LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 juin 2020
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 508 F-D
Pourvoi n° Y 19-17.232
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 JUIN 2020
La société S... bois, société par actions simplifiée, exerçant sous l'enseigne Vivre en bois S... bois, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Y 19-17.232 contre l'arrêt rendu le 7 mai 2019 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société B... jardin, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
2°/ à la société Architecture du bois (SPEL), dont le siège est [...] ,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Maunand, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société S... bois, de Me Le Prado, avocat de la société B... jardin, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Architecture du bois, et l'avis de M. Girard, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 mars 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Maunand, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 7 mai 2019), la société Architecture du bois (ADB) conçoit, fabrique et commercialise des terrasses d'agrément en lames de bois composite, constituées d'un système breveté de fixation des lames de bois dénommé Clipjuan et d'un procédé de montage des lames de bois appelé Easywex. Les lames de bois composite sont acquises auprès de la société « vivre en bois S... » (la société S...).
2. La société B... jardin (la société U...), qui a conclu le 8 décembre 2005 un contrat de franchise avec la société ADB, a installé des terrasses qui ont été atteintes de désordres pour lesquels les clients l'ont attraite devant un tribunal de grande instance en responsabilité et paiement d'indemnités.
3. La société U... a alors assigné devant un juge des référés, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, les sociétés ADB et S... à fin de désignation d'un expert.
4. Par ordonnance du 10 septembre 2017, il a été fait droit à sa demande.
5. En cours de mission, l'expert a conclu à la nécessité de recourir à un sapiteur pour procéder à une expertise chimique.
6. La société U... a saisi un juge des référés, sur le fondement de l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile, en vue d'obtenir une provision pour frais d'instance.
Examen du moyen
Sur le moyen pris en sa première branche :
Enoncé du moyen
7. La société S... fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance rendue le 7 novembre 2018 par le juge des référés l'ayant condamnée à payer à la société U... une somme de 87 673 euros à titre de provision alors « que le juge des référés ne peut accorder une provision qu'à la condition que l'obligation en cause ne se heurte à aucune contestation sérieuse ; que cette condition s'applique tant à la créance invoquée au fond, qu'aux frais d'expertise nécessaires à son établissement dès lors que la créance susceptible de se fonder sur cette expertise est elle-même sérieusement contestable ; que la société Vivre en bois S... faisait valoir que le seul fondement possible de l'action pouvant être engagée au fond à son encontre par la société B... jardin était celui de la garantie des vices cachés, laquelle serait toutefois nécessairement prescrite dès lors que plus de deux ans s'étaient écoulés depuis la découverte du vice par cette dernière ; que la cour d'appel a fait droit à la demande de provision formée par la société B... Jardin après avoir relevé que la société Vivre en bois S... ne pouvait valablement exciper d'une prescription de l'action des intimés « l'action au fond étant potentielle et le fondement juridique non encore développé » (cf. arrêt p. 3, § 6) ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter l'existence d'une contestation sérieuse tirée de la prescription de l'action au fond, la cour d'appel a violé l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile :
8. La demande de provision pour frais d'instance présentée au juge des référés ne peut être accueillie que si l'obligation d'indemnisation de la partie à l'égard de laquelle cette demande est formée n'est pas sérieusement contestable.
9. Pour condamner la société S... au paiement d'une provision pour frais d'instance au profit de la société U..., l'arrêt retient que c'est dans le cadre d'une mesure d'expertise ordonnée sur le fondement de des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile que la demande de provision dont s'agit est élevée à fin de payer les frais du sapiteur, que la mesure d'expertise ne préjuge en rien des responsabilités respectives des parties de sorte que la société S... ne peut valablement exciper de la prescription de l'action des intimés, l'action au fond étant potentielle et le fondement juridique non encore développé. Il ajoute que, sur le fondement de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile, s'il appartient au demandeur à la provision d'établir l'existence de la créance qu'il invoque, c'est au défendeur de prouver que cette créance est sérieusement contestable. Après avoir constaté que l'expert judiciaire préconise une recherche quant à la nature du matériau, ce qui implique un défaut de fabrication des lames de bois produites par la société S..., qui a reconnu un défaut de fabrication de certains lots en 2011-2012, il en conclut que le paiement d'une provision par cette dernière, aux fins de permettre la poursuite de l'expertise judiciaire s'agissant d'investigations techniques complémentaires nécessitant le recours à un sapiteur chimiste, n'est pas sérieusement contestable et s'impose à elle seule.
10. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à écarter l'existence d'une contestation sérieuse tirée de l'action en indemnisation engagée par la société U..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne la société B... jardin aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés B... jardin et Architecture du bois, et condamne la société B... jardin à payer à la société S... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du quatre juin deux mille vingt, et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société S... bois
Il est fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé l'ordonnance rendue le 7 novembre 2018 par le juge des référés près le Tribunal de grande instance de Reims ayant condamné la SAS Vivre en Bois S... à payer à la société B... Jardin une somme de 87.673 euros à titre de provision ;
AUX MOTIFS PROPRES QU' «aux termes de l'article 809 du code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ; qu'en l'espèce, il convient de rappeler que c'est dans le cadre d'une mesure d'expertise ordonnée sur le fondement des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile que la demande de provision dont s'agit est élevée afin de payer les frais du sapiteur ; que la mesure d'expertise ne préjudicie en rien des responsabilités respectives des parties, de sorte que la SAS Vivre en Bois - S... Bois ne peut valablement exciper d'une prescription de l'action des intimés, l'action au fond étant potentielle et le fondement juridique non encore développé ; qu'ainsi, la SAS B... Jardin est recevable en sa demande en paiement d'une provision ; qu'il résulte de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile que s'il appartient au demandeur à une provision d'établir l'existence de la créance qu'il invoque, c'est au défendeur de prouver que cette créance est sérieusement contestable ; qu'en l'espèce, il ressort de courriers émanant de la SAS Vivre en Bois – S... Bois que cette société a écrit concernant la problématique de la déformation des terrasses "(
) Dès le début de l'année 2014, nous déplorons des sinistres
Cet allongement des lames est dû à une prise d'humidité de la fibre de bois contenue dans la lame, nous avons identifié l'origine du problème qui est un défaut de fabrication sur certains lots 2010 et 2011" ; que dans les correspondances échangées entre les parties s'agissant de ces sinistres, le premier juge a mis en évidence les éléments suivants :
- un compte-rendu intitulé "litiges WEX" aux termes duquel il est noté que "Monsieur S... confirme que c'est l'augmentation des cadences de production qui a entraîné des carences dans le malaxage des produits (
) les particules de bois ont ainsi pu reprendre plus d'humidité que prévu produisant des dilatations irrégulières du matériel
",
- cette note précise qu'une nouvelle notice de pose a été présentée pour remédier à ces problèmes et que Monsieur S... s'est engagé à indemniser les interventions des franchisés ;
que la cour comme les premiers juges souligne que l'expert judiciaire préconise une recherche quant à la nature du matériau, ce qui implique un défaut de fabrication des lames produites par la SAS Vivre en Bois – S... Bois ; qu'ainsi, l'expert judiciaire écrit "(
) nous excluons une quelconque influence de pose par la société B... Jardin, comme origine des allongements affectant les lames de composite fabriquées par S... (
) les conditions de stockage dans l'entreprise U... ne sont pas en cause" ; que la SAS Vivre en Bois – S... Bois en sa qualité de fabricant des lames défectueuses a reconnu un défaut de fabrication sur certains lots en 2011-2012, de sorte que le paiement d'une provision par cette dernière aux fins de permettre la poursuite de l'expertise judiciaire s'agissant d'investigations techniques complémentaires nécessitant le recours à un sapiteur chimiste n'est pas sérieusement contestable et s'impose à elle seule ; qu'en effet, la SAS Vivre en Bois – S... Bois ne démontre pas une quelconque mise en cause de la société ADB s'agissant de la fabrication desdites lames ; que dans ces conditions, il convient de condamner la SAS Vivre en Bois – S... Bois à payer à la SAS B... Jardin la somme de 87.673 euros à titre de provision afin de permettre à cette dernière de consigner les frais du sapiteur évalués par l'expert judiciaire ; que par conséquent, il convient de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions » ;
ET AUX MOTIFS, EVENTUELLEMENT ADOPTES, QUE « vu l'article 809 du code de procédure civile ; qu'il convient en liminaire d'ordonner la jonction des procédures 18/319 et 18/275 ; qu'il convient également de rappeler que le juge des référés dans le cadre d'une expertise n'a pas à se prononcer sur les exceptions de procédure et prescriptions développées, ces points faisant l'objet de contestations sérieuses et sont du ressort des juges du fond ; que les questions du caractère décennal des désordres ou du vice caché ne sont pas plus du ressort du juge des référés ; qu'une expertise ne préjudice en rien les responsabilités respectives ou des exceptions pouvant être soulevées devant le juge du fond ; que de plus dans le cadre d'une expertise, le juge des référés n'a pas à déterminer les responsabilités mais au visa de l'article 809 du code de procédure civile, il peut accorder une provision si l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; que cette provision par nature est provisoire et n'entraîne pas ipso facto la responsabilité d'une partie ; que les équilibres peuvent être revus par le juge du fond ; qu'il ressort de courriers émanant de la société Vivre en Bois S... Bois que cette société écrit : "dès le début de l'année 2014, nous déplorons des sinistres
