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26/06/2019 | FRANCE | N°18-14868

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 26 juin 2019, 18-14868


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. K... a été embauché par la société Reuters Monitor GIE, devenue la société Thomson Reuters France (TRF), désormais dénommée société Refinitiv France, à compter du 1er décembre 1992 en qualité de technicien ; qu'à compter de 2004, il a été investi de différents mandats électifs et syndicaux ; qu'estimant être victime de discrimination en raison de son activité syndicale de la part de la société TRF, le salarié s'est constitué partie civile le 8 novembre 20

13 devant le juge d'instruction qui, le 31 juillet 2017, a convoqué l'employeur en...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. K... a été embauché par la société Reuters Monitor GIE, devenue la société Thomson Reuters France (TRF), désormais dénommée société Refinitiv France, à compter du 1er décembre 1992 en qualité de technicien ; qu'à compter de 2004, il a été investi de différents mandats électifs et syndicaux ; qu'estimant être victime de discrimination en raison de son activité syndicale de la part de la société TRF, le salarié s'est constitué partie civile le 8 novembre 2013 devant le juge d'instruction qui, le 31 juillet 2017, a convoqué l'employeur en qualité de témoin assisté ; que, le 20 janvier 2014, il a saisi la juridiction prud'homale ;

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen ci-après annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le deuxième moyen :

Vu l'article 4 du code de procédure pénale ;

Attendu que pour rejeter la demande de sursis à statuer jusqu'à l'issue de la procédure pénale engagée par le salarié qui faisait l'objet d'une information judiciaire et pour condamner l'employeur à payer une certaine somme à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale, l'arrêt retient que la plainte avec constitution de partie civile pour discrimination syndicale ne vise qu'une partie des faits fondant l'action prud'homale, qu'en outre, la définition de la discrimination syndicale selon les articles 225-1 et 225-2 du code pénal diffère de celle du code du travail et que les règles probatoires ne sont pas les mêmes ;

Qu'en statuant ainsi, alors d'une part que la constitution de partie civile visait les articles L. 1241-5 et L. 1246-2 du code du travail, d'autre part que les faits qu'elle retenait, après les avoir examinés dans leur ensemble, pour estimer qu'ils faisaient présumer l'existence d'une discrimination étaient pour partie les mêmes que ceux visés par cette constitution de partie civile, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la procédure pénale engagée par M. K... à l'encontre de la société Thomson Reuters, et faisant l'objet de la procédure d'information judiciaire suivie au tribunal de grande instance de Paris sous le numéro 13 312 000 071 et condamne la société Thomson Reuters France à payer à M. K... la somme de 70 000 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination syndicale, l'arrêt rendu le 23 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens afférents à son pourvoi ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six juin deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Refinitiv France

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il s'est déclaré compétent pour connaître du litige, d'AVOIR réformé le jugement pour le surplus, d'AVOIR constaté que les juridictions administratives ont définitivement statué sur le caractère non-discriminatoire des refus opposés aux demandes de mutation dans l'entreprise par M. K... entre 2005 et 2011 inclus, d'AVOIR retenu sa compétence pour statuer sur les autres éléments de fait présentés par M. K... au titre d'une discrimination syndicale, d'AVOIR dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la procédure pénale engagée par M. K... à l'encontre de la société Thomson Reuters et faisant l'objet de la procédure d'information judiciaire suivie au tribunal de grande instance de Paris sous le numéro 13 312 000 071 et d'AVOIR condamné la société Thomson Reuters France à payer à M. K... la somme de 70.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale ;

