LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
-
M. Eric X..., ès qualités de tuteur de M. Christophe X..., partie civile
- Le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO), partie intervenante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, 6e chambre, en date du 16 mars 2017, qui, dans la procédure suivie contre M. Y..., du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 9 octobre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme E..., conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de Mme le conseiller E..., les observations de la société civile professionnelle BORÉ, SALVE DE BRUNETON et MÉGRET, de la société civile professionnelle DELVOLVÉ et TRICHET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Z... ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Sur le pourvoi formé par le FGAO :
Attendu que le demandeur n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation ; qu'il y a lieu, en conséquence, de le déclarer déchu de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale ;
Sur le pourvoi formé par M. Christophe X... :
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1315 du code civil, l'article 1382 du code civil, dans sa version anterieure a l'ordonnance n° X2016-131 du 10 fevrier 2016, L. 211-9, L. 211-13 et L. 211-22 du code des assurances, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a debouté M. X... de sa demande tendant a ce que son préjudice produise intérêts au double du taux de l'intérêt légal a compter du 6 novembre 2007 et jusqu'au jour où l'arrêt est devenu définitif ;
"aux motifs qu'il résulte des éléments versés au dossier de la cour que si le sinistre est bien survenu le 19 aout 2006, le FGAO n'a reçu les procès-verbaux de l'accident que le 6 mars 2007 de sorte qu'il a pris attache avec la victime par lettre du 25 avril 2007 afin d'obtenir un certain nombre de renseignements sur sa situation et lui adresser le questionnaire d'indemnisation tout en l'informant de l'envoi d'une première provision de 15 000 euros ; que le Fonds a obtenu réception dudit questionnaire renseigné et daté du 2 mai 2007 par les proches de M. X..., le FGAO prenant alors l'initiative de faire expertiser la victime par le docteur A... faute d'obtention de pièces médicales ; que cet expert a établi son rapport le 18 septembre 2007 de sorte que le Fonds a fait parvenir a la victime une nouvelle provision de 35 000 euros cette fois ; qu'il résulte d'un courrier de l'avocat de M. X... en date du 10 juillet 2009 qu'à cette date, le FGAO avait procédé au versement d'une somme provisionnelle totale de 300 000 euros ; que, suite au dépôt du rapport d'expertise médicale judiciaire établi en sa forme définitive par MM. B... et C..., D..., le 21 septembre 2012, le FGAO, qui avait alors déjà procédé au versement de diverses provisions pour un montant total de 700 000 euros, a émis le 27 novembre 2012, soit dans le delai de cinq mois a compter de la notification de la date de consolidation de l'etat de la victime, une proposition indemnitaire ainsi libellée : - dépenses de santé actuelles et futures : mémoire (dans l'attente de justificatifs),
- aides techniques : mémoire (dans l'attente de justificatifs de la CPAM), assistance par tierce personne : 181 175,68 euros puis rente trimestrielle, frais de logement adapté : 50 679 euros,
- frais de véhicule adapté : mémoire (dans l'attente de factures),
- perte de gains professionnels actuels et futurs : mémoire (dans l'attente de l'obtention du contrat de travail de M. X...),
- souffrances endurées : 17 000 euros, préjudice esthétique permanent : 20 000 euros,
- préjudice esthétique temporaire : 4 000 euros,
-préjudice d'agrement : mémoire (dans l'attente de pièces justificatives),
- préjudice sexuel : 20 000 euros,
- préjudice d'établissement : 20 000 euros, gêne temporaire totale : 21180 euros, gêne temporaire partielle (90 %) : 13 302 euros,
- déficit fonctionnel permanent : 308 040 euros, que cette proposition indemnitaire n'a manifestement suggéré à la date du 26 février 2013 de la part de l'avocat de M. X... aucune réponse particuliere ; qu'en l'état de ces éléments, il n'est nullement démontré par la victime que le FGAO aurait méconnu les obligations que lui impose le code des assurances, la somme des provisions pour un total de 700 000 euros ne pouvant, au regard du préjudice à ce jour liquide à concurrence des montants sus-arrêtés, être sérieusement considérée comme dérisoire ou notoirement insuffisante ; qu'en conséquence, c'est à bon droit que le premier juge a entendu écarter la sanction du doublement des intérêts au taux légal, la décision dont appel étant en celà confirmée ;
