LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un jugement irrévocable a condamné M. I... et Mme G... M..., son épouse, à payer à la Fondation irlandaise la somme principale de 91 476 francs (13 945,43 euros) à titre de loyers et d'indemnités d'occupation ; que Mme G... M... est nue-propriétaire en indivision avec MM. N..., Z... et Y... M..., de biens immobiliers situés à Adriers, sur lesquels Mme U... dispose d'un usufruit ; qu'en l'absence de paiement de sa créance, la Fondation irlandaise a engagé une action en licitation des biens indivis ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche, ci-après annexé :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur la seconde branche du moyen :
Vu les articles 621, 815-5, 815-17 et 1166 du code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
Attendu que le juge ne peut, à la demande du créancier personnel d'un indivisaire, ordonner la vente de la pleine propriété d'un bien grevé d'usufruit contre la volonté de l'usufruitier ;
Attendu que, pour ordonner la licitation des biens et droits immobiliers indivis appartenant aux consorts M... en qualité de nus-propriétaires et dont l'usufruit est détenu par Mme U..., l'arrêt retient que le démembrement de propriété n'interdit pas l'exercice de l'action oblique, qui n'est exercée que sur les droits de coïndivisaire en nue-propriété de Mme G... M... et que l'usufruitière verra son droit reporté sur le prix de vente ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'en énonçant que le droit de l'usufruitière serait reporté sur le prix de vente, la cour d'appel a nécessairement ordonné la licitation de la pleine propriété des biens litigieux malgré l'opposition, qu'elle constatait, de Mme U..., usufruitière, et ainsi violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne qu'aux requête, poursuites et diligences de la Fondation irlandaise, sur le cahier des conditions de vente dressé et déposé par M. N... C... et après les formalités légales par lui faites, il sera, en présence des intimés, procédé en l'audience du tribunal de grande instance de Poitiers à la vente sur licitation, en deux lots, des biens et droits immobiliers sis à Adriers, appartenant aux consorts M... en qualité de nus-propriétaires et dont l'usufruit est détenu par Mme B... U..., épouse M... :
Lot n° 1 : [...], cadastrés section : - [...] « Les Sauges » pour 3 ha 54 a - [...] « Les Gas » pour 45 a 4 ca - [...] « Les Gas » pour 1 ha 14 a 80 ca - [...] « Les Gas » pour 65 a 38 ca - [...] « Les Gas » pour 2 a 87 ca - A n° 14 « Les Gas » pour 3 ha 65 a - [...] « Le Bois de Charraud » pour 35 a 64 ca
- [...] « Le Bois de Charraud » pour 35 a 61 ca
- [...] « La Pierre Blanche » pour 3 ha 12 a 15 ca
- [...] « La Pierre Blanche » pour 1 ha 85 a 47 ca
- [...] « Prun chez Joint » pour 1 ha 24 a 36 ca
- [...] « Prun chez Joint » pour 45 a 75 ca
- [...] « Prun chez Joint » pour 84 a 72 ca
- [...] « Les Patureaux du Gas » pour 2 ha 95 a 45 ca
- [...] « La Croix du Cou » pour 2 ha 44 a 90 ca
- [...] « La Brousse » pour 3 ha 23 a 30 ca
- [...] « Les Broussonnières » pour 4 ha 58 a 18 ca
- [...] « Les Broussonnières » pour 28 a 65 ca
- [...] « Les Broussonnières » pour 7 ha 24 a 88 ca
