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11/12/2019 | FRANCE | N°18-12214

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 11 décembre 2019, 18-12214


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 1332-4 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. U..., engagé le 1er septembre 2011 en qualité de conseiller commercial par la société Générali vie, a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement par lettre du 5 mai 2014 puis licencié pour faute grave le 26 mai 2014 au motif qu'il n'avait pas respecté les règles internes en faisant souscrire à deux clients des contrats sans tenir compte de leurs ressources ; qu'il

a saisi la juridiction prud'homale ;

Attendu que, pour écarter le moyen tiré de la ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 1332-4 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. U..., engagé le 1er septembre 2011 en qualité de conseiller commercial par la société Générali vie, a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement par lettre du 5 mai 2014 puis licencié pour faute grave le 26 mai 2014 au motif qu'il n'avait pas respecté les règles internes en faisant souscrire à deux clients des contrats sans tenir compte de leurs ressources ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale ;

Attendu que, pour écarter le moyen tiré de la prescription des faits fautifs, juger le licenciement fondé sur une faute grave et débouter le salarié de toutes ses demandes, l'arrêt retient que le 15 janvier 2014, un client, M. I..., a adressé à la société Générali vie une lettre de réclamation en indiquant qu'il était dans l'impossibilité de faire face aux prélèvements afférents aux quatre contrats que M. U... lui avait fait souscrire, lesdits prélèvements s'élevant à un total annuel de 6 621 euros, soit un montant de 551 euros par mois, équivalent à 25 % de son revenu mensuel ; que la société a estimé que le courrier initial ne suffisait pas et qu'il était nécessaire, pour débuter une procédure disciplinaire, d'obtenir du client une attestation régulière, laquelle a été établie le 10 mars 2014 ; que le salarié ayant été convoqué le 5 mai 2014 à un entretien préalable qui s'est déroulé le 16 mai suivant, aucune prescription n'est encourue ;

Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser que l'employeur avait eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits imputés au salarié concernant ce client moins de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Condamne la société Générali vie aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Générali vie à payer à M. U... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par Me Carbonnier, avocat aux Conseils, pour M. U...

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de M. U... est fondé sur une faute grave ;

