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05/02/2020 | FRANCE | N°19-12751

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 05 février 2020, 19-12751


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 5 février 2020

Renvoi devant le Tribunal des conflits, sursis a statuer et renvoi à l'audience du 16 juin 2020

Mme BATUT, président

Arrêt n° 96 FS-P+B+I

Pourvoi n° C 19-12.751

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU

5 FÉVRIER 2020

M. M... A..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° C 19-12.751 contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2018 par la cour d'ap...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 5 février 2020

Renvoi devant le Tribunal des conflits, sursis a statuer et renvoi à l'audience du 16 juin 2020

Mme BATUT, président

Arrêt n° 96 FS-P+B+I

Pourvoi n° C 19-12.751

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 FÉVRIER 2020

M. M... A..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° C 19-12.751 contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2018 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige l'opposant au Syndicat d'irrigation départemental drômois, dont le siège est [...], défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. A..., de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Syndicat d'irrigation départemental drômois, l'avis écrit de M. Chaumont, avocat général, et l'avis oral de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 janvier 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, M. Girardet, Mmes Duval-Arnould, Teiller, MM. Avel, Mornet, conseillers, Mme Canas, M. Vitse, Mmes Dazzan, Le Gall, Kloda, Champ, Comte, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Lavigne, avocat général, et Mme Randouin, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 11 décembre 2018), et les productions, M. A... (l'exploitant), exploitant agricole, est propriétaire de parcelles à ... situées à proximité du canal de la Martinette alimenté notamment par la rivière Lierne. Il est membre d'une association syndicale autorisée (ASA) ayant pour objet la gestion de ces eaux. Au cours de l'année 2013, le Syndicat d'irrigation départemental drômois (le syndicat) a procédé à des sondages dans l'une de ces parcelles, sur laquelle se trouve une prise d'eau reliée au canal, destinée à l'irrigation pour les besoins de l'exploitation agricole.

2. Par arrêté du 25 mars 2014, le préfet de la Drôme a mis en demeure l'ASA de déposer une demande d'autorisation de prélèvement dans la rivière Lierne. Soutenant être titulaire de droits d'eau fondés en titre, l'ASA a saisi, aux fins d'annulation de l'arrêté, le tribunal administratif qui, par jugement du 21 juin 2016, a rejeté sa requête. L'exploitant a, alors, assigné le syndicat devant la juridiction judiciaire en vue de faire reconnaître l'existence de droits d'eau fondés en titre attachés aux parcelles dont il est propriétaire. Le syndicat a soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. L'exploitant fait grief à l'arrêt de déclarer la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige, alors :

« 1°/ que le juge judiciaire est seul compétent pour connaître des questions de propriété immobilière privée, en particulier celles portant sur l'existence d'un droit réel immobilier ; que les droits d'usage d'eau sont des droits réels immobiliers ; qu'en se bornant à affirmer, pour déclarer le tribunal de grande instance de Valence incompétent pour connaître des demandes de l'exploitant tendant à la reconnaissance de droits d'usage d'eau fondés en titre attachés à sa propriété, qu'il s'agit de droits d'usage et non de droits propriété, la cour d'appel a violé le principe de séparation entre les autorités administratives et judiciaires, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

2°/ que le juge judiciaire est seul compétent pour connaître des questions de propriété immobilière privée, en particulier celles portant sur l'existence d'un droit réel immobilier, lorsque l'immeuble en question n'appartient pas au domaine public ; qu'en déclarant le tribunal de grande instance de Valence incompétent pour connaître des demandes de l'exploitant tendant à la reconnaissance de droits d'usage d'eau fondés en titre attachés à sa propriété sans constater que lesdits droits portaient sur un cours d'eau domanial, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de séparation entre les autorités administratives et judiciaires, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles :

4. Lorsque la Cour de cassation est saisie d'un litige qui présente à juger, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence. L'instance est suspendue jusqu'à la décision de ce Tribunal.

5. Le litige présente à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse, dès lors que l'action en cause porte sur la reconnaissance d'un droit d'eau fondé en titre. Les recours contre les décisions prises par l'administration modifiant ou abrogeant un droit fondé en titre relèvent de la compétence de la juridiction administrative (CE, 1er février 1855, Compagnie du canal de jonction de la Sambre à l'Oise c/ F... et consorts, rec. p. 100 ; CE, 9 mars 1928, Suderies, rec. p. 34 ; CE, 5 décembre 1947, Sieur E..., rec. p. 457). La présente action est dirigée contre l'administration et vise à la reconnaissance par celle-ci de l'existence d'un tel droit. Il n'est allégué aucune voie de fait et l'action a un lien étroit avec la police de l'eau et le service public de l'eau. Mais un droit d'eau fondé en titre pourrait être qualifié de droit réel immobilier (Civ.,17 novembre 1953, C... et K... c/ EDF, JCP G 1953, IV, p. 182 ; 3e Civ., 10 juin 1981, pourvoi n° 80-10.428, Bull. 1981, III, n° 116 ; 3e Civ., 6 février 1985, pourvoi n° 83-70.248, Bull. 1985, III, n° 24). L'action, qui porte sur l'existence d'un tel droit attaché à une parcelle appartenant à l'exploitant pourrait, de ce fait, ressortir au juge judiciaire. Il y a lieu, en conséquence, de renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence, en application de l'article 35 du décret susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ORDONNE le renvoi de l'affaire au Tribunal des conflits ;

Sursoit à statuer jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir si le litige opposant M. A... au Syndicat d'irrigation départemental drômois relève ou non de la compétence de la juridiction judiciaire ;

Dit que l'affaire sera de nouveau examinée à l'audience du 16 juin 2020 ;

Réserve les dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. A....

