LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 octobre 2017), que la société Jehras, locataire d'un local à usage commercial appartenant à la société Alesia 111, l'a fait assigner en résiliation du bail aux torts de celle-ci ; que la bailleresse a demandé, reconventionnellement, le paiement des loyers impayés, assortis des pénalités contractuelles ;
Sur le moyen unique, pris en ses quatre premières branches, ci-après annexé :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche :
Vu l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
Attendu que, pour rejeter la demande de la société Alesia 111 en paiement des pénalités contractuelles, l'arrêt retient, après avoir écarté l'exception d'inexécution totale invoquée par le locataire en ne retenant qu'un manquement partiel de la bailleresse à son obligation de délivrance, que les clauses pénales contractuelles, prévoyant les pénalités de 10 % et de 1,5 % par mois et des intérêts au taux de 15 % sur les sommes dues, n'ont pas vocation à s'appliquer en cas de résiliation du bail aux torts du bailleur ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le bail n'excluait pas, en cas de résiliation du bail aux torts du bailleur, les majorations des loyers prévues en cas de non-paiement à leur échéance, la cour d'appel, qui a dénaturé le contrat, a violé le principe susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Alesia 111 en paiement des pénalités contractuelles, l'arrêt rendu le 4 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Jehras aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Jehras et la condamne à payer à la société Alesia 111 la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour la société Alesia 111
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que la SCI Alésia 111 avait manqué à ses obligations contractuelles de délivrance conforme et de jouissance paisible de la chose louée, d'avoir prononcé la résiliation judiciaire du bail consenti le 20 septembre 2007 sur des locaux sis à [...], aux torts de la SCI Alésia 111, d'avoir débouté cette dernière de son action en expulsion de la société Jerhas, d'avoir fixé la réfaction, au titre de l'exception d'inexécution soulevée par la société Jerhas, à 50% du montant des loyers et charges sur la période du 1er avril au 1er juillet 2015, d'avoir condamné la société Jerhas à payer à la SCI Alésia 111 la somme de 72 613,72 € au titre de l'arriéré de loyers restant dû au 20 octobre 2015, d'avoir condamné la SCI Alésia à restituer à la société Jerhas la somme principale de 38 718 € au titre du dépôt de garantie, d'avoir condamné la SCI Alésia 111 à payer à la société Jerhas la somme de 150 000 € à titre des dommages-intérêts et ordonné la compensation des sommes respectivement dues ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'il ressort du rapport de M. A... que la séparation verticale présente un défaut manifeste de solidité et de stabilité et présente un danger pour les personnes (clients et personnel de la société Jerhas mais aussi copropriétaires se rendant dans le local à vélo en empruntant la petite courette) en cas de chute d'objet volontaire provenant des étages du bâtiment sur rue mais surtout en cas de turbulences climatiques (vent violent, pluie) ; que l'état de cette paroi a aussi été constaté par une architecte de la sécurité de Paris intervenu sur place le 7 mai 2014, qui a constaté une installation de fortune constituée de panneaux en aggloméré fixés au moyen de bastaings à un muret en brique et surmontés de plaques de polycarbonate alvéolaire fixées sur cornières posées en biais pour récupérer l'aplomb de la verrière, dont l'ensemble semblait stable mais présentait des défauts d'étanchéité manifestes qui fragiliseraient, à moyen terme, la solidité et la stabilité de la paroi qui était, par ailleurs, couronnée par une bâche grossièrement ficelée à des planchettes menaçant de chuter dans la courette et a préconisé la vérification régulière de la solidité et la stabilité de la paroi séparative entre la courette du bâtiment d'habitation et le local d'activité sur cour, la prise de toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des usagers de la cour et des locaux, et le dépôt des éléments de bâchage menaçant de chuter ; que M. A... a clairement relevé dans son rapport que cette séparation ne profite qu'à la seule partie commerciale (exploitée par la société Jerhas) qui améliore ainsi le clos de cette cour à usage privatif en créant une surface complémentaire d'exploitation ; que selon l'expert, le rétablissement des lieux à l'état initial consisterait à démonter l'ensemble de la paroi verticale en séparation des fonds et à reconstituer, sur le soubassement d'origine conservé de délimitation, une grille ou un grillage entre les deux cours existantes ; que c'est d'ailleurs la nature des travaux qui ont été ordonnés par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris le 2 octobre 2015 et exécutés en août 2016 par le bailleur ; que les travaux de consolidation que proposait la société Alésia 111 dans son courrier du 10 février 2015 n'étaient pas de nature à remédier au caractère dangereux que présentait cette paroi ; qu'il n'appartenait pas à l'expert de se prononcer sur les questions juridiques relatives à la prescription d'une action et à la répartition de la charge des travaux entre le bailleur et le preneur ; que soulever la prescription décennale de l'action en démolition de cette séparation, prévue par l'article 42 al 1 de la loi du 10 juillet 1965, qui n'a vocation à s'appliquer qu'entre copropriétaires ou entre un copropriétaire et le syndicat, dans cette instance qui oppose le bailleur à son locataire et porte sur leurs obligations contractuelles, n'est pas pertinent ; qu'à compter du mois de mars 2014, quand elle a eu connaissance de la dangerosité de la paroi verticale, et que la réfection de celle-ci reviendrait à le priver d'un local clos, la société Jerhas était bien fondée à reprocher à son bailleur de ne pas remplir son obligation de délivrance ; que le transfert des charges des travaux de l'article 606 du code civil sur le preneur qui constitue une clause dérogatoire du bail ne saurait priver le bailleur de son obligation d'assurer au locataire le clos et le couvert ; que la mise en demeure du 12 février 2015 pour défaut de paiement des loyers visant la clause résolutoire, ayant été délivrée de mauvaise foi par le bailleur, qui savait que son locataire était dans l'impossibilité d'exploiter une partie de son fonds, ne doit pas être validée ; qu'il est établi que, ne pouvant plus assurer le clos du local sans maintenir un risque pour la sécurité des occupants de l'immeuble, de la clientèle et des salariés du locataire, le bailleur a commis un manquement grave à ses obligations contractuelles justifiant que soit prononcée la résiliation du bail à ses torts exclusifs ; que, compte tenu du trouble de jouissance subi, la société Jerhas est bien fondée à solliciter une réfaction du loyer et des charges à compter du 1er avril 2014, que les premiers juges ont justement fixée à 50% en fonction de la surface louée, en évaluant l'espace de vente de la boutique contigüe à la cloison inexploitable sur la base du rapport d'expertise, des plans et des photos produites aux débats, à 50% de la surface totale de la chose louée ; que la société Jerhas a perdu son fonds de commerce suite à la résiliation du bail au torts de la société Alésia 111, ouvrant droit pour la société locataire à des dommages-intérêts pour le préjudice financier qu'elle subit ; que le prix de cession du droit au bail survenue le 21 novembre 2008 entre la société Toutan'Folie et la société Jerhas s'élevait à la somme de 130 000 € ; qu'en tenant compte de cet élément et des résultats comptables de la société Jerhas, qui faisait un chiffre d'affaires de 520 442 € et un bénéfice de 35 146 € en 2011 et a vu son chiffre d'affaires baisser de manière importante pour les années 2012 (382 807 €) et 2013 (224 724 €) avec un résultat déficitaire, il convient de fixer le préjudice subi de ce chef à la somme de 150 000 € ; que l'article 13 du bail stipule que la somme de 35 578,62 €, correspondant à six mois de loyers, versée par la société Jerhas à titre de dépôt de garantie à l'entrée dans les lieux et réajusté à chaque révision du prix, doit lui être restituée à l'expiration du bail, et précise que cette somme ne produira pas d'intérêt ; que la société Alésia 111 s'appuie sur les dispositions de l'article 14 qui prévoit que dans tous les cas de résiliation, la somme versée au bailleur à titre de dépôt de garantie demeurera acquise à ce dernier à titre d'indemnité, pour réclamer de pouvoir conserver le dépôt de garantie à son profit ; que cette disposition, qui a pour titre « clause résolutoire », ne vise que la résiliation du bail prononcée aux torts du preneur et ne saurait trouver application en l'espèce ; que la résiliation du bail étant prononcée aux torts du bailleur, la société Alésia 111 doit restituer à la société Jerhas la somme de 38 718 € versée à titre de dépôt de garantie ; que l'article L. 145-40 du code de commerce prévoit une réglementation spécifique des intérêts générés par les loyers payés d'avance (...) ; que toute clause contraire est nulle en vertu des dispositions de l'article L. 145-15 du même code ; que le loyer étant payable par mois, c'est le mois qui constitue le terme ; que sur la somme excédant deux mois de loyer, soit 12 906 €, le bailleur doit verser à son locataire des intérêts à un taux égal à celui des avances sur titres de la Banque de France ; que la société Alésia 111 sera donc condamnée à payer à la société Jerhas des intérêts à un taux égal à celui des avances sur titres de la Banque de France sur la somme de 25 812 € à compter du versement du dépôt de garantie le 20 septembre 2007, et intérêts au taux légal sur la somme de 12 906 € à compter de la présente décision ; (...) que la société Jerhas reste redevable des sommes suivantes : loyers du 1er avril 2014 au 30 septembre 2015 (7 730,12 € x 18 mois =139 142,16 €) et loyer du 1er au 20 octobre 2015 (7 730,12 € x 293/365 = 6 205,27 €), soit 145 347,43 € x 50% = 72 613,72 € ; que la compensation devra s'opérer entre cette dette locative et le dépôt de garantie et l'indemnité pour perte du fonds de commerce qui sont dus par la société Alésia 111 ; que les clauses pénales contractuelles prévoyant les pénalités de 10% et de 1,5% par mois et des intérêts au taux de 15% sur les sommes dues n'ont pas vocation à s'appliquer en cas de résiliation du bail aux torts du bailleur ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE par application de l'article 1719 du code civil, le bailleur est obligé par la nature du contrat de délivrer au preneur la chose louée conforme à sa destination contractuelle et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ; (...) que la présence d'une séparation verticale entre les locaux litigieux et la cour commune, assemblée selon l'expert de manière anarchique et très désorganisée, avec défaut manifeste de solidité et de stabilité et dont la remise en état nécessite le démontage et l'installation d'une grille qui entraîne la perte d'un local clos, caractérise un manquement du propriétaire à son obligation contractuelle de délivrance conforme et de jouissance paisible de la chose louée (...) ; que la société Alésia 111 ne peut faire litière de ses obligations contractuelles au motif que la clause dérogatoire du bail qui fait peser sur le preneur les travaux de l'article 606 du code civil ; que la délivrance d'un local commercial pour l'exploitation en l'espèce d'un fonds de chaussures et textiles présuppose qu'il soit clos et les travaux de réfection de la clôture incombent au propriétaire qui ne peut se soustraire à son obligation de délivrance au moyen d'une clause qui le décharge des gros travaux ;
