LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article R. 223-32 du code de commerce, ensemble les principes qui régissent l'excès de pouvoir ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la SARL Agence Méditerranée transactions (la société AMT) a été constituée le 28 mars 2006 entre Mme B... et la société Holding H... M..., M. M... étant gérant et associé unique de cette dernière société et également gérant de la société AMT ; qu'après une expertise ordonnée en référé portant notamment sur une convention de prestations de services conclue entre la société AMT et la société Holding H... M..., Mme B... a assigné, le 18 décembre 2012, M. M..., ainsi que les sociétés AMT et Holding H... M..., en annulation de cette convention pour défaut de cause, en réparation du préjudice causé à la société AMT et en paiement de dommages-intérêts pour abus de majorité, demandant préalablement la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de représenter la société AMT ;
Attendu qu'après avoir écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de Mme B..., l'arrêt retient qu'il existe un conflit d'intérêt entre la société AMT et son représentant légal, au sens de l'article R. 223-32 du code de commerce, et, avant-dire droit, désigne un mandataire ad hoc avec mission de représenter la société AMT dans le cadre de l'instance ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle ne pouvait se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la société AMT tant que cette société n'était pas régulièrement représentée dans l'instance, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il déclare la demande de Mme B... non prescrite, l'arrêt rendu le 8 juin 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne Mme B... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit septembre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour M. M... et la société Holding H... M...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré la demande de Madame B... non prescrite, D'AVOIR constaté l'existence d'un conflit d'intérêt entre la société AMT et son représentant légal, Monsieur M..., et D'AVOIR désigné Maître N... T..., mandataire judiciaire, en qualité de mandataire ad hoc avec mission de représenter la société AMT dans le cadre de la présente instance et de prendre toutes dispositions utiles à cette fin ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « sur la prescription de l'action intentée par Madame B... : les appelants opposent à Madame B... la prescription triennale édictée par les articles L. 223-23 et L. 235-9 du code de commerce ; le premier de ces textes dispose que les actions en responsabilité prévues aux articles L. 223-19 (responsabilité du gérant en cas de conventions non approuvées préjudiciables à la société) et L. 223 -22 (responsabilité du gérant pour violation des statuts ou des dispositions législatives et réglementaires applicables aux SARL et pour fautes de gestion) se prescrivent par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation ; le second de ces textes édicte également une prescription triennale pour les actions en nullité de la société ou d'actes et délibérations postérieurs à sa constitution ; il ressort des écritures de l'intimée que si cette dernière fait état de l'irrégularité de la procédure d'autorisation par l'assemblée générale de la convention conclue entre les sociétés AMT et HOLDING H... M..., elle précise expressément agir à titre principal en nullité de la convention litigieuse sur le fondement de l'article 1131 du code civil ; la prescription édictée par l'article L. 223-23 applicable aux actions en responsabilité n'est pas applicable à la demande principale en nullité de la convention ; la prescription édictée par l'article L. 235-9 n'est pas non plus applicable en ce que l'action en nullité formée par Madame B... est fondée non pas sur une irrégularité de la délibération ayant autorisé la convention mais sur un vice intrinsèque à la convention elle-même ; la demande principale de Madame B... est donc soumise à la prescription quinquennale édictée par l'article 1304 du code civil ; Madame B... semble cependant invoquer à titre subsidiaire, à l'appui de sa demande en confirmation du jugement, la responsabilité de Monsieur M... en concluant dans les termes suivants : « Même si la cour se refusait à confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a prononcé la nullité de la convention litigieuse en considérant que Madame B... n'a pas qualité pour la demander, la cour devrait quoi qu'il en soit confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a sanctionné l'attitude fautive de Monsieur M..., constitutive sans nul doute d'un abus de biens sociaux et d'une fraude aux intérêts du fisc et des organismes sociaux » ; la demande de condamnation présentée sur ce fondement subsidiaire tombe alors sous le coup de la prescription édictée par l'article L. 223-23 du code de commerce ; concernant le point de départ de la prescription applicable en l'espèce, il y a lieu de rechercher à quelle date Madame B... a pu avoir connaissance de la convention litigieuse ; il n'est aucunement démontré par les appelants que Madame B... aurait eu connaissance de cette convention antérieurement au 14 juin 2010, date de la convocation qui lui a été adressée pour l'assemblée générale annuelle de la SARL AMT accompagnée du rapport spécial établi par la gérance en application des dispositions de l'article L. 223-19 du code de commerce, mentionnant que depuis 2006 la société AMT a confié à la société HOLDING H... M... diverses prestations de service notamment celles relatives au management et l'aide à l'administration financière, commerciale, industrielle, mobilière et immobilière et que pour l'armée 2009, le montant des prestations s'élevait à 120.000 € HT ; il est constant que cette convention, appliquée dès la constitution de la société le 28 mars 2006, n'a pas été soumise à l'approbation préalable de l'assemblée prévue par l'article L. 223-19 alinéa 2 du code de commerce ; les procès-verbaux des assemblées générales ordinaires annuelles des 27 juin 2007, 11 février 2008 et 30 juin 2009 comportent une troisième résolution adoptée sur la base d`une formule type rédigée comme suit : « L'assemblée générale après avoir entendu la lecture du rapport spécial de la gérance sur les conventions visées à l'article L. 223-19 du code de commerce approuve chaque convention qui y est mentionnée, l'associé intéressé ne prenant pas part au vote conformément à la loi » ; ces trois procès-verbaux comportent la signature de Madame B..., qui a également signé les feuilles de présence concernant ces assemblées ; il résulte cependant des explications données à l'expert judiciaire par les parties ainsi que par Monsieur Q..., expert-comptable de la société AMT, que les assemblées générales des 27 juin 2007, 11 février 2008 et 30 juin 2009 ne se sont pas tenues, aucune convocation n'étant adressée, de même qu'aucun des documents qui auraient dû y être annexés, et que Madame B... a simplement signé les procès-verbaux et feuilles de présence qu'on lui faisait parvenir ; Madame B... conteste avoir eu connaissance des rapports spéciaux de la gérance relatifs à la convention litigieuse pour les exercices 2006 à 2008 ; les rapports spéciaux produits par les appelants en annexe aux procès3 verbaux des assemblées générales précitées ne sont pas paraphés par Madame B..., laquelle produit un exemplaire d'un rapport spécial non signé qui lui aurait été remis par l'expert-comptable avec les documents relatifs aux comptes 2008 et qui mentionne que hormis la rémunération du gérant, aucune autre convention n'a été conclue entre les associés et la société ; ce document est différent de celui produit par les appelantes pour la même période et qui mentionne la convention de facturation fixée entre la société AMT et la société HJS au titre de son intervention en tant que prestataire de services (interventions techniques) management et administration pour un montant de 42.000 € HT au titre de l'exercice 2008 ; ainsi que le conclut l'expert judiciaire, il n'est donc pas établi que Madame B... a pu avoir connaissance de la convention litigieuse par la seule signature des procès-verbaux d'assemblée générale, les premiers juges ayant retenu à juste titre que ces procès-verbaux rédigés en termes généraux concernant les conventions réglementées ne comportaient aucune référence précise permettant d'attirer l'attention de Madame B... sur l'existence d'une convention entre la société AMT et l'associé majoritaire ; l'appréciation des premiers juges sera en conséquence confirmée en ce que le point de départ de la prescription applicable ne peut être antérieur au 14 juin 2010, date de la convocation à l'assemblée générale du 30 juin 2010 ; aux termes de l'article 2239 du code civil, la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. Le délai de prescription recommence à courir pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois à compter du jour où la mesure a été exécutée ; en l'espèce, il a été fait droit à une demande de mesure d'expertise par ordonnance de référé du 15 mars 2011, date à laquelle la prescription en cours depuis le 14 juin 2010 a été suspendue, le cours de la prescription ayant repris le 23 octobre 2012 date du dépôt du rapport de l'expert ; il en résulte qu'à la date de l'assignation le 18 décembre 2012, ni la prescription quinquennale applicable à la demande en nullité de la convention, ni la prescription triennale applicable à une action en responsabilité du gérant n'étaient acquises ; sur la demande en désignation d'un mandataire ad hoc : aux termes de l'article R. 223 -32 du code de commerce, lorsque l'action sociale est intentée par un ou plusieurs associés (
