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21/11/2018 | FRANCE | N°16-21534

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 21 novembre 2018, 16-21534


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 4 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y... a été engagé par la société Carrefour hypermarchés Drancy (la société) le 4 juillet 2000 selon contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'équipier de service ; qu'il a été élu délégué du personnel du 26 mars 2002 au 26 mars 2006, puis délégué syndical et représentant syndical au comité d'entreprise à compter du 15 novembre 2006 ;

qu'il a été licencié pour faute grave le 24 octobre 2008, après autorisation de l'administration...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 4 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y... a été engagé par la société Carrefour hypermarchés Drancy (la société) le 4 juillet 2000 selon contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'équipier de service ; qu'il a été élu délégué du personnel du 26 mars 2002 au 26 mars 2006, puis délégué syndical et représentant syndical au comité d'entreprise à compter du 15 novembre 2006 ; qu'il a été licencié pour faute grave le 24 octobre 2008, après autorisation de l'administration du travail ; qu'il a saisi la juridiction administrative et la juridiction prud'homale en 2009, puis demandé le retrait du rôle de l'instance judiciaire dans l'attente de la décision administrative ; que, par jugement du 2 mars 2011, le tribunal administratif a annulé la décision du ministre du travail autorisant le licenciement ; que la cour administrative d'appel a rejeté le recours de la société et que le Conseil d'Etat a dit non admis le pourvoi qu'elle a formé le 6 février 2013 ; que le salarié a fait valoir devant le juge judiciaire qu'il avait demandé sa réintégration par courrier du 15 mars 2011 et sollicité diverses sommes en conséquence ;

Attendu que pour condamner la société à payer au salarié diverses sommes au titre de son préjudice matériel équivalent aux salaires dus sur la période du 24 octobre 2008 au 16 mars 2016, des congés payés afférents et de son préjudice moral, prononcer la résiliation du contrat de travail à ses torts, en conséquence la condamner à régler diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement et pour licenciement illicite, la cour d'appel retient que le salarié produit aux débats un courrier daté du 15 mars 2011 adressé à la société en ces termes : « Suite au jugement du Tribunal administratif, je maintiens ma demande d'être réintégré et indemnisé du préjudice subi », courrier qui n'est pas argué de faux par l'employeur qui se contente d'affirmer que l'appelant « n'a jamais demandé sa réintégration » ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'employeur faisait valoir dans ses conclusions que le salarié n'avait jamais produit de pièce dans le sens d'une demande de réintégration devant les diverses juridictions tant administratives que judiciaires pendant près de 8 ans, communiquant le 8 mars 2016 dans le cadre de la procédure devant la cour d'appel une prétendue demande qu'il aurait faite le 15 mars 2011 sans démontrer qu'il l'avait adressée à son employeur à cette date, la cour d'appel a dénaturé ces écritures ;

PAR CES MOTIFS :

Casse et annule, sauf en ce qu'il confirme le jugement du conseil des prud'hommes de Bobigny en ses dispositions sur l'indemnité compensatrice de préavis, pour licenciement nul pour violation du statut protecteur, au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et les dépens afférents à la procédure devant le conseil des prud'hommes, l'arrêt rendu le 1er juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points restant en litige, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne M. Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un novembre deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Carrefour hypermarchés

Il est fait grief à l'arrêt d'AVOIR condamné la société Carrefour Hypermarchés Drancy à payer à M. Y... les sommes de 126 254,78 € au titre de son préjudice matériel équivalent aux salaires dus sur la période du 24 octobre 2008 au 16 mars 2016, 12 625,47 € d'incidence congés payés et 5 000 € au titre de son préjudice moral, d'AVOIR prononcé la résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Carrefour Hypermarchés Drancy, en conséquence de l'AVOIR condamnée à régler les autres sommes de 3146,04 € d'indemnité compensatrice de préavis, 314,60 € de congés payés afférents, 6204,69 € d'indemnité légale de licenciement et 10 000 € pour licenciement illicite et de l'AVOIR condamnée à payer des sommes au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens.

