LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, ci-après annexé :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 11 mai 2017), que la Société d'économie mixte d'équipement de la Lozère (la SELO), concessionnaire de l'aménagement de la zone, a confié à la société Par Fair, assurée par la société Axa France IARD, une mission complète de maîtrise d'oeuvre pour l'extension d'un parcours de golf sur des parcelles présentées, dans le rapport d'études de sols, comme instables et sujettes à des glissements de terrain ; que la société Marquet, assurée auprès de la SMABTP, s'est vu attribuer le lot « terrassement » comportant aussi des travaux de drainage et d'assainissement ; qu'en cours de travaux, d'importants et nombreux glissements de terrain se sont produits, entraînant des retards et des coûts supplémentaires ; qu'après expertise, la SELO a assigné les intervenants et leurs assureurs en indemnisation de son préjudice ;
Attendu que la SELO fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes contre les sociétés Marquet et Par Fair pour les glissements de terrains des trous n° 3 et 9, jugés imputables à la force majeure ;
Mais attendu qu'ayant retenu que le glissement de terrain constaté à hauteur des trous n° 3 et 9 n'était pas imputable à des fautes d'exécution ou à des erreurs de conception mais à un aléa géologique non détectable et consistant en la présence d'un thalweg sur le toit de marnes compactes surmontant des marnes altérées sur six mètres de profondeur, que l'étude de faisabilité n'alertait pas les intervenants sur la présence possible d'un thalweg dans cette situation, que, même en multipliant les sondages au droit du trou n° 3 et en effectuant une étude de sols de type G2, l'accident géologique, très circonscrit dans sa localisation, n'aurait pas été détecté, que, si les plans avaient été établis sur la base d'une étude de sol de type G2 et si la société Marquet n'avait commis aucune des fautes d'exécution retenues par ailleurs, le glissement serait tout de même survenu, la cour d'appel, qui a constaté le caractère imprévisible du dommage nonobstant l'instabilité notoire des terrains, son irrésistibilité et son extranéité à l'activité des intervenants, a pu en déduire, répondant aux conclusions prétendument délaissées, que la présence du thalweg ayant entraîné le glissement de terrain des trous n° 3 et 9 constituait un événement de force majeure exonérant les intervenants de toute responsabilité ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Société d'économie mixte d'équipement de la Lozère aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la Société d'économie mixte d'équipement de la Lozère et la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la société Marquet ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six décembre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour la société d'économie mixte d'équipement pour le développement de la Lozère.
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré les sociétés Marquet et Par Fair responsables in solidum des glissements de terrains survenus avant mars 2007, à l'exception de ceux des trous n° 3 et 9, jugés imputables à la force majeure,
AUX MOTIFS QUE « la Selo n'a eu de cesse de dénoncer les manquements de la société Marquet dans la reprise des glissements de terrains qui sont survenus dès le début des travaux et qui se sont reproduits à plusieurs reprises en cours d'exécution du chantier et a dénoncé le marché le 19 mai 2005, après avoir vainement mis en demeure l'entreprise d'achever les travaux.
La Selo fonde ses prétentions, à titre principal, sur la responsabilité contractuelle de la société Marquet et du maître d'oeuvre.
Elle fonde ses demandes, à titre subsidiaire, sur la garantie décennale s'agissant des glissements survenus postérieurement à la résiliation du marché sans pour autant demander à la cour de constater la réception tacite ou de prononcer la réception judiciaire des travaux réalisés par la société Marquet.
Les glissements de terrains, pour lesquels la Selo recherche la responsabilité des intimés, se sont produits pendant la phase d'exécution du chantier mais également après la résiliation du marché de la société Marquet.
A supposer que la date de résiliation du marché puisse être retenue comme date de réception des travaux, ainsi que le laisse entendre la Selo dans son moyen subsidiaire, les responsabilités de la société Marquet et du maître d'oeuvre auraient quand même été de nature contractuelle s'agissant de désordres révélés pendant la phase d'exécution des travaux et dès le démarrage du chantier, qui n'auraient pas manqué de faire l'objet de réserves à la réception.
Les responsabilités de l'entreprise chargée du terrassement et du maître de d'oeuvre ne peuvent donc être recherchées que sur un fondement contractuel quelle que soit la date d'apparition des glissements de terrain.