cet allongement des lames est dû à une prise d'humidité de la fibre de bois contenue dans la lame, nous avons identifié l'origine du problème qui est un défaut de fabrication sur certains lots de 2010 et 2011" ; qu'un compte rendu intitulé "litiges WEX" relève : "M. S... confirme que c'est l'augmentation des cadences de production qui a entraîné des carences dans le malaxages des produits
les particules de bois ont ainsi pu reprendre plus d'humidité que prévu produisant des dilatations irrégulières du matériel
" ; que cette note précise qu'une nouvelle notice de pose a été présentée pour remédier à ces problèmes ; que M. S... s'engageait à indemniser les interventions des franchisés ; que de plus l'expert relève "nous excluons quelconque influence
de pose par U... Jardin, comme origine des allongements affectant les lames de composite fabriqués par S..." ; que l'expert préconise une recherche quant à la nature du matériau, c'est-à-dire un défaut de fabrication des lames fabriquées par la société S... Bois ; que l'expert note également que les conditions de stockage dans l'entreprise U... n'étaient pas en cause ; qu'à aucun moment, outre dans les seules conclusions de la société Vire en Bois S..., la société Architecture du Bois n'a été mise en cause dans le cadre des opérations d'expertise ; qu'il n'existe aucun élément évident permettant de mettre à la charge de cette dernière une provision pour la suite de l'expertise ; qu'il convient donc de débouter la SAS Vivre en Bois S... de toutes ses demandes dirigées contre la SAS Architecture du Bois ; qu'il ressort donc clairement en l'état de la procédure en cours que la SAS Vivre en Bois S..., en tant que fournisseur d'éléments qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui l'affectent dans un de ces éléments d'équipement le rendant impropre à sa destination, doit assumer les frais supplémentaires d'expertise, l'obligation n'étant pas, à ce stade, sérieusement contestable ; que le juge ne peut que statuer que sur une obligation présente, il n'y a pas lieu à prévoir en l'état d'autres frais de consignation ; que les opérations d'expertise peuvent amener d'autres éléments qu'il conviendra d'examiner en temps utiles » ;
1°/ ALORS QUE le juge des référés ne peut accorder une provision qu'à la condition que l'obligation en cause ne se heurte à aucune contestation sérieuse ; que cette condition s'applique tant à la créance invoquée au fond, qu'aux frais d'expertise nécessaires à son établissement dès lors que la créance susceptible de se fonder sur cette expertise est elle-même sérieusement contestable ; que la société Vivre en Bois S... faisait valoir que le seul fondement possible de l'action pouvant être engagée au fond à son encontre par la société B... Jardin était celui de la garantie des vices cachés, laquelle serait toutefois nécessairement prescrite dès lors que plus de deux ans s'étaient écoulés depuis la découverte du vice par cette dernière (cf. conclusions p. 6 et 7) ; que la cour d'appel a fait droit à la demande de provision formée par la société B... Jardin après avoir relevé que la société Vivre en Bois S... ne pouvait valablement exciper d'une prescription de l'action des intimés « l'action au fond étant potentielle et le fondement juridique non encore développé » (cf. arrêt p. 3, §6) ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter l'existence d'une contestation sérieuse tirée de la prescription de l'action au fond, la cour d'appel a violé l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile ;
2°/ ALORS QU'en condamnant la société Vivre en Bois S... à payer à la société B... Jardin une somme de 87.673 euros à titre de provision, quand elle constatait – par des motifs éventuellement adoptés du premier juge – qu'il existait des contestations sérieuses quant à la recevabilité même de l'action susceptible d'être intentée au fond, du point de vue de la prescription, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile ;
3°/ ALORS QU'au surplus, le juge des référés ne peut accorder une provision qu'à la condition que l'obligation en cause ne se heurte à aucune contestation sérieuse ; que la société Vivre en Bois S... faisait valoir que le seul fondement possible de l'action pouvant être engagée au fond à son encontre par la société B... Jardin était celui de la garantie des vices cachés, laquelle serait toutefois nécessairement prescrite dès lors que plus de deux ans s'étaient écoulés depuis la découverte du vice par cette dernière (cf. conclusions p. 6 et 7) ; que la cour d'appel a fait droit à la demande de provision formée par la société B... Jardin après avoir relevé – par des motifs éventuellement adoptés du premier juge – qu'elle n'avait pas à se prononcer sur la prescription invoquée, ce point étant « du ressort des juges du fond » (cf. jugement p. 8, §6) ; qu'en statuant ainsi, cependant que l'appréciation du caractère éventuellement sérieux de la contestation soulevée par la société Vivre en Bois S..., tirée de la prescription de l'action au fond, relevait de sa compétence, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir négatif et violé l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile.