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09/10/2019 | FRANCE | N°18-16109

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 09 octobre 2019, 18-16109


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles L. 1132-1 et L. 1134-5 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. M... a été engagé le 6 août 1990 par la société EDF-GDF en qualité de monteur distribution branchement groupe fonctionnel (GF) 03 et niveau de rémunération (NR) 30, niveau personnel d'exécution, puis est passé en 2007 au service de la société ERDF, devenue en 2016 Enedis (la société) ; qu'il a étÃ

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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles L. 1132-1 et L. 1134-5 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. M... a été engagé le 6 août 1990 par la société EDF-GDF en qualité de monteur distribution branchement groupe fonctionnel (GF) 03 et niveau de rémunération (NR) 30, niveau personnel d'exécution, puis est passé en 2007 au service de la société ERDF, devenue en 2016 Enedis (la société) ; qu'il a été reclassé en GF 04 en juillet 2010, puis en GF 06 le 1er janvier 2011 et en GF 07 le 1er janvier 2013 et que dans le dernier état de la relation contractuelle, il occupait le poste de technicien intervention réseau, GF 07, NR 110, niveau maîtrise et percevait une rémunération de 2 412,36 € brute par mois ; qu'il a exercé une activité syndicale de 1992 à 2007 ; qu'estimant avoir été victime de discrimination syndicale ayant entravé le déroulement de sa carrière, il a saisi la juridiction prud'homale le 18 novembre 2013 de diverses demandes ;

Attendu que pour débouter le salarié de ses demandes tendant à voir ordonner son repositionnement au niveau de rémunération 135 à compter du 1er janvier 2013 et condamner la société à lui verser une somme en réparation de son préjudice financier, l'arrêt relève que le niveau de rémunération du salarié n'était pas inférieur à la moyenne de ceux d'un panel de salariés embauchés entre 1988 et 1992 et qu'il n'y a donc pas discrimination salariale ;

Qu'en statuant ainsi, après avoir retenu par ailleurs l'existence d'une discrimination en matière d'évolution de carrière, alors que le salarié privé d'une possibilité de promotion par suite d'une discrimination peut prétendre, en réparation du préjudice qui en est résulté dans le déroulement de sa carrière, à un reclassement dans le coefficient de rémunération qu'il aurait atteint en l'absence de discrimination et qu'il lui appartenait de rechercher à quel coefficient de rémunération le salarié serait parvenu sans la discrimination constatée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute le salarié de ses demandes tendant à voir ordonner son repositionnement à compter du 1er janvier 2013 au niveau de rémunération 135 et à voir condamner la société Enedis à lui verser une somme de 59 082 € en réparation de son préjudice financier, l'arrêt rendu le 7 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne la société Enedis aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. M... et au syndicat CGT Mines-Energie des Côtes-d'Armor, la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. M... et le syndicat CGT Mines-Energie des Côtes-d'Armor

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté le salarié de ses demandes tendant à voir ordonner son repositionnement à compter du 1er janvier 2013 au niveau de rémunération 135 et à voir condamner la société à lui verser une somme en réparation de son préjudice financier.