Les désordres n'ont pas fait l'objet de la même attention de la part de l'expert judiciaire selon qu'ils sont survenus avant (rapport du 26 septembre 2007) ou après le dernier accédit du 19 mars 2007 (additif du 24 octobre 2007).
Il conviendra par conséquent, ainsi que l'a justement décidé le premier juge, de procéder à l'analyse des glissements de terrain selon qu'ils sont survenus avant le dernier accédit de mars 2007 ou postérieurement à celui-ci.
1) Sur les glissements survenus avant le dernier accédit du 19 mars 2007:
Les premiers glissements de terrains se sont produits pendant l'été 2004, peu après le démarrage des travaux le 19 juillet 2.004, et le 29 septembre 2004 au niveau des trous n° 6 et 8 ainsi que cela ressort du compte rendu de chantier n° 9 en date du 2 septembre 2004.
Des glissements plus ou moins importants se sont reproduits sur ces mêmes trous en novembre 2004 (CR n° 18 et 20). Des glissements ont à nouveau été constatés pendant la période de noël 2004/2005 (CR n° 25) puis durant le mois de mars 2005 en amont du trou n° 3 et dans le secteur des trous n° 4, 6, 7 et 8 (CR n° 30).
Le même phénomène s'est répété entre juillet 2005 et février 2006, après le départ de la société Marquet en avril 2005, entre les trous 7 et 8 et au-dessus du trou n° 9 (procès-verbaux de constat d'huissier de juillet et octobre 2005 et de février 2006).
Pourtant, la société Marquet, professionnel du terrassement, de l'assainissement et du drainage, savait qu'elle intervenait « au sein d'une formation marneuse localement affectée par des glissements de terrains sur des épaisseurs voisines de 3 mètres, (
) associés à une saturation des marnes altérées et à des circulations hydrauliques souterraines » puisqu'elle avait pris connaissance des conclusions de l'étude géotechnique d'avant-projet G0G12, effectuée en mai 2003 par la société Géoconcept à la demande du maître d'oeuvre et annexée au dossier de consultation des entreprises.
En sa qualité de professionnel, il lui appartenait de procéder à un terrassement conforme aux règles de l'art et adapté à ce type de sols qui, selon la société en charge de l'étude de faisabilité, requérait : la purge des terrains saturés et glissés qui ne pouvaient être utilisés en remblais et devaient être régalés en fines couches sur des zones stables, la création de redans et la mise en oeuvre de dispositifs de drainage suffisants afin d'assurer la stabilité de l'assise des remblais et éviter l'entraînement des terres par les circulations d'eau souterraine.
Or, il résulte des constatations de l'expert judiciaire, en pages 11 et 12 du rapport, que la société Marquet n'a pas procédé à toutes les purges nécessaires (couche de limon non purgée au niveau du trou n° 7) et qu'elle a mis en oeuvre un sol de remplacement contenant des débris végétaux au niveau des parcours 4 et 7.
L'expert a relevé en outre la présence d'une couverture herbeuse en aval du tee 8.
Mais le plus grave est que la société Marquet n'a créé aucun redan, à une exception près, et qu'il a été constaté l'absence fréquente de drainages ce qui est à l'origine des glissements de terrain selon l'expert.
Les fautes d'exécution de la société Marquet constatées par l'expert, avant ou pendant la phase des travaux de reprise, sont à l'origine de tous les glissements survenus jusqu'au dernier accédit de mars 2007, à l'exception des glissements au niveau des trous n° 3 et 9 de mars 2005 et février 2006 que l'expert impute à un aléa géologique et qui seront examinés ultérieurement s'agissant des responsabilités.
Il résulte clairement de l'expertise judiciaire qu'à l'exception de ceux survenus au niveau des trous 3 et 9, tous les glissements de terrain précédemment énumérés qui se sont produits entre l'été 2004 et octobre 2005 ont eu lieu dans des zones terrassées par la société Marquet et ont pour origine ses fautes d'exécution.
Dans ces conditions, la société Marquet ne peut sérieusement soutenir que sa responsabilité ne peut pas être recherchée pour les glissements survenus après son départ des lieux le 1er avril 2005.
