LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- La société Allianz Iard, partie intervenante,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 7e chambre, en date du 20 avril 2018, qui pour blessures involontaires a condamné Mme U... J... à huit mois d'emprisonnement avec sursis, à un an de suspension du permis de conduire et prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 2 avril 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Lavielle, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller LAVIELLE, les observations de la société civile professionnelle BARADUC, DUHAMEL et RAMEIX, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 232-2 du code de la route, 222-19-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a, sur l'action publique, déclaré Mme J... U... coupable du délit de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité supérieure à trois mois par manquement à une obligation de prudence, et déclaré la décision opposable à la société Allianz Iard ;
"aux motifs que le 21 août 2014, sur la CD 559, route de Bandol, à St-Cyr-sur-Mer, à 13 heures 55 , la motocyclette de marque Yamaha YZF R6 immatriculée [...] conduite par M. D... A... a percuté l'automobile de marque Smart immatriculée [...] conduite par Mme J... alors que celle-ci tournait à gauche ; qu'à la suite du choc, M. A... a eu le bras gauche coupé au niveau de l'épaule ; que M. A... et Mme J... connaissent tous les deux très bien l'itinéraire conduisant au lieu de l'accident, pour l'emprunter très régulièrement afin de se rendre à leur travail ; qu'il est également constant que le panneau de circulation en place sur le terre-plein central en face de la voie permettant de tourner à gauche dans le sens de circulation du véhicule conduit par Mme J... a été ensuite changé pour un modèle moins large diminuant la perte de visibilité à cet endroit ; qu'enfin il est également constant qu'au moment des faits, Mme J... n'était pas en train d'utiliser son téléphone portable à l'occasion de la conduite de son véhicule ; qu'aucun des deux conducteurs n'avait consommé d'alcool avant l'accident ; qu'enfin la durée de l'incapacité totale de travail subie par M. A... est établie par plusieurs documents médicaux, parmi lesquels le certificat médical initial établi par M. T... C..., médecin, le 21 août 2014, l'existence d'une incapacité totale de travail de 120 jours ; que son état de santé n'est toujours pas consolidé à ce jour et il n'est pas contesté que l'amputation du bras, en dépit de la réimplantation laissera à M. A... de très importantes séquelles ; que, sur la conduite adoptée par Mme J... et M. A..., il ressort des déclarations de Mme J... devant les services de gendarmerie que celle-ci s'est engagée après avoir vérifié pour tourner à gauche qu'aucun véhicule ne circulait en sens inverse ; qu'elle a selon ses déclarations commencé à s'engager, ajoutant qu'alors qu'elle était arrêtée, elle avait vu une automobile de marque Twingo de couleur rouge sur la voie de circulation inverse, circulant à allure normale, à 50 ou 100 mètres de sa position ; qu'elle indiquait que le choc avec la motocyclette était survenu ensuite, sans qu'elle ait remarqué sa présence ni entendu quoi que ce soit ; que, lors de l'audience devant la cour elle précisait qu'elle circulait vitres remontées et en utilisant la climatisation du véhicule, ce qui expliquait qu'elle n'ait rien entendu ; que, lors de son audition, M. A... n'avait aucun souvenir de l'accident mais confirmait ne pas avoir roulé rapidement ; que la procédure comportait par ailleurs l'audition de deux témoins, et un rapport d'expertise comportant un important dire articulé sur les constatations d'un expert désigné par la seule compagnie Allianz ; que pour M. Z... N... conducteur du véhicule qui se trouvait dans l'intersection à proximité de celui de Mme J..., entendu le 22 août 2014, soit le lendemain des faits, la motocyclette conduite par M. A... se déplaçait très vite ; qu'il indiquait avoir entendu une forte accélération et estimait la vitesse de la moto à 100 km/h ; qu'il ajoutait que la conductrice de la Smart n'avait pas vu la moto et que celle-ci s'était engagée dans l'intersection alors que la moto produisait son accélération ; que, selon lui, la voiture s'était engagée alors que la moto commençait à dépasser la Twingo, mais qu'il n'était pas totalement affirmatif, en raison de la rapidité des faits ; que la passagère de ce véhicule, Mme B... R..., était également entendue ; qu'elle ne pouvait rien dire sur la position de la voiture, mais considérait que la moto arrivait « à vive allure » ; que M. I... H... était le conducteur de la Twingo que la moto venait de dépasser ; qu'il indiquait après avoir été doublé sur sa gauche par un motard, il avait aperçu un véhicule venant en face en sens inverse et qui tournait à gauche et que le motard n'avait rien pu faire ; qu'il précisait circuler à 60 km/h, et évaluait la vitesse de la moto à 80 km/h ; que, sur le rapport d'expertise figurant en procédure, les conclusions de l'expertise « F... » font apparaître que la circulation au lieu de l'accident ne favorise pas la visibilité, et que la vitesse respective des deux véhicules pouvait être évaluée ainsi : pour la Smart 28 à 30 km/h, et pour la moto 60 à 65 km/h, et juste en amont des lieux du sinistre, 81 km/h +/- 10% ; qu'il est également relevé que le