'état-civil de Mme B... et ne concernait donc que cette dernière, était de nature gracieuse et n'avait donc pu objectivement compromettre ses intérêts par une violation des principes fondamentaux de la procédure, la cour d'appel a violé l'article 37 de la Convention judiciaire conclue entre la France et le Togo le 23 mars 1976, ensemble les principes généraux régissant la reconnaissance des jugements étrangers ;

3. ALORS, plus subsidiairement, QUE l'existence d'une motivation doit être appréciée plus souplement dans l'hypothèse d'une décision gracieuse ne concernant qu'une partie que dans l'hypothèse d'une décision contentieuse ; qu'au cas d'espèce, dès lors qu'il était constant que le jugement supplétif togolais du 18 août 2004 renvoyait à l'enquête à laquelle le juge disait avoir procédé à la barre par l'audition de témoins ainsi qu'à la requête déposée par la mère de Mme B..., il devait être considéré que ce jugement gracieux, ne concernant que Mme B..., était suffisamment motivé sous l'angle de la conception française de l'ordre public international ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 37 de la Convention judiciaire conclue entre la France et le Togo le 23 mars 1976, ensemble les principes généraux régissant la reconnaissance des jugements étrangers ;

4. ALORS QUE la régularité d'un acte de naissance étranger s'apprécie selon la loi de l'auteur de l'acte ; que cette loi s'entend du droit tel qu'il est effectivement mis en oeuvre dans l'État considéré, et non de ses seules règles de droit écrit abstraitement considérées ; qu'au cas d'espèce, la cour d'appel ne pouvait donc par principe exclure que l'acte de naissance de Mme B... fût régulier, du point de vue du droit togolais, au motif que le décret togolais régissant les actes d'état civil ne prévoyait pas la tenue de deux registres distincts, l'un pour les naissances déclarées dans les 45 jours, l'autre pour les naissances enregistrées à partir d'un jugement supplétif, dès lors que seul comptait le point de savoir si en pratique, comme le soutenait Mme B... preuves à l'appui, tel était le système effectivement pratiqué et reconnu au Togo ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 47 du code civil, ensemble le principe Locus regit actum ;

5. ALORS, en tout état de cause, QUE l'enfant qui réclame la nationalité française sur le fondement de l'article 21-12, alinéa 3, 1° du code civil, peut prouver par tous moyens son identité et le respect de la condition de minorité au jour de la déclaration d'acquisition ; qu'au cas d'espèce, Mme B... se prévalait encore de trois jugements d'assistance éducative rendus les 22 mars 2011, 22 avril 2013 et 18 juin 2013 par le président du tribunal pour enfants de Bobigny qui tous concernaient « X... B..., née le [...] à Lomé (Togo) » ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ces jugements, quant au point de savoir s'ils n'étaient pas de nature à prouver l'identité et l'âge de l'intimée au jour de la déclaration d'acquisition de la nationalité française, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 21-12 (dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003, applicable à l'espèce) et 30 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR débouté Mme B... de sa demande d'enregistrement de la déclaration de nationalité souscrite le 19 mars 2014, D'AVOIR dit que Mme B... n'était pas de nationalité française et D'AVOIR ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil ;