Les fautes d'exécution les plus graves de la société Marquet étant quasiment généralisées (absence de redans ou de drainage), la société Par Fair, investie d'une mission de maîtrise d'oeuvre complète, aurait dû les déceler lors de la direction du chantier et aurait dû exiger, après le premier glissement de l'été 2004, de réceptionner les fonds de fouille avant le remblaiement et en présence du géotechnicien qu'elle avait décidé de s'adjoindre, ce qu'elle n'a pas fait ainsi que cela ressort des conclusions de l'expert judiciaire.
La société Marquet et la société Par Fair tentent de se dédouaner en reprochant au maître de l'ouvrage de n'avoir pas fait procéder à des études de sol et d'exécution plus poussées.
Mais la société d'économie mixte d'équipement pour le développement de la Lozère est une société en charge de l'aménagement du territoire.
Ses qualités vantées sur son site internet en matière « d'ingénierie, de conseil, d'expertise et toute assistance à maîtrise d'ouvrage » ne suffisent pas à démontrer ses compétences notoires en matière de construction d'ouvrages. II ne peut lui être reproché de n'avoir pas réclamé une étude de sol complémentaire alors qu'elle ne disposait pas des compétences pour en apprécier le caractère indispensable et qu'elle s'était entourée d'une équipe de professionnels qui n'ont pas jugé utile de recourir à une telle étude. Les demandes des sociétés Par Fair et Marquet visant à faire supporter la responsabilité des désordres au maître de l'ouvrage à concurrence de 25% seront rejetées ainsi que l'a justement décidé le premier juge dont la décision sera confirmée sur ce point.
Tenant l'instabilité des sols révélée par l'étude de faisabilité G0G12 réalisée en 2003 au stade de l'avant-projet, il incombait au maître d'oeuvre en charge de la conception et de la direction des travaux et au professionnel du terrassement de conseiller au maître de l'ouvrage de faire procéder à une étude de sol plus poussée afin d'adapter les plans d'exécution à la configuration de chaque trou, ce qu'ils n'ont pas fait.
Le maître d'oeuvre a en effet attendu le premier glissement de terrain de l'été 2004 pour décider de s'adjoindre un spécialiste des sols afin de l'assister dans la phase d'exécution des travaux sans pour autant recommander au maître de l'ouvrage de recourir à une étude d'exécution de type G2 ni décider de réceptionner les fonds de fouille avec l'assistance du géotechnicien alors que ces diligences auraient permis de déceler ou de prévenir les fautes d'exécution de la société en charge du terrassement.
La société Marquet ne peut invoquer l'absence de plans d'exécution au démarrage des travaux dès lors que, en sa qualité de professionnel du terrassement, il lui appartenait d'exiger ceux-ci et de suspendre au besoin son intervention si certaines pièces indispensables à la bonne exécution des travaux faisaient défaut, ce qu'elle n'a pas cru devoir faire.
La société Par Fair et la société Marquet doivent donc être déclarées entièrement responsables des glissements survenus avant le dernier accédit de mars 2007, à l'exception de ceux survenus au droit des trous 3 et 9 qui vont être examinés ci-après et le jugement sera confirmé sur ce point.
L'appelante conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit que les glissements de terrains des trous 3 et 9 étaient imputables à la force majeure. Elle soutient que l'accident géologique était prévisible en son principe sinon en sa localisation et que si le maître d'oeuvre et l'entreprise Marquet avaient sollicité une étude de type G2 et procédé à des sondages complémentaires au niveau de chaque trou, comme la société Marquet s'y était engagée dans son plan d'assurance qualité, cet aléa aurait été détecté ce qui aurait permis d'adapter les travaux et d'éviter les glissements de mars 2005 et février 2006.
Selon l'expert judiciaire, le glissement constaté en mars 2005 au niveau du trou 3, qui est à l'origine de celui survenu en février 2006 au-dessus du trou 9, n'est pas imputable aux fautes d'exécution, de direction ou de conseils des intervenants, mais à un aléa géologique indétectable consistant, au niveau du trou 3, en la présence d'un thalweg sur le toit des marnes compactes avec des marnes altérées sur six mètres de profondeur.
Ce type d'accident n'était pas prévisible au moment de la conclusion du contrat, contrairement à ce que soutient l'appelante, dès lors que l'étude de faisabilité notait la présence du toit des marnes compactes à environ trois mètres de profondeur, sous une couche de marnes altérées glissantes, et qu'elle n'alertait nullement le maître de l'ouvrage ou les intervenants sur la présence possible ou détectée d'un ou plusieurs thalwegs sur le toit du bon sol dissimulés sous une couche de six mètres de marnes altérées.