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR déclaré le tribunal de grande instance de Valence incompétent pour statuer sur les demandes de M. A... et renvoyé les parties à mieux se pourvoir,

AUX MOTIFS PROPRES QUE sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale, les prises d'eau sur des cours d'eaux non domaniaux qui, soit ont fait l'objet d'une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux ; que les droits fondés en titre constituent des droits d'usage particuliers de l'eau exclusivement attachés à des ouvrages situés sur les cours d'eau ; qu'il s'agit de droits d'usage et non de propriété qui relèvent, en l'absence de voie de fait, de la compétence des juridictions administratives ; qu'en l'espèce, il n'est allégué aucune voie de fait ; que la reconnaissance des droits invoqués par M... A... relève donc de la compétence du juge administratif ; que la décision déférée doit être confirmée ;

ET AUX MOTIFS RÉPUTÉS ADOPTÉS QUE sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale les prises d'eau sur des cours d'eaux non domaniaux qui, soit ont fait l'objet d'une aliénation comme bien national, soit ont été établies en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux ; qu'une prise d'eau est présumée établie en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux dès lors qu'est prouvée son existence matérielle avant cette date (en ce sens notamment : Conseil d'Etat, 16 janvier 2006 n° 263010 et 7 février 2007 n° 280373) ; que les droits fondés en titre constituent de simples droits d'usage particuliers de l'eau, exclusivement attachés à des ouvrages situés sur les cours d'eau (réseaux d'irrigation collective, canaux, moulins, retenues des barrages et des centrales électriques, étangs, autres ouvrages annexes
) et ne peuvent en aucun cas être assimilés à un droit de propriété ; que toutes les demandes visant à la reconnaissance de tels droits par l'administration, ou à l'annulation d'une décision de celle-ci impliquant leur contestation, leur limitation ou leur suppression, relèvent de la compétence exclusive de la juridiction administrative (en ce sens notamment : Conseil d'Etat, 26 janvier 2006 n° 263010 et 7 février 2007 n° 280373) ; que dans le présent [litige], il convient de relever que les demandes formées par M. M... A..., dirigées à l'encontre de l'établissement public dénommé Syndicat d'irrigation drômois (SID), autorisant le captage de l'eau provenant de la source Matras depuis le canal de la Martinette pour les besoins de son exploitation agricole, et à s'opposer à toute décision administrative de nature à restreindre ou à modifier les conditions de ce captage ; que de telles demandes relèvent de la compétence exclusive du juge administratif ;

1) ALORS QUE le juge judiciaire est seul compétent pour connaître des questions de propriété immobilière privée, en particulier celles portant sur l'existence d'un droit réel immobilier ; que les droits d'usage d'eau sont des droits réels immobiliers ; qu'en se bornant à affirmer, pour déclarer le tribunal de grande instance de Valence incompétent pour connaître des demandes de M. A... tendant à la reconnaissance de droits d'usage d'eau fondés en titre attachés à sa propriété, qu'il s'agit de droits d'usage et non de droits propriété, la cour d'appel a violé le principe de séparation entre les autorités administratives et judiciaires, ensemble la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

2) ALORS QUE le juge judiciaire est seul compétent pour connaître des questions de propriété immobilière privée, en particulier celles portant sur l'existence d'un droit réel immobilier, lorsque l'immeuble en question n'appartient pas au domaine public ; qu'en déclarant le tribunal de grande instance de Valence incompétent pour connaître des demandes de M. A... tendant à la reconnaissance de droits d'usage d'eau fondés en titre attachés à sa propriété sans constater que lesdits droits portaient sur un cours d'eau domanial, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de séparation entre les autorités administratives et judiciaires, ensemble la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 19-12751
Date de la décision : 05/02/2020
Sens de l'arrêt : Renvoi devant le tribunal des conflits et sursis à statuer
Type d'affaire : Civile

Analyses

SEPARATION DES POUVOIRS - Conflit de compétence - Renvoi devant le Tribunal des conflits - Conditions - Existence d'une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse - Cas - Action en reconnaissance d'un droit d'eau fondé en titre engagé par un particulier contre un syndicat d'irrigation départemental

Le litige relatif à une action en reconnaissance d'un droit d'eau fondé en titre engagée par un particulier contre un syndicat d'irrigation départemental présente à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse. Les recours contre les décisions prises par l'administration modifiant ou abrogeant un droit fondé en titre relèvent de la compétence de la juridiction administrative, et une telle action a un lien étroit avec la police de l'eau et le service public de l'eau. Mais un droit d'eau fondé en titre pourrait être qualifié de droit réel immobilier et l'action, qui porte sur l'existence d'un tel droit attaché à une parcelle appartenant au particulier pourrait, de ce fait, ressortir au juge judiciaire. Il y a lieu, en conséquence, de renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence, en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015


Références :

article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, 11 décembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 05 fév. 2020, pourvoi n°19-12751, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.12751
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