AUX MOTIFS QUE Mme X... V... B... , se disant née le [...] à Lomé, a souscrit le 19 mars 2014 une déclaration de nationalité en vertu de l'article 21-12, alinéa 3, 1°, du code civil, dans sa rédaction alors applicable ; que selon ce texte, jusqu'à sa majorité, peut déclarer dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants, qu'il réclame la qualité de Français, pourvu qu'à l'époque de sa déclaration il réside en France, « L'enfant qui, depuis au moins cinq années, est recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française ou qui, depuis au moins trois années, est confié au service de l'aide sociale à l'enfance » ; qu'en application de l'article 16 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 relatif à la manifestation de volonté, aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, modifié par décret n° 2005-25 du 14 janvier 2005, pour souscrire la déclaration prévue à l'article 21-12 du code civil, le déclarant doit fournir notamment l'extrait de son acte de naissance ; que le 12 décembre 2014, Mme B... s'est vu notifier un refus d'enregistrement au motif « qu'après vérification faite auprès des autorités locales de l'acte de naissance que vous avez produit, référencé sous le n° 930 (volet n° 1) de l'année 2006, transcrit le 29 décembre 2006 suite à un jugement du tribunal de première instance de Lomé en date du 18 août 2004, il s'avère qu'un acte de naissance a été enregistré sous les mêmes références à l'état civil de Lomé au nom d'une autre personne » ; qu'il appartient à Mme B... d'apporter la preuve qu'elle satisfait aux conditions exigées par les dispositions de l'article 21-12, alinéa 3, 1°, du code civil ; que conformément à l'article 47 du code civil, « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité » ; que Mme B... doit donc justifier d'une identité certaine, attestée par des actes d'état civil fiables au sens de cet article, établissant en particulier sa minorité à la date de souscription ; que pour établir son état civil, Mme B... produit un jugement n° 6142 tenant lieu d'acte de naissance en date du 18 août 2004, rendu par le tribunal de première instance de Lomé, qui déclare qu'elle est née le [...] à Lomé, qui dit que le jugement tiendra lieu d'acte de naissance et que son dispositif sera transcrit sur les registres de l'état civil de l'année en cours de la commune de Lomé et que mention en sera faite en marge de l'acte de naissance le plus proche en date de celle de la naissance sur le registre de l'année 1996 et ce tant sur l'exemplaire conservé à la mairie que celui déposé au greffe ; que ce jugement a été transcrit au registre des actes de naissance de l'année 2006 sous le n° 930 figurant sur le feuillet n° 30 du registre n° 10 à la date du 29 décembre 2006 ; que l'intimée produit également en cause d'appel, en pièce n° 21, un duplicata certifié conforme à l'original du volet n° 1 de son acte de naissance, visant le jugement supplétif n° 6142 rendu le 18 août 2004 par le tribunal de première instance de Lomé figurant sur le feuillet n° 30 du registre n° 10 à la date du 29 décembre 2006 ; que le ministère public soutient que le jugement est contraire à l'ordre public international en ce qu'il est dépourvu de motivation, ce que Mme B... conteste, estimant que le jugement est régulier et conforme à l'article 37 du code civil togolais et doit produire son plein effet, sans procédure d'exequatur ; qu'est contraire à la conception française de l'ordre public international la reconnaissance d'une décision étrangère non motivée, à moins que soient produits des documents de nature à servir d'équivalents à la motivation défaillante ; qu'en l'espèce, le jugement supplétif du 18 août 2004 ne mentionne le nom et l'âge d'aucun témoin et ne comporte aucune énonciation de faits susceptibles de justifier la décision ; que contrairement à ce que soutient Mme B..., ce défaut de motivation qui n'est suppléé par aucun autre élément, notamment par la production de la requête présentée qui aurait énoncé les faits la motivant et l'identité et l'âge des témoins, interdit de reconnaître ce jugement dans l'ordre juridique français ; qu'au surplus, le ministère public produit une demande de levée d'acte effectuée par la section consulaire de l'Ambassade de France au Togo qui a relevé que l'acte n° 930 de l'année 2006, figurant dans le registre des actes de naissance de Lomé, sur le feuillet n° 30 du registre n° 10, établi le 11 avril 2006 concernait T... U... S... O... née le [...] ; que pour expliquer l'existence d'un acte de naissance concernant une tierce personne, Mme B... soutient qu'il existe en réalité deux registres de naissance, l'un concernant les naissances enregistrées dans un délai de 45 jours et l'autre, les naissances enregistrées à partir d'un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance ; mais que le décret n° 62-89 du 2 juillet 1962 portant réorganisation de l'état civil au Togo, en vigueur au jour de l'établissement de l'acte de naissance de l'intéressée, ne prévoit pas la tenue de registres différents ; qu'au contraire, comme le souligne le ministère public, l'article 18, alinéa 4 de ce décret précise que « le dispositif de tout jugement de reconstitution ou supplétif d'acte d'État Civil devenu définitif est transcrit dans les mêmes formes à sa date, au dos de la souche sur le registre de l'année en cours où a été dressé l'acte détruit ou perdu ou sur le registre de l'année où la déclaration aurait dû être faite » ; que les documents produits par Mme B... pour justifier l'existence d'une pratique de double registre, contraire à ces textes, n'est pas de nature à lui conférer un état civil fiable et certain au sens de l'article 47 du code civil ; que le jugement qui a ordonné l'enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite par l'intéressée doit donc être infirmé ; que Mme X... V... B... doit être déboutée de sa demande d'enregistrement de la déclaration de nationalité souscrite le 19 mars 2014 ;