L'expert explique que, même en multipliant les sondages au droit du trou 3 et en effectuant une étude de sols de type G2, l'accident géologique, très circonscrit dans sa localisation, n'aurait pas été détectable en dehors d'un « coup de chance », ce qui démontre de plus fort son imprévisibilité.
Le glissement imprévisible survenu en mars 2005 était de surcroît irrésistible car même si les plans d'exécution avaient été établis sur la base d'une étude de sol de type G2 et même si la société Marquet n'avait commis aucune faute d'exécution, notamment en créant des redans pour procéder au remblaiement et en installant des drainages suffisants, le glissement serait tout de même survenu en raison de la présence de marnes altérées sur six mètres de profondeur.
Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a dit que les glissements de terrains des trous 3 et 9 sont imputables à un cas de force majeure » (arrêt, p. 7 à 11),
1) - ALORS QUE la force majeure est caractérisée par un événement extérieur, imprévisible et irrésistible ; qu'en jugeant que les glissements de terrains au droit des trous n° 3 et 9 étaient constitutifs d'un cas de force majeure car imprévisibles, alors qu'elle avait constaté que les sociétés Marquet et Par Fair savaient qu'elles intervenaient « au sein d'une formation marneuse affectée par des glissements de terrain », de sorte qu'un tel événement, affectant le terrain sur lequel elles étaient intervenues, ne pouvait être regardé comme imprévisible, et donc constitutif d'un cas de force majeure, la cour d'appel a violé l'article 1148 du code civil,
2) - ALORS QUE le juge est tenu de répondre aux conclusions des parties ; qu'en l'espèce, la cour a relevé, pour dire que les glissements de terrains étaient irrésistibles, et non imputables aux entreprises Marquet et Par Fair, que l'étude géotechnique réalisée avait noté la présence du toit de marnes compactes à environ trois mètres de profondeur, sous une couche de marnes altérées glissantes, avant d'ajouter que même si des plans d'exécution avaient été établis sur la base d'une étude géologique de type G2 et même si la société Marquet n'avait commis aucune faute d'exécution en créant des redans pour procéder au remblaiement et en installant des drainages suffisants, le glissement serait tout de même survenu en raison de la présence de marnes altérées sur six mètres de profondeur ; qu'en statuant de la sorte, sans répondre aux conclusions (p. 17, 18 etamp; 28) qui soutenaient qu'il n'avait pu échapper à la société Marquet que la profondeur des marnes altérées excédait les 3 mètres mentionnés dans l'étude géotechnique, ce dont elle n'avait pas informé le maître d'oeuvre (concl. préc., p. 13), et que si elle avait purgé les mauvais matériaux jusqu'au niveau des marnes sèches compactes se trouvant à environ 6 mètres de profondeur, des mesures auraient pu être prises pour éviter les désordres, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile,
3) - ALORS QUE la force majeure est caractérisée par un événement extérieur, imprévisible et irrésistible ; qu'en se bornant à considérer, pour retenir la force majeure, que les glissements de terrains ayant affecté les trous n° 3 et 9 étaient imprévisibles et irrésistibles, sans relever, alors que cette circonstance était contestée, qu'ils étaient également extérieurs aux sociétés Marquet et Par Fair, la cour d'appel a violé l'article 1148 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016,
4) - ALORS QUE le juge est tenu de répondre aux conclusions des parties ; qu'en l'espèce, la Selo avait écrit (concl., p. 13) que, d'une part, la société Marquet avait effectué les terrassements à l'emplacement des trous n° 3 et 9 sans purger les mauvais matériaux jusqu'au niveau des marnes sèches compactes qui se trouvaient à environ 6 mètres de profondeur, ce qui n'avait pu lui échapper, que d'autre part, elle n'avait pas exécuté les redans, et qu'enfin, elle n'avait pas signalé au maître d'oeuvre que le niveau des marnes compactes n'était pas atteint à 3 mètres de profondeur, ce dont elle déduisait que sans ces manquements, les glissements de terrains ne se seraient pas produits, de telle sorte qu'ils ne pouvaient être considérés comme extérieurs et constitutifs d'une force majeure ; qu'en jugeant néanmoins, sans répondre à ces conclusions, que les glissements de terrains des trous n° 3 et 9 étaient imputables à un cas de force majeure, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.