LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 mars 2020
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 357 F-P+B+I
Pourvoi n° P 19-11.450
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 MARS 2020
M. K... Y..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° P 19-11.450 contre l'arrêt rendu le 22 janvier 2019 par la cour d'appel de Riom (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Fidal, société d'exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [...] , prise en son cabinet de Clermont-Ferrand, [...], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lemoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. Y..., de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Fidal, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 février 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Lemoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller, et Mme Thomas, greffier de chambre.
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 22 janvier 2019), M. Y..., avocat salarié, a saisi un bâtonnier du différend l'opposant à la société Fidal suite à son licenciement par cette dernière.
2. M. Y... ayant été débouté de l'intégralité de ses demandes par une ordonnance du 22 mai 2018, il a relevé appel de cette décision par une première déclaration faite au greffe de la cour d'appel le 11 juin 2018, puis par la voie du réseau privé virtuel des avocats (le RPVA) le 12 juin 2018.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. Y... fait grief à l'arrêt de dire que les deux déclarations d'appel qu'il avait formées étaient irrecevables alors « que l'envoi ou la remise au greffe de la cour d'appel, en application des articles 152 et 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, de la déclaration d'appel formée contre la décision du bâtonnier rendue dans le cadre d'un litige né à l'occasion du contrat de travail d'un avocat salarié, peut être effectué conformément aux dispositions du titre vingt et unième du livre premier du code de procédure civile relatives à la communication par voie électronique et au sens de l'arrêté du garde des sceaux du 5 mai 2010 relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel ; que pour la formalisation, dans le cadre de la mise en œuvre de la communication électronique, de l'appel prévu par les articles 152 et 16 du décret du 27 novembre 1991, le destinataire de la déclaration d'appel est le greffe de la cour d'appel ; que dès lors, en jugeant que les règles prévues par l'article 16 du décret du 27 novembre 1991 avaient seules vocation à s'appliquer en l'espèce, à l'exclusion des dispositions de l'article 748-1 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé les articles 16, 142 et 152 du décret du 27 novembre 1991, ensemble les articles 748-1, 748-3 et 748-6 du code de procédure civile et l'article 1er de l'arrêté du garde des sceaux du 5 mai 2010. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 16 et 152 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, ensemble les articles 748-1, 748-3 et 748-6 du code de procédure civile et 1er de l'arrêté du 5 mai 2010 relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel :
4. Il résulte de la combinaison des quatre derniers de ces textes que, pour les litiges nés à l'occasion d'un contrat de collaboration ou d'un contrat de travail d'un avocat, relevant de la compétence du bâtonnier et portés devant la cour d'appel, la déclaration d'appel, les actes de constitution et les pièces qui leur sont associées peuvent être valablement adressées au greffe de la cour d'appel par la voie électronique par le biais du RPVA.
5. Pour déclarer l'appel irrecevable, l'arrêt, après avoir relevé que la seconde déclaration d'appel de M. Y... avait été reçue par le RPVA, retient que la procédure particulière d'appel prévue pour les recours exercés à l'encontre des décisions du bâtonnier par l'article 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 a seule vocation à s'appliquer, s'agissant d'une instance ordinale et non prud'homale.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.
Condamne la société Fidal aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Fidal et la condamne à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mars deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. Y....