AUX MOTIFS QUE « L'article L. 2422-1 du code du travail rappelle que dans l'hypothèse où le juge administratif annule la décision du ministre qui, sur recours hiérarchique, a autorisé le licenciement d'un salarié investi d'un mandat électif ou syndical, celui-ci « a le droit, s'il le demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, d'être réintégré dans son emploi ou un emploi équivalent ». M. A... Y... produit aux débats un courrier daté du 15 mars 2011 adressé à l'intimée en ces termes': « Suite au jugement du Tribunal administratif, je maintiens ma demande d'être réintégré et indemnisé du préjudice subi » - sa pièce 17 -, courrier qui n'est pas argué de faux par l'employeur qui se contente d'affirmer que l'appelant « n'a jamais demandé sa réintégration ». Le contrôle exercé par le juge administratif sur la légalité des décisions de l'autorité administrative est un contrôle renforcé portant tant sur la légalité externe qu'interne de l'acte critiqué. Le contrôle de légalité externe concerne notamment la régularité de la procédure suivie aux fins d'autorisation du licenciement d'un salarié protégé. Le fait qu'en l'espèce le tribunal administratif de Montreuil, dans son jugement du 2 mars 2011, au visa de l'article R. 2421-6 du code du travail, ait annulé la décision du ministre du travail prise le 16 octobre 2008 pour un motif de légalité externe portant sur «la longueur excessive » du délai s'étant écoulé entre le 21 avril 2009 - date de début de la mise à pied de M. Jean A... Y... dans l'attente de la décision de l'inspection du travail - et le 13 mai suivant - date de saisine de celle-ci - importe peu du point de vue des effets y étant attachés. Que ce soit pour un motif de légalité externe ou interne, d'une manière générale, l'annulation d'une décision d'autorisation de licenciement par le tribunal administratif ne laisse rien subsister de celle-ci, de sorte que dans cette hypothèse le contrat de travail du salarié protégé est toujours en cours et ne peut être rompu qu'à la suite de l'obtention par l'employeur d'une nouvelle autorisation administrative, sans que le juge judiciaire puisse, au nom du principe tiré de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur le fond puisque seule l'autorité administrative, sous le contrôle du juge administratif, est compétente pour apprécier si les faits reprochés au salarié sont constitutifs d'une faute d'une gravité suffisante pour autoriser son licenciement. Dans cette situation, le salarié est alors en droit de solliciter sa réintégration au sein de l'entreprise dans le délai légal de deux mois partant de la date de notification du jugement du tribunal administratif, droit à réintégration susceptible d'une seule exception dans sa mise en oeuvre si le juge d'appel, saisi à cette fin, ordonne le sursis à exécution dudit jugement, demande à laquelle la cour administrative d'appel de Versailles n'a pas fait droit au vu de son ordonnance précitée du 8 avril 2011. En application de l'article L. 2422-4 du code du travail, la réparation du préjudice subi par le salarié en cas d'annulation par le tribunal administratif de l'autorisation de licenciement est subordonnée au caractère définitif du jugement. En l'espèce, le jugement précité du tribunal administratif de Montreuil, qui a annulé la décision d'autorisation de licenciement prise par le ministre du travail, jugement confirmé par la cour administrative d'appel de Versailles dans un arrêt du 31 mai 2012 et pour lequel le Conseil d'Etat a déclaré le pourvoi non admis, ouvrait ainsi pour M. Jean A... Y... un droit à réintégration au sein de la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES qui s'y est toujours refusée. Dès lors que l'intimée s'est abusivement opposée à la réintégration de M. Jean A... Y... qui l'a sollicité en son temps, infirmant le jugement entrepris pour n'avoir retenu qu'une période d'indemnisation du 10 novembre 2008 au 10 mai 2011, comme suggéré par la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES, il convient en conséquence de la condamner à lui payer en réparation de son préjudice matériel correspondant aux salaires dus la somme de 126 254,78 € du 24 octobre 2008 au 16 mars 2016, déduction faite des revenus et autres prestations perçus sur ladite période de référence (-13 744 €), et 12 625,47 € d'incidence congés payés, avec intérêts au taux légal partant du 18 décembre 2009, date de réception par l'employeur de la convocation en bureau de conciliation. Au titre de son préjudice moral qui en est résulté compte tenu du comportement d'obstruction persistant de la part de la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES, en dépit des décisions de justice rendues, infirmant tout autant la décision critiquée, il convient de la condamner à payer à l'appelant la somme indemnitaire de 5 000 € majorée des intérêts au taux légal partant du présent arrêt. Comme précédemment rappelé, dès lors que l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement par le tribunal administratif ne laisse rien subsister de celle-ci, le salarié est au plan des principes fondé à obtenir la pleine et entière exécution de son contrat de travail. Au soutien de sa demande de ce chef, M. Jean A... I. considère que l'intimée a commis un manquement en refusant de le réintégrer malgré ses sollicitations, manquement fondant le prononcé de la résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES qui ne lui a pas fourni de travail en échange d'un salaire, ce à quoi celle-ci s'oppose. Le fait pour la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES d'avoir décidé de ne pas réintégrer l'appelant qui en avait fait pourtant la demande par un courrier daté du 15 mars 2011 dans le respect du délai légal de deux mois, le privant ainsi d'un travail contre rémunération, constitue un manquement fautif suffisamment grave de nature à rendre impossible la poursuite de l'exécution du contrat de travail entre les parties. Infirmant la décision critiquée sur ce point, il sera ainsi prononcé par la cour la résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES, avec effet à la date du présent arrêt. »

1) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les conclusions claires et précises des parties ; qu'en l'espèce, la société Carrefour Hypermarchés Drancy soutenait dans ses conclusions oralement soutenues à l'audience (cf. arrêt page 2, § 4) que M. Y... n'avait jamais demandé sa réintégration et n'avait jamais produit de pièce en ce sens, communiquant le 8 mars 2016 seulement une prétendue demande qu'il aurait faite par courrier daté du 15 mars 2011, sans démontrer qu'il l'avait effectivement adressé à cette date (cf. conclusions de la Société, page 15) ; qu'en affirmant que la société Carrefour Hypermarchés Drancy ne soutenait pas que ce courrier était un faux et se contentait d'affirmer que M. Y... n'avait jamais demandé sa réintégration, alors qu'elle faisait également valoir que l'intéressé n'établissait pas lui avoir adressé le courrier litigieux, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société Carrefour Hypermarchés Drancy en violation de l'article 4 du code de procédure civile.

2) ALORS à tout le moins QU'en omettant de répondre au moyen pris de ce que le salarié n'établissait pas avoir adressé le courrier litigieux daté du 15 mars 2011 (v. conclusions de la Société, p. 15), la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.

3) ALORS QU'il appartient au salarié, qui prétend avoir adressé un courrier demandant sa réintégration, d'établir qu'il l'a bien envoyé, sans que l'employeur, qui le conteste, ait à arguer ou à démontrer qu'il s'agirait d'un faux ; qu'en reprochant à l'employeur de ne pas avoir argué de faux le courrier du 15 mars 2011 que le salarié disait avoir envoyé, et de s'être borné à affirmer que le salarié n'avait jamais demandé sa réintégration, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.

4) ALORS QUE le juge doit préciser l'origine de ses constatations ; qu'en affirmant qu'était produit aux débats un courrier du 15 mars 2011 « adressé » à l'intimée, sans à aucun moment préciser d'où résultait que ce courrier avait effectivement été adressé à la société Carrefour Hypermarchés Drancy, qui le contestait, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.


Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 01 juin 2016


Publications
Proposition de citation: Cass. Soc., 21 nov. 2018, pourvoi n°16-21534

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Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Coutard et Munier-Apaire, SCP Gatineau et Fattaccini

Origine de la décision
Formation : Chambre sociale
Date de la décision : 21/11/2018
Date de l'import : 15/09/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 16-21534
Numéro NOR : JURITEXT000037677036 ?
Numéro d'affaire : 16-21534
Numéro de décision : 51801680
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.cassation;arret;2018-11-21;16.21534 ?
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