dépassement a eu lieu bien avant le point de choc, dans la voie de circulation des deux véhicules, par la gauche ; que, selon l'expert, Mme J... aurait précipité sa manoeuvre pour passer avant la Twingo ; que la société Allianz Iard a sollicité l'intervention de l'expert accidentologue « Y... » ; que l'expert mandaté par la compagnie d'assurances retient dans ses conclusions que la moto conduite par M. A... circulait à 100 km/h +/- 5 km/h, et la voiture de Mme J... circulait à 20 km/h +/-2 km/h ; que le rapport évalue le point de choc en retrait de celui établi par l'expertise « F... » ; qu'il considère que la moto a commis un dépassement dans des conditions interdites et à une vitesse excessive ; qu'enfin Mme J... n'aurait pas pu voir la moto ; que la vitesse de la moto telle que rapportée par les experts reprend deux hypothèses complètement différentes ; mais qu'il ressort de la reconstitution cinématique établie par l'expertise Y... que si la moto a heurté la voiture de Mme J..., celle-ci aurait également été percutée par la Twingo qui est positionnée selon la reconstitution à laquelle a procédé l'expert, à proximité immédiate de la moto qui était selon cette hypothèse en train de la dépasser (cf la reconstitution de la page 16 et 18 du rapport Y...), ce qui n'a pas eu lieu ; que, par ailleurs, pour retenir l'existence d'une faute de conduite imputable à M. A..., l'expertise Y... retient que la manoeuvre de dépassement de la Twingo était toujours en cours au moment de l'impact ; qu'une telle information apparaît en contradiction avec les déclarations de M. H... et n'apparaît nullement conforme au déroulement des faits ;
que le témoignage de ce dernier, seul témoin à être positionné dans un véhicule en mouvement et à avoir donc pu évaluer sa propre vitesse, et avoir une idée de la vitesse relative du véhicule qui le dépassait, apparaît par ailleurs particulièrement crédible ; que, contrairement à ce qui est soutenu par la société d'assurance Allianz Iard et Mme J..., il convient de constater que M. H... a bien précisé que le dépassement a eu lieu après la courbe à droite avant le golf de la Frégate ; que ce témoignage permet d'écarter l'existence d'une circulation de M. A... à une vitesse excessive ainsi qu'un dépassement à l'origine de l'accident, celui-ci étant clairement achevé au moment de l'accident ; que les conclusions de l'expertise Y... n'apparaissent nullement pertinentes pour exonérer Mme J... de l'existence d'une faute de conduite, mais confortent au contraire, si on les lit attentivement, l'existence d'une manoeuvre de nature à causer un accident ; qu'en effet, il n'est pas contestable que Mme J... a entamé sa manoeuvre sur la gauche alors même qu'elle a perçu la présence d'un véhicule automobile de couleur rouge circulant à 60 km/h selon ses déclarations, et qui se trouvait selon elle situé à 100 mètres du carrefour ; qu'il est établi par les deux rapports d'expertise que, lors du choc, la vitesse de la voiture était au minimum de 20 km/h, ou 28 à 30 km/h selon les estimations ; qu'il est également établi, en particulier au moment des faits, que la visibilité dans le carrefour était limitée par un panneau de circulation routière ; que de ces éléments il résulte que la vigilance nécessaire à l'exécution de la manoeuvre devait être maximale pour le conducteur qui l'exécutait ; que la vitesse de la voiture, la présence d'au moins un véhicule perçu comme circulant en sens inverse, ainsi que la faiblesse de la visibilité, démontrent que la manoeuvre a été entreprise alors que les conditions réelles de conduite ont été mal évaluées par Mme J... ; qu'en présence d'au moins un véhicule clairement perçu comme arrivant en sens inverse, et confrontée à une mauvaise visibilité du carrefour, il appartenait à Mme J... de s'assurer davantage qu'elle ne l'a fait, de la possibilité qu'elle avait de tourner à gauche sans faire courir de risque à quiconque, ce qui n'a pas été le cas ; qu'il est donc établi qu'en s'engageant dans cette manoeuvre dans ces conditions, alors qu'elle pouvait laisser le passage au véhicule circulant sur la voie opposée, dans un carrefour ou la visibilité est réduite, Mme J... a manqué à une obligation particulière de prudence exigée par les circonstances ; que cependant, la manoeuvre opérée, si elle traduit une mauvaise appréciation de la circulation, ne traduit pas la volonté de Mme J... de violer délibérément une règle particulière de sécurité, comme aurait pu constituer l'absence de respect d'un panneau stop ou d'un feu de signalisation rouge ; qu'il apparaît, dans ces conditions, que les faits reprochés à Mme J... devront être requalifiés de blessures involontaires consécutives à une violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité, en l'infraction de blessures involontaires par manquement à une obligation de prudence, ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois, faits prévus et réprimés par les dispositions de l'article L. 232-2 du code de la route ;
