LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 février 2020
Cassation partielle
Mme BATUT, président
Arrêt n° 117 F-D
Pourvoi n° V 18-17.133
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. B....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 12 avril 2019.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 FÉVRIER 2020
1°/ M. W... B..., domicilié [...] ,
2°/ la société MVS, société civile immobilière, dont le siège est [...] ,
ont formé le pourvoi n° V 18-17.133 contre l'arrêt rendu le 9 janvier 2018 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 2e section), dans le litige les opposant à la société Crédit industriel et commercial, société anonyme, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. B... et de la société SCI MVS, de Me Le Prado, avocat de la société Crédit Industriel et commercial, après débats en l'audience publique du 7 janvier 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 9 janvier 2018), la société Crédit industriel et commercial (la banque) a consenti, le 15 décembre 2010, à la société civile immobilière MVS (la SCI) un prêt personnel d'un montant de 20 000 euros remboursable en soixante-douze mensualités par prélèvements sur son compte courant ouvert dans la même banque, dont M. B... (la caution) s'est porté caution. Les parties sont convenues de soumettre le prêt au code de la consommation.
2. Des mensualités étant restées impayées, la banque s'est prévalue de la déchéance du terme, par acte du 23 mai 2014, et a assigné en paiement la SCI et la caution, par acte du 19 septembre 2014. Ces dernières ont soulevé une fin de non recevoir tirée de la forclusion de l'action et, soutenant que la banque avait manqué à son devoir de conseil, sollicité reconventionnellement l'allocation de dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur le second moyen
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. La SCI et la caution font grief à l'arrêt de les condamner au remboursement du solde du prêt et du solde du compte courant, avec intérêts, alors « que les actions en paiement engagées à l'occasion de la défaillance de l'emprunteur doivent, sous peine de forclusion, être formées dans un délai de deux ans courant à compter du premier incident de paiement non régularisé ; qu'il ne peut être fait échec aux règles d'ordre public relatives à la détermination du délai biennal de forclusion propre au crédit à la consommation par l'inscription de l'échéance d'un prêt au débit d'un compte courant dont le solde est insuffisant pour en couvrir le montant, quand aucune convention de découvert n'a été préalablement conclue ; que la seule circonstance que le compte redevienne créditeur par la suite n'est pas de nature à différer le point de départ du délai de forclusion ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le solde du compte courant sur lequel étaient prélevées les échéances du prêt s'était retrouvé débiteur à plusieurs reprises à compter du mois de mars 2012 et ce, sans autorisation de découvert ; qu'en retenant, pour fixer au 15 décembre 2012, le premier incident de paiement non régularisé, que le compte courant était redevenu créditeur à plusieurs reprises jusqu'au paiement de l'échéance du mois de novembre 2012 et ne s'était maintenu débiteur qu'à compter du mois de décembre 2012, la cour d'appel a violé l'article L. 311-37 ancien du code de la consommation, devenu l'article L. 311-52 du même code. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La banque conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que l'article L. 311-37 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, n'a pas été invoqué par la SCI et la caution en cause d'appel.
6. Devant la cour d'appel, ces dernières ont fait valoir que le point de départ du délai de forclusion devait être fixé en mars 2012, et non en décembre 2012.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 311-37 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 :
8. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la forclusion, après avoir constaté qu'il n'existait pas de convention de découvert, l'arrêt retient que le paiement des échéances du prêt a été effectué par prélèvements sur le compte courant ouvert au nom de la SCI et que, si des incidents de paiement sont survenus dès le mois de mars 2012, ce compte est redevenu créditeur à plusieurs reprises et n'a présenté un solde débiteur permanent et continu qu'à compter de décembre 2012, de sorte que la première échéance impayée non régularisée, point de départ du délai de forclusion, est intervenue le 15 décembre 2012.
9. En statuant ainsi, alors qu'il ne peut être fait échec aux règles d'ordre public relatives à la détermination du point de départ du délai biennal de forclusion propre au crédit à la consommation par l'inscription de l'échéance d'un prêt au débit d'un compte courant dont le solde est insuffisant pour en couvrir le montant, lorsque aucune convention de découvert n'a été préalablement conclue, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne solidairement la SCI MVS et M. B... à payer à la société Crédit industriel et commercial la somme de 12 322,32 euros, avec intérêts au taux conventionnel de 4,9 % sur 9 334,17 euros à compter du 27 juin 2014, au titre du solde du prêt, l'arrêt rendu le 9 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société Crédit industriel et commercial aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour M. B... et la société SCI MVS.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevables les demandes en paiement de la SA Crédit Industriel et Commercial et d'avoir condamné en conséquence solidairement la SCI MVS et M. B... à payer la somme de 12.322,32 euros au titre du solde du prêt, outre intérêts conventionnels, et la somme de 4.151,56 euros au titre du solde débiteur du compte courant, outre intérêts légaux ;
Aux motifs propres que « les parties ont convenu de soumettre le crédit litigieux aux dispositions du code de la consommation ; qu'aux termes de l'article L. 311-37 du code de la consommation dans sa version applicable au présent litige, les actions en paiement engagées à l'occasion de la défaillance de l'emprunteur doivent être formées dans les deux ans de l'évènement qui leur a donné naissance à peine de forclusion. Cet évènement est caractérisé par le premier incident de paiement non régularisé ; que le paiement des échéances se faisait par prélèvement sur le compte n°30066 10901 00020064101 ouvert au nom de la SCI ; qu'il résulte de l'historique de ce compte que si des incidents de paiement sont survenus dès le mois de mars 2012, en raison de virements ou de remises de chèque régulièrement portés au crédit du compte de la SCI, la première échéance impayée non régularisée remonte au 15 décembre 2012, puisque l'échéance du mois de novembre 2012 a été prélevée alors que le compte présentait un solde créditeur ; que l'action du CIC a été introduite le 19 septembre 2014, soit avant l'expiration du délai de forclusion de deux ans rappelé ci-dessus ; que c'est donc à bon droit que le premier juge a déclaré qu'elle était recevable et a condamné solidairement la SCI MVS et M. B... à payer au CIC le solde du prêt ; que le quantum retenu par le tribunal n'a pas été critiqué ; que la décision sera confirmée sur ce point » (arrêt p.4) ;
Et aux motifs adoptés des premiers juges que « sur l'exception de forclusion de la demande en paiement du prêt personnel : les défendeurs estiment que le premier impayé non régularisé date du mois de mars 2012 puisque les échéances ont été prélevées sur le compte courant constamment débiteur depuis le mois de février 2012 ; que le CIC soutient que le premier impayé non régularisé date du 24 septembre 2013 compte tenu du jeu de l'imputation des paiements et en se fondant sur une autorisation de découvert de 6000 euros qu'il aurait consentie à la SCI MVS à compter du mois d'avril 2012 et sur le fait que le compte aurait été constamment à découvert au-delà de l'autorisation consentie à compter du mois de septembre 2013 ; qu'en matière de crédit régi par les articles L. 311-1 et suivants du code de la consommation, le prêteur doit, à peine de forclusion, agir en paiement contre l'emprunteur défaillant dans un délai de deux ans à compter de l'évènement ayant donné naissance à l'action (v. article L. 311-52) ; que dans le cadre d'un crédit personnel à la consommation, cet évènement est constitué par la première échéance impayée non régularisée, après imputation des paiements dans les conditions de l'article 1256 du code civil ; qu'en cas de découvert tacite, lorsque les échéances du prêt sont prélevées sur un compte courant débiteur, elles sont considérées comme étant impayées mais l'arriéré doit être regardé comme régularisé chaque fois que le compte redevient créditeur au cours du délai de deux ans ; qu'en cas de découvert autorisé, les échéances ne sont considérées comme impayées que lorsqu'elles sont prélevées sur un compte dont le découvert dépasse le montant autorisé ; qu'en l'espèce, l'examen historique des paiements et de l'historique du compte bancaire fait apparaître que le compte sur lequel ont été prélevées les mensualités du prêt personnel a été plusieurs fois débiteur et plusieurs créditeur entre le 6 octobre 2010 et le 12 mai 2014 ; que s'il a été souvent débiteur de sommes importantes à compter du mois de février 2012, il est redevenu créditeur régulièrement jusqu'à la date du 4 décembre 2012 à partir de laquelle il a été constamment débiteur ; que la convention d'ouverture d'un compte courant ne contient aucune autorisation de découvert ; que le document, produit par le CIC, intitulé « autorisation exceptionnelle, informations précontractuelles européennes normalisées en matière de crédit aux consommateurs », portant mention d'une autorisation de découvert inférieure ou égale à 3 mois d'un montant de 6.000 euros, ne comporte ni date ni signature et ne peut en aucune façon être regardé comme un contrat stipulant une autorisation de découvert sur le compte courant de la SCI MVS ; qu'il résulte de ce qui précède que, chaque fois que le compte courant est redevenu créditeur, toutes les échéances sont regardées comme étant payées à cette date et que le premier impayé non régularisé remonte au 15 décembre 2012 ; que l'assignation en paiement ayant été délivrée moins de deux ans après cette date, le 19 septembre 2014, la forclusion n'est pas encourue ; que la demande en paiement du prêt est donc recevable » (jugement p. 3) ;
