LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° V 19-80.088 F-P+B+I
N° 1194
SM12
18 JUIN 2019
CASSATION SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :
CASSATION SANS RENVOI sur le pourvoi formé par M. P... N..., contre l'arrêt de la cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, en date du 12 novembre 2018, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de diffamation publique envers un corps constitué, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 21 mai 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de la société civile professionnelle CÉLICE, SOLTNER, TEXIDOR et PÉRIER, avocat en la Cour et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY ;
Vu le mémoire personnel et le mémoire en défense produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la diffusion à de nombreux destinataires d'une lettre ouverte de M. N..., expert-comptable, secrétaire national du syndicat formation et développement CFE-CGC, le conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables, représenté par le conseil régional de l'ordre des experts-comptables des Pays de Loire, a porté plainte et s'est constitué partie civile, en raison de plusieurs passages de ce texte qui, selon la plainte, imputaient au conseil régional une discrimination raciale par refus de l'inscription d'un candidat d'origine ivoirienne, du chef de diffamation publique envers ledit conseil régional, au visa des articles 29 et 31, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; que le juge d'instruction a renvoyé, du chef de diffamation publique envers un corps constitué, le conseil régional de l'ordre des experts-comptables des Pays de Loire, M. N... devant le tribunal correctionnel, qui l'a relaxé ; que la partie civile a relevé appel de ce jugement ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 2 et 497 du code de procédure pénale :
Vu l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
Attendu qu'en matière de délits de presse, l'acte initial de poursuite fixe définitivement et irrévocablement la nature, l'étendue et l'objet de la poursuite, ainsi que les points sur lesquels le prévenu aura à se défendre ; qu'il s'ensuit que les propos poursuivis comme diffamatoires à l'égard d'une personne ne peuvent emporter condamnation en tant qu'ils comportent également des imputations en visant une autre ;
Attendu que, pour infirmer le jugement sur les intérêts civils, l'arrêt retient une faute civile caractérisée par l'allégation de faits contraires à l'honneur ou à la considération non seulement du conseil régional de l'ordre des experts-comptables des Pays de Loire mais aussi du conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'elle n'était saisie par la plainte avec constitution de partie civile que de diffamation publique envers le conseil régional de l'ordre des experts-comptables des Pays de Loire, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Et sur le moyen relevé d'office pris de la violation de l'article 30 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la possibilité de soulever ce moyen ayant été évoquée dans le rapport :
Attendu que ne peuvent agir en diffamation sur le fondement de ce texte que les corps constitués ayant une existence légale permanente auxquels la Constitution ou les lois ont dévolu une portion de l'autorité ou de l'administration publique ;
Attendu que l'arrêt a retenu l'existence d'une faute civile définie à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite engagée sur le fondement de ce texte du chef de diffamation publique envers le conseil régional de l'ordre des experts-comptables des Pays de Loire ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que ledit conseil régional n'a pas reçu de la loi une portion de l'autorité ou de l'administration publique, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est également encourue ; que, n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de cassation proposé :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Angers, en date du 12 novembre 2018 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Angers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit juin deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.