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08/07/2020 | FRANCE | N°18-21460

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 08 juillet 2020, 18-21460


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 8 juillet 2020

Cassation

M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 594 F-D

Pourvoi n° Y 18-21.460

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020

La société Groupe France Agricole, société

par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Y 18-21.460 contre l'arrêt rendu le 28 juin 2018 par la cour d'appel de Par...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 8 juillet 2020

Cassation

M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 594 F-D

Pourvoi n° Y 18-21.460

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020

La société Groupe France Agricole, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Y 18-21.460 contre l'arrêt rendu le 28 juin 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 7), dans le litige l'opposant à Mme G... I..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. David, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Groupe France Agricole, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme I..., après débats en l'audience publique du 27 mai 2020 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. David, conseiller référendaire rapporteur, M. Rouchayrole, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 2018), Mme I..., engagée le 1er avril 1999 par la société Groupe France Agricole, occupait au dernier état de la relation de travail les fonctions de chef de service du magazine La Vigne et avait le statut de journaliste professionnel.

2. Par lettre du 23 juin 2014, la salariée a pris l'initiative de rompre le contrat de travail, sur le fondement de l'article L. 7112-5 1° du code du travail, en se prévalant de la cession de cette société au groupe Isagri intervenue le 11 mars 2011.

3. L'employeur ayant considéré que cette rupture produisait les effets d'une démission, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.

Examen du moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la journaliste était fondée à se prévaloir du droit à exercer la clause de cession en application des dispositions de l'article L. 7112-5 1° du code du travail, alors « que l'article L. 7112-5 1° du code de travail prévoit que si la rupture du contrat de travail survient à l'initiative du journaliste professionnel, les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 sont applicables, lorsque cette rupture est motivée par la cession du journal ou du périodique ; que pour dire que la journaliste avait le droit à une indemnité de licenciement, la cour d'appel s'est bornée à constater que la journaliste avait fait valoir auprès de son employeur la clause de cession, que la cession de l'entreprise Groupe France Agricole et des titres de presse édités par elle au Groupe Isagri entrait bien dans le cadre des dispositions de l'article L. 7112-5 1° du code du travail et qu'il suffisait que le courrier de démission visât la cession de l'entreprise ; qu'en se déterminant de la sorte, par des constatations d'ordre simplement formel, cependant que le lien de causalité entre la démission et la cession était nécessairement douteux compte tenu du délai les séparant, de sorte qu'il lui appartenait de rechercher si la démission donnée le 23 juin 2014 était réellement motivée par la cession intervenue en mars 2011, soit plus de trois ans auparavant, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 7112-5 1°du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 7112-5 1° du code du travail :

5. Il résulte de ce texte qu'en cas de rupture du contrat de travail à l'initiative du journaliste professionnel, celui-ci a droit à l'indemnité de rupture prévue par les articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail lorsque la rupture est motivée par la cession du journal ou du périodique.

6. L'article L. 7112-5 du code du travail n'impose aucun délai aux journalistes pour mettre en oeuvre la « clause de conscience ». Il suffit, pour que les dispositions de cet article puissent être invoquées, que la résiliation du contrat de travail ait été motivée par l'une des circonstances qu'il énumère.

7. Pour faire droit à la demande de la journaliste, l'arrêt retient que la cession de l'entreprise Groupe France Agricole et des titres de presse édités par elle au groupe Isagri entre dans le cadre des dispositions de l'article L. 7112-5 1° du code du travail, que la clause de cession dont se prévaut la journaliste est intervenue plus de trois ans après la cession de l'entreprise, qu'il ressort des dispositions du texte précité qu'il suffit que le courrier de démission vise la cession de l'entreprise.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher l'existence d'un lien de causalité entre la rupture du contrat de travail et la cession du journal intervenue trois ans auparavant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu se statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne Mme I... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Groupe France Agricole.

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que Mme I... était fondée à se prévaloir du droit à exercer la clause de cession en application des dispositions de l'article L 7112-5, 1° du code du travail, d'AVOIR condamné la Société Groupe France Agricole à verser à Mme I... la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter la charge des dépens ;