AUX MOTIFS QUE aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail énonçant le principe de non-discrimination, « aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap » ; qu'en application de l'article L. l134-1 du code du travail, en cas de litige relatif à l'application de l'article L. 1132-1 du code du travail, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et il incombe à la partie défenderesse au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le juge formant sa conviction après avoir ordonné en tant que de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; que M. M... soutient avoir été victime de discrimination en raison de son appartenance syndicale qu'il décline en matière d'évolution de carrière et de salaire, dans un contexte général de discrimination syndicale ; qu'au titre des éléments de fait laissant supposer selon lui l'existence d'une discrimination, M. M... invoque tout d'abord l'absence d'évolution professionnelle et d'évaluation professionnelle constructive ; qu'à ce titre, il établit avoir été engagé le 6 août 1990 au poste de monteur distribution branchement GF 03 NR 30, et être resté 20 ans sans changement de groupe fonctionnel, n'ayant accédé au groupe fonctionnel 04 qu'à compter de janvier 2010 ; qu'il établit également que l'employeur aux termes de ses entretiens d'évaluation de 2001, 2002, 2004, a reconnu que son évolution dans le métier était entravée par son engagement syndical ; qu'il établit enfin ne pas avoir fait l'objet d'entretien annuel régulier et que ses demandes de mutation ont été refusées à 2 reprises ; qu'il invoque ensuite un niveau de rémunération inférieure à celui de ses collègues de travail, et produit en effet un panel de comparaison avec 5 autres salariés établissant que son niveau de rémunération (NR) était inférieur aux leurs en janvier 2013 ; qu'enfin, M. M... fait état de l'absence de reconnaissance des fonctions qu'il exerçait réellement à la suite des préconisations de la médecine du travail, et établit, sans être contredit par l'employeur, qu'il exerçait des fonctions purement administratives sans que l'intitulé de son poste ait été modifié ; que ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent présumer des faits de discrimination syndicale à l'égard de M. M... sans qu'il soif utile d'examiner plus avant l'ensemble des éléments invoqués par lui et il appartient donc à l'employeur de rapporter la preuve qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs et étrangers à toute discrimination ; que s'agissant en premier lieu de l'absence d'évolution professionnelle et d'évaluation professionnelle constructive, l'employeur fait tout d'abord valoir qu'il n'existe aucun droit à avancement ou promotion automatiques, que la promotion doit traduire une acquisition de compétences nouvelles et que l'évolution professionnelle implique que les agents soient actifs dans leur démarche et postulent sur des emplois ; qu'ainsi, s'agissant des refus de mutation de M. M..., l'employeur fait valoir avec raison qu'en 20 ans de carrière, celui-ci n'a postulé qu'à 2 reprises sur des emplois en promotion interne de sorte que cet élément est insuffisant pour établir l'existence d'une quelconque discrimination d'autant que s'agissant de la postulation faite par M. M... en 1996, l'employeur établit que la commission secondaire du personnel avait émis un avis en faveur d'un autre candidat ; que s'agissant du blocage professionnel et des mentions portées par le supérieur hiérarchique de l'intéressé sur ces évaluations, l'employeur ne peut valablement invoquer des erreurs et des maladresses de langage lorsqu'il est écrit que « son évolution dans le métier est entravée par sa non mobilité et son engagement syndical chronophage » (pièce 13), que « sa faible présence sur le site ne peut pas favoriser un déroulement de carrière conforme à ses souhaits d'évolution » alors qu'il bénéficie d'un détachement syndical à mi-temps (pièce 14) ou encore que « dommage que les fonctions syndicales occupent 90 % de son temps car il aurait été capable d'effectuer avec des responsabilités des activités sur les réseau » (pièce 15), d'autant que les entretiens d'évaluation cités ont été menés par deux évaluateurs différents ; que s'agissant de la stagnation de M. M... au groupe fonctionnel 03 pendant 20 ans, l'employeur se contente d'indiquer qu'il a fourni une liste d'homologues au syndicat auquel appartient M. M..., étant comme lui en situation de prépondérance pour activité syndicale à partir de 2004 (c'est-à-dire, exerçant une activité syndicale occupant plus de 50 % de son temps), et qu'il n'a eu aucune réponse sur ce point et, qu'après l'entrée en vigueur de l'accord national collectif du 9 décembre 2005 qui avait pour objet d'examiner la situation d'agents non prépondérants susceptible de faire apparaître une anomalie en termes de déroulement de carrière, M. M..., éligible à cet accord pour la période antérieure à 2004, n'avait présenté aucune demande ; que ce faisant, il n'apporte aucune explication permettant d'établir que cette stagnation était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, alors que la situation n'avait aucunement évolué depuis 1990 ; que s'agissant enfin de l'irrégularité des entretiens annuels d'évaluation, l'employeur n'apporte aucun élément de nature à la justifier ; que la cour retiendra donc l'existence de la discrimination alléguée en matière d'évolution de carrière ; que s'agissant du niveau de rémunération inférieure à celui d'autres salariés, l'employeur critique le panel de comparaisons produit par M. M... (pièce 40) en faisant valoir qu'il concerne des salariés qui sont partis en inactivité avant lui ; que la cour observe que les dates d'embauche de ces salariés sont toutes largement antérieures à celle de M. M... puisque comprises entre 14 ans et 7 ans avant lui de sorte que la comparaison n'est pas pertinente contrairement à ce que soutient le salarié qui fait état de son expérience antérieure à l'embauche pour légitimer sa comparaison ; qu'en effet, la cour observe que l'expérience antérieure de ces salariés n'est pas connue et que l'employeur en fournissant de son côté un panel de salariés embauchés à peu près en même temps que M. M... entre 1988 et 1992 (pièce 14 employeur) justifie que le niveau de rémunération de M. M... n'était pas inférieur à celui de la moyenne de ces salariés ; que la cour considère dès lors que l'employeur justifie que la supériorité du niveau de rémunération des salariés figurant sur le panel produit par M. M... est justifiée par leur antériorité dans l'entreprise et ne retiendra pas la discrimination salariale alléguée ; que s'agissant du défaut de reconnaissance des fonctions réellement exercées par lui suite aux préconisations de la médecine du travail, la cour constate que l'employeur justifie que le maintien de M. M... dans son poste de technicien intervention réseau, tout en aménageant ses activités conformément aux prescriptions médicales, a permis au salarié d'éviter un passage en régime sédentaire lui faisant perdre le bénéfice des services actifs et la possibilité de partir en inactivité plus tôt avec mie pension à taux plein ; qu'il en résulte que l'employeur justifie ainsi l'absence de reconnaissance alléguée par des considérations objectives étrangères à toute discrimination de sorte que celle-ci ne sera pas retenue ; qu'en définitive, la cour retiendra donc que M. M... a subi une discrimination en matière d'évolution de carrière en raison de ses activités syndicales ; que sur les conséquences de la discrimination, la cour n'ayant pas retenu l'existence d'une discrimination salariale, la demande de repositionnement de l'intéressé au niveau NR 135 à compter du 1er janvier 2013 sera rejetée ; que sur le préjudice économique, la cour n'ayant pas retenu l'existence d'une discrimination salariale, la demande de dommages-intérêts pour préjudice économique sera rejetée ; que sur le préjudice moral, M. M... justifie ne pas avoir reçu de son employeur la reconnaissance professionnelle à laquelle il pouvait s'attendre de sorte qu'il a subi un préjudice moral qui sera entièrement réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts ; que le jugement sera infirmé de ce chef.

