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23/01/2019 | FRANCE | N°17-20055

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 23 janvier 2019, 17-20055


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 16 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. A... a acquis les parts sociales constituant le capital des sociétés Sanoe et Jura Automobiles, distributeurs et réparateurs agréés de la marque Mercedes- Benz respectivement à Bourg-en-Bresse et Lons-le-Saulnier en vertu de contrats de distribution et de services conclus avec la société Mercedes-Benz France (la société Mercedes-Benz), importateur en Franc

e des véhicules neufs de la marque ; que ces concessions ayant enregistré des pe...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 16 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. A... a acquis les parts sociales constituant le capital des sociétés Sanoe et Jura Automobiles, distributeurs et réparateurs agréés de la marque Mercedes- Benz respectivement à Bourg-en-Bresse et Lons-le-Saulnier en vertu de contrats de distribution et de services conclus avec la société Mercedes-Benz France (la société Mercedes-Benz), importateur en France des véhicules neufs de la marque ; que ces concessions ayant enregistré des pertes, M. A... a demandé à la société Mercedes-Benz son agrément pour les céder au groupe Suma ; que la société Mercedes-Benz a opposé un refus à sa demande et notifié son agrément à un autre candidat ; qu'estimant que la société Mercedes-Benz avait commis un abus dans l'exercice de son droit d'agrément, M. A... et la société Sanoe l'ont assignée en paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que pour retenir une faute de la société Mercedes-Benz et la condamner à payer à M. A... et à la société Sanoe des dommages-intérêts, l'arrêt énonce qu'à la suite de l'article 1er, paragraphe 1, sous f), le Règlement (CE) n° 1400/2002 de la Commission du 31 juillet 2002 exempte de l'article 81, paragraphe 3 du traité, les accords de « système de distribution sélective » par lesquels « le fournisseur s'engage à ne vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, qu'à des distributeurs ou des réparateurs sélectionnés sur la base de critères définis », tandis que par arrêt du 14 juin 2012 (affaire C- 158/11), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que par les termes « critères définis », il y a lieu d'entendre, s'agissant d'un système de distribution sélective quantitative au sens du Règlement, des critères dont le contenu précis peut être vérifié et que pour bénéficier de l'exemption prévue par ledit règlement, il n'est pas nécessaire qu'un tel système repose sur des critères qui sont objectivement justifiés et appliqués de façon uniforme et non différenciée à l'égard de tous candidats à l'agrément ; qu'il relève que la société Mercedes-Benz a refusé d'examiner l'offre de la société Suma ; qu'il retient qu'elle n'établit pas qu'elle a agréé le membre du réseau sur la base de critères dont le contenu précis peut être vérifié, de sorte qu'il convient de retenir à son encontre cette discrimination dans l'agrément sur le fondement de l'article L. 420-1 et suivants du code de commerce ;

Qu'en statuant ainsi, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qu'elle relevait d'office, tiré de l'appréciation du caractère discriminatoire du comportement de la société Mercedes-Benz dans le choix des membres du réseau, suivant les critères définis visés à l'article 1er, paragraphe 1 sous f) du règlement 1400/2002, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Mercedes-Benz France à payer la somme de 200 000 euros à la société Sanoe et la somme de 20 000 euros à M. A... , et en ce qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 25 avril 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet , en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne M. A... et la société Sanoe aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à la société Mercedes-Benz France la somme globale de 3 000 euros et rejette leur demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois janvier deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour la société Mercedes-Benz France.

Le moyen reproche à l'arrêt partiellement confirmatif attaqué d'avoir condamné la société Mercedes Benz France à payer 200.000 euros à la société Sanoe et 20.000 euros à M. A... ,

AUX MOTIFS PROPRES QUE « Sur le refus d'agrément du groupe Suma pour la reprise des concessions de Bourg-en-Bresse et Lons-le-Saulnier et la réparation du préjudice.

Pour voir infirmé le jugement en ce qu'il a retenu sa responsabilité dans le refus d'examiner l'offre du groupe Suma de reprendre les concessions de Bourg-en-Bresse et Lons-le-Saulnier, la société Mercedes se prévaut des clauses des contrats de distribution et de services convenus les 25 novembre 2010, respectivement numérotées 15.3.4, 10.2.3 pour le premier, et 16.3.4 11.2.3 pour le second, et aux termes desquelles il était stipulé que, sauf cession au profit d'un distributeur ou réparateur déjà agréé, la cession des droits et obligations du concessionnaire ne pouvait être effectuée sans l'accord préalable du concédant, et dont elle soutient qu'il en résulte sa faculté discrétionnaire d'accepter ou de refuser l'agrément des membres hors réseau conformément au règlement (CE) nº 1400/2002 de la Commission du 31 juillet 2002 concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile alors applicable (le Règlement) ;

Qu'elle justifie d'autre part son intérêt de réserver ces concessions à un membre du réseau pour des "raisons de stratégie de marque" et par la cohérence du choix des représentants de la société E-MB 74 "avec la stratégie de plaques régionales de la société Mercedes" ;