AUX MOTIFS QUE « Il résulte des articles L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, et qu'en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié. Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement, n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables et la lettre de licenciement fixant les limites du litige. La faute grave, aux termes de l'article L. 1234-1 du code du travail, est celle qui prive le salarié de son droit à préavis et se définit comme celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail devant intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués, dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire. L'employeur qui prétend ne pas devoir de préavis doit rapporter la preuve de la faute grave commise par le salarié, la lettre de licenciement fixant les limites du débat. Aux termes de la lettre de licenciement pour faute grave en date du 26 mai 2014, il est reproché à Monsieur U... : "Au cours de cet entretien, Monsieur F... M... vous a reproché dans les affaires Y... et Boland de ne pas avoir respecté les règles de production. En effet, vous avez fait souscrire aux clients des contrats sans tenir compte de leurs ressources. "Si les faits reprochés sont synthétiquement décrits, ils sont clairement délimités : il s'agit des relations professionnelles entretenues par Monsieur U... avec deux clients au cours desquelles il les aurait amenés à souscrire plusieurs investissements sans prendre en compte la réalité de leurs ressources. Il ressort des engagements du conseiller commercial que celui-ci doit prendre en considération la situation financière de son client. Il lui est demandé d'être particulièrement attentif à la réalité du besoin des souscripteurs ou des adhérents d'âge élevé. Il doit aider son interlocuteur à analyser sa situation familiale et financière, à préciser ses besoins et objectifs, à recueillir les renseignements relatifs à la situation du client et à veiller à ce que le niveau des cotisations reste dans la limite des capacités de paiement du souscripteur ou de l'adhérent eu égard à ses ressources, à ses charges, ou à son âge. Le 15 janvier 2014, Monsieur Philippe I... a adressé à Generali une lettre de réclamation en indiquant qu'il était dans l'impossibilité de faire face aux prélèvements pour un total annuel 6 621 €, soit 551 € par mois ce qui représente mensuellement 551 €, soit 25 % de son revenu. Il ajoute : "Je ne comprends pas pourquoi mon conseiller G... U... m'a fait souscrire : -deux contrats Regard (le même mois), -un contrat Actiprojets un mois plus tôt, -un deuxième contrat sérinivie début 2012. J'ai aujourd'hui le sentiment d'avoir été abusé parce que j'ai fait confiance et je vais en plus perdre de l'argent si je ne vais pas au terme de mes contrats. Je n'avais pas besoin de tout cela. Je vous demande donc de bien vouloir trouver une solution à cette situation dont je suis la victime car d'ici peu les contrats indispensables tels que l'assurance habitation et la complémentaire santé risquent d'être résiliés pour impayés. Je suis client depuis juin 1999 et j'espère donc que mon courrier retiendra toute votre attention." Monsieur I... a rédigé une attestation le 10 mars 2014 aux termes de laquelle il indique : "Avec la souscription de 7 contrats depuis sa prise, je me suis retrouvé à payer 6 775,19 € par an à Generali. Cela explique la situation catastrophique dans laquelle je me trouve aujourd'hui, contrat résilié pour impayé et d'épargne réduit
" Dans le corps de l'attestation, c'est bien le nom de Monsieur G... U... qui est cité. Generali a estimé que le courrier initial ne suffisait pas et qu'il était nécessaire d'obtenir de Monsieur I... une attestation régulière pour débuter une procédure disciplinaire. Monsieur U... a été convoqué le 05 mai 2014 à un entretien préalable qui s'est déroulé le 16 mai suivant, dès lors aucune prescription n'est encourue. De son côté, Monsieur U... a obtenu de Monsieur I... une attestation le 28/08/2014 aux termes de laquelle Monsieur U... lui avait proposé divers contrats Generali auxquels il a choisi de souscrire en toute connaissance de cause. Il affirme dans une seconde partie de 1 attestation que Generali a surpris sa confiance pour lui faire rédiger une attestation et qu'il n'avait "pas compris que ce courrier pouvait amener Monsieur U... à être licencié je me rends compte - aujourd'hui de mon erreur" ; Cette seconde attestation est dépourvue de valeur probante dès lors que Monsieur I... a pris l'initiative d'écrire à Generali pour mettre en cause Monsieur U... et qu'aucune explication n'est fournie sur le bien-fondé des contrats souscrits. À cet égard, il faut préciser qu'à la seule exception du premier contrat, en novembre 2010, tous les autres ont été souscrits avec Monsieur U.... Entre novembre 2011 et octobre 2012, six contrats ont été souscrits, pour un montant de primes annuelles de 5 921 € sachant qu'il faut ajouter à ces montants la prime annuelle de 494 € correspondant au contrat souscrit avant l'entrée en fonction de Monsieur U.... Aux termes mêmes du dossier client rempli par Monsieur U... et signé par Monsieur I... le 23 novembre 2011, les revenus de Monsieur I... sont inférieurs à 25 000 € par an. Le montant des contrats que Monsieur U... l'a incité à souscrire caractérise en lui-même un excès d'engagements dont le conseiller commercial ne pouvait qu'avoir pleinement conscience: aucun conseiller commercial n'accepte un engagement étalé dans le temps sans effectuer un ratio montant de l'engagement/ressources du foyer, et il est impossible d'accepter de bonne foi un engagement d'investissement représentant le quart de ses ressources pour une personne qui est dans la tranche minimale de revenu. Ce fait caractérise des pratiques commerciales condamnables qui mettent en cause l'employeur qui a d'ailleurs été interrogé par le client sur ce point. Monsieur U... n'a été stagiaire qu'un mois de septembre à octobre 2011 et le fait qu'un superviseur l'ait accompagné sur une opération n'enlève rien au caractère blâmable de son action. Par ailleurs, il n'est pas établi que les contrôles internes vérifiaient pour chaque contrat souscrit, l'adéquation entre les ressources du ménage et le montant des engagements pris. Enfin, l'éventuelle défaillance d'un contrôle interne n'enlève rien à la responsabilité du conseiller commercial qui a agi de la façon décrite ci-dessus. Madame C... Y..., âgée de soixante ans et en invalidité a établi le 13 mars 2014 l'attestation suivante qui se présente d'ailleurs comme un courrier : "Madame, Monsieur, Je vous signifie par la présente l'abus de faiblesse dont j'ai été victime. J'ai rencontré votre Conseiller Monsieur U... G... en octobre 2013 sur la recommandation de mes parents. Depuis cette date il n'a pas cessé de me faire souscrire des contrats (8), à tel point que je paie aujourd'hui 395 € par mois à Generali. Je suis invalide et perçoit une rente de 684 € par mois puis 193 € de Caf ALS-AAHI. J'ai un loyer de 262 € et une dette à la Banque Postale de 50 €par mois. Il ne me reste plus pour vivre que 220 € par mois. Et à cause de cela j'ai eu un retard de loyer en janvier et j'ai des impayés sur les contrats en cours chez vous (cf. copie de courrier jointe) Je vous demande d'intervenir rapidement pour trouver une solution à ma situation." En juin 2013, Monsieur U... a fait l'objet durant trois semaines d'un suivi d'activité par son supérieur hiérarchique, Monsieur V... qui, dans son mail de synthèse, indiquait : "J'ai profité de l'entretien pour faire avec vous un tour des conquêtes que vous avez réalisées depuis un an. Comme je vous l'ai indiqué, un dossier a attiré mon attention ; celui de Madame Y... C... (invalide) qui a un revenu de 858 euros, un loyer de 260 euros et qui verse chez nous 484 euros (2 contrats Sérénivie, 2 GPA Profil Épargne, 1 Actiprojets, 1 LER, 1 Regard, 1 Logiplus et 1 GAV). J'attire votre attention sur la notion de devoir de conseil et vous demande à l'avenir de faire preuve du discernement qui doit animer un conseiller pour ne pas reproduire ce genre de choses qui peut être préjudiciable à l'entreprise à vous-même". Cette observation écrite à un collaborateur d'avoir à cesser une pratique qui peut être préjudiciable s'analyse en un exercice du pouvoir disciplinaire. Rien n'interdit de rappeler à l'occasion de poursuites disciplinaires nouvelles une sanction antérieure, a fortiori lorsqu'elle portait sur le même type de comportements. En ce qui concerne l'explication fournie par Monsieur U..., le fait qu' il aurait permis à Madame Y... de retrouver 19 000 € qui étaient placés chez un concurrent est sans intérêt dès lors que, non seulement ce capital ne justifie en rien au vu de ses revenus courants, le montant des engagements qu'il lui a fait prendre mais qu'au surplus, un montant de 10 000 € a été investi le 05 décembre 2012 sur une assurance-vie (GPA Profil Épargne : montant du 1er versement avec les frais de dossier : 10 037 €). Le licenciement pour faute grave d'un conseiller financier dont l'attention a été attirée par écrit par son employeur sur la nécessité de mettre un terme à des pratiques susceptibles de se révéler ‘‘préjudiciables' (qui est nuisible, qui porte ou cause du préjudice, qui fait tort), tant pour lui-même que pour son employeur, et dont il est ultérieurement découvert qu'il s'agit de pratiques répétées, est justifié. Le jugement doit donc être infirmé et Monsieur U... débouté de toutes ses demandes » ;