- [...] « Les Patureaux du Gas » pour 3 ha 51 a 54 ca
- [...] « Aux Chaumettes » pour 2 ha 28 a 77 ca
- [...] « Aux Chaumettes » pour 1 ha 46 a 74 ca
- [...] « Les Vignes » pour 26 a 75 ca - [...] « Les Vignes » pour 9 a 36 ca
- [...] « Les Vignes » pour 40 a 29 ca - [...] « Les Vignes » pour 4 ha 85 a 55 ca
Lot n° 2 : [...], cadastrés section : - [...] « Le Bois de Charraud » pour 35 a 64 ca
- [...] « Le Bois de Charraud » pour 35 a 61 ca
- [...] « La Pierre Blanche » pour 1 ha 61 a 37 ca
- [...] « La Pierre Blanche » pour 46 a
- [...] « La Pierre Blanche » pour 1 ha 36 a 70 ca
- [...] « La Pierre Blanche » pour 1 ha 11 a 20 ca
- [...] « La Pierre Blanche » pour 35 a
- [...] « Prun La Bergerie » pour 35 a
- [...] « Prun La Bergerie » pour 31 a 40 ca
- [...] « Prun La Bergerie » pour 25 a
- [...] « Prun La Bergerie » pour 36 a 60 ca
- [...] « Prun La Bergerie » pour 13 a
- [...] « Prun chez Joint » pour 53 a 41 ca
- [...] « Le Champ des Noyers » pour 1 ha 84 a 65 ca
- [...] « Le Pré Neuf » pour 2 ha 64 ca 30 a
- [...] « Le Pré Neuf » pour 1 ha 1 a
- [...] « La Brousse de Lafond » pour 1 ha 53 a 36 ca
- [...] « La Croix du Cou » pour 63 a 40 ca
- [...] « Le Patural Boutaud » pour 1 ha 50 a 48 ca
- [...] « Le Patural Boutaud » pour 34 a 88 ca
- [...] « Le Patural Boutaud » pour 3 ha 88 a 92 ca
- [...] « Les Broussonnières » pour 3 ha 42 a 86 ca
- [...] « La Baraudaye » pour 2 ha 1 a 96 ca
- [...] « La Grande Effe » pour 3 ha 15 a 40 ca
- [...] « La Grande Effe » pour 3 ha 84 a 87 ca
- [...] « La Grande Effe » pour 4 ha 43 a 22 ca
- [...] « La Grande Effe » pour 6 ha 26 a
- [...] « La Grande Effe » pour 20 a 86 ca
- [...] « Les Fedais » pour 6 a 24 ca
- [...] « Les Fedais » pour 9 a 38 ca
- [...] « Les Fedais » pour 1 ha 59 a 90 ca
- [...] « Les Fedais » pour 1 ha 66 a 20 ca
- [...] « Les Fedais » pour 2 ha 59 a 32 ca
- [...] « Les Fedais » pour 8 a 18 ca
- [...] « Les Fedais » pour 3 ha 29 a 16 ca
- [...] « Les Grands Patureaux » pour 8 ha 93 a 60 ca
- [...] « La Verrerie » pour 3 ha 72 a 80 ca
- [...] « Le Bois de Chapitre » pour 1 ha 78 a 95 ca
- [...] « Prun » pour 6 a 63 ca
- [...] « Prun » pour 1 ha 2 a 70 ca
- [...] « Prun » pour 12 a 90 ca
- [...] « Prun » pour 1 ha 10 a 30 ca
- [...] « Le Patural de Maison » pour 2 ha 89 a
- [...] « Le Patural de Maison » pour 6 ha 45 a 50 ca
- [...] « Les Vignes » pour 14 a 21 ca » - [...] « Les Vignes » pour 49 a 50 ca
- [...] « Les Champs de la Barre » pour 1 ha 58 a 78 ca,
Et en ce qu'il fixe d'office la mise à prix à la somme de 130 000 euros pour chaque lot, dit qu'à défaut d'enchérisseur sur la mise à prix ci-dessus fixée il sera séance tenante procédé à la requête du poursuivant à de nouvelles enchères inférieures de un quart de la mise à prix initiale, désigne M. le Président de la chambre départementale des notaires de la Vienne (Poitiers) avec faculté de délégation pour procéder au partage du prix, l'arrêt rendu le 14 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Limoges ;
Condamne la Fondation irlandaise aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juin deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Rémy-Corlay, avocat aux Conseils, pour MM. N..., Z... et Y... M... et Mme U...