SANS MOTIF

ALORS QU' il entre dans la mission du juge de concilier les parties ; qu'en conséquence, le juge qui a proposé aux parties une médiation et recueilli leur accord avant de statuer sur le fond est tenu d'ordonner cette mesure de médiation ; qu'en l'espèce, il ressort du registre d'audience de la cour d'appel du 5 octobre 2017, qu'à l'issue des débats, la cour d'appel a proposé aux parties une mesure de médiation, en présence du médiateur, M. C... ; que M. K... et la société Thomson Reuters France ont informé la cour d'appel, par la voie du RPVA, respectivement le 13 octobre et le 18 octobre 2017 qu'ils acceptaient cette mesure de médiation ; que, bien qu'ayant recueilli l'accord des parties à une mesure de médiation qu'elle avait elle-même proposée, la cour d'appel n'a pas ordonné cette mesure de médiation, mais a rendu, à l'audience du 23 novembre 2017, une décision statuant sur le fond du litige, sans même faire mention de sa proposition, ni expliquer les raisons pour lesquelles elle n'a pas ordonné la mesure de médiation acceptée par les parties ; qu'elle a en conséquence violé les articles 21 et 131-1 du code de procédure civile.

DEUXIÈ

ME MOYEN DE CASSATION :
, SUBSIDIAIRE

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la procédure pénale engagée par M. K... à l'encontre de la société Thomson Reuters France et faisant l'objet de la procédure d'information judiciaire suivie au tribunal de grande instance de Paris sous le numéro 13 312 000 071 et d'AVOIR condamné la société Thomson Reuters France à payer à M. K... la somme de 70.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale ;

AUX MOTIFS QUE « Par application de l'article 4 du code de procédure pénale, l'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique. Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement. La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil. Si M. K... a déposé le 08 novembre 2013 auprès du doyen des juges d'instruction de Paris une plainte avec constitution de partie civile pour discrimination syndicale, celle-ci ne vise qu'une part des faits fondant l'action prud'homale. En outre, la définition de la discrimination syndicale selon les articles 225-1 et 225-2 du code pénal diffère de celle du code du travail. Les règles probatoires ne sont non plus pas les mêmes. En conséquence, il n'y a pas lieu de surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la procédure pénale » ;

1. ALORS QUE selon l'article 4 du code de procédure pénale, le juge civil saisi d'une demande tendant à la réparation du préjudice causé par une infraction doit surseoir à statuer tant qu'il n'a pas été définitivement statué sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement ; qu'en conséquence, lorsque le salarié a déposé plainte avec constitution de partie civile pour des faits de discrimination syndicale, le juge prud'homal qui est saisi de la demande du salarié tendant à la réparation du préjudice subi en raison de faits de discrimination syndicale doit surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la procédure pénale, dès lors que ces deux procédures reposent en tout ou partie sur les mêmes faits ; qu'en l'espèce, il est constant que M. K... a déposé plainte avec constitution de partie civile pour des faits de discrimination syndicale prétendument commis par la société Thomson Reuters France et a parallèlement saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant à la réparation, par la société Thomson Reuters France, du préjudice résultant de faits de discrimination syndicale prétendument commis par cette dernière ; que les deux parties ont demandé à la cour d'appel, saisie de l'appel du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de surseoir dans l'attente de l'issue de la procédure pénale ; qu'en refusant de surseoir à statuer, au motif inopérant que la plainte avec constitution de partie civile pour discrimination syndicale déposée par M. K... ne vise qu'une partie des faits fondant son action prud'homale visant à l'octroi de dommages et intérêts pour discrimination syndicale, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure pénale ;
2. ALORS, EN TOUTE HYPOTHÈSE, QUE dans sa plainte avec constitution de partie civile, M. K... invoque un blocage de son évolution professionnelle, un « cantonnement dans un secteur d'activité dénommé Risk » ayant pour objectif « de se débarrasser [de lui] en le transférant à une autre entité », le refus de l'inspecteur du travail d'autoriser le transfert de son contrat à la société qui a repris l'activité « Risk » à laquelle son emploi était rattaché, un « passage à la hotline » modifiant ses conditions de travail, l'absence de reclassement après le refus de l'inspecteur du travail, le fait que sa situation ait été qualifiée d' « anomalie » lors d'une présentation de l'organisation interne de l'entreprise à l'ensemble des salariés après le transfert de l'activité « Risk » et que son appartenance au syndicat FO ait alors été mentionné ; qu'en affirmant, pour refuser de surseoir à statuer, que cette plainte avec constitution de partie civile ne vise qu'une partie des faits fondant l'action prud'homale, sans préciser quels faits n'étaient pas visés dans cette plainte pénale sur lesquels elle aurait pu se prononcer sans attendre l'issue de la procédure pénale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 4 du code de procédure pénale ;

3. ALORS QUE la discrimination syndicale définie par les articles L. 2141-5 à L. 2141-8 du code du travail constitue une infraction punie par l'article L. 2146-2 du code du travail ; que par ailleurs le juge d'instruction est saisi in rem, c'est-à-dire des faits visés par le réquisitoire introductif d'instance ou la plainte avec constitution de partie civile, indépendamment de leur qualification ; qu'au surplus, dans sa plainte avec constitution de partie civile, M. K... invoquait l'existence de faits de discrimination syndicale au sens des articles 225-1 à 225-4 du code pénal et des articles L. 2141-1 et L. 2146-2 du code du travail ; que, de même, le réquisitoire introductif d'instance pris par le Procureur de la République vise les délits prévus et réprimés par les articles L. 2141-5 à L. 2141-8 et L. 2146-2 du code du travail ; qu'en retenant, pour refuser de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale engagée, que la définition de la discrimination syndicale selon les articles 225-1 et 225-2 du code pénal diffère de celle du code du travail, cependant que les faits sur lesquels portent la procédure pénale peuvent donner lieu à la reconnaissance d'une infraction de discrimination au sens de l'article L. 2141-5 du code du travail, la cour d'appel s'est fondée sur un motif inopérant et a violé les articles 4 et 80 du code de procédure pénale ;

4. ALORS, ENFIN, QUE lorsque l'action publique a été mise en mouvement sur des faits susceptibles de constituer une infraction, le juge civil est tenu de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale dès lors que l'action dont il est saisi vise à la réparation du dommage causé par l'infraction, peu important que les règles de preuve applicables en matière pénale et en matière civile soient différentes ; qu'en retenant encore, pour refuser de surseoir à statuer, que les règles probatoires ne sont pas les mêmes en matière pénale et en matière prud'homale, la cour d'appel a encore violé l'article 4 du code de procédure pénale.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
, INFINIMENT SUBSIDIAIRE

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Thomson Reuters France à payer à M. K... la somme de 70.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale ;