1°) ALORS QU'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ;

Qu'en l'espèce, pour dire que les faits reprochés à M. U... n'étaient pas prescrits, la cour d'appel a considéré que la SA Generali Vie avait eu connaissance de ces faits grâce à l'attestation rédigée par M. I... le 10 mars 2014 pour ensuite rappeler que M. U... avait été convoqué à un entretien préalable le 5 mai 2014, après avoir pourtant relevé que M. I... avait envoyé une lettre de réclamation à la SA Generali Vie le 15 janvier 2014 dans laquelle il se plaignait des contrats que M. U... lui avait fait souscrire ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 1332-4 du code du travail ;

2°) ALORS QUE tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ;

Qu'en l'espèce, pour dire que le licenciement de M. U... est justifié par une faute grave, la cour d'appel a relevé que Mme Y... et M. I... avaient reproché à M. U... de leur avoir fait souscrire plusieurs contrats, sans rechercher si les contrats souscrits par ces deux clients de la SA Generali Vie n'étaient pas des contrats d'épargne qui allaient leur profiter à court ou moyen terme ;

Qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1232-1 du code du travail ;

3°) ALORS, subsidiairement, QUE la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ;

Qu'en l'espèce, pour dire que le licenciement de M. U... est justifié par une faute grave, la cour d'appel a constaté que M. U... avait fait l'objet d'un suivi d'activité en juin 2013, qu'à cette occasion, il lui avait été reproché d'avoir fait souscrire plusieurs contrats à Mme Y..., que M. I... s'était plaint de M. U... dans une lettre du 15 janvier 2014 et dans une attestation du 10 mars 2014, tout comme Mme Y... dans une attestation du 13 mars 2014, sans caractériser en quoi ces deux fautes, dont la première datait de 2012 et la seconde de 2013, rendaient impossible le maintien de M. U... au sein de la SA Generali Vie ;

Qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1234-1 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18-12214
Date de la décision : 11/12/2019
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bordeaux, 14 septembre 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 11 déc. 2019, pourvoi n°18-12214


Composition du Tribunal
Président : M. Cathala (président)
Avocat(s) : Me Carbonnier, SCP Bouzidi et Bouhanna

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.12214
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