LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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La société X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 7 juin 2017, qui a déclaré irrecevable sa constitution de partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 30 octobre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Y..., conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Bray ;
Sur le rapport de M. le conseiller Y..., les observations de la société civile professionnelle FOUSSARD et FROGER, de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Z... ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 29 de la loi du 29 juillet 1881, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, 1382 du code civil, défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable l'action en diffamation engagée par la société X... ;
"aux motifs propres que les propos litigieux se font l'écho, ainsi qu'il l'est précisé dans le deuxième passage poursuivi, d'un article qui venait d'être publié le 27 avril 2013 sur le site Internet du quotidien Le Monde ; que les troisième et quatrième passages poursuivis reprennent très exactement les termes de cet article ; que, comme le rappellent les parties, l'article du 27 avril 2013 a fait l'objet de poursuites ayant donné lieu à un jugement du 3 décembre 2015, confirmé par un arrêt de cette chambre, le 22 septembre 2016, aux termes desquels la société X... a été déclarée recevable en son action mais déboutée de ses demandes, la cour ayant estimé comme le tribunal que les journalistes devaient bénéficier de l'excuse de bonne foi ; que sur la recevabilité de l'action de la société X... dans la présente instance, que les termes litigieux doivent être appréciés, tels qu'ils figurent sur le site Internet [...] et non pas en se référant à l'article du monde précité ; qu'en effet, que, comme le tribunal l'a relevé, seul M. Vincent X... est nommément cité tant dans le titre que dans les passages litigieux de l'article, ce qui conduit à comprendre qu'il est personnellement mis en cause dans le rôle qu'il aurait joué dans le financement occulte et illicite de la campagne de M. Nicolas A... ; que la seule indication figurant dans le dernier passage que le profit qu'aurait pu tirer M. X... de son rôle d'intermédiaire dans des transports de fonds, serait la concession du port de Misrata, ne peut suffire à faire comprendre au lecteur que c'est la société X... qui est en cause et que M. X... n'est cité qu'en qualité de dirigeant de cette société et non pas à titre personnel ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action exercée par la société X... ;
"et aux motifs éventuellement adoptés que le prévenu soulève l'irrecevabilité de l'action engagée à son encontre par la société X... qui n'est ni citée ni visée dans l'article en cause, l'auteur de l'article ayant pris soin de citer le prénom « Vincent », dans le titre afin de dissiper toute confusion ; qu'en effet, que l'article en cause, reprenant, comme il l'indique, des informations publiées dans le journal Le Monde, impute sans ambiguïté à la personne physique, M. X..., d'avoir joué un « râle important » dans un financement illicite de la campagne électorale de M. Nicolas A..., détaillant avec précision ce rôle, soit en servant « d'intermédiaire, via notamment le Liechtenstein, pour le transfert des fonds libyens destinés au financement occulte de [cette] campagne » ; que la personne morale, qui jouit d'une personnalité distincte de celle de ses dirigeants, ne peut sérieusement soutenir qu'il lui est imputé « via son représentant légal », d'avoir participé à un financement occulte d'une campagne électorale en effectuant un transfert de fonds via le Lichtenstein, aucun élément ne laissant supposer qu'elle serait visée par ces propos ; que, s'il est exact que le quatrième passage incriminé évoquant une intervention du secrétaire général de l'Élysée, M. Claude B..., qui « du coup » aurait « obtenu du régime libyen » l'éviction de « M. C..., avec qui il était lié par différents accords, au profit de M. X..., ce dernier obtenant par exemple en janvier 2011,[...] la concession du port de Misrata », pourrait conduire le lecteur à s'interroger et effectuer des recherches pour vérifier si, en réalité, ce ne serait pas la société X... qui aurait obtenu la concession du port de Misrata, plutôt que M. X... comme cela est affirmé dans l'article litigieux, cette circonstance ne saurait conduire à juger que la société X... est visée par les propos incriminés ; qu'en effet, c'est de façon bien trop indirecte et au prix d'une interprétation excédant le sens des propos incriminés, que la société partie civile pouffait être suivie dans son argumentation contestant l'irrecevabilité de son action, alors surtout que l'ensemble de cet article est exclusivement centré sur la personne de M. X..., que ce soit le titre qui le désigne par ses nom et prénom, son illustration par un cliché le représentant, son contenu rapportant un conflit entre deux hommes : MM. X... et Jacques C..., lequel aurait déposé une plainte contre celui-là, sans que la société X... ne soit à aucun moment citée ; que la société X... n'étant pas visée par les propos incriminés, son action sera déclarée irrecevable ;
"1°) alors que des propos présentant, fût-ce sous une forme allusive, une personne morale comme bénéficiaire d'agissements frauduleux commis par son dirigeant portent nécessairement atteinte à la considération de ladite personne morale ; qu'en retenant que la société X... n'était pas visée par les propos incriminés, quand à la faveur du rapprochement du deuxième passage incriminé, lequel visait M. X..., « patron du groupe éponyme », et du quatrième passage incriminé, indiquant que ses agissements lui avait permis d'obtenir l'attribution d'une concession portuaire dont seule une personne morale peut être titulaire, l'article laissait entendre que la société X... avait bénéficié des agissements frauduleux commis par son dirigeant, M. X..., les juges du fond ont violé les textes susvisés ;
"2°) alors que pour déterminer la portée de propos diffamatoires, aux fins de savoir si une personne morale est visée au travers de son dirigeant, les juges doivent prendre en considération l'ensemble de l'article et son contexte ; qu'en refusant de se référer à l'article publié sur le site du journal Le Monde auquel l'article renvoyait, les juges du fond, qui ont exclu de tenir compte d'un élément extrinsèque, relevant du contexte de l'article comportant les propos incriminés, ont violé les textes susvisés ;
"3°) alors que pour déterminer la portée de propos diffamatoires, aux fins de savoir si une personne morale est visée au travers de son dirigeant, les juges doivent prendre en considération l'ensemble de l'article et son contexte ; qu'avant que de retenir que la société X... n'était pas visée par les propos incriminés, les juges du fond auraient dû s'expliquer, ainsi qu'ils y étaient invités, sur le fait que l'article présentait l'avocat sollicité pour répondre aux accusations de M. C... comme « l'avocat du groupe X... » et se concluait sur la décision du « Groupe Havas, contrôlé par X... » de renoncer à certaines activités de conseil ; que faute de l'avoir fait, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de la procédure que la société X... a porté plainte et s'est constituée partie civile du chef précité, en raison de la mise en ligne, sur le site internet www.[...], au sein d'un article intitulé "Vincent X... accusé d'avoir joué un "rôle important" dans un financement libyen en faveur de A...", outre de ce titre lui-même, des trois autres passages suivants : "Vincent X..., patron du groupe éponyme, a été accusé par l'homme d'affaires Jacques C... d'avoir joué "un rôle important" dans un financement illicite de la campagne présidentielle de Nicolas A..., en 2007, par la Libye de H..., rapporte le quotidien Le Monde dans son édition électronique du 27 avril" ; "D'après le récit livré au juge par M. C..., ses deux interlocuteurs lui auraient expliqué qu'ils étaient contraints de stopper toute collaboration avec lui, au profit de M. X... à la suite des injonctions de Claude B..., alors secrétaire général de l'Elysée, "M. B... a rappelé à MM. E... et F..., qui me l'ont répété, que M. X... avait joué un rôle important dans le financement de la campagne de M. A... en 2007", a précisé M. C... au Monde, signalant que "Vincent X... aurait servi d'intermédiaire, via notamment le Liechtenstein, pour le transfert des fonds
libyens destinés au financement occulte de la campagne de A..."" ; "M. B... aurait, du coup, obtenu que le régime libyen évince M. C..., avec qui il était lié par différents accords, au profit de M. X..., ce dernier obtenant par exemple en janvier 2011, juste avant le déclenchement de la révolution qui allait causer la perte de H..., la concession du port de Misrata" ;
Que M. Dominique G..., directeur de la publication du site internet, ayant été renvoyé devant le tribunal correctionnel, les premiers juges ont dit irrecevable l'action de la société X... ; que celle-ci a, seule, relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, l'arrêt attaqué énonce que les propos litigieux doivent être appréciés tels qu'ils figurent sur le site internet poursuivi, et non pas en se référant à l'article du journal Le Monde dont ils se font l'écho et contre lequel la société X... a engagé une action jugée recevable, mais dont elle a été déboutée, les journalistes ayant bénéficié de l'excuse de bonne foi ; que les juges ajoutent que seul M. Vincent X... est cité dans les passages litigieux et présenté comme personnellement mis en cause dans un financement politique occulte et illicite,et que la seule indication qu'il aurait tiré profit de son rôle d'intermédiaire en obtenant une convention de gestion portuaire ne suffit pas à donner à comprendre que la société X... serait en cause et que M. X... serait seulement cité en sa qualité de dirigeant de celle-ci ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que la diffamation visant une personne ne peut rejaillir sur une autre que dans la mesure où les imputations diffamatoires lui sont étendues, fût-ce de manière déguisée ou dubitative, ou par voie d'insinuation, la cour d'appel, qui appréciant exactement le sens et la portée des propos incriminés, éclairés par les éléments extrinsèques qu'elle a retenus comme pertinents et qu'elle a souverainement analysés, en a déduit que la société X... n'était visée par aucune imputation diffamatoire, n'a méconnu aucun des textes invoqués au moyen, lequel doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme que la société X... devra payer à M. G... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale au profit de la société X... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze décembre deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.