LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, ci-après annexé :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 21 septembre 2017), que la société Total raffinage France (société Total) exploite une raffinerie, à proximité de laquelle la société Pharmacie A... , depuis en redressement judiciaire, a acquis, en septembre 2008, un fonds de commerce ; que, par arrêté du 10 avril 2009, le préfet des Bouches-du-Rhône a prescrit l'élaboration d'un plan de prévention des risques technologiques (PPRT), qui a été approuvé par un arrêté préfectoral du 2 mai 2014 ; que la société Pharmacie A... , son mandataire judiciaire et son administrateur judiciaire ont assigné la société Total en indemnisation sur le fondement du trouble anormal de voisinage ;
Attendu que la société Pharmacie A... , son mandataire judiciaire et son administrateur judiciaire font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la raffinerie était exploitée antérieurement à l'installation de la société Pharmacie A... qui ne pouvait ignorer les dangers potentiels inhérents à ce type d'activité, que l'élaboration du PPRT, en application des dispositions de la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, n'avait pas eu pour effet de révéler l'existence de risques industriels nouveaux et que la société Pharmacie A... n'invoquait ni une modification de l'activité de la raffinerie depuis 2008 au point d'entraîner une aggravation du risque industriel, ni son exercice en infraction des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a pu retenir, sans inverser la charge de la preuve ni dénaturer les conclusions, que la responsabilité de la société Total n'était pas engagée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Pharmacie A... et MM. X... et C... , ès qualités aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt décembre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Z..., avocat aux Conseils, pour la société Pharmacie A... et MM. X... et C... , ès qualités.
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR débouté l'Eurl Pharmacie A... , ainsi que Me C... et Me X..., ès qualités, de l'ensemble de leurs demandes ;
AUX MOTIFS QU'il est de principe que nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les limites des inconvénients normaux du voisinage et que le régime de la responsabilité pour trouble anormal de voisinage est un régime autonome étranger à l'application de l'article 1382 et suivants du code civil, peu important, dès lors, que l'auteur du trouble n'ait pas commis de faute ; qu'ainsi, s'agissant de nuisances causées par une installation classée pour la protection de l'environnement, la responsabilité de l'exploitant est engagée, alors même que celui-ci a respecté les prescriptions de l'arrêté d'autorisation, et le trouble résultant d'un risque de dommage, que l'installation classée est susceptible de générer, peut également être indemnisé s'il est suffisamment caractérisé ; qu'en l'occurrence, l'Eurl Pharmacie A... cite un courrier du préfet des Bouches-du-Rhône en date du 6 mai 2011, alors que le PPRT autour du site Total Raffinage France était en cours d'élaboration, lui indiquant que « son fonds de commerce est exposé à un aléa technologique généré par cette raffinerie très fort plus, que l'ensemble des commerces situés entre le [...] et le [...] sont impactés par des effets thermiques graves, des effets de surpression significatifs ainsi que par des effets toxiques significatifs et que les études réalisées par l'industriel pour réduire le risque à la source ne permettent pas d'envisager des modifications des niveaux d'exposition des commerces, qui restent dans une zone à risque très fort (secteur jaune) » ; qu'elle produit également un courrier de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Provence-Alpes-Côte d'Azur (la Dreal) du 9 juillet 2013 selon lequel les conclusions de l'étude technique de vulnérabilité menée en 2010 par le bureau d'études Effectif sous la maîtrise d'ouvrage de la direction départementale du territoire et de la mer des Bouches-du-Rhône ont mis en évidence « l'exposition de son commerce à des phénomènes dangereux générant des aléas associés à des effets thermiques, à des effets de surpression et à des effets toxiques, que la pharmacie est concernée par deux niveaux d'aléas fort + pour la façade donnant sur la rue Mirabeau et moyen + pour le corps du bâtiment principal », que « les possibilités de renforcement du bâtiment ont été jugées très difficiles dans des conditions économiques satisfaisantes, que depuis cette analyse de vulnérabilité, le niveau d'alea a été réduit au regard de la non prise en compte de l'aléa sismique par les études de danger de l'exploitant » mais que « néanmoins, dans la mesure où les seuils d'intensité des effets qui l'impactent sont inchangés, ces modifications sont sans incidence sur la situation technique du bâti » dans lequel la pharmacie est exploitée ; que l'intimée fait valoir qu'elle n'a eu connaissance des risques inhérents à l'exploitation de la raffinerie de Provence qu'à compter d'avril 2009, postérieurement à l'acquisition du fonds de commerce, lorsqu'elle a été informée du projet d'élaboration d'un PPRT, et que les études indépendantes menées par les services de l'Etat ont ainsi révélé un danger particulièrement grave rendant le site où se trouve exploitée la pharmacie impropre à sa destination d'origine, la gravité des risques encourus étant constitutive, selon elle, d'un trouble anormal de voisinage ; qu'à cet égard, elle évoque un accident s'étant produit le 9 novembre 1992 dans la raffinerie, la rupture d'une canalisation corrodée et vétuste, qui a laissé s'échapper un nuage gazeux d'hydrocarbures, ayant provoqué une explosion suivie d'un incendie dans lequel six techniciens ont trouvé la mort, deux autres ayant été grièvement blessés, ainsi qu'un accident plus récent, survenu le 3 décembre 2016, dans lequel trois employés ont été blessés à la suite d'une fuite de gaz ; que l'article L. 112-16 du code de la construction et de l'habitation dispose que les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques, n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent aux bâtiments exposés à ces nuisances a été demandé ou l'acte authentique constatant l'aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l'existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions ; que, pour l'application de ce texte, il importe que l'activité à l'origine des nuisances soit antérieure à l'arrivée du voisin, qu'elle soit exercée en conformité avec les dispositions législatives et réglementaires en vigueur et qu'aucune modification dans ses conditions d'exercice, de nature à provoquer une aggravation des nuisances ou du risque encouru, ne se soit produite ; qu'au cas d'espèce, l'élaboration du PPRT, dans le cadre des dispositions de la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, applicable aux installations classées pour la protection de l'environnement, n'a pas eu pour effet de révéler l'existence de risques industriels nouveaux, que ferait courir à son voisinage la raffinerie de Provence exploitée depuis 1935 sur le territoire des communes de Châteauneuf-les-Martigues et Martigues, et en s'installant, en septembre 2008, à proximité du site l'Eurl Pharmacie A... ne pouvait ignorer les dangers potentiels inhérents à ce type d'activité ; qu'elle ne peut dès lors soutenir, alors que la raffinerie était exploitée en 2008 dans les mêmes conditions, avoir découvert lors de l'élaboration du PPRT à partir de 2009, que l'officine de pharmacie se trouvait exposée à un aléa technologique généré par la raffinerie et était impactée par des effets thermiques, des effets de surpression et des effets toxiques, graves ou significatifs ; que l'Eurl Pharmacie A... , qui a notamment obtenu la communication des études de dangers réalisés en 2004, 2005, 2006 et 2007 par l'exploitant Total, répertoriant les dangers liés au raffinage des hydrocarbures, particulièrement l'hydrodésulfuration, en ce qui concerne la nature des produits utilisés, les conditions d'exploitation des installations et l'environnement de la raffinerie, n'établit pas, ni même n'allègue, que l'activité de la raffinerie de Provence ait été modifiée depuis 2008 au point d'entraîner une aggravation du risque industriel ; qu'elle ne prétend pas, non plus, que l'activité est exercée en infraction des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur, particulièrement celles relatives aux installations classées, soumises à ce titre au contrôle des services de l'Etat ; que le préjudice, qu'invoque l'Eurl Pharmacie A... , procède, en réalité, de l'approbation, par arrêté préfectoral du 2 mai 2014, du PPRT autour du site de la raffinerie de Provence, annexé aux plans locaux d'urbanisme des communes de Châteauneuf-les-Martigues et de Martigues, et qui vaut servitude d'utilité publique ; qu'il n'est pas discuté que la parcelle cadastrée à [...], section [...] , sur laquelle est implanté le bâtiment abritant la pharmacie, est classée dans la sous-zone r1 1 du PPRT, qu'elle fait l'objet de restrictions en matière d'utilisation du sol et de diverses mesures qui en sont le corollaire (droit de délaissement au profit du propriétaire du bâtiment exposé aux risques, droit de préemption au profit de la collectivité locale compétente en matière d'urbanisme, possibilité pour l'État de poursuivre l'expropriation du bâtiment pour cause d'utilité publique) et que des mesures de protection des populations face aux risques encourus, relativement à l'aménagement, l'utilisation ou l'exploitation des constructions, sont également prévues dans le plan conformément au IV de l'article L. 515-16 du code de l'environnement, dont le financement incombe à l'exploitant de l'installation et aux collectivités territoriales, ainsi qu'il est dit à l'article L. 515-19 du même code selon le courrier de la Dreal, déjà cité, du 9 juillet 2013, adressé à l'Eurl Pharmacie A... , à défaut d'exercice par le propriétaire des locaux d'exploitation de son droit de délaissement dans les six ans suivant l'approbation du PPRT, des travaux de renforcement du bâti devront alors être mis en oeuvre afin de réduire la vulnérabilité des populations potentiellement exposées à des risques technologiques ; que, bien que le PPRT ne soit pas produit aux débats, il apparaît que le droit de délaissement, bénéficiant au propriétaire du bâtiment, a été instauré en raison du coût relativement élevé des travaux et des difficultés techniques de leur réalisation, impliquant, d'après le courrier de la préfecture des Bouches-du-Rhône du 6 mai 2011, le renforcement des surfaces vitrées vis-à-vis de l'onde de surpression et du rayonnement thermique, l'aménagement d'un local de confinement et la réalisation d'une mesure physique de protection type mur le long de l'emprise de la raffinerie ; que le PPRT approuvé le 2 mai 2014 n'empêche pas l'utilisation commerciale du bâtiment implanté sur la parcelle [...] , notamment pour l'exploitation d'une pharmacie, mais le risque de cession, amiable ou forcée, du bâtiment, comme la perspective de travaux visant à assurer la protection des populations en raison des risques encourus, sont de nature à dissuader tout repreneur potentiel, comme l'indique la société Méditerranée Transactions, dans un courrier adressé le 5 octobre 2011 à M. A... ; qu'il résulte de ce qui précède que l'Eurl Pharmacie A... ne démontre pas l'existence d'un trouble anormal de voisinage, qui résulterait de l'existence de risques industriels nouveaux dans l'exploitation de la raffinerie de Provence, laquelle fonctionnait dans les mêmes conditions lorsque l'officine s'est installée en 2008 à proximité du site, l'approbation d'un PPRT par arrêté préfectoral du 2 mai 2014 dans le cadre des dispositions de la loi du 30 juillet 2003, n'ayant pas eu pour effet de révéler de tels risques, que l'Eurl Pharmacie A... ne pouvait ignorer ; que celle-ci n'établit d'ailleurs pas que la procédure de redressement judiciaire, dont elle fait actuellement l'objet, est directement liée à l'approbation du PPRT en raison d'une rupture de concours bancaires intervenue consécutivement à la mise en oeuvre du plan (sic), alors que de 2009 à 2014, son chiffre d'affaires est stable (1 653 815 euros —etgt; 1 793 952 euros) et qu'au cours de la même période, son résultat d'exploitation reste positif ;
ALORS, 1°), QUE les juges du fond sont tenus d'indiquer sur quel élément de preuve ils se fondent ; qu'en affirmant que la raffinerie de Provence fonctionnait dans les mêmes conditions lorsque l'officine s'est installée en 2008 à proximité du site, sans préciser sur quel élément de preuve elle fondait une telle assertion, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, 2°), QUE c'est à celui qui se prétend libéré d'une obligation de prouver le fait qui justifie cette libération ; que c'est ainsi à celui qui invoque, pour échapper à sa responsabilité pour trouble anormal de voisinage, l'effet exonératoire de l'antériorité de son exploitation de démontrer que l'exploitation de ses activités est antérieure à l'occupation du bâtiment par le demandeur, qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions et qu'elles s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ; qu'en faisant peser sur l'Eurl Pharmacie A... la charge de prouver que la raffinerie avait fait l'objet de modifications dans ses conditions d'exploitation depuis qu'elle avait occupé les locaux dans lesquels elle exploite son fonds de commerce, la cour d'appel a violé l'article 1353 du code civil, ensemble le principe selon lequel nul ne peut causer à autrui des dommages excédant les inconvénients normaux de voisinage et l'article L. 112-16 du code de la construction et de l'habitation ;
ALORS, 3°), QUE, dans ses conclusions d'appel (p. 6, § 7, et p. 7, § 1er) , l'Eurl Pharmacie A... , après avoir rappelé que, le 9 novembre 1992, un accident s'était produit dans la raffinerie, la rupture d'une canalisation ayant laissé échapper un nuage gazeux d'hydrocarbures qui s'est enflammé dans l'unité de transformation des distillats en carburant, avait fait valoir que « l'instruction a mis en évidence des défaillances dans le contrôle et l'entretien des installations industrielles de la raffinerie, dont certaines étaient vétustes et non conformes aux normes » et avait sollicité la désignation d'un expert aux fins, notamment, « de connaître précisément l'étendue et l'origine des risques encourus afin de déterminer si les prescriptions réglementaires en matière pétrolière sont respectées par la société Total Raffinage France » ; qu'en affirmant que l'Eurl Pharmacie A... ne prétendait pas que l'activité de la société Total Raffinage France était exercée en infraction aux dispositions législatives ou réglementaires en vigueur, la cour d'appel a dénaturé les conclusions dont elle était saisie, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile ;
ALORS, 4°) et en tout état de cause, QUE les dommages causés par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques n'ouvrent pas droit à réparation lorsque l'occupation du bâtiment exposé auxdites nuisances est postérieure à l'existence des activités, dès lors que celles-ci s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions ; qu'en exonérant la société Total Raffinage France de sa responsabilité, sans avoir constaté que son activité de raffinerie s'exerçait en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 112-16 du code de la construction et de l'habitation.