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR, ordonné qu'il soit procédé à la requête de la Fondation irlandaise, à la vente sur licitation, en deux lots, des biens immobiliers sis à Adriers (86), appartenant aux consorts M... en qualité de nus-propriétaires et dont l'usufruit est détenu par Madame B... M..., soit le lot n° 1 [...], et le lot n° 2 [...], d'AVOIR fixé d'office la mise à prix à la somme de 130.000 € pour chaque lot, et d'AVOIR dit qu'à défaut d'enchérisseur sur la mise à prix ci-dessus fixée, il serait procédé à de nouvelles enchères inférieures de 1/4 de la mise à prix initiale ;
AUX MOTIFS QUE : « Par jugement du 11/09/2001 du Tribunal d'instance de Paris M. I... et son épouse Mme G... M... ont été condamnés solidairement à payer à la Fondation irlandaise la somme de 91.476 F à titre de loyers et indemnités d'occupation échus au terme de novembre 2000 outre intérêts au taux légal à compter du 3/12/1999. Le jugement leur a été signifié le 29/08/2011. Mme G... M... est nue-propriétaire indivise avec ses frères des droits et biens immobiliers sis sur la commune d'Adriers : [...] et le [...]. Mme B... U... épouse M... est usufruitière de ces biens. Les époux I... n'ayant pas exécuté le jugement la Fondation irlandaise a fait citer les consorts M... devant le Tribunal de Grande Instance de Poitiers en 2015 aux fins précitées. (...) SUR LES CONDITIONS DE L'ACTION OBLIQUE : Aux termes de l'article 815-7 du code civil les créanciers personnels d'un indivisaire ont la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur. Aux termes de l'article 1166 ancien, applicable en l'espèce, l'exercice de l'action oblique supposait déjà l'inaction du débiteur et le fait que la négligence du débiteur compromette les droits du créancier. En l'espèce il est justifié par la Fondation irlandaise de l'ensemble des diligences qu'elle a accompli pour tenter de recouvrer sa créance : Il est constant que pendant 9 ans et 10 mois la Fondation irlandaise ne justifie pas avoir tenté de recouvrer sa créance. Toutefois, avant la date de la prescription de son titre elle justifie après avoir signifié le jugement au domicile de l'huissier des nombreuses démarches effectuées : - un procès-verbal de saisie attribution a été dressé sur les comptes des époux I... à la HSBC le 15/11/2011 qui a permis de bloquer 1.353 euros , somme qui a été adressée à l'étude après certificat de non contestation du 19/01/2012, - un commandement aux fins de saisie-vente des meubles a été dressé au domicile des époux I... qui a abouti à un procès-verbal de sursis le 15/02/2012 M. I... refusant l'ouverture de son domicile. - un procès-verbal de saisie vente avec ouverture forcée a été dressé le 8/03/2012 : la vente des meubles n'a pas été poursuivie en raison de leur faible valeur. - le 29/03/2012 un procès-verbal d'indisponibilité du certificat d'immatriculation du véhicule Jaguar appartenant à Mme I... a été dressé dénoncé à la débitrice le 4/04/2012 puis une nouvelle saisie de la carte grise de cette carte grise a été effectuée le 4/05/2014 dénoncée à Mme I... le 22/05/2014. La vente du véhicule a été suspendue en raison de la difficulté à certifier son domicile celle-ci étant partie sans laisser d'adresse. - enfin une tentative de saisie-arrêt sur les rémunérations a été déposée à l'encontre de Mme I... qui n'a pas abouti car Pôle Emploi a avisé le tribunal qu'il n'existait plus de liens de droit entre les parties. Ainsi la Fondation irlandaise fait la preuve qu'elle a tenté par tous moyens (saisie de comptes bancaires, saisie mobilière, saisie des rémunérations) d'obtenir le règlement de sa créance de M. ou Mme I..., en vain. La Fondation irlandaise apporte ainsi la preuve que sa créance est en péril puisque les époux I... ne possèdent aucun bien saisissable et n'ont jamais fait la moindre offre de paiement. S'agissant du risque de voir la valeur du bien indivis affecté par