AUX MOTIFS QU'« en application de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1 er de la loi no 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de ses activités syndicales. Il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement, et il incombe à l'employeur qui conteste le caractère discriminatoire d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. En premier lieu, M. Y... D..., Principal Consultant, écrivait le 19 juin 2008, à M. K... : "Compte tenu de l'absence de souplesse de ton emploi du temps syndical (bien que je t'aie informé de l'importance de participer à la journée du 24 pour Nexane, tu m'annonces que tu devras t'absenter de 13H à 15H), je te demande de rectifier les autorisations sur ton calendar au plus vite" (...)"11 nous semble à O... et à moi que soit tu n'as pas encore compris l'incidence de nos actions sur notre parc clientèle soit ton organisation personnelle et ton engagement ne sont pas compatibles avec le métier de consultant tels que nos clients et nous même le concevons". D'autre part, M. K... qui avait été nommé Consultant au Service BU Risk en 2002, puis Consultant senior en 2009, s'est plaint par courrier du 18 mars 2010 à l'inspection du travail d'avoir été affecté dans un service « Support » nouvellement créé chargé d'apporter un support avant tout téléphonique aux clients. La direction du service BU Risk lui a demandé de rejoindre ce groupe de sept personnes deux jours par semaine, puis de façon permanente, cet emploi consistant à répondre au téléphone, visiter les clients et faire des formations, mais non plus à exercer l'activité de consultant dans les conditions où il les exerçait auparavant. Un échelon hiérarchique intermédiaire était rajouté à la tête de ce nouveau service. Sur l'organigramme, ce nouveau service "Support" était positionné en marge du service BU Risk, et M. K... ne faisait plus partie de la liste des "consultants KTP" (pièce 43 de l'appelant). La direction indiquait le 24 janvier 2012 à l'inspection du travail, que cette affectation de M. K... à la "hotline" ne constituait qu'une modalité de ses conditions de travail, dans le cadre de ses fonctions de Consultant Senior qui n'impliquaient pas nécessairement de déplacements réguliers auprès de la clientèle. Il n'en demeure pas moins que cette nouvelle affectation modifiait de fait le contenu des fonctions de l'intéressé, et qu'il était le seul consultant en activité à avoir été affecté à ce service. En troisième lieu, Mme B... M..., salariée au service Support Risk, atteste que le 08 juin 2011 M. O... P..., Responsable du service Risk lui a dit suffisamment fort pour être entendu par le groupe, "Donne du boulot à W....... il fout rien.... c'est un syndicaliste". Enfin, plusieurs salariés attestent de ce que lors de la réunion du personnel du 12 mars 2012, dans l'auditorium et en présence des autres salariés, M. Q... J... Président Directeur Général de Thomson Reuters France a évoqué la vente du BU Risk, a nommé M. K... en le désignant de la main dans la salle, et a indiqué que tous les salariés de la BU Risk avaient été transférés le 01.02.2012, sauf M. K..., ce qui constituait une "bizarrerie", et une "anomalie", en le répétant plusieurs fois. Il ajoutait qu'il n'y avait pas de raison qu'il ne soit pas transféré, et qu'actuellement, il ne travaillait pas, qu'il aurait fallu qu'il conteste personnellement la décision de l'inspecteur du travail, qu'il ne l'a pas fait, et que la direction allait rapidement régler cette situation. En même temps, était présentée sur écran une fiche intitulée "Vente de la BU Risk", et versée aux débats, mentionnant "Transfert de l'ensemble des employés, à l'exception de W... K..., FO". L'appelant a donc fait l'objet à plusieurs reprises, en présence d'autres salariés, de paroles ou d'écrits laissant entendre que sa qualité de syndicaliste gênait son efficacité ou son intégration dans l'entreprise. Enfin, entre le 1er février 2012 date du refus de transfert de l'inspecteur du travail, et le 19 août 2012, date du transfert effectif, M. K... a été totalement dispensé d'activité, sa rémunération lui étant maintenue. Il a donné son accord par écrit à cette dispense d'activité, en y apposant la mention manuscrite "bon pour accord". L'entreprise l'a reçu en entretien de reclassement le 17 février 2012, pour faire un bilan de ses compétences et de ses recherches, et dégager des pistes de reclassement. M. K... a postulé sur 5 postes au sein de l'entreprise, mais sa candidature n'a pas été retenue. La direction des ressources humaines lui a proposé le 06 avril 2012 un poste de Spécialiste Client Corporates situé [...] , pour un salaire annuel de 45.000 euros bruts, outre une rémunération variable de 9.000 euros pour 100 % d'objectifs atteints. Elle lui a également proposé un poste de Spécialiste Clients Grands Comptes au Luxembourg, pour un salaire annuel de 50.000 euros payable sur 13,85 mois, outre une rémunération variable de 11.000 euros pour 100% d'objectifs atteints. M. K... a refusé ces deux propositions au motif qu'elles correspondaient à une diminution de moitié de son salaire, puisqu'il avait perçu en 2011 un salaire brut total de 94.022,18 euros. La société Thomson Reuters France comptait au 31.12.2011, un total de 384 cadres en CDI (bilan social 2011). Elle ne rapporte pas la preuve qu'elle ne pouvait proposer à M. K..., qui disposait depuis 2008 d'un master II en Management Financier International, un poste compatible avec ses aptitudes et son niveau de formation, avec une rémunération équivalente à celle qu'il percevait auparavant. Ces éléments sont susceptibles de caractériser une atteinte à l'égalité de traitement. L'employeur ne rapporte pas la preuve que l'affectation au service de la "hotline en 2010, et le défaut de reclassement de février à août 2012 étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. En revanche, le salarié ne rapporte pas la preuve qu'en ne le convoquant pas à un entretien de deuxième partie de carrière avant son départ de l'entreprise, l'employeur a violé l'accord d'entreprise du 30 novembre 2009 en faveur de l'emploi des salariés âgés, puisque si cet accord prévoyait que les salariés de 45 ans et plus bénéficieraient d'un entretien la première fois après le 45 ème anniversaire, et par la suite tous les 5 ans, il permettait à l'employeur d'échelonner ces entretiens dans le temps jusqu'à la fin 2012. Il ne résulte pas des pièces du dossier qu'il ait eu à solliciter l'autorisation de la direction des ressources humaines pour accomplir ses heures de délégation. D'autre part, M. K... ne justifie d'aucune stipulation conventionnelle qui obligerait l'employeur à faire progresser automatiquement les salariés en fonction de leur ancienneté. Enfin, il n'établit par aucune pièce qu'il a eu une évolution de salaire plus défavorable que les consultants ayant la même ancienneté que lui dans le poste. Le préjudice subi par M. K... du fait de la discrimination syndicale ne saurait être évalué sur la base des salaires qu'il aurait dû percevoir s'il avait obtenu le poste pour lequel il s'est porté en vain candidat en 2005, puisqu'il a été définitivement jugé par les juridictions administratives que ces rejets de candidature n'avaient pas de caractère discriminatoire. Il convient en conséquence de fixer son préjudice de façon forfaitaire, à la somme de 70.000 euros au regard des éléments ci-dessus développés, et de son ancienneté importante dans l'entreprise. La créance de M. K... ayant une nature indemnitaire et non pas salariale, elle n'ouvre pas droit à congés payés. Cette demande sera rejetée » ;

