LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. P... a été engagé le 28 août 2000 en qualité de vérificateur de perception par la société Keolis Bordeaux ; qu'à compter du 12 novembre 2002, il est devenu agent de maîtrise et a été affecté au service prévention sécurité ; que, dans le courant de l'année 2012, l'employeur a mis en place une nouvelle organisation du travail ; qu'à compter du 1er janvier 2015, la délégation de service public du réseau de transport public de voyageurs de la communauté urbaine de Bordeaux a été confiée à la société Keolis Bordeaux métropole ; que le contrat de M. P... a été transféré ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes se rapportant à l'exécution de son contrat de travail ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de dire que le contrat de travail n'avait pas été modifié, qu'il avait été loyalement exécuté et de le débouter des demandes formées en conséquence, alors, selon le moyen :
1°/ que constitue une modification du contrat de travail qui impose l'accord du salarié, le passage d'un horaire de jour à un horaire de nuit ou d'un horaire partiellement de nuit à un horaire totalement de nuit, et ce alors même qu'il existe une clause de variabilité des horaires ; qu'en disant que l'accord du salarié ne s'imposait pas dès lors qu'il existait une clause de variabilité des horaires dans le contrat de travail, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail ;
2°/ que la modification des horaires constitue une modification du contrat même en présence d'une clause de variabilité dès lors qu'elle bouleverse l'économie du contrat ; qu'en excluant toute modification du contrat de travail du seul fait que le salarié avait continué à travailler de nuit, sans rechercher si la nouvelle organisation du travail n'avait pas bouleversé l'économie du contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
3°/ que l'implication d'un salarié dans la mise en place d'une nouvelle organisation ne signifie pas que celui-ci l'ait en définitive acceptée ; qu'en excluant toute modification du contrat de travail aux motifs de l'implication du salarié, en 2012, dans le projet de nouvelle organisation, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
4°/ que la rémunération est un élément essentiel du contrat qui ne peut être modifié, dans son montant ou sa structure, sans l'accord du salarié ; qu'en excluant toute modification du contrat de travail du salarié quand celui-ci soutenait que la nouvelle organisation du travail, en modifiant le volume de ses horaires de nuit, modifiait également sa rémunération, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si tel était le cas, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
5°/ que l'exécution des nouveaux horaires imposés par l'employeur ne constitue pas une acceptation de ceux-ci ; que sont dès lors inopérants les motifs par lesquels la cour d'appel a relevé que le salarié avait exécuté les horaires résultant de la nouvelle organisation ; qu'elle a ainsi derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui, par motifs propres et adoptés, a relevé que les horaires du salarié n'avaient pas été contractualisés, qu'il exerçait son activité sur des horaires très diversifiés, de jour comme de nuit, en raison du roulement mis en place dans son service et des possibilités de permutation permises par l'organisation du travail et constaté que, postérieurement à la mise en place de la nouvelle organisation du travail, il avait continué d'effectuer un nombre très important, voire plus important, d'heures de nuit en percevant les majorations horaires afférentes, a pu, procédant aux recherches prétendument omises, en déduire que le contrat de travail n'avait pas été modifié ; que le moyen, qui en ses troisième et cinquième branches manque par le fait qui lui sert de base, n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt retient que le salarié fait valoir que la mise en application de l'organisation litigieuse a généré des problèmes de santé, qu'il verse une feuille d'accident du travail qui s'est caractérisé par un malaise le 12 décembre 2012 pendant le service de ce salarié, que la caisse primaire d'assurance maladie n'a cependant pas donné de suite à la déclaration d'accident du travail relative à ce malaise, qu'il produit également des ordonnances de son médecin traitant pour la délivrance de médicaments dont l'objet n'est pas explicité, que, faute d'autres éléments à l'appui du moyen tiré du non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité, le lien entre l'organisation de travail discutée et les difficultés de santé du salarié n'est pas démontré ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux écritures du salarié qui soutenait que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité pour ne pas avoir assuré la surveillance médicale renforcée que sa qualité de travailleur de nuit imposait, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. P... de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité, l'arrêt rendu le 28 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne les sociétés Keolis Bordeaux et Keolis Bordeaux métropole aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés Keolis Bordeaux et Keolis Bordeaux métropole à payer la somme de 3 000 euros à M. P... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix avril deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. P...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit le contrat de travail n'avait pas été modifié, que les sociétés Keolis Bordeaux et Keolis Bordeaux métropole l'avait exécuté loyalement et d'AVOIR en conséquence débouté le salarié des demandes qu'il avait formulées à ce titre ;