1. ALORS QU'aux termes de l'article 21-12, alinéa 3, 1° du code civil, peut réclamer la nationalité française l'enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et est confié au service de l'aide sociale à l'enfance ; qu'aux termes de l'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; qu'aux termes de l'article 7 § 1 de la même Convention, l'enfant a dès sa naissance le droit d'acquérir une nationalité ; qu'au cas d'espèce, en déniant à Mme B... la nationalité française au motif d'une incertitude quant à la fiabilité des documents d'état civil togolais produits, quand il n'était pas contesté qu'au jour de sa déclaration d'acquisition de la nationalité, elle était mineure, demeurait en France sans interruption au moins depuis l'année 2009 où elle avait toujours été scolarisée et avait été prise en charge par les services de l'Aide sociale à l'enfance depuis plus de trois ans, la cour d'appel, qui devait faire prévaloir l'intérêt supérieur de l'enfant à acquérir la nationalité française sans pouvoir s'arrêter à l'absence de fiabilité des documents d'état civil étrangers, a violé les articles 3 § 1 et 7 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, ensemble l'article 21-12 du code civil (dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003, applicable à l'espèce) ;

2. ALORS QU'aux termes de l'article 21-12, alinéa 3, 1° du code civil, peut réclamer la nationalité française l'enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et est confié au service de l'aide sociale à l'enfance ; que la nationalité est par ailleurs une composante de l'identité de la personne relevant le cas échéant de la protection de la vie privée et familiale telle que garantie par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'au cas d'espèce, en déniant à Mme B... la nationalité française au motif d'une incertitude quant à la fiabilité des documents d'état civil togolais produits, quand il n'était pas contesté qu'au jour de sa déclaration d'acquisition de la nationalité, elle était mineure, demeurait en France sans interruption au moins depuis l'année 2009 où elle avait toujours été scolarisée et avait été prise en charge par les services de l'Aide sociale à l'enfance depuis plus de trois ans, la cour d'appel, qui devait mettre en balance l'intérêt public attaché à la fiabilité des actes d'état civil produits et le droit au respect de la vie privée et familiale de Mme B... au regard de ses liens étroits de rattachement avec la France, a méconnu la méthode qui s'imposait à elle et, partant, a violé l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe de proportionnalité, ensemble l'article 21-12 du code civil (dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003, applicable à l'espèce) ;

3. ALORS QUE les règles de preuve de l'état civil ne doivent pas, sauf à méconnaître le droit au procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, faire peser sur le demandeur à la nationalité française une charge disproportionnée, aboutissant à rompre l'égalité des armes ; qu'au cas d'espèce, en ne tenant compte que de l'incertitude des actes d'état civil togolais pour lui dénier la nationalité française, faisant ainsi peser sur Mme B... les conséquences d'une organisation défaillante des services d'état civil d'un État étranger, sur lesquelles elle n'avait aucune prise, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée à son droit au procès équitable et, partant, violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 30 et 47 du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 19-17995
Date de la décision : 30/09/2020
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 16 avril 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 30 sep. 2020, pourvoi n°19-17995


Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : SCP Krivine et Viaud

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.17995
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