"1°) alors que seule la faute d'imprudence ayant causé directement l'atteinte corporelle est pénalement punissable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée, pour retenir la culpabilité de Mme J..., à affirmer que la mauvaise visibilité depuis l'endroit où elle se trouvait lui imposait une vigilance particulière ; qu'elle a également considéré que M. A..., motocycliste, avait achevé sa manoeuvre de dépassement du véhicule Twingo au moment du choc, sans circuler à une vitesse excessive ; qu'elle n'a cependant pas recherché, comme elle y était invitée par la société Allianz Iard, si M. A... avait effectué sa manoeuvre de dépassement à un endroit où une ligne continue interdisait un tel dépassement, et si cette manoeuvre avait placé la moto dans une position ne la rendant pas visible par Mme J..., laquelle n'avait dès lors aucune raison, lorsqu'elle s'est avancée, de penser qu'un autre véhicule que celui de M. H... dépasserait celui-ci, ce qui excluait toute faute ayant directement causé l'atteinte dont M. A... a été victime ;
"2°) alors que M. Y..., dans son rapport d'expertise, exposait que M. A... avait doublé le véhicule Twingo conduit par M. H... au niveau de la naissance du terre-plein marquant l'entrée de la courbe à droite, tandis qu'un tel dépassement était interdit en raison d'une ligne continue ; que, selon le rapport de gendarmerie, un véhicule procédant à un dépassement à cet endroit ne pouvait pas être visible du véhicule conduit par Mme J..., en raison de la présence d'un panneau indicateur occultant la vue ; qu'il ne résulte pas du rapport de M. Y..., sur lequel la cour d'appel s'est fondée, que la moto conduite par M. A... était toujours en train d'effectuer sa manoeuvre de dépassement du véhicule Twingo lorsqu'elle est entrée en collision avec le véhicule conduit par Mme J... ; qu'en décidant néanmoins que, « pour retenir l'existence d'une faute de conduite imputable à M. A..., l'expertise Y... retient que la manoeuvre de dépassement de la Twingo était toujours en cours au moment de l'impact », et en jugeant qu'une telle information n'était pas conforme au déroulement des faits, après avoir rappelé les termes essentiels de ce rapport, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations relatives au rapport de M. Y... qui ne reposaient pas sur l'hypothèse d'un dépassement en cours, privant ainsi sa décision de base légale ;
"3°) alors que la cour d'appel a jugé qu'il ressortait de la reconstitution cinématique établie par M. Y... que « si la moto a heurté la voiture de Mme J... U..., celle-ci aurait également été percutée par la Twingo qui est positionnée selon la reconstitution à laquelle a procédé l'expert, à proximité immédiate de la moto qui était selon cette hypothèse en train de la dépasser, [
] ce qui n'a pas eu lieu » ; que cette reconstitution cinématique présentait pourtant une simple simulation de la trajectoire des véhicules, matérialisée par une succession d'images de ceux-ci poursuivant leur route à intervalle de 0,5 secondes ; qu'il n'en ressortait pas que le véhicule Twingo conduit par M. H... serait nécessairement entré en collision avec la voiture de Mme J... compte tenu des éléments pris en considération par M. Y..., de sorte qu'en se prononçant comme elle l'a fait la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"4°) alors qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, s'il résultait du témoignage de M. Z... que M. A... était en pleine accélération au moment du choc et avait « surgi » lorsque Mme J... a démarré, ce qui confortait l'analyse de l'expert M. Y..., selon lequel M. A... a effectué une manoeuvre de dépassement à un endroit où se situait une ligne continue, à une vitesse très supérieure à celle du véhicule Twingo conduit par M. H..., et selon une position qui en masquait la visibilité à Mme J..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le 21 août 2014, sur le CD 559, route de Bandol, à St-Cyr-sur-Mer, une motocyclette conduite par M. A... a percuté l'automobile conduite par Mme J... qui s'apprêtait, à tourner sur sa gauche, en traversant le couloir de circulation opposé ; que M. A... a été des suites de cet accident amputé du bras gauche au niveau de l'épaule, ce qui malgré réimplantation, lui a laissé de très importantes séquelles ; que Mme J... était renvoyée devant la juridiction correctionnelle pour avoir , étant conducteur d'un véhicule terrestre à moteur, causé involontairement des blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail n'excédant pas trois mois, à M. A..., par violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, en l'espèce en refusant la priorité à ce conducteur ; que les juges du premier degré ont déclaré Mme J... coupable dans les termes de la prévention ; que la prévenue, la société Allianz son assureur et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour, après requalification, déclarer Mme J... coupable de blessures involontaires par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur, l'arrêt retient que celle-ci a manqué à une obligation particulière de prudence, s'engageant dans sa manoeuvre, alors qu'elle pouvait laisser le passage à un premier véhicule circulant sur la voie opposée, dans un carrefour ou la visibilité est réduite, ceci ayant entraîné la collision avec la moto arrivant ensuite, pilotée par la partie civile ;
Attendu qu'en prononçant par ces motifs, d'où il ressort que la prévenue a manqué aux obligations particulières de sécurité ou de prudence imposées aux conducteurs par les articles R. 414-4 et suivants du code de la route, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen qui, pour le surplus, revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit mai deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.