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR dit que les deux déclarations d'appel formées par M.Y... étaient irrecevables ;
AUX MOTIFS QUE «sur l'appel formé par déclaration au greffe de la cour le 11juin 2018, l'article 152 du décret n°91-1197 du 27novembre 1991 modifié prévoit que la décision du bâtonnier est notifiée par le secrétariat du conseil de l'ordre, par lettre recommandée avec avis de réception aux parties qui peuvent en interjeter appel dans les conditions prévues aux premier, deuxième et sixième alinéas de l'article 16 ; que les alinéas 1 et 2 de l'article 16 de ce décret précisent que «le recours devant la cour d'appel est formé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d'appel ou remis contre récépissé au greffier en chef. Il est instruit et jugé selon les règles applicables en matière contentieuse sans représentation obligatoire. Le délai de recours est d'un mois» ; que l'acte d'appel a été formé par remise faite au secrétariat-greffe de la cour d'appel de Riom le 11juin 2018, sans que le «greffier en chef» n'en délivre récépissé ; que M.Y... fait tout d'abord observer que la Cour de cassation (Civ.2, 19mars 2009, pourvoi n°08-15.838) a été amenée à déclarer recevable un appel formé par lettre simple à l'encontre d'une décision du bâtonnier en matière de contestation d'honoraires alors que le texte prévoyait qu'il devait l'être par lettre recommandée avec demande d'avis de réception dans le délai d'un mois ; qu'or, cette décision a été rendue au visa de l'article 176 du décret du 27novembre 1991 non applicable en l'espèce ; que l'appelante ajoute que la fonction de «greffier en chef» n'existe plus depuis le décret n°2015-1273 du 13octobre 2015, les directeurs de greffe assurant dorénavant la direction des greffes, que renseignement pris auprès de la directrice de greffe de la cour d'appel de Riom, cette dernière a confirmé qu'elle n'avait pas vocation à signer personnellement un tel acte, que l'article R.123-13 du code de l'organisation judiciaire dispose : « (
) Le directeur de greffe, ses adjoints, les greffiers de chambre, les chefs de service de greffe et les greffiers assistent les magistrats à l'audience et dans les cas prévus par les lois et règlements. Ils dressent les actes de greffe, notes et procès-verbaux dans les cas prévus par les lois et règlement», qu'ainsi directeurs et chefs de greffe peuvent être suppléés par un greffier pour dresser un procès-verbal ou tout acte de greffe ; qu'or, d'une part l'article 4 du décret n°2015-1273 du 13 octobre 2015 prévoit que «les directeurs des services de greffe exercent les missions dévolues, dans l'ordre judiciaire, aux greffiers en chef par les dispositions législatives et règlementaires» dont celles consistant à délivrer personnellement récépissé de la déclaration d'appel visée par l'article 16 du décret du 27novembre 1991, d'autre part, il ne résulte d'aucun élément que la directrice de greffe de cette cour ait déclaré à l'appelant qu'elle «n'avait pas vocation à signer personnellement un tel acte» ; qu'enfin, la Cour de cassation (Civ.1, 29juin 2016, pourvoi n°15-19.589) a considéré que les «appels (
) formés par lettre remises au secrétariat-greffe et non au greffier en chef (
) étaient irrecevables» et a rappelé qu'à défaut de mention de ces deux seules modalités de recours prévues à l'article 16 précité dans l'acte de notification, le délai de recours ne pouvait courir (Civ. 1, 21mars 2018, pourvoi n°17-50.016) ; qu'ainsi, le récépissé doit obligatoirement être délivré par le directeur de greffe ou un directeur des services de greffe judiciaire (Civ.1, 12décembre 2018, pourvoi n°17-25.813), ce qui n'est pas le cas en l'espèce, l'appel ayant été formé au secrétariat-greffe ; que ce premier appel est donc irrecevable ; que M.Y... fait également observer qu'il a interjeté appel via le RPVA le 12juin 2018 ; qu'il soutient qu'un tel appel est recevable comme l'a jugé la présente cour dans plusieurs affaires au motif que l'article 748-1 du code de procédure civile selon lequel «les envois, remises et notifications des actes de procédure (
) peuvent être effectués par voie électronique dans les conditions et selon les modalités fixées par le présent titre (
