LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 23 septembre 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 734 FS-P+B
Pourvoi n° N 19-15.313
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 SEPTEMBRE 2020
1°/ la société Atelier mécanique chaudronnerie maintenance (AMCM), dont le siège est [...] ,
2°/ la société V et V, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , pris en la personne de M. N... P..., en qualité d'administrateur judiciaire de la société Atelier mécanique chaudronnerie maintenance,
3°/ la société [...], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , pris en la personne de M. D... C..., en qualité de mandataire judiciaire de la société Atelier mécanique chaudronnerie maintenance,
ont formé le pourvoi n° N 19-15.313 contre l'arrêt rendu le 12 février 2019 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre prud'homale), dans le litige les opposant à M. V... E..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de la société Atelier mécanique chaudronnerie maintenance, de la société V et V, ès qualités, et de la société [...], ès qualités, de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de M. E..., et l'avis de M. Desplan, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, MM. Pion, Ricour, Mmes Van Ruymbeke, Capitaine, Gilibert, conseillers, MM. Silhol, Duval, Mme Pecqueur, conseillers référendaires, M. Desplan, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 12 février 2019), M. E... a été engagé le 1er juillet 2014 par la société Atelier mécanique chaudronnerie maintenance (AMCM). Il a présenté sa démission le 23 mai 2016.
2. L'employeur lui a notifié la rupture de son préavis pour faute lourde le 23 juin 2016, et a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société AMCM fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes et de la condamner à payer au salarié des sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, alors « que manque gravement à son obligation de loyauté le salarié qui, étant au service de son employeur et sans l'en informer, crée une société dont l'activité est directement concurrente de la sienne, peu important que des actes de concurrence déloyale ou de détournement de clientèle soient ou non établis ; qu'en retenant que les manquements de M. E... à son obligation de loyauté n'étaient pas caractérisés, sans avoir tiré les conséquences légales de ses constatations selon lesquelles M. E... avait constitué, avec son épouse, la société MCO (étant acquis aux débats que les statuts avaient été signés le 14 mai 2016 avant la démission de M. E... le 23 mai), immatriculée le 31 mai 2016, soit pendant son préavis, société qui, par son objet social et son implantation territoriale, était en concurrence directe avec la société AMCM, la cour d'appel a violé l'article L. 1222-1 du code du travail.»
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel, qui a constaté que si la société constituée par le salarié avait été immatriculée pendant le cours du préavis, son exploitation n'avait débuté que postérieurement à la rupture de celui-ci, alors que le salarié n'était plus tenu d'aucune obligation envers son ancien employeur, en a exactement déduit qu'aucun manquement à l'obligation de loyauté n'était caractérisé.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Atelier mécanique chaudronnerie maintenance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Atelier mécanique chaudronnerie maintenance et la condamne à payer à M. E... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois septembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société Atelier mécanique chaudronnerie maintenance, la société V et V, ès qualités et la société [...], ès qualités.
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la société AMCM de ses demandes et de l'avoir condamnée à payer à M. E... les sommes de 13 266,06 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, les congés payés y afférents, outre la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Aux motifs que tout salarié est tenu pendant l'exécution de son contrat de travail à une obligation générale de loyauté ou fidélité à l'égard de son employeur, qui se traduit par l'interdiction, pendant toute la durée du contrat de travail, de tout acte contraire à l'intérêt de l'entreprise et celle d'exercer une activité directement concurrente de son employeur pour son propre compte ou pour le compte d'un autre employeur ; que quand un salarié démissionnaire accomplit son préavis, il reste tenu pendant cette période à toutes ses obligations envers son employeur ; que M. E... a constitué avec son épouse la société MCO immatriculée le 31 mai 2016 soit pendant son préavis, qui par son objet social et son implantation territoriale était en concurrence avec la société AMCM ; que toutefois, la société MCO a recruté ses premiers salariés à compter du 5 juillet 2016 ainsi que le confirme son registre du personnel et que les bons de commandes et factures d'achat de matériel et véhicules nécessaires à l'exploitation de la société MCO sont tous postérieurs à la rupture du préavis, datés des 30 juin, 2, 11, 27 et 31 juillet 