1° ALORS QUE la discrimination dans l'évolution de carrière affecte nécessairement le coefficient de rémunération du salarié ; que le salarié privé d'une évolution de carrière normale par suite d'une discrimination peut donc prétendre, en réparation du préjudice qui en est résulté, à son repositionnement au coefficient de rémunération qu'il aurait atteint en l'absence de discrimination ; que pour rejeter les demandes du salarié tendant à son repositionnement au niveau NR 135 et au paiement de dommages-intérêts au titre du préjudice économique, la cour d'appel retient que « l'employeur justifie que la supériorité du niveau de rémunération des salariés figurant sur le panel produit par M. M... est justifiée par leur antériorité dans l'entreprise » ; qu'en statuant ainsi, quand elle avait retenu que le salarié avait subi une discrimination « en matière d'évolution de carrière en raison de ses activités syndicales », ce dont il s'évinçait que la discrimination constatée avait nécessairement eu des répercussions sur sa rémunération et qu'il appartenait au juge de rechercher à quel coefficient salarial il serait parvenu en l'absence de discrimination, la cour d'appel a violé les articles L. 2141-5 et L. 2141-8 du code du travail.

2° ALORS, en outre, QUE si la comparaison doit s'effectuer au regard d'un panel de salariés embauchés à la même époque, l'expérience acquise auprès de précédents employeurs permet de justifier une comparaison avec des salariés plus anciens ; qu'en l'espèce, le salarié faisait état de sa grande expérience professionnelle au service de précédents employeurs pour légitimer sa comparaison avec des salariés de la même tranche d'âge, bien qu'ayant une ancienneté plus importante dans l'entreprise ; que de son côté, l'employeur se bornait à soutenir que ces salariés étaient partis en inactivité avant lui, sans alléguer que leur expérience antérieure à l'embauche était aussi importante ; qu'en retenant cependant, pour écarter le panel établi par le salarié, et rejeter de ce fait toute discrimination salariale, que « l'expérience antérieure de ces salariés n'est pas connue », la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile.

3° ALORS, à tout le moins, QU'en statuant comme elle l'a fait, quand il était constant que les salariés du panel étaient de la même tranche d'âge que l'intéressé, ce dont il résultait qu'ils avaient nécessairement une expérience antérieure à l'embauche moins importante compte tenu de leur plus grande ancienneté, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail.

4° Et ALORS QUE la comparaison doit être menée avec des salariés placés dans une situation identique ou comparable ; qu'en se bornant à retenir qu' « en fournissant un panel de salariés embauchés à peu près en même temps que M. M... entre 1988 et 1992, l'employeur justifie que le niveau de rémunération de M. M... n'était pas inférieur à celui de la moyenne de ces salariés », sans caractériser en quoi les salariés composant ce panel, qui étaient tous beaucoup plus jeunes que l'intéressé, se trouvaient dans une situation comparable à la sienne, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18-16109
Date de la décision : 09/10/2019
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 07 mars 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 09 oct. 2019, pourvoi n°18-16109


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.16109
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