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11/12/2019 | FRANCE | N°18-25441

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 11 décembre 2019, 18-25441


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique du pourvoi principal et sur le moyen unique du pourvoi incident, réunis :

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article L. 124-3 du code des assurances ;

Attendu qu'il résulte du dernier de ces textes qu'un assureur de responsabilité ne peut être tenu d'indemniser le préjudice causé à un tiers par la faute de son assuré que dans la mesure où ce tiers peut se prévaloir, contre l'assuré, d'une créance née de la responsabilité

de celui-ci ; qu'en application des deux premiers, il n'entre pas dans les pouvoir...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique du pourvoi principal et sur le moyen unique du pourvoi incident, réunis :

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article L. 124-3 du code des assurances ;

Attendu qu'il résulte du dernier de ces textes qu'un assureur de responsabilité ne peut être tenu d'indemniser le préjudice causé à un tiers par la faute de son assuré que dans la mesure où ce tiers peut se prévaloir, contre l'assuré, d'une créance née de la responsabilité de celui-ci ; qu'en application des deux premiers, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge judiciaire, saisi de l'action directe de la victime contre l'assureur de l'auteur du dommage, de se prononcer sur la responsabilité de l'assuré lorsque celle-ci relève de la compétence de la juridiction administrative (1re Civ., 3 novembre 2004, pourvoi n° 03-11.210, Bull., 2004, I, n° 250 ; 1re Civ., 23 juin 2010, pourvoi n° 09-14.592, Bull. 2010, I, n° 149) ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en référé, que, suivant marché public du 19 décembre 2012, la commune de Tuchan (la commune) a confié à M. F..., assuré auprès de la société Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d'oeuvre des travaux de réhabilitation d'un foyer communal ; que le lot démolition - gros oeuvre - étanchéité a été confié à la société Midi travaux, assurée auprès de la société MMA IARD assurances mutuelles (la société MMA) ; que les travaux ont été réceptionnés le 19 novembre 2013 ; qu'à la suite de l'apparition de désordres et après le dépôt du rapport de l'expert judiciairement désigné, la commune a assigné la société Midi travaux, M. F... et leurs assureurs, sur le fondement de l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile, aux fins d'obtenir le paiement de provisions ;

Attendu que, pour condamner la MAF et la société MMA au paiement de diverses sommes à titre provisionnel, après avoir, d'une part, écarté la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de l'action engagée par la commune à l'encontre de M. F... et de la société Midi travaux, en raison du caractère administratif des marchés les liant à la commune, d'autre part, retenu sa compétence pour se prononcer sur l'action directe exercée contre leurs assureurs, auxquels ils sont liés par un contrat de droit privé, l'arrêt retient que les dommages invoqués par la commune, apparus après réception et qui rendent l'ouvrage impropre à sa destination, sont de nature décennale, de sorte que les assureurs des constructeurs sur lesquels pèse une présomption de responsabilité sont tenus d'indemniser la victime des conséquences des désordres résultant de l'exécution défectueuse du marché public ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'à défaut de reconnaissance, par les assureurs, de la responsabilité de leurs assurés, il lui incombait de surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur cette responsabilité, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare la juridiction judiciaire incompétente pour connaître de la responsabilité de M. F... et de la société Midi travaux et en ce qu'il déclare la juridiction judiciaire compétente pour connaître de l'action directe de la commune à l'encontre de la société Mutuelle des architectes français et de la société MMA IARD assurances mutuelles, l'arrêt rendu le 6 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée ;

Condamne la commune de Tuchan aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour M. F... et la société Mutuelle des architectes français, demandeurs au pourvoi principal.

Le moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Mutuelle des Architectes Français, solidairement avec la compagnie MMA, à payer à la commune de Tuchan les sommes provisionnelles de 38 440 € HT, 1 965,60 € HT et 26 283,80 €, et de l'avoir condamnée seule à payer à la commune la somme de 3 548 € HT,

Aux motifs que « le marché de maîtrise d'oeuvre-aménagement du foyer Jean Jaurès conclu par la commune de Tuchan avec M. F... le 19 décembre 2011 est un marché public passé selon la procédure adaptée de l'article 28 du code des marchés publics. Il en va de même du marché passé avec la société Midi Travaux le 4 septembre 2012.
En application de l'article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (loi MURCEF), les marchés litigieux ont le caractère de contrats administratifs.
Il s'ensuit que les marchés litigieux étant conclus après l'entrée en vigueur de la loi MURCEF, les juridictions judiciaires ne sont pas compétentes pour connaître de l'action engagée par la commune de Tuchan à l'encontre de M. E... F... et de la société Midi Travaux.