"1°) alors qu'il appartient au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages de démontrer qu'il a adressé à la victime, dans le délai légal, une offre d'indemnisation dans les délais prévus par le code des assurances ; qu'en déboutant le demandeur de sa demande au motif qu'il n'est nullement démontré par la victime que le FGAO [a] méconnu les obligations que lui impose le code des assurances , la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé les textes visés au moyen ;
"2°) alors que le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages est tenu de faire une offre d'indemnisation, même provisionnelle, à la victime dans les huit mois qui courent à compter du jour ou celui-ci a reçu les éléments justifiant son intervention ; qu'en jugeant qu'il n'était pas démontré que le FGAO aurait méconnu les obligations que lui impose le code des assurances tandis qu'il ressortait de ses propres constatations que le Fonds avait reçu les procès-verbaux de l'accident le 6 mars 2007 et avait pris attache avec la victime par lettre du 25 avril 2007, mais qu'il ne lui avait adressé une offre d'indemnisation que le 27 novembre 2012, soit dans le délai de cinq mois à compter de la notification de la date de consolidation de l'état de la victime, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les textes visés au moyen ;
"3°) alors que, seule est valable l'offre d'indemnisable portant sur tous les chefs de préjudice indemnisables ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que l'offre faite par le FGAO à la victime le 27 novembre 2012 était insuffisante puisqu'elle ne visait pas tous les chefs de préjudices indemnisables ; qu'en jugeant néanmoins que le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages avait rempli ses obligations issues des articles L. 211-9 et L. 211-22 du code des assurances, la cour d'appel les a violés ;
"4°) alors que le versement d'une provision à la victime, par le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages ne le dispense pas de lui faire, dans les délais prévus a l'article L. 211-9 du code des assurances, une offre d'indemnisation prévoyant tous les chefs de préjudice indemnisables ; qu'en jugeant le contraire et en retenant qu'il n'était nullement démontré par la victime que le FGAO aurait méconnu les obligations que lui impose le code des assurances dès lors qu'elle lui avait versé des provisions pour un total de 700 000 euros ne pouvant, au regard du préjudice à ce jour liquidé à concurrence des montants sus-arrêtés, être sérieusement considérée comme dérisoire ou notoirement insuffisante, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"5°) alors que si le juge peut réduire l'indemnité due en application de l'article L. 211-13 du code des assurances, en raison de circonstances non imputables a l'assureur, il ne peut la supprimer totalement ; qu'en déboutant intégralement M. X..., représente par son tuteur, de sa demande tendant a l'obtention d'intérêts au double du taux de l'intérêt légal, en application de cette disposition, la cour d'appel l'a violée" ;
Vu les articles L. 211-9, L. 211-13 et L. 211-22 du code des assurances, 593 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'il résulte du premier de ces textes qu'une offre d'indemnité doit être faite à la victime qui a subi une atteinte à sa personne dans le délai maximum de huit mois à compter de l'accident, comprenant tous les éléments indemnisables du préjudice, y compris les éléments relatifs aux dommages aux biens lorsqu'ils n'ont pas fait l'objet d'un règlement préalable et que cette offre peut avoir un caractère provisionnel lorsque l'assureur n'a pas, dans les trois mois de l'accident, été informé de la consolidation de l'état de la victime, l'offre définitive d'indemnisation devant alors être faite dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l'assureur a été informé de cette consolidation ; qu'aux termes du deuxième, lorsque l'offre n'a pas été faite dans les délais impartis à l'article L. 211-9, le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêt de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif ; qu'enfin, en vertu du troisième, les dispositions des articles précédents sont applicables au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, institué par l'article L. 421-1 dans ses rapports avec les victimes ou ses ayants-droits, mais que toutefois, les délais prévus par l'article L. 211-9 courent contre le fonds à compter du jour où celui-ci a reçu les éléments justifiant son intervention ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 19 août 2006, M. Christophe X... a été grièvement blessé dans un accident de la circulation causé par M. Y..., celui-ci étant déclaré coupable de blessures involontaires par conducteur, sous l'empire d'un état alcoolique et ayant fait usage de stupéfiants, et entièrement responsable des conséquences de l'accident ; que le tribunal correctionnel ayant ordonné une mesure d'expertise médicale, un premier rapport, en date du 17 mars 2009, a notamment conclu à l'absence de consolidation de l'état de la victime, le rapport définitif étant déposé le 21 septembre 2012 ; que le conducteur n'étant pas assuré, le FGAO a procédé au versement de plusieurs sommes provisionnelles pour un montant total de 700 000 euros, puis a émis, le 27 novembre 2012, une offre d'indemnisation comportant une liste de préjudices ; que par jugement en date du 1er octobre 2014, le tribunal correctionnel a condamné M. Y... à indemniser M. X..., déclaré le jugement opposable au FGAO mais a rejeté la demande de la partie civile en doublement du taux des intérêts en vertu de l'article L. 211-9 du code des assurances ; que les parties civiles et le FGAO ont interjeté appel ;
Attendu que, pour rejeter la demande de M. X... en doublement du taux de l'intérêt légal à compter du 6 novembre 2007 jusqu'au jour où l'arrêt est devenu définitif, l'arrêt relève que, le sinistre étant survenu le 19 août 2006, le FGAO n'a reçu les procès-verbaux de l'accident que le 6 mars 2007 de sorte qu'il a pris attache avec la victime par lettre du 25 avril 2007 afin d'obtenir un certain nombre de renseignements sur sa situation et lui adresser le questionnaire d'indemnisation tout en l'informant de l'envoi d'une première provision de 15 000 euros, qu'il a obtenu réception dudit questionnaire renseigné et daté du 2 mai 2007 par les proches de M. X..., le FGAO prenant alors l'initiative de faire expertiser la victime par le docteur A... faute d'obtention de pièces médicales et que cet expert a établi son rapport le 18 septembre 2007 de sorte que le Fonds a fait parvenir à la victime une nouvelle provision de 35 000 euros cette fois ; que les juges ajoutent qu'il résulte d'un courrier du conseil de M. X... en date du10 juillet 2009 qu'à cette date, le FGAO avait procédé au versement d'une somme provisionnelle totale de 300 000 euros et qu' à la suite du dépôt du rapport d'expertise médicale judiciaire établi en sa forme définitive le 21 septembre 2012, le FGAO, qui avait alors déjà procédé au versement de diverses provisions pour un montant total de 700 000 euros, a émis le 27 novembre 2012, soit dans le délai de cinq mois à compter de la notification de la date de consolidation de l'état de la victime, une proposition indemnitaire détaillée portant sur certains chefs du préjudice; que la cour d'appel en déduit qu'en l'état de ces éléments, il n'est nullement démontré par la victime que le FGAO aurait méconnu les obligations que lui impose le code des assurances, la somme des provisions pour un total de 700 000 euros ne pouvant, au regard du préjudice à ce jour liquidé à concurrence des montants sus-arrêtés, être sérieusement considérée comme dérisoire ou notoirement insuffisante ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans constater qu'une offre provisionnelle comprenant tous les éléments indemnisables du préjudice avait été présentée à M. X... dans les huit mois de la date à laquelle le FGAO avait eu connaissance de son intervention, le paiement de provisions ne pouvant être assimilé à une offre, et sans indiquer en quoi l'offre définitive, présentée dans les cinq mois de la date à laquelle le fonds avait eu connaissance de la consolidation, présentait un caractère complet et suffisant, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
I. Sur le pourvoi formé par le FGAO :
Constate la déchéance du pourvoi ;
II. Sur le pourvoi formé par M. X... :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 16 mars 2017, mais en ses seules dispositions ayant rejeté la demande de M. Christophe X... relative au doublement du taux des intérêts sur le montant de l'indemnité allouée par le juge, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt novembre deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.