AUX MOTIFS QUE :
« Attendu que, au soutien de sa demande principale, monsieur P... produit son contrat de travail initial en date du 17 juillet 2000 ;
Que le paragraphe 4 de ce contrat est ainsi rédigé :
« Vous vous engagez à respecter des horaires de travail en vigueur dans le réseau actuellement définis sur une base de 38 heures hebdomadaire. Vous déclarez avoir été informé des conditions de travail particulières imposées par les servitudes du service public à savoir : assurer des services matinaux ou tardifs, effectuer des heures de travail irrégulières, changer d'affectation pour un service de nuit ou de jour dans un dépôt quelconque du réseau, selon les besoins, travailler des dimanches ou des jours fériés, les repos hebdomadaires étant répartis sur tous les jours de la semaine par roulement ;
Attendu qu'il est constant que la société Keolis a, dans le cadre d'une politique de lutte contre la fraude, les incivilités et la violence, mis en oeuvre une nouvelle organisation de la présence des agents de maîtrise, au rangs desquels se trouvait monsieur P..., ce à compter du 19 septembre 2011 ; qu'il a, notamment, été planifié un roulement entre le service de jour et le service de nuit ; que ce programme a été présenté au Comité d'entreprise les 7 juillet et 8 septembre 2011 ; que l'avis des agents concernés a été recueilli au cours de deux réunions convoquées les 12 juillet et 8 août 2011 ;
Que, quelques mois plus tard, des modifications ont été apportées à ce nouveau programme, après consultation des agents au cours de deux réunions des groupes de travail des 16 juillet et 8 août 2012 ; que la synthèse des réflexions des groupes de travail et le projet d'organisation ont été établis dans un document remis le 14 septembre 2012 d'une part au Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, d'autre part au Comité d'entreprise, lequel prévoit, pour la préservation de l'articulation vie personnelle/vie professionnelle, un système maîtrisé de permutations entre les salariés concernés qui peuvent ainsi échanger leurs plages horaires ;
Attendu que c'est donc par des motifs pertinents, qui ne sont pas remis en cause par les débats en appel et que la cour adopte, que le conseil de prud'hommes, soulignant d'une part que le contrat de travail de l'appelant prévoyait très expressément la variabilité de ses horaires et l'éventuelle application d'un système de présence horaire par roulement, inhérente aux contraintes de l'amplitude d'un service public de transports urbains, et rappelant d'autre part les conditions dans lesquelles les agents concernés avaient eux mêmes contribué à l'adoption du projet définitif en 2012 par élaboration en groupes de travail puis par vote, observant enfin à l'examen des plannings versés par l'appelant lui-même que monsieur P... a, postérieurement à la réorganisation litigieuse, continué à travailler essentiellement en service de nuit selon ses souhaits, que le contrat de travail du salarié n'avait pas été modifié et que ce contrat avait été exécuté de bonne foi par l'employeur ;
Que le premier juge sera dès lors confirmé en ce qu'il a débouté monsieur P... de ses demandes en rappel de salaires et dommages et intérêts de ces chefs » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE :
« Vu l'article L1222-1 du code du travail qui stipule que le contrat de travail est exécuté de bonne foi M. P... soutient que le changement de ses horaires de travail est une modification de son contrat de travail qui lui a été imposée et qui a entraîné notamment une perte de rémunération liée aux majorations pour heures de nuit.
Il s'agit donc pour le Conseil de dire si le changement des horaires de travail de M. P... est une modification de son contrat de travail.
En l'espèce, le contrat de travail de M. P... signé le 1er mai 1999 précise clairement les conditions de travail particulières de M. P... : assurer des services matinaux ou tardifs effectuer des heures de travail irrégulières
changer d'affectation, pour un service de nuit ou de jour dans un dépôt quelconque du réseau, selon les besoins travailler des dimanches et des jours fériés ; les repos hebdomadaires étant répartis sur tous les jours de la semaine par roulement L'avenant à son contrat de travail en date du 30 août 2000 prévoit l'affectation principale de M. P... au service de nuit sans que les horaires de travail de M. P... ne soient contractualisés.
Compte tenu de l'ensemble des pièces fournies aux débats par les parties, il est établi que M. P... exerçait son activité sur des horaires très diversifiées, de jour comme de nuit, au regard du roulement mis en place dans son service mais aussi des possibilités de permutation permises par l'organisation du travail en vigueur dans son service.
La nouvelle organisation mise en place le 1er novembre 2012 devait permettre à la société KEOLIS de mieux lutter contre la fraude et de mieux inciter à la validation des billets de transport. Cette nouvelle organisation repose sur un même principe de roulement sur différents horaires avec la faculté pour les salariés de permuter leurs horaires de travail permettant ainsi de mieux concilier leur vie professionnelle avec leur vie privée étant entendu que tous les salariés devait a minima passer une semaine sur tous les horaires de travail.
Il est à noter que cette organisation, qui relève manifestement du pouvoir de direction de l'employeur, a fait l'objet des consultations préalables des instances représentatives du personnel au sein de la société KEOLIS.