1. ALORS QUE seuls des éléments de fait établis, précis et concordants peuvent laisser supposer l'existence d'une discrimination ; qu'en l'espèce, la société Thomson Reuters France soutenait que l'affectation de M. K... au service dénommé « Global Client Service », dans lequel il était appelé notamment à répondre aux demandes des clients par téléphone n'avait pas modifié ses fonctions, qui consistaient à répondre aux demandes des clients, non pas seulement dans le cadre de rendez-vous physiques, mais aussi par téléphone en fonction de leurs besoins et de l'organisation interne des équipes ; qu'en se bornant à affirmer que l'affectation de M. K... dans ce service, en 2010, modifiait de fait le contenu de ses fonctions, sans préciser la nature de ces fonctions, ni expliquer en quoi de telles fonctions impliquaient nécessairement une présence physique dans les locaux des clients, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;

2. ALORS QUE le juge est tenu de viser et d'analyser, même sommairement, les éléments de preuve sur lesquels il se fonde ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que, selon les explications de M. K... luimême, le service chargé d'apporter un support téléphonique aux clients était composé de sept personnes ; qu'en retenant encore, pour dire que son affectation à ce service était susceptible de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement, que M. K... était le seul consultant en activité à avoir été affecté à ce service, sans préciser sur quel élément de preuve elle fondait une telle affirmation, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile 4. ALORS QUE le juge est tenu de s'expliquer sur les éléments invoqués par l'employeur pour démontrer que les faits qui lui sont reprochés sont étrangers à toute discrimination ; qu'en l'espèce, la société Thomson Reuters France soutenait que M. K... avait accepté la mesure de dispense d'activité qu'elle lui avait proposée à la suite du refus de l'inspecteur du travail d'autoriser le transfert de son contrat, dans l'attente du recours exercé contre cette décision et de l'identification d'une solution de reclassement susceptible de lui convenir (pièces n° 7 et 8) ; que la cour d'appel, qui a elle-même relevé que M. K... avait donné son accord par écrit à cette dispense d'activité, avec maintien de salaire, n'a cependant pas recherché si cette dispense d'activité rémunérée que le salarié avait acceptée ne démontrait pas que l'absence de reclassement effectif du salarié entre février 2012 et août 2012 était étrangère à son appartenance ou ses activités syndicales ; qu'elle a en conséquence privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;