AUX MOTIFS QUE « Sur la démission de Mme I... : Pour infirmation, Mme I... soutient que la rupture du contrat de travail est motivée par la cession du titre et est la seule condition requise et remplie en l'espèce. Pour confirmation, la société réplique que la question qui se pose en l'espèce n'est pas la limitation dans le temps ou non de la clause de cession mais le respect des dispositions légales qui requiert que la clause de cession doit être motivée par une cession, que si la cession entre bien dans le cadre des dispositions de l'article L 7112-5-1 du code du travail, il faut que la rupture du contrat de travail soit en relation avec cette cession ; Attendu que l'article L. 7112-5 du code du travail dispose que « Si la rupture du contrat de travail survient à l'initiative du journaliste professionnel, les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 sont applicables, lorsque cette rupture est motivée par l'une des circonstances suivantes : 1° Cession du journal ou du périodique ; 2° Cessation de la publication du journal ou périodique pour quelque cause que ce soit ; 3° Changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d'une manière générale, à ses intérêts moraux. Dans ces cas, le salarié qui rompt le contrat n'est pas tenu d'observer la durée du préavis prévue à l'article L. 7112-2 » ; Attendu que les journalistes professionnels bénéficient d'un régime légal spécifique leur permettant de rompre leur contrat de travail, tout en percevant l'indemnité légale de licenciement dans trois configurations précises visées par la loi ; Que les journalistes peuvent bénéficier du paiement de l'indemnité légale de licenciement dans l'hypothèse de ce qui est appelé la clause de cession (hypothèse de la cession du journal auquel ils collaborent), la clause de conscience (hypothèse de l'article L. 7112-5-3°, en cas de changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal de nature à porter atteinte à l'honneur, la réputation ou les intérêts moraux du journaliste) et enfin en cas de cessation de la publication du journal ; Qu'en l'espèce, Mme I... a fait valoir auprès de son employeur la clause de cession ; Que la cession de l'entreprise Groupe France Agricole et des titres de presse édités par elle au Groupe ISAGRI entre bien dans le cadre des dispositions de l'article L. 7112-5-1° du code du travail ; Attendu que la clause de cession dont se prévaut Mme I... est intervenue plus de trois ans après la cession de l'entreprise ; Mais attendu qu'il ressort des dispositions de l'article 7112-5-1 du code du travail qu'il suffit que le courrier de démission vise la cession de l'entreprise, qui peut prendre la forme d'une prise de participation ; Qu'il est versé au débat le compte rendu d'une réunion qui s'est tenue le 8 juillet 2011, réunissant la Direction de la société et le comité d'entreprise dont Mme I... ; Que cette réunion est intervenue dans le contexte d'une négociation d'une charte d'indépendance des journalistes de la société ; Qu'il en ressort qu'un délai de six mois était prévu pour la mise en place de cette clause ; Mais attendu que le délai de 6 mois mentionné au terme d'une réunion du comité d'entreprise, ne peut limiter le droit créé par l'article 7112-5-1du code du travail en faveur du journaliste ; Que la prescription extinctive est soumise à la loi régissant le droit qu'elle affecte ; Que l'article 7112-5-1 du code du travail ne raccourcit pas la prescription extinctive de droit commun prévue à l'article 2224 du code civil ; Que c'est à juste titre que Mme I... s'est prévalue de la mise en oeuvre de la clause de cession ; que Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté Mme I... de ses demandes à ce titre » ;

ALORS, DE PREMIERE PART, QUE l'article L. 7112-5 1°) du code de travail prévoit que si la rupture du contrat de travail survient à l'initiative du journaliste professionnel, les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 sont applicables, lorsque cette rupture est motivée par la cession du journal ou du périodique ; que pour dire que Madame I... avait le droit à une indemnité de licenciement, la cour d'appel s'est bornée à constater que Mme I... avait fait valoir auprès de son employeur la clause de cession, que la cession de l'entreprise Groupe France Agricole et des titres de presse édités par elle au Groupe ISAGRI entrait bien dans le cadre des dispositions de l'article L. 7112-5-1° du code du travail et qu'il suffisait que le courrier de démission visât la cession de l'entreprise ; qu'en se déterminant de la sorte, par des constatations d'ordre simplement formel, cependant que le lien de causalité entre la démission et la cession était nécessairement douteux compte tenu du délai les séparant, de sorte qu'il lui appartenait de rechercher si la démission donnée le 23 juin 2014 était réellement motivée par la cession intervenue en mars 2011, soit plus de trois ans auparavant, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 7115-2 1°) du code du travail.

ALORS, DE DEUXIEME PART, QUE la Société GROUPE FRANCE AGRICOLE faisait valoir dans ses écritures que l'exercice par Madame I... de sa clause de cession était purement opportuniste, son départ de l'entreprise n'étant pas lié à la cession intervenue plus de trois ans plus tôt, mais trouvant en réalité sa source dans son admission au concours de recrutement de professeur des écoles au mois de mai 2014 ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen déterminant, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

ALORS, DE TROISIEME PART, QUE dans un mémoire distinct et motivé, la Société GROUPE FRANCE AGRICOLE a contesté la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la portée effective conférée à l'article L. 7112-5 1°) du code du travail par l'interprétation jurisprudentielle constante en vertu de laquelle le journaliste professionnel peut bénéficier d'une indemnité de licenciement lorsqu'il rompt le contrat qui le lie à une entreprise de journaux et périodiques en invoquant simplement l'existence d'une cession, qui peut avoir eu lieu jusqu'à cinq ans auparavant, donc sans avoir à respecter un délai raisonnable susceptible d'établir le lien de causalité entre la démission et la cession, ce qui porte atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle qui découlent de et se rattachent à l'article 4 de de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que la déclaration d'inconstitutionnalité que prononcera le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, entraînera par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt attaqué pour perte de fondement juridique ;

ALORS, ENFIN ET EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU' en admettant que Madame I... ait pu se prévaloir de la mise en oeuvre de la clause de cession et bénéficier dans son principe d'une indemnité de licenciement, sans établir le moindre lien de causalité entre sa démission et la cession invoquée par elle, pourtant intervenue plus de trois ans auparavant et en se contentant du seul fait que Madame I... avait motivé sa démission en établissant un lien avec celle-ci, la cour d'appel a porté une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit au respect des biens de la Société GROUPE FRANCE AGRICOLE, en violation de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18-21460
Date de la décision : 08/07/2020
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 28 juin 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 08 jui. 2020, pourvoi n°18-21460


Composition du Tribunal
Président : M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.21460
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