les fluctuations du marché immobilier il s'agit là d'une condition qui n'est pas opposable à la Fondation irlandaise étant rappelé que les co-indivisaires ne sont pas recevables à discuter du montant de la créance. Les conditions de recevabilité de l'action oblique sont donc remplies la Fondation irlandaise apportant la preuve de ce que la carence ou la négligence des époux I... compromettent ses intérêts. SUR LA LICITATION : Pour s'opposer à la demande de licitation les consorts M... opposent à l'appelante les droits de l'usufruitière. Il est rappelé qu'aux termes de l'article 1166 du code civil les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à leur personne. Le démembrement de propriété n'interdit pas l'exercice de l'action oblique qui en l'espèce n'est exercée que sur les droits de co-indivisaire en nue-propriété de Mme G... M.... L'usufruitière verra son droit reporté sur le prix de vente du bien. Il est justifié que Mme G... M... est nue-propriétaire indivise des biens dont la licitation est demandée selon dévolution successorale établie par M° F..., notaire à Versailles, à la suite du décès de son père. Il sera donc fait droit à la demande de licitation de la Fondation irlandaise. SUR LA MISE A PRIX : Selon une attestation notariée produite par les consorts M... les biens litigieux étaient évalués en 2014 à la somme de 390.000 euros. La Fondation irlandaise n'a pas contesté cette attestation ni produit aucune attestation de valeur des biens. Il y a donc lieu d'ordonner la vente sur une mise à prix de 130.000 euros par lot. » ;
ALORS QUE 1°) en présence d'une créance monétaire, l'action oblique n'est ouverte au créancier du débiteur inactif que dans la mesure où est démontré le péril menaçant le recouvrement de sa créance, c'est-à-dire que les droits du créancier sont compromis ; qu'il était fait valoir par les consorts M... dans leurs conclusions d'appel (p. 6, § 4) qu'aucune saisie n'avait été effectuée ni sur la rémunération de M. I... sur laquelle aucune information n'était donnée, ni sur les immeubles dont les époux I... auraient été séparément ou ensemble propriétaires ; qu'il ressortait des propres constatations de la Cour d'appel qu'avaient été exclusivement effectuées une saisie-attribution des comptes bancaires des époux I..., une saisie de leurs meubles et une saisie-arrêt des seules rémunérations de Mme I... ; qu'en retenant cependant que les conditions de recevabilité de l'action oblique auraient été remplies cependant que la compromission des droits du créancier n'était pas caractérisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 815-17 du code civil, ensemble de les articles 1166 et 1315 du même code dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
ALORS QUE 2°) le créancier qui agit par l'action oblique pour le compte du débiteur n'a pas plus de droits que ce dernier ; que le juge ne peut pas, à la demande des nus-propriétaires, ordonner la vente de la pleine propriété d'un bien grevé d'usufruit contre la volonté de l'usufruitier ; que les consorts M..., nus-propriétaires indivis, pour les uns, et usufruitière pour leur mère, Mme B... M..., de biens immobiliers sis à Adriers, faisaient valoir, dans leurs conclusions d'appel (p. 5, § 1, et 3), que la licitation ne pouvait porter que sur la seule nue-propriété, en raison de l'usufruit dont bénéficiait l'un d'eux, et que la licitation en pleine propriété ne pouvait être ordonnée contre la volonté de l'usufruitière ; qu'en ordonnant cependant la licitation, en deux lots, des biens immobiliers appartenant aux consorts M..., contre la volonté de l'usufruitière, Mme B... M... au motif que « l'usufruitière verra son droit reporté sur le prix de vente du bien » (arrêt attaqué p. 4, § pénultième), la Cour d'appel a violé les articles 815-5 et 815-17 du code civil, ainsi que l'article 1166 du code civil dans sa rédaction antérieur à l'ordonnance du 10 février 2016.