2016, ce qui corrobore que l'exploitation de cette société n'a débuté qu'après le départ de M. E... de la société AMCM à un moment où il n'était plus tenu d'aucune obligation envers celle-ci ; qu'en outre, il n'est pas mis en évidence d'actes positifs de la part de M. E... visant à débaucher les salariés de la société AMCM alors qu'il était encore à son service, les salariés concernés MM. I..., L... et W... témoignant de manière concordante avoir démissionné en raison d'une dégradation des conditions de travail chez AMCM ; qu'enfin, ni la suppression de sa boîte mail professionnelle des messages électroniques de certains clients constatée par l'employeur après le départ du salarié ni la perte de clientèle concomitante à ce départ ne suffisent à établir l'utilisation par M. M... (sic) avant la fin de son contrat de travail de procédés visant à détourner la clientèle d'AMCM au profit de la société MCO, d'anciens clients ou fournisseurs qui témoignent indiquant s'être spontanément tournés vers M. E... après son départ de la société AMCM ; qu'aucun acte de concurrence effective ni déplacement de déloyal de clientèle ou incitation du personnel à démissionner ne sont établis à l'encontre de M. E... avant la rupture de son préavis, de sorte que les manquements à son obligation de loyauté ne sont pas caractérisés ; qu'en conséquence, il convient de débouter la société AMCM de sa demande de dommages-intérêts et publication de la décision ; que par ailleurs, la mise à pied conservatoire et la rupture du préavis à l'initiative de l'employeur étant injustifiés, le salarié est fondé à solliciter le solde impayé du 9 juin au 22 août 2016 ;
Alors 1°) que manque gravement à son obligation de loyauté le salarié qui, étant au service de son employeur et sans l'en informer, créé une société dont l'activité est directement concurrente de la sienne, peu important que des actes de concurrence déloyale ou de détournement de clientèle soient ou non établis ; qu'en retenant que les manquements de M. E... à son obligation de loyauté n'étaient pas caractérisés, sans avoir tiré les conséquences légales de ses constatations selon lesquelles M. E... avait constitué, avec son épouse, la société MCO (étant acquis aux débats que les statuts avaient été signés le 14 mai 2016 avant la démission de M. E... le 23 mai), immatriculée le 31 mai 2016, soit pendant son préavis, société qui, par son objet social et son implantation territoriale, était en concurrence directe avec la société AMCM, la cour d'appel a violé l'article L. 1222-1 du code du travail ;
Alors 2°) qu'en se fondant sur la circonstance que les trois salariés de la société AMCM, embauchés par la société MCO, témoignaient avoir démissionné en raison d'une dégradation des conditions de travail, inopérante pour exclure un débauchage et une incitation à la démission de la part M. E..., créateur de la société MCO, et sans avoir recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si les journaux locaux ne confirmaient la création de la société MCO et l'engagement de salariés dès juin 2016, puisque le bimensuel « Le vase communicant » indiquait le 22 juin 2016 que « 3 emplois sont prévus en plus du dirigeant » et le journal « l'Union » précisait, le 13 juin 2016, que « La toute jeune société MCO, créée fin mai, emploie quatre salariés dans le secteur de la chaudronnerie », et sans se prononcer sur la simultanéité des trois démissions et de la création de la société MCO qui mettait en évidence que M. E... avait convaincu d'autres salariés de la société AMCM de démissionner pour rejoindre sa société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.1222-1 du code du travail ;
Alors 3°) que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en statuant sans avoir analysé les attestations de l'expert-comptable de la société AMCM, qui mettaient en évidence que celle-ci avait subi une perte de clientèle très importante concomitante au départ de M. E... (attestations du 22 novembre 2016, pièce d'appel n° 13 et du 28 février 2018, pièce d'appel n° 26), la cour d'appel a violé l'article du code de procédure civile ;
Alors 4°) qu'en ayant apprécié séparément chaque élément invoqué par l'employeur, sans avoir recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis par l'employeur, soit la signature des statuts de la société MCO en date du 14 mai 2016 par M. E... et son épouse, antérieurement à la démission de M. E..., l'immatriculation de cette société le 31 mai 2016 pendant le préavis du salarié, société qui, par son objet social et son implantation territoriale, était en concurrence directe avec la société AMCM, la perte de clientèle subie par la société AMCM concomitante au départ de M. E..., la démission de trois salariés de la société AMCM et leur embauche par la société MCO, la suppression par M. E... de la boîte électronique professionnelle de la société AMCM des messages électroniques de certains clients, ne constituaient pas un faisceau d'indices concordants de la violation par M. E... de son obligation de loyauté pendant l'exécution de son contrat de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1222-1 du code du travail.