Alors que les actions en paiement engagées à l'occasion de la défaillance de l'emprunteur doivent, sous peine de forclusion, être formées dans un délai de deux ans courant à compter du premier incident de paiement non régularisé ; qu'il ne peut être fait échec aux règles d'ordre public relatives à la détermination du délai biennal de forclusion propre au crédit à la consommation par l'inscription de l'échéance d'un prêt au débit d'un compte courant dont le solde est insuffisant pour en couvrir le montant quand aucune convention de découvert n'a été préalablement conclue ; que la seule circonstance que le compte redevienne créditeur par la suite n'est pas de nature à différer le point de départ du délai de forclusion ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le solde du compte courant sur lequel étaient prélevées les échéances du prêt s'était retrouvé débiteur à plusieurs reprises à compter du mois de mars 2012 et ce, sans autorisation de découvert ; qu'en retenant, pour fixer au 15 décembre 2012 le premier incident de paiement non régularisé, que le compte courant était redevenu créditeur à plusieurs reprises jusqu'au paiement de l'échéance du mois de novembre 2012 et ne s'était maintenu débiteur qu'à compter du mois de décembre 2012, la cour d'appel a violé l'article L. 311-37 ancien du code de la consommation, devenu l'article L. 311-52 du même code.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de condamnation à dommages-intérêts formée par la SCI MVS et M. B... contre le CIC et d'avoir condamné en conséquence solidairement la SCI MVS et M. B... à payer la somme de 12.322 euros au titre du solde du prêt, outre intérêts conventionnels, et la somme de 4.151,56 euros au titre du solde débiteur du compte courant, outre intérêts légaux ;
Aux motifs propres que « Sur la demande de dommages et intérêts : (
) que le banquier n'a pas à s'immiscer dans la gestion des affaires de son client ; qu'il n'est pas tenu d'un devoir de conseil à son égard ; qu'en l'espèce, s'il est constant que la somme de 20.000 euros prêtée par le CIC à la SCI MVS a, dès le 17 décembre 2010, date du déblocage des fonds, été virée sur le compte de la société Boost 2 Roues dont M. B... était le gérant et qui présentait effectivement depuis plusieurs mois de graves difficultés financières, les appelants ne démontrent nullement que le CIC serait à l'origine de transférer les fonds prêtés sur le compte de la société commerciale ni qu'elle aurait incité M. B... à combler le déficit de cette société par le biais du prêt consenti à la SCI MVS ; que c'est donc à juste titre que le tribunal a retenu qu'aucune faute de la banque à l'occasion de l'octroi du crédit ou de l'utilisation des fonds n'était démontrée » (arrêt pp.5-6) ;
Et aux motifs des premiers juges que « selon l'article 9 du code de procédure civile, il appartient à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de leurs prétentions ; que les défendeurs invoquent un « contexte global » et diverses procédures (procédure devant le tribunal de commerce, devant le tribunal de grande instance en remboursement d'un prêt immobilier, devant le juge de l'exécution en saisie immobilière) qui ne concernent pas la présente instance ; que, concernant les deux créances dont elle réclame ici le paiement : il ressort des pièces produites que la SCI MVS dont M. B... était le gérant a ouvert un compte courant dans les livres du CIC, que la banque lui a consenti un prêt personnel à la consommation et que M. B... a garanti les obligations de la SCI ; que le fait que les fonds aient été déposés immédiatement par M. B... sur le compte de la SARL Boost 2 Roues relève d'une décision qui lui est personnelle et les défendeurs ne rapportent pas la preuve, qui leur incombe, que ce transfert de fonds aurait été commandité par le prêteur ; que la banque n'ayant pas à s'immiscer dans les décisions personnelles des emprunteurs, il ne peut lui être reproché un manquement à son devoir de conseil et de mise en garde à l'occasion de ce transfert de fonds. Que M. B..., gérant de la société civile et de la société commerciale, ne pouvait ignorer la situation lourdement déficitaire de la SARL Boost 2 Roues et ne démontre pas que c'est sur les conseils de la banque ou sur son incitation qu'il a comblé le déficit de cette société avec ce prêt au lieu de déposer le bilan ; que la faute de la banque à l'occasion de l'octroi de ce crédit et de son utilisation n'est pas avérée ; que sa faute n'est pas davantage démontrée dans le fonctionnement débiteur du compte courant de la SCI MVS ; que les moyens de défense des défendeurs destinés au débouté des demandes en paiement seront rejetés » (jugement pp.4-5) ;
1°) Alors que lors de l'octroi d'un crédit soumis aux règles du crédit à la consommation, constitue une faute de nature à engager la responsabilité du banquier dispensateur du crédit la remise des fonds à l'emprunteur avant l'expiration du délai de rétractation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le crédit accordé à la SCI MVS avait été accepté le 15 décembre 2010, qu'il était soumis aux dispositions du droit de la consommation, et que le CIC avait débloqué les fonds le 17 décembre 2010, pour les virer sur le compte de la société Boost 2 Roues ; qu'en excluant toute faute du CIC à l'occasion de l'octroi du crédit cependant qu'il ressortait de ses propres constatations que cet établissement de crédit n'avait pas respecté le délai de rétractation de sept jours alors prévu par les articles L. 311-15 et suivants du code de la consommation auxquels le prêt avait été soumis, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable en l'espèce, antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) Alors que, en tout état de cause, il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; qu'en constatant que les fonds prêtés selon offre accepté du 15 décembre 2010 avaient été débloqués le 17 décembre suivant et en affirmant néanmoins que M. B... et la SCI MVS ne démontraient nullement que le CIC serait à l'origine de cette décision de transférer les fonds prêtés sur le compte de la société commerciale, quand, aux termes clairs et précis de la lettre du CIC du 6 février 2016 versée aux débats d'appel, le CIC avait confirmé à la SCI MVS « que notre Etablissement a effectué un virement de vingt-mille euros (20.000 euros) en date du 17 décembre 2010 au profit de la SARL « Boost 2 roues » », la cour d'appel a dénaturé les documents de la cause..