)» serait applicable même dans les procédures sans représentation obligatoire ; qu'or, l'article 749 du code de procédure civile dispose que «les dispositions du présent livre s'appliquent devant toutes les juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière civile, commerciale, sociale, rurale ou prud'homale, sous réserve des règles spéciales à chaque matière et des dispositions particulières à chaque juridiction», alors que précisément les dispositions de l'article 16 du décret n°91-1197 du 27novembre 1991 prévoient des règles spéciales pour exercer un recours et que l'article 277 de ce décret précise qu'«il est procédé comme en matière civile pour tout ce qui n'est pas réglé par le présent décret» ; que s'agissant d'une instance ordinale et non prud'homale, les règles spécifiques prévues par le décret susvisé ont seules vocation à s'appliquer ; qu'il en résulte que cet appel est tout aussi irrecevable» ;
1°) ALORS QUE l'envoi ou la remise au greffe de la cour d'appel, en application des articles 152 et 16 du décret n°91-1197 du 27novembre 1991, de la déclaration d'appel formé contre la décision du bâtonnier rendue dans le cadre d'un litige né à l'occasion du contrat de travail d'un avocat salarié, peut être effectué conformément aux dispositions du titre vingt et unième du livre premier du code de procédure civile relatives à la communication par voie électronique et au sens de l'arrêté du garde des sceaux du 5mai 2010 relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel ; que pour la formalisation, dans le cadre de la mise en œuvre de la communication électronique, de l'appel prévu par les articles 152 et 16 du décret du 27novembre 1991, le destinataire de la déclaration d'appel est le greffe de la cour d'appel ; que dès lors, en jugeant que les règles prévues par l'article 16 du décret du 27novembre 1991 avaient seules vocation à s'appliquer en l'espèce, à l'exclusion des dispositions de l'article 748-1 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé les articles 16, 142 et 152 du décret du 27novembre 1991, ensemble les articles 748-1, 748-3 et 748-6 du code de procédure civile et l'article 1er de l'arrêté du garde des sceaux du 5 mai 2010 ;
2°) ALORS, en toute hypothèse, QUE la déclaration d'appel formé contre la décision du bâtonnier rendue dans le cadre d'un litige né à l'occasion du contrat de travail d'un avocat salarié, peut être effectuée par remise faite au secrétariat-greffe de la cour d'appel, dès lors, d'une part, que la fonction de greffier en chef a été supprimée depuis le décret du 13 octobre 2015 et, dès lors, d'autre part, qu'aux termes de l'article R 123-13 du code de l'organisation judiciaire que les directeurs et chefs de greffe peuvent être valablement suppléés par un greffier pour dresser un procès-verbal ains que tout acte de greffe ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 152 et 16 du décret n°91-1197 du 27novembre 1991 ;
3°) ET ALORS QUE tout justiciable doit bénéficier du droit concret et effectif d'accès à un tribunal ; que la règlementation relative aux formalités à respecter pour former un recours, comme l'application qui en est faite, ne doivent pas avoir pour conséquence d'empêcher le justiciable d'utiliser une voie de recours disponible ; que les tribunaux doivent, lorsqu'ils appliquent les règles de procédure, éviter un excès de formalisme ; que l'article 16 du décret du décret n°91-1197 du 27novembre 1991 dispose que le recours devant la cour d'appel est formé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d'appel ou remis contre récépissé au greffier en chef ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que M.Y... avait «relevé appel de [la] décision [du bâtonnier du 22mai 2018] par déclaration faite le 11juin 2018 au greffe de la cour d'appel, l'affaire ayant été enrôlée sous le numéro 18/01208 » (arrêt attaqué, p.6 §8), et encore que l'intéressé avait «formé [l'acte d'appel] par remise faite au secrétariat-greffe de la cour d'appel de Riom le 11juin 2018» (arrêt attaqué, p.14 §7), soit dans le délai d'un mois prévu par les textes ; qu'en jugeant néanmoins l'appel irrecevable, au motif que «-le récépissé [devait] obligatoirement être délivré par le directeur de greffe ou un directeur des services de greffe judiciaire (
), ce qui n'est pas le cas en l'espèce, l'appel ayant été formé par simple remise en secrétariat-greffe » (arrêt attaqué, p.15 §2), la cour d'appel, qui, en imposant au justiciable un formalisme excessif, a porté une atteinte disproportionnée à son droit d'accès à un tribunal, violant ainsi l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 16 et 152 du décret du 27novembre 1991.