LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article L. 145-46-1 du code de commerce, ensemble l'article 8 de la loi du 10 juillet 1965 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 septembre 2017), rendu en référé, que la société Bocage a donné à bail commercial à la société Sixt des lots situés au rez-de-chaussée d'un immeuble en copropriété ; que, le 16 janvier 2017, elle a consenti à la société Saxe une promesse de vente portant sur ces lots, ainsi que sur le lot 232, donné à bail à la société Rent a Car ; que, le 10 février 2017, la société Sixt a assigné en référé la société Bocage afin de l'enjoindre de procéder, à son profit, à la notification de son droit de préférence ; que la société Bocage s'est opposée à la demande au motif que ce texte n'était pas applicable en cas de cession unique de locaux commerciaux distincts ;
Attendu que, pour accueillir la demande de la société Sixt, l'arrêt retient que, si le règlement de copropriété prévoit que tous les lots situés au rez-de-chaussée de l'immeuble sont à usage commercial, l'état descriptif de division définit le lot donné à bail à la société Rent a Car comme un logement, de sorte que ce lot ne constitue manifestement pas un local commercial distinct au sens de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, qui pourrait faire obstacle au droit de préférence de la société Sixt ;
Qu'en statuant ainsi, alors que seul le règlement de copropriété a valeur contractuelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne la société Sixt aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Sixt et la condamne à payer à la société Bocage et à la société Saxe la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze novembre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour les sociétés Bocage et Saxe
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir fait injonction à la SCI Bocage de procéder à la notification à la SAS Sixt, et ce au plus tard sous quinzaine à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard passé ce délai, de la promesse de vente en date du 16 janvier 2017 et dont le délai de réalisation a été prolongé par acte du 27 avril 2017 et d'avoir fait interdiction à la SCI Bocage et la SCI Saxe de réaliser la vente des locaux objet du bail commercial accordé à Sixt et le cas échéant de réitérer la promesse de vente, sous quelque forme que ce soit, et, pour la société Bocage, de procéder à la vente à un tiers desdits locaux, avant que le droit de préférence au profit de la société Sixt ne soit purgé ;
AUX MOTIFS QUE pour se prévaloir de la précédente dérogation tenant à "la cession unique de locaux commerciaux distincts", la société bailleresse indique que le lot n° 232 qui est inclus dans la promesse de vente qu'elle a conclue avec la SCI Saxe constitue un local commercial, ainsi qu'il résulte tant du règlement de copropriété de l'immeuble que du bail commercial qu'elle a consenti à son sujet à la société Rent a car ; que cependant, si le règlement de copropriété de l'immeuble situé [...] et [...] -qui est à usage d'habitation prévoit- que l'ensemble des lots du rez-de-chaussée dont le lot 232 sont à usage commercial, il n'en définit pas moins celui-ci dans l'état descriptif de division comme un logement, dénomination qui est d'ailleurs logiquement reprise dans la promesse de vente qui a été prorogée le 27 avril 2017 ; que par ailleurs, si ce logement a fait l'objet d'une "location commerciale" consentie par la SCI Bocage à la société Rent a car suivant bail non commercial du 1er juillet 2001 puis suivant « renouvellement de bail » daté du 30 mars 2011 pour une durée de 3, 6 ou 9 années produits par la bailleresse, il reste que la société Rent a car n'y a jamais exercé la moindre activité commerciale puisqu'elle n'y est pas inscrite au registre du commerce et que le logement est, dans le « rapport d'expertise en valeur vénale » de l'ensemble de ses lots que la SCI Bocage a fait établir en octobre 2012, décrit comme un "studio loué suivant baux soumis aux articles 89-462 de la loi du 6 juillet 1989" ; que cette affectation non commerciale est encore confirmée par les procès-verbaux de constats établis par huissier de justice les 20 février et 20 mars 2017, ce dernier sur requête, et du rapport d'enquête privée du 13 mars 2017, qui établissent que le logement est occupé depuis 2014 à usage d'habitation par des particuliers qui se prétendent locataires en titre, le nom de la société Rent a car n'apparaissant nulle part dans l'immeuble ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que le logement qui constitue le lot n° 232 ne constitue manifestement pas un local commercial distinct au sens de l'article susvisé qui pourrait faire obstacle au droit de préférence de la société Sixt et à sa notification dans les conditions légales -indépendamment de toute information officieuse- ; que par application de l'article 809 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal de grande instance peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit ; que la promesse de vente conclue entre la SCI Bocage et la SCI Saxe constitue bel et bien la "vente envisagée" par le propriétaire visée par l'article L. 145-46-1 et qui doit être notifiée au locataire dans les conditions légalement prévues ; que la carence de la SCI Bocage à son obligation de notification de son projet de vente à la société Sixt constitue donc une violation des droits de celle-ci ; qu'afin de prévenir la réalisation de la vente au mépris des droits du locataire commercial en place, il convient donc de faire injonction à la SCI Bocage de procéder à cette notification, et ce, au plus tard sous quinzaine à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 1000 € par jour de retard, et de faire interdiction aux deux intimées de procéder à cette réitération dans cette attente, sans qu'il y ait lieu à astreinte, la sanction encourue étant la nullité de la vente ;
1. ALORS QUE l'article L. 145-46-1 du code de commerce, qui ouvre au locataire commercial un droit de préférence en cas de vente du local qui lui est donné à bail, est inapplicable lorsque la vente projetée par le bailleur porte sur plusieurs locaux commerciaux distincts vendus par un acte unique à un même acquéreur ; que la destination des locaux vendus, dépendant d'un immeuble soumis au statut de la copropriété, résulte du règlement de copropriété ; que l'état descriptif de division dressé seulement pour les besoins de la publicité foncière n'a pas de caractère contractuel ; que la cour d'appel a constaté que le lot n° 232 était à usage commercial en vertu du règlement de copropriété de l'immeuble dont il dépendait ; que pour juger néanmoins que la vente projetée, qui portait sur ce lot et ceux donnés à bail à la société Sixt, devait être notifiée à cette dernière, l'arrêt attaqué a estimé que la destination commerciale du lot n° 232 était contredite par les termes de l'état descriptif de division de l'immeuble qui visait le lot n° 232 comme un « logement » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 145-46-1 du code de commerce et 8 de la loi du 10 juillet 1965 ;
2. ALORS QUE le propriétaire d'un lot dont la destination est fixée par le règlement de copropriété ne peut modifier unilatéralement la destination de ce lot ; que pour juger que le lot n° 232 était à usage d'habitation, la cour d'appel, qui a constaté que ce lot était à usage commercial en vertu du règlement de copropriété de l'immeuble dont il dépendait, a retenu que la promesse de vente du 16 janvier 2017, prorogée au 27 avril 2017, reprenait la désignation du lot figurant à l'état descriptif de division, comme étant un « logement » ; qu'en écartant ainsi la destination commerciale du lot 232, la cour d'appel a violé les articles L. 145-46-1 du code de commerce et 8 de la loi du 10 juillet 1965 ;
3. ALORS QUE, en toute hypothèse, la destination d'un lot de copropriété est déterminée, non par l'usage que le locataire ou l'occupant a pu faire de la chose louée, mais par la destination que lui donne le règlement de copropriété ; que la cour d'appel a constaté que le lot n° 232 était à usage commercial en vertu du règlement de copropriété de l'immeuble dont il dépendait ; que pour écarter néanmoins la destination commerciale de ce lot, l'arrêt attaqué a considéré que les locaux n'étaient pas exploités à usage commercial dès lors que la société Rent a Car n'y exerçait pas d'activité commerciale, qu'elle n'était pas inscrite au registre du commerce et des sociétés à cette adresse, que le local était occupé à usage d'habitation par des particuliers qui se prétendaient locataires et était décrit comme un studio loué à usage d'habitation par un « rapport d'expertise en valeur vénale » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs déduits de l'usage du lot n° 232 par son locataire ou un occupant, impropres à écarter la destination commerciale du local résultant du règlement de copropriété, la cour d'appel a violé les articles L. 145-46-1 du code de commerce et 8 de la loi du 10 juillet 1965 ;
4. ALORS QUE, en toute hypothèse, la destination de l'immeuble donné à bail est celle que lui ont donnée, d'un commun accord, les parties contractantes ; que la cour d'appel a constaté que le lot n° 232, à usage commercial en vertu du règlement de copropriété de l'immeuble dont il dépendait, avait été donné à bail dérogatoire à la société Rent a Car, avant de faire l'objet d'un renouvellement de location commerciale ; que pour écarter néanmoins la destination commerciale de ce lot, l'arrêt attaqué a considéré que les locaux n'étaient pas exploités à usage commercial ; qu'en statuant ainsi, par des motifs déduits de l'usage du lot n° 232 par son locataire ou un occupant, impropres à écarter la destination commerciale du local et tandis qu'elle constatait que celui-ci avait été donné à bail dérogatoire puis avait fait l'objet d'un renouvellement pour neuf ans, à titre de location commerciale, ce dont il résultait qu'il s'agissait d'un bail commercial, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations et a violé l'article L. 145-46-1 du code de commerce.