5. ALORS QUE le juge est tenu de s'expliquer sur les éléments invoqués par l'employeur pour démontrer que les faits qui lui sont reprochés sont étrangers à toute discrimination ; que la société Thomson Reuters France soutenait, dans ses conclusions d'appel (not. p. 4 ; p 5, al. 3 ; p. 18, al. 4 à 6), qu'elle avait activement recherché des solutions de reclassement pendant la période de dispense d'activité, en organisant divers entretiens avec M. K... pour connaître ses souhaits (pièce n° 28) et en lui proposant plusieurs postes adaptés à ses compétences et ses souhaits d'évolution ; qu'elle expliquait également que la rémunération des postes susceptibles de correspondre au profil et aux souhaits de M. K... n'était pas équivalente à celle que M. K... percevait dans son poste dans l'ancienne entité Risk eu égard à son expérience dans ce poste et qu'elle ne pouvait, sauf à créer une différence de traitement injustifiée, lui accorder une rémunération supérieure à celle des collaborateurs occupant des postes similaires à ceux proposés (pièce n° 41, 42, 43, 44, 45) ; qu'en se bornant à affirmer que la société Thomson Reuters France, qui comptait un total de 384 cadres au 31 décembre 2011 ne rapporte pas la preuve qu'elle ne pouvait pas proposer à M. K... un poste compatible avec ses aptitudes et son niveau de formation, avec une rémunération équivalente à celle qu'il percevait auparavant, sans s'expliquer sur les recherches de reclassement établies par les pièces versées aux débats et le fait que le salaire des postes sur lesquels le salarié souhaitait être reclassé ne correspondait pas à sa rémunération antérieure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;

6. ALORS QUE le principe de la réparation intégrale du préjudice interdit au juge à procéder à une évaluation forfaitaire du préjudice ; qu'après avoir relevé qu'en décidant d'évaluer de « manière forfaitaire » à la somme de 70.000 euros le préjudice subi par M. K... « au regard des éléments ci-dessus développés, et de son ancienneté importante dans l'entreprise », la cour d'appel a violé des articles L. 2141-5 et 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

7. ALORS, EN TOUTE HYPOTHÈSE, QUE le juge est lié par l'objet du litige fixé par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, M. K... demandait, au titre de l'indemnisation du préjudice résultant de la discrimination, le paiement d'une somme « représentant les rémunérations supplémentaires qu'il aurait perçues entre 2005 et 2012 s'il avait obtenu le poste auquel il s'est porté candidat en 2006 », ainsi que les « congés payés afférents » (arrêt, p. 4, § 1) et ne sollicitait pas l'octroi de dommages et intérêts distincts en réparation d'un préjudice moral ; que la cour d'appel a elle-même constaté qu'il n'était pas établi que M. K... aurait dû bénéficier d'une progression automatique à l'ancienneté et que son salaire aurait évolué de manière moins favorable que celui des consultants ayant la même ancienneté ; qu'elle a également relevé que le préjudice invoqué par M. K... ne pouvait être évalué sur la base des salaires qu'il aurait perçus s'il avait obtenu le poste sur lequel il s'est porté candidat en 2005, le rejet de sa candidature à ce poste ne présentant pas un caractère discriminatoire ; qu'il en résulte qu'aucune discrimination dans l'évolution de la carrière et la rémunération du salarié n'était caractérisée et que le salarié ne pouvait en conséquence prétendre à la réparation d'un préjudice de nature salariale résultant de son évolution professionnelle, comme il le demandait ; qu'en condamnant néanmoins la société Thomson Reuters France à payer à M. K... la somme de 70.000 euros en réparation du préjudice résultant des faits de discrimination qu'elle a retenus, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18-14868
Date de la décision : 26/06/2019
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 23 novembre 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 26 jui. 2019, pourvoi n°18-14868


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.14868
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