En revanche, l'obligation de l'assureur de M. F... et de la SARL Midi Travaux reposant sur un contrat d'assurance de droit privé, le juge judiciaire est compétent pour connaître de l'action directe du maître d'ouvrage, quand bien même la responsabilité des auteurs du dommage, titulaire d'un marché public ou participant à l'exécution de travaux publics, relèverait de la juridiction administrative.
Les dommages invoqués par la commune de Tuchan, apparus après réception et qui rendent l'ouvrage impropre à sa destination, sont de nature décennale, de sorte que les assureurs des constructeurs sur lesquels pèse une présomption de responsabilité sont tenus, à l'égard de la commune de Tuchan, d'indemniser la victime des conséquences des désordres résultant de l'exécution défectueuse du marché public.
Les contrats liant M. F... et la SARL Midi Travaux étant des contrats administratifs, il n'appartient pas au juge judiciaire de se prononcer sur la part de responsabilité des intervenants dans les désordres subis par la commune.
Il y a lieu, au vu des conclusions du rapport d'expertise de M. Y..., qui sont argumentées et à l'encontre desquelles aucune critique sérieusement fondée ne saurait être adressée, de condamner la MAF à payer à la commune de Tuchan les sommes provisionnelles de 38 440 euros HT au titre des travaux de reprise de la couverture, de 1 965,60 euros HT au titre de la reprise du crépi sur le mur extérieur côté terrasse, de 26.283,80 euros HT au titre de la reprise des revêtements muraux intérieurs et de 3 548 euros HT au titre des travaux de reprise sur les baies, et de condamner la compagnie d'assurances MMA IARD ASSURANCES MUTUELLE à payer à la commune de Tuchan les sommes provisionnelles de 38 440 euros HT au titre des travaux de reprise de la couverture, de 1.965,60 euros HT au titre de la reprise du crépi sur le mur extérieur côté terrasse et de 26283,80 euros HT au titre de la reprise des revêtements muraux intérieurs » (arrêt p. 5 et 6) ;

Alors que le juge judiciaire ne peut statuer sur l'action directe dirigée contre l'assureur du titulaire d'un marché public tant que le juge administratif n'a pas retenu la responsabilité de l'assuré ; qu'en l'espèce, après avoir admis que le juge judiciaire n'était pas compétent pour statuer sur l'action de la commune de Tuchan contre M. F..., qui avaient conclu un marché public, la cour d'appel a condamné la Mutuelle des Architectes Français, assureur de M. F..., à payer diverses sommes à la commune en réparation de désordres ; que pourtant, ainsi que M. F... et son assureur l'avaient fait valoir dans leurs conclusions d'appel (p. 4, prod. 2), le juge judiciaire ne pouvait statuer sur l'action directe contre l'assureur qu'après que la question de la responsabilité de l'assuré a été tranchée par le juge administratif ; qu'en accueillant cette action directe car les dommages invoqués par la commune étaient de nature décennale, sans avoir constaté que la responsabilité de l'assuré avait été retenue par le juge administratif, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé la loi des 16-24 août 1790, ensemble les articles L. 124-1 et L. 124-3 du code des assurances. Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux conseils, pour les sociétés Midi travaux, MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD demanderesses au pourvoi incident.

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué :

D'AVOIR dit que l'action directe de la victime à l'encontre des assureurs, qui ont conclu avec M. F... et la SARL Midi Travaux des contrats de droit privé, relève de la compétence exclusive de la juridiction judiciaire, après avoir dit que le juge judiciaire est incompétent pour connaître de la responsabilité de M. F... et de la société Midi Travaux qui ont conclu avec la commune de Tuchan des contrats administratif, et d'avoir condamné la compagnie MMA Mutuelle des Architectes Français, solidairement avec la Mutuelle des Architectes Français à payer à la commune de Tuchan les sommes provisionnelles de 38 440 euros HT, 1 965,60 euros HT et 26 283,80 euros ;

AUX MOTIFS QUE « le marché de maîtrise d'oeuvre-aménagement du foyer Jean Jaurès conclu par la commune de Tuchan avec M. F... le 19 décembre 2011 est un marché public passé selon la procédure adaptée de l'article 28 du code des marchés publics. Il en va de même du marché passé avec la société Midi Travaux le 4 septembre 2012.
En application de l'article 2 de la loi n°2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (loi MURCEF), les marchés litigieux ont le caractère de contrats administratifs.
Il s'ensuit que les marchés litigieux étant conclus après l'entrée en vigueur de la loi MURCEF, les juridictions judiciaires ne sont pas compétentes pour connaître de l'action engagée par la commune de Tuchan à l'encontre de M. E... F... et de la société Midi Travaux.
En revanche, l'obligation de l'assureur de M. F... et de la SARL Midi Travaux reposant sur un contrat d'assurance de droit privé, le juge judiciaire est compétent pour connaître de l'action directe du maître d'ouvrage, quand bien même la responsabilité des auteurs du dommage, titulaire d'un marché public ou participant à l'exécution de travaux publics, relèverait de la juridiction administrative.
Les dommages invoqués par la commune de Tuchan, apparus après réception et qui rendent l'ouvrage impropre à sa destination, sont de nature décennale, de sorte que les assureurs des constructeurs sur lesquels pèse une présomption de responsabilité sont tenus, à l'égard de la commune de Tuchan, d'indemniser la victime des conséquences des désordres résultant de l'exécution défectueuse du marché public.
Les contrats liant M. F... et la SARL Midi Travaux étant des contrats administratifs, il n'appartient pas au juge judiciaire de se prononcer sur la part de responsabilité des intervenants dans les désordres subis par la commune.

Il y a lieu, au vu des conclusions du rapport d'expertise de M. Y..., qui sont argumentées et à l'encontre desquelles aucune critique sérieusement fondée ne saurait être adressée, de condamner la MAF à payer à la commune de Tuchan les sommes provisionnelles de 38 440 euros HT au titre des travaux de reprise de la couverture, de 1 965,60 euros HT au titre de la reprise du crépi sur le mur extérieur côté terrasse, de 26.283,80 euros HT au titre de la reprise des revêtements muraux intérieurs et de 3 548 euros HT au titre des travaux de reprise sur les baies, et de condamner la compagnie d'assurances MMA IARD ASSURANCES MUTUELLE à payer à la commune de Tuchan les sommes provisionnelles de 38 440 euros HT au titre des travaux de reprise de la couverture, de 1.965,60 euros HT au titre de la reprise du crépi sur le mur extérieur côté terrasse et de 26283,80 euros HT au titre de la reprise des revêtements muraux intérieurs » ;

Alors que le juge judiciaire ne peut statuer sur l'action directe dirigée contre l'assureur du titulaire d'un marché public tant que le juge administratif ne s'est pas prononcé sur la responsabilité de son assuré ; qu'après avoir admis que le juge judiciaire n'était pas compétent pour statuer sur l'action de la commune de Tuchan contre la société Midi Travaux avec laquelle elle avait conclu un marché public, la cour d'appel a condamné les MMA Iard assurance mutuelle, assureur de la société Midi Travaux à payer diverses sommes à la commune en réparation de désordres ; qu'en accueillant cette action directe de la commune contre l'assureur de la société Midi Travaux sans constater que la responsabilité de cette dernière avait été retenue par le juge administratif, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé la loi des 16-24 août 1790, ensemble les articles L. 124-1 et L. 124-3 du code des assurances.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 18-25441
Date de la décision : 11/12/2019
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

SEPARATION DES POUVOIRS - Compétence judiciaire - Domaine d'application - Litige relatif à un contrat de droit privé - Cas - Action directe de la victime contre l'assureur du responsable - Distinction avec l'action en responsabilité - Portée

ASSURANCE RESPONSABILITE - Action directe de la victime - Compétence - Compétence judiciaire - Etendue - Détermination

Viole la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article L. 124-3 du code des assurances, une cour d'appel qui, pour condamner les assureurs de constructeurs à payer à une commune diverses provisions, retient qu'ils sont tenus d'indemniser cette dernière des conséquences des désordres résultant de l'exécution défectueuse d'un marché public, alors qu'à défaut de reconnaissance, par les assureurs, de la responsabilité de leurs assurés, il lui incombait de surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur cette responsabilité


Références :

loi des 16-24 août 1790

décret du 16 fructidor an III

article L. 124-3 du code des assurances

Décision attaquée : Cour d'appel de Montpellier, 06 septembre 2018

A rapprocher :2e Civ., 16 décembre 2010, pourvoi n° 09-71797, Bull. 2010, II, n° 218 (rejet)

arrêt cité


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 11 déc. 2019, pourvoi n°18-25441, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : SCP Boulloche, Me Le Prado, SCP Richard

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.25441
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