) le tribunal ne peut statuer que si la société a été régulièrement mise en cause par l'intermédiaire de ses représentants légaux ; le tribunal peut désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société dans l'instance, lorsqu'il existe un conflit d'intérêt entre celle-ci et ses représentants légaux ; en l'espèce la société AMT est représentée à l'instance par son gérant Monsieur H... M..., qui est lui-même partie à la procédure à titre personnel et en qualité de gérant de la SARL HOLDING H... M... ; Monsieur M... et ses deux sociétés adoptent une position commune pour s'opposer à l'action de Madame B..., même si un changement de conseil est intervenu en fin de procédure, sans incidence sur la position de la société AMT, qui continue à s'exprimer par la voix de Monsieur M... ; L'objet du litige est la remise en cause d'une convention de gestion qui a permis à Monsieur M... de percevoir, par l'intermédiaire de sa société HOLDING H... M..., une rémunération, alors qu'il n'a perçu par ailleurs au titre de la rémunération directe de ses fonctions de gérant de la société AMT que des montants minimes, destinés selon l'expert-comptable de la société à couvrir les CSG et CRDS ; il existe en conséquence un conflit d'intérêt certain entre la société AMT et son représentant légal, au sens de l'article R. 223-32 ; la désignation d'un mandataire ad hoc est d'autant plus justifiée que les appelants opposent à l'intimée un défaut de qualité à agir, soutenant que seule la société AMT serait recevable à agir en nullité de la convention litigieuse ; c'est à tort que les appelants soutiennent que la désignation d'un mandataire ad hoc ne serait possible qu'en cas de péril imminent et d'obstacle au fonctionnement de la société, la jurisprudence qu'ils citent étant relative à la désignation d'un administrateur provisoire, sans rapport avec le présent litige ; il sera en conséquence fait droit à la demande de désignation d'un mandataire ad hoc, comme il sera dit au dispositif, toutes autres demandes des parties étant réservées ainsi que les dépens » (arrêt pp. 7 à 9) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'« il convient de constater que, même si la prescription contre les actes de la société avait été acquise, la demanderesse fonde sa prétention sur les dispositions de l'article 1131 du code civil relatif à la cause de l'obligation et que c'est par conséquent le fondement de la convention elle-même qui est querellé, et on pas seulement la procédure de son adoption par la société ; ce fait a pour conséquence que, contrairement à ce que plaident les défendeurs, et comme l'a arrêté la cour d'appel d'AIX EN PROVENCE le 5 septembre 2005 et la troisième chambre de la Cour de cassation le 10 mai 2007, c'est alors la prescription de droit commun qui trouve à s'appliquer et non celle, plus courte, de l'article 1844-14 du code civil ; en effet, et ainsi que la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu l'arrêter le 3 avril 2013, la prescription triennale prévue par l'article L. 223-23 du code de commerce pour l'action en responsabilité intentée contre le gérant de SARL ne s'applique pas aux actions tendant à l'annulation d'une convention réglementée, pour fraude, cause illicite ou plus généralement violation des lois ou principes régissant la nullité des contrats ; en conséquence de ce qui précède, il y a lieu de dire non prescrite l'action de la demanderesse » (jugement, p. 10) ;
ALORS QUE 1°) commet un excès de pouvoir, le juge qui méconnaît l'étendue de son pouvoir de juger, en statuant sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en nullité d'une convention conclue par une société, avant de constater qu'il existe un conflit d'intérêt entre cette société et son représentant légal, justifiant la désignation d'un mandataire ad hoc et de renvoyer l'affaire pour être jugée en présence de ce dernier ; que la cour d'appel a constaté qu'il existait un conflit d'intérêt entre la société AMT et son représentant légal, Monsieur M..., au sens de l'article R. 223-32 du code de commerce, et désigné Maître T... en qualité de mandataire judiciaire ad hoc avec mission de représenter la société AMT dans le cadre de la présente instance et de prendre toutes dispositions utiles à cette fin, avant de renvoyer l'affaire à la mise en état ; que la cour d'appel a néanmoins, en l'absence de ce mandataire ad hoc, cru pouvoir d'ores et déjà statuer sur la fin de non-recevoir opposée à l'action en nullité de la convention conclue entre la société AMT et la société HOLDING H... M..., dont Monsieur M... est également le gérant ; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait que la solution du litige supposait qu'un mandataire ad hoc soit nommé pour représenter la société AMT, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir, en violation des articles 3, 5, 14, 16 et 122 du code de procédure civile ;
ALORS QUE 2°) l'action en nullité d'un acte pour défaut de cause se prescrit par cinq ans à compter de la conclusion de l'acte ; que, pour dire non prescrite l'action de Madame B... en nullité pour absence de cause de la convention litigieuse, la cour d'appel a fixé le point de départ de la prescription applicable à cette action, dont elle constatait qu'elle se prescrivait par application de l'article 1304 du code civil, à la date à laquelle elle a estimé que Madame B... avait pu avoir connaissance de la convention litigieuse ; qu'en statuant ainsi, quand le point de départ de la prescription attachée à l'action en nullité est la date de conclusion de cette convention, la cour d'appel a violé l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.