1°) ALORS QUE le bailleur est obligé de délivrer au preneur la chose louée, d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ; que si les stipulations du bail ne peuvent avoir pour effet de décharger totalement le bailleur de son obligation de délivrance, les parties peuvent néanmoins convenir que les grosses réparations visées par l'article 606 du code civil seront à la charge du preneur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a affirmé que la société Jerhas était fondée à reprocher au bailleur de ne pas remplir son obligation de délivrance, en raison de la dangerosité de la paroi verticale et du fait que sa réfection reviendrait à la priver d'un local clos, de sorte que le transfert de la charge des travaux de l'article 606 du code civil sur le preneur ne pouvait pas libérer le bailleur de son obligation d'assurer au locataire le clos et le couvert ; qu'en statuant de la sorte, tandis que les parties au bail avaient expressément transféré au preneur la charge des grosses réparations, lequel avait accepté de prendre en l'état le local loué, sans qu'une telle stipulation soit de nature à vider l'obligation de délivrance incombant à la SCI Alésia de tout son contenu, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
2°) ALORS QU'en jugeant que « la société Jerhas était bien fondée à solliciter une réfaction du loyer et des charges à compter du 1er avril 2014... en évaluant l'espace de vente de la boutique contigüe à la cloison inexploitable ... à 50% de la surface totale de la chose louée » jusqu'à son départ des lieux le 20 octobre 2015, tout en constatant que la SCI Alésia 111 n'avait exécuté les travaux de dépose de la paroi verticale tels qu'ordonnés par le juge des référés qu'en août 2016, de sorte que la société locataire avait bénéficié d'un local clos et intégralement exploitable durant toute la période d'occupation des lieux loués excluant toute réfaction du loyer et des charges, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
3°) ALORS QU'une clause résolutoire n'est pas acquise si elle a été mise en oeuvre de mauvaise foi par le créancier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que la société locataire restait débitrice d'une partie du loyer et des charges malgré le contentieux né de l'état de la paroi verticale ; qu'il en résulte que la société bailleresse pouvait légitimement en réclamer le paiement et invoquer le cas échéant la clause résolutoire faute de règlement ; qu'en affirmant cependant que la mise en demeure du bailleur visant la clause résolutoire avait été délivrée de mauvaise foi, tout en admettant l'existence d'une créance de loyer au profit de la SCI Alésia 111, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 145-41 du code de commerce, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
4°) ALORS QUE l'article 14 du bail commercial stipule – sans distinguer suivant les causes de résiliation – que « dans tous les cas de résiliation, la somme versée au bailleur à titre de dépôt de garantie demeurera acquise à ce dernier à titre d'indemnité, sans préjudice de son droit au paiement des loyers courus ou à courir... » ; qu'en affirmant néanmoins, pour ordonner la restitution du dépôt de garantie au locataire, que « cette disposition qui a pour titre « clause résolutoire » ne vise que la résiliation du bail prononcée aux torts du preneur et ne saurait trouver application en l'espèce » (arrêt, p. 7 § 9), la cour d'appel, qui a ainsi introduit une distinction entre les diverses causes de résiliation du bail non envisagée par les parties, a dénaturé l'article 14 du bail commercial, violant ce faisant l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
5°) ALORS QUE le bail commercial prévoyait qu'en cas de non-paiement à l'échéance du loyer, le preneur deviendrait débiteur sans mise en demeure préalable et sans distinguer entre les causes de résiliation de « pénalités (...) calculés à un taux mensuel de 1,5% » (article 9 du bail), ainsi que d' « un intérêt calculé au taux de 15% prorata temporis », et que « le montant de la quittance sera en outre majoré de 10% à titre d'indemnité forfaitaire » (article 12 du bail) ; qu'en affirmant cependant que « les clauses pénales contractuelles prévoyant les pénalités de 10% et de 1,5% par mois et des intérêts au taux de 15% sur les sommes dues, n'ont pas vocation à s'appliquer en cas de résiliation du bail aux torts du bailleur » (arrêt, p. 8 § 8), la cour d'appel a exclu l'application de ces clauses dans l'hypothèse d'une résiliation aux torts du bailleur, ce que les parties n'ont nullement prévu, et ce faisant a dénaturé le bail commercial en violation de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce.