LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 février 2020
Cassation
Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 184 F-D
Pourvoi n° M 18-19.149
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 FÉVRIER 2020
Mme O... T..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° M 18-19.149 contre l'arrêt rendu le 2 mai 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 10), dans le litige l'opposant à la société Du Pareil au même, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gilibert, conseiller, les observations de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de Mme T..., de Me Le Prado, avocat de la société Du Pareil au même, après débats en l'audience publique du 14 janvier 2020 où étaient présentes Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Gilibert, conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 mai 2018), Mme T..., engagée le 29 août 2005 en qualité de directrice de style enfant, par la société Du Pareil au même a été licenciée par lettre du 30 avril 2014 remise en main propre contre décharge. Les parties ont conclu une transaction le 14 mai 2014 dont la salariée, qui a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes, a contesté la validité.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. La salariée fait grief à l'arrêt de constater la validité de la transaction, de la débouter en conséquence, de ses demandes de paiement d'indemnités et de dommages-intérêts, alors « qu'une transaction, ayant pour l'objet de mettre fin, par des concessions réciproques, à toute contestation née ou à naître résultant de la rupture du contrat de travail, ne peut être valablement conclue qu'après notification du licenciement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la lettre de licenciement avait été remise en mains propres à la salariée ; qu'en jugeant cependant que la transaction était valable, quand il résultait de ses constatations que la transaction avait été conclue en l'absence de notification préalable du licenciement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception de sorte qu'elle était nulle, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-6 et L. 1231-4 du code du travail, ensemble l'article 2044 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1232-6 et L. 1231-4 du code du travail, l'article 2044 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 :
3. Il résulte de la combinaison de ces textes que la transaction ayant pour objet de prévenir ou terminer une contestation ne peut être valablement conclue par le salarié licencié que lorsqu'il a eu connaissance effective des motifs du licenciement par la réception de la lettre de licenciement prévue à l'article L. 1232-6 du code du travail.
4. Pour déclarer valable la transaction et débouter la salariée de ses demandes, l'arrêt retient que la lettre de licenciement n'a pas été notifiée à la salariée par courrier avec accusé de réception, mais a été remise en mains propres contre décharge, signée par Mme T... le 30 avril 2014, qui a par ailleurs signé le protocole transactionnel daté du 14 mai 2014, et qu'il ressort de ces éléments que la transaction a été conclue après la notification à la salariée de son licenciement en sorte qu'elle avait connaissance des faits qui lui étaient reprochés pour justifier le licenciement.
5. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la transaction avait été conclue en l'absence de notification préalable du licenciement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ce dont il résultait qu'elle était nulle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Du Pareil au même aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Du Pareil au même et la condamne à payer à Mme T... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze février deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour Mme T...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR constaté la validité de la transaction, d'AVOIR en conséquence débouté Mme O... T... de ses demandes de paiement d'indemnités et de dommages et intérêts et d'AVOIR condamné Mme O... T... à payer à la société Du Pareil Au Même la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
AUX MOTIFS QUE : "Sur la nullité de la transaction : La salariée soulève deux moyens de nullité de la transaction à savoir :le défaut de connaissance des motifs du licenciement lors de la signature de la transaction, le défaut de concessions réciproques. Il est patent que la transaction portant sur les conséquences d'un licenciement ne peut être conclue qu'une fois les motifs du licenciement connus de la salariée. En l'espèce, la lettre de licenciement n'a pas été notifiée à la salariée par courrier avec accusé de réception, mais a été remise en mains propres contre décharge, signée par Madame O... T... le 30 avril 2014. Par ailleurs, le protocole transactionnel, daté du 14 mai 2014, a également été signé par Madame O... T.... Il ressort de ces éléments que la transaction a été conclue après la notification à Madame O... T... de son licenciement en sorte qu'elle avait connaissance des faits qui lui étaient reprochés pour justifier le licenciement. La nullité n'est pas encourue sur ce moyen. Par ailleurs, l'existence de concessions réciproques est également une condition de la validité de la transaction. La concession doit être effective, appréciable et son existence s'apprécie au moment où la transaction est conclue. Il est avéré que le juge qui apprécie la validité de la transaction ne peut, sans heurter l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction, trancher le litige que cette transaction avait pour objet de clore en se livrant à l'examen des éléments de fait et de preuve. Ainsi, n'appartient il pas à la cour, pour conclure à l'absence de concessions de l'employeur, de porter une appréciation sur le degré de gravité de la faute retenue par l'employeur. Madame O... T... soutient que la lettre de licenciement ne vise pas la faute grave, qu'elle n'est pas suffisamment motivée et que l'employeur aurait dû payer l'indemnité conventionnelle, l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents. Elle en déduit, après soustraction de ces indemnités de la somme versée par la société Du Pareil Au Même, que l'indemnité transactionnelle s'élève à la somme de 30.243 euros (3,8 mois de salaires), ce qui ne constitue pas une concession suffisante de l'employeur. La société Du Pareil Au Même affirme que Madame O... T... a été licenciée pour faute grave, et que, même si son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, elle a perçu une indemnité de 30.243 euros, ce qui constitue une concession suffisante. En l'espèce, il résulte de la lecture de la lettre de licenciement que Madame O... T... a été licenciée pour fautes exclusives de toute indemnité de rupture. Ainsi, l'examen de la lettre de licenciement ne permet pas une requalification incontestable des faits fautifs retenus par l'employeur au profit de la salariée. En conséquence, l'octroi d'une indemnité transactionnelle de 68.400 euros nette à Madame O... T..., correspondant à près de neuf mois de salaires, apparaît comme une concession suffisante. Il s'en déduit que la transaction a été valablement conclue et ne saurait donner lieu à restitution de la part de Madame O... T.... Le jugement déféré sera ainsi infirmé en toutes ses dispositions. Madame O... T... sera déboutée de ses demandes de paiement d'indemnités et de dommages et intérêts. (...)Sur les frais de procédure Madame O... T..., succombant à l'instance, sera condamnée aux dépens. Elle sera condamnée, en outre, à payer à la société Du Pareil Au Même la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile."
1/ ALORS QUE une transaction, ayant pour l'objet de mettre fin, par des concessions réciproques, à toute contestation née ou à naître résultant de la rupture du contrat de travail, ne peut être valablement conclue qu'après notification du licenciement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la lettre de licenciement avait été remise en mains propres à la salariée (arrêt p.5§4) ; qu'en jugeant cependant que la transaction était valable, quand il résultait de ses constatations que la transaction avait été conclue en l'absence de notification préalable du licenciement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception de sorte qu'elle était nulle, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-6 et L. 1231-4 du Code du travail, ensemble l'article 2044 du Code civil,
2/ ALORS QU'interdiction est faite aux juges du fond de dénaturer les écrits soumis à leur appréciation ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement faisait état d'un licenciement pour mésentente avec la hiérarchie engendrant de graves dysfonctionnements ; qu'en énonçant que Mme T... avait été licenciée pour faute grave quand la lettre de licenciement ne faisait aucunement état d'un tel motif, la cour d'appel a dénaturé la lettre de licenciement en violation du principe susvisé,
3/ ALORS QUE la juridiction appelée à statuer sur la validité d'une transaction réglant les conséquences d'un licenciement doit, pour apprécier si des concessions réciproques ont été faites et si celles de l'employeur ne sont pas dérisoires, vérifier que la lettre de licenciement est motivée conformément aux exigences légales ; que des divergences de vue ne peuvent constituer un motif de licenciement disciplinaire ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement faisait état d'un licenciement pour mésentente avec la hiérarchie; qu'en jugeant que Mme T... avait pu être licenciée pour faute grave, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail,
4/ ALORS QUE la juridiction appelée à statuer sur la validité d'une transaction réglant les conséquences d'un licenciement doit, pour apprécier si des concessions réciproques ont été faites et si celles de l'employeur ne sont pas dérisoires, vérifier que la lettre de licenciement est motivée conformément aux exigences légales ; qu'en l'espèce, Madame T... faisait valoir que la lettre de licenciement n'était pas motivée conformément aux exigences légales dès lors qu'elle visait exclusivement des divergences de position entre les parties sans faire état de faits précis et matériellement vérifiables (conclusions d'appel p.7) ; qu'en ne recherchant pas si la lettre de licenciement était motivée conformément aux exigences légales, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles L. 1232-6 et L. 1231-4 du Code du travail, ensemble l'article 2044 du Code civil.