Mais considérant qu'à la suite de l'article 1er, paragraphe 1, sous f), le Règlement exempte de l'article 81, paragraphe 3 du traité, les accords de "système de distribution sélective" par lesquels "le fournisseur s'engage à ne vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, qu'à des distributeurs ou des réparateurs sélectionnés sur la base de critères définis", tandis que par arrêt du 14 juin 2012 (affaire C-158/11), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que par les termes "critères définis", il y a lieu d'entendre, s'agissant d'un système de distribution sélective quantitative au sens du Règlement, des critères dont le contenu précis peut être vérifié et que pour bénéficier de l'exemption prévue par ledit règlement, il n'est pas nécessaire qu'un tel système repose sur des critères qui sont objectivement justifiés et appliqués de façon uniforme et non différenciée à l'égard de tous candidats à l'agrément ;

Et considérant qu'il est constant que la société Mercedes a refusé d'examiner l'offre de la société Suma, tandis que par ses simples affirmations, elle n'établit pas qu'elle a agréé le membre du réseau sur la base de critères dont le contenu précis peut être vérifié, de sorte qu'il convient de retenir à son encontre cette discrimination dans l'agrément sur le fondement des articles 1382 du code civil, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur à l'ordonnance du 10 février 2016, et L. 420-1 et suivants du code de commerce, et de confirmer le jugement de ce chef ;

sur la réparation du préjudice, la société Mercedes soutient qu'elle se limite à l'indemnisation de la rupture des pourparlers représentant les seuls frais de négociation exposés par M. A... et la société Sanoe avec le groupe Suma, et non à celle des résultats d'une perte de chance, tandis que subsidiairement, elle conteste la réparation du gain manqué par la comparaison entre les prix de cession des fonds des concessions à la société E-MB 74 et ceux de l'offre de la société Suma, et sur la base de laquelle la société Sanoe revendique, sur appel incident, sa condamnation à payer 63.000 euros au titre des éléments de fonds de commerce, 84.848 euros au titre des stocks, 700.000 euros au titre de la différence du prix de cession, 350.000 euros au titre de la perte de loyers pendant deux ans ; qu'elle s'oppose aussi à sa condamnation par les premiers juges au paiement de la somme de 90.000 euros à M. A... représentant la rémunération et la mise à disposition d'un véhicule pendant six mois offertes par la société Suma ;

Considérant qu'il résulte de l'offre que la société Suma a présentée à la société Sanoe le 10 juillet 2012, la preuve que M. A... et la société Sanoe bénéficiaient d'un accord ferme et définitif alternatif à l'offre de la société E-MB 74 agréée par la société Mercedes, de sorte que la réparation du préjudice ne peut se limiter au coût de la négociation exposé par la société Sanoe ; que le manquement de la société Mercedes à l'obligation d'examiner l'offre de la société Sanoe correspond à la perte d'une chance qui doit être mesurée à la chance perdue, et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, alors qu'elle dépendait en tout état de cause de l'agrément de la société Mercedes ;

Que par ces motifs, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a retenu, sur la base des conditions et des prix différents entre l'offre du groupe Suma et ceux de la société E-MB 74, les écarts de prix sur la valeur des biens incorporels des fonds de commerce, la perte de revenus locatifs, d'écarter les écarts de valeurs des stocks et des prix de cession revendiqués sur appel incident, tout comme doit être infirmée le montant de la rémunération et la contrepartie de la mise à disposition d'un véhicule pour M. A... promises par le groupe Suma ;

Que statuant à nouveau de ce chefs, il convient de fixer l'indemnisation propre à réparer le préjudice de la société Sanoe à la somme de 200 000 euros, et celui de M. A... à la somme de 20 000 euros »,

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « les articles 11.2.2 et 16.3.4 du contrat de distribution et les articles 10.2.2 et 15.3.4 du contrat de service subordonnent la cession des droits issus de ces contrats à l'agrément de la société Mercedes-Benz France en cas de cession à un acheteur non membre du réseau Mercedes ;

que la société Mercedes-Benz France a refusé l'agrément du groupe Suma, refusant même de recevoir son dirigeant pour qu'il présente sa proposition, ne laissant que Messieurs Y... et Z... comme seuls acheteurs potentiels des sociétés Sanoe et Jura Automobiles ;

que le refus d'examiner la proposition du Groupe Suma et de recevoir le Président de ce Groupe pour qu'il s'explique sur sa proposition de reprise, alors même que les contrats de distribution et service prévoyaient la possibilité au vendeur de présenter à l'agrément des candidats non membres du réseau constitue un abus de droit ; que le préjudice consécutif doit être réparé ;

que la société Mercedes Benz France soutient que la proposition du Groupe Suma n'a été formulée qu'en juillet 2012, alors que l'agrément de MM. Y... et Z... était définitif ; que par lettre du 7 juin 2012, la société Mercedes-Benz France écrivait à M. A... que la décision d'agréer MM. Y... et Z... était définitive ; que cependant, la société Mercedes-Benz France ne produit aucun document montrant que cette décision était irrévocable ; qu'en formulant son offre de juillet 2012, le Groupe Suma espérait la voir acceptée ; que cette offre constitue une référence de prix opposable à la société Mercedes-Benz France »,

1) - ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction de sorte qu'en relevant d'office l'existence d'une discrimination de la part de la société Mercedes-Benz France au regard de « critères définis » tels que visés à l'article 1er, paragraphe 1, sous f) du règlement communautaire n° 1400/2002 du 31 juillet 2002 concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3 du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile et précisés par la Cour de justice qui a jugé que ces « critères définis » s'entendaient de critères dont le contenu précis peut être vérifié (CJUE, 14 juin 2012, aff. C-158/11), pour en déduire que la société Mercedes avait opéré une discrimination dans l'agrément et ainsi engagé sa responsabilité, sur le fondement des articles L. 420-1 et suivants du code de commerce, à l'égard de son distributeur en refusant d'examiner l'offre de la société Suma, faute pour elle d'établir qu'elle avait agréé le candidat retenu sur la base de critères dont le contenu précis peut être vérifié, la cour d'appel, qui n'a pas sollicité les observations des parties, a méconnu le principe de la contradiction et ainsi violé l'article 16 du code de procédure civile,

2) - ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge est tenu de se prononcer seulement sur ce qui lui est demandé ; qu'aux termes de leurs écritures d'appel, la société Sanoe et M. A... recherchaient la responsabilité de la société Mercedes en se plaçant exclusivement sur le terrain de la responsabilité de droit commun, lui reprochant un abus dans l'exercice de son droit d'agrément tel que prévu dans le contrat de distribution et de service ainsi qu'un manquement à son obligation d'examiner la candidature du groupe Suma et de déployer tous ses efforts pour aider le distributeur/réparateur agréé à trouver un acquéreur alternatif comparable au groupe Suma ; que la responsabilité de la société Mercedes n'était nullement recherchée au titre d'une prétendue discrimination au regard des règles concurrentielles mettant en cause la licéité du réseau de distribution sélective qualitative et quantitative au regard du droit des ententes, de sorte qu'en retenant la responsabilité de cette société pour avoir opéré une discrimination dans l'agrément de son candidat, au détriment du groupe Suma, la cour d'appel, qui a opéré une confusion entre les critères de sélection au titre de la distribution sélective qualitative et quantitative étrangères au débat et le droit unilatéral d'agrément qui seul était discuté, a méconnu les termes du litige et ainsi violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile,

3) - ALORS QUE en toute hypothèse, il appartient à celui qui allègue une discrimination dans le choix du distributeur d'en rapporter la preuve et à ce titre, d'établir, s'agissant d'un système de distribution sélective quantitative, que le contenu des critères de sélection auxquels le fournisseur a recours ne peut être vérifié si bien qu'en retenant la responsabilité de la société Mercedes pour discrimination dans la sélection de son candidat-distributeur au motif qu'elle n'établissait pas l'avoir agréé sur la base de critères dont le contenu précis peut être vérifié, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315 ancien du code civil devenu l'article 1353,

4) - ALORS QUE les ententes prohibées par le droit de la concurrence au titre des pratiques anticoncurrentielles postulent un accord de volontés entre au moins deux opérateurs, ce qui exclut de la prohibition les simples décisions unilatérales de sorte qu'en sanctionnant au titre de l'article L. 420-1 du code de commerce la décision unilatérale prise par la société Mercedes de refuser d'agréer la société Suma, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application,

5) - ALORS ENCORE QUE, s'agissant de pratiques dans le secteur automobile, en-deçà d'un seuil de parts de marché de 40 %, aucune entente n'est sanctionnée, à moins d'être en présence d'un cas exclu du règlement communautaire d'exemption n° 1400/2002 à travers les clauses grises et noires, si bien qu'en condamnant la société Mercedes sur le fondement de l'article L. 420-1 du code de commerce pour pratique anticoncurrentielle sans constater que le seuil de 40 % de part de marché était dépassé, cependant que le refus d'agrément de la société Suma par la société Mercedes ne constituait pas une restriction caractérisée faisant échec à l'application du règlement d'exemption, ni ne faisait partie de la liste des clauses grises ou noires visées par le règlement d'exemption, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 du code de commerce, de l'article 101 TFUE, et des règlements n° 1/2003 et n° 1400/2002,

6) - ALORS EN TOUT ETAT DE CAUSE QU'en-deçà d'un seuil de marché de 5 % dit seuil de sensibilité, aucune entente ou autre pratique n'est sanctionnée au titre d'un comportement anticoncurrentiel, à moins d'être en présence d'un cas de restriction caractérisée, si bien qu'en condamnant la société Mercedes sur le fondement de l'article L. 420-1 du code de commerce pour pratique anticoncurrentielle sans constater que le seuil de 5 % de part de marché était atteint, cependant que le refus d'agrément de la société Suma par la société Mercedes ne constituait pas une restriction caractérisée faisant échec à l'application du seuil de sensibilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 TFUE, L. 420-1 et L. 464-6-1 du code de commerce.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 17-20055
Date de la décision : 23/01/2019
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 25 avril 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 23 jan. 2019, pourvoi n°17-20055


Composition du Tribunal
Président : Mme Mouillard (président)
Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:17.20055
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