S'agissant des conséquences de cette réorganisation, il est établi de part les plannings que M. P... continuait à avoir des horaires variables de jour comme de nuit, et qu'il a accompli un nombre important d'heures de nuit après la réorganisation durant les années 2013 et 2014 et que durant les mois de février et mars 2013, ce dernier a établi des heures de nuit toutes les semaines. Pour certains mois après la réorganisation, la société KEOLIS démontre qu'il a accompli un nombre d'heures de nuit supérieur à la situation d'avant la réorganisation.
La société KEOLIS démontre par ailleurs que le système de permutabilité a été maintenu dans le cadre de cette nouvelle organisation du travail et permettant ainsi à M. P... de réaliser de nombreux changements d'horaires à sa convenance.
Attendu que le contrat de travail et avenant de M. P... soulignait la possibilité de travailler de jour comme de nuit et que les horaires n'étaient pas contractualisés
Attendu que la nouvelle organisation du travail mis en place par la société KEOLIS repose sur un motif sérieux
Attendu que M. P... continue à travailler de jour et de nuit suite à la mise en place de la nouvelle réorganisation
Attendu que M. P... continue de bénéficier du système de permutabilité mis en place au sein de la société
Attendu que M. P... continue à percevoir des majorations pour heures de nuit suite à la mise en place de la nouvelle organisation du travail
Il apparaît que le contrat de travail de M. P... n'a pas été modifié et il sera débouté des demandes formées à ce titre y compris la demande en rappel de salaires »
1°/ ALORS QUE constitue une modification du contrat de travail qui impose l'accord du salarié, le passage d'un horaire de jour à un horaire de nuit ou d'un horaire partiellement de nuit à un horaire totalement de nuit, et ce alors même qu'il existe une clause de variabilité des horaires ; qu'en disant que l'accord du salarié ne s'imposait pas dès lors qu'il existait une clause de variabilité des horaires dans le contrat de travail, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail ;
2°/ ALORS QUE la modification des horaires constitue une modification du contrat même en présence d'une clause de variabilité dès lors qu'elle bouleverse l'économie du contrat ; qu'en excluant toute modification du contrat de travail du seul fait que le salarié avait continué à travailler de nuit, sans rechercher si la nouvelle organisation du travail n'avait pas bouleversé l'économie du contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
3°/ ALORS QUE l'implication d'un salarié dans la mise en place d'une nouvelle organisation, ne signifie pas que celui-ci l'ait en définitive acceptée ; qu'en excluant toute modification du contrat de travail aux motifs de l'implication du salarié, en 2012, dans le projet de nouvelle organisation, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
4°/ ALORS QUE la rémunération est un élément essentiel du contrat qui ne peut être modifié, dans son montant ou sa structure, sans l'accord du salarié ; qu'en excluant toute modification du contrat de travail du salarié quand celui-ci soutenait que la nouvelle organisation du travail, en modifiant le volume de ses horaires de nuit, modifiait également sa rémunération, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si tel était le cas, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
5°/ ALORS QUE l'exécution des nouveaux horaires imposés par l'employeur ne constitue pas une acceptation de ceux-ci ; que sont dès lors inopérants les motifs par lesquels la cour a relevé que le salarié avait exécuté les horaires résultant de la nouvelle organisation ; qu'elle a ainsi derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre de l'obligation de sécurité de résultat ;
AUX MOTIFS QUE :
« Attendu que l'appelant fait valoir que la mise en application de l'organisation litigieuse a généré des problèmes de santé ; qu'il verse une attestation de son médecin traitant en date du 4 juillet 2013 qui établit que ce salarié connaît des variations de son état de santé ; que, toutefois, ce médecin ne date pas ces variations (la cour n'étant pas en mesure d'interpréter les résultats des analyses de sang), de sorte que la périphrase "depuis son nouvel emploi du temps" ne peut qu'être la restitution des seules affirmations de son patient ;
Que, faute d'autres éléments à l'appui du moyen tiré du non respect par l'employeur de son obligation de sécurité, le lien entre l'organisation de travail discutée et les difficultés de santé de monsieur P... n'est pas démontré ;
Que le premier juge sera confirmé de ce chef »
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE :
« Vu l'article L4121-1 du code du travail qui stipule que le chef d'établissement prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs de l'établissement ».
Vu l'article 1315 du code civil qui stipule que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver En l'espèce, M. P... n'apporte aucun élément probant permettant d'établir un lien de causalité entre son état de santé et la nouvelle organisation du travail mis en place.
Aussi, la société KEOLIS n'a pas failli à son obligation de préservation de la santé de M. X...-Z... » ;
ALORS QUE dans ses conclusions d'appel (cf. p. 25), le salarié avait invoqué le manquement de l'employeur à son obligation de procéder à une surveillance médicale renforcée que son travail de nuit imposait ; que la cour d'appel, qui n'a pas répondu à ce moyen des conclusions d'appel du salarié, a violé l'article 455 du code de procédure civile.