LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses première et troisième branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 juillet 2016), que le 23 mars 1997, Mme Y... s'est blessée en sautant d'une fenêtre de son appartement, situé au deuxième étage ; que le 26 mars 2009, elle a déposé plainte devant les services de police contre M. X..., avec lequel elle avait entretenu une relation amoureuse, exposant que le jour des faits, il l'avait agressée et qu'elle s'était défenestrée pour tenter de lui échapper ; que sa plainte a fait l'objet d'un classement sans suite en raison de la prescription de l'action publique ; que Mme Y... a saisi, le 21 août 2009, une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) ; que sa demande a été déclarée forclose par un arrêt du 2 novembre 2011 ; qu'elle a alors assigné M. X..., par acte du 17 juin 2013, en responsabilité et indemnisation des conséquences dommageables de sa chute, en présence des organismes sociaux ;
Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt de dire son action prescrite, de la débouter de toutes ses demandes à l'encontre de M. X... et de la condamner à payer à ce dernier une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors, selon le moyen :
1°/ que si en principe l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque deux actions quoique ayant des causes distinctes tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; que l'action intentée par Mme Y... devant la CIVI et celle intentée sur le fondement de la responsabilité délictuelle à l'encontre de M. X... ont pour but commun la réparation du préjudice corporel qu'elle a subi ; qu'il s'ensuit que l'action diligentée devant la CIVI a interrompu la prescription de son action à l'encontre de M. X... ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil ;
2°/ que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la force majeure ; qu'en l'espèce, comme l'avait rappelé Mme Y... dans ses conclusions d'appel, il résultait des conclusions catégoriques du professeur B..., expert près la Cour de cassation, lors de l'expertise médicale de Mme Y... en date du 29 décembre 2014, confortant les conclusions du docteur C... que cette dernière est sous emprise, ce qui est un élément suffisamment fort pour que les personnes arrivent à avoir, au plus profond d'elles-mêmes, un déni de la réalité d'agressions répétées ou de violences volontaires provenant d'un proche et qu'il peut être retenu chez Mme Y... une amnésie psychogène post-traumatique ; que cette réalité médicale est aujourd'hui du domaine de l'exceptionnel et doit reposer sur des éléments précis, sur une anamèse, sur une symptomatologie, ce qui est le cas dans la situation de Mme Y..., qui avait un état antérieur dont il faudra tenir compte dans le cadre de son indemnisation puisqu'une anorexie mentale avait été détectée tôt ; qu'il existe un certain nombre de présomptions graves précises et concordantes permettant d'aller dans le sens d'une amnésie psychogène post traumatique ; en affirmant péremptoirement que si Mme Y... présente actuellement des troubles mnésiques rien n'autorise à dire qu'elle en aurait souffert depuis 1997 et jusqu'en 2009, et encore moins qu'ils auraient constitué une impossibilité pour elle d'agir sans examiner les conclusions du professeur B..., démontrant que Mme Y... avait été dans l'impossibilité absolue d'agir par suite d'un empêchement résultant de la force majeure, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 2234 du code civil ;
Mais attendu, d'abord, qu'après avoir exactement rappelé que pour être interruptive de prescription une demande en justice doit être dirigée contre celui qu'on veut empêcher de prescrire, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que l'action engagée le 21 août 2009, par Mme Y... devant la CIVI en vue de son indemnisation par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), ne pouvait avoir interrompu la prescription à l'égard de M. X... qui n'était pas partie à cette instance ;
Et attendu, ensuite, qu'ayant relevé que dans sa déposition devant les services de police, Mme X... relatait très précisément que les faits de mars 1997 lui étaient parfaitement restés en mémoire et qu'elle n'avait pas su ou voulu se renseigner utilement sur les voies de droit qui lui étaient alors ouvertes, puis constaté que l'expert judiciaire n'avait mis en évidence aucune amnésie post-traumatique susceptible de constituer une impossibilité d'agir, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur la deuxième branche du moyen unique annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils, pour Mme Y...
IL EST FAIT GRIEF A l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir dit que l'action de Mme Y... était prescrite, de l'avoir débouté de toutes ses demandes à l'encontre de M. X... et de l'avoir condamné à payer à ce dernier une somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- AU MOTIF QUE L'article 2241 du code civil énonce que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Pour interrompre la prescription ainsi que les délais pour agir, une citation en justice doit être signifiée à celui qu'on veut empêcher de prescrire. En conséquence l'action engagée le 21 août 2009, par Mme Y... devant la CIVI à l'encontre du Fonds de garantie, ne peut avoir interrompu la prescription à l'égard de M. X... qui n'était pas partie à cette instance. Par ailleurs la prescription de l'action civile ne peut être interrompue ni par une plainte simple, qui n'est pas une citation en justice, ni par les procès-verbaux d'enquête. Dès lors la plainte déposée par Mme Y... le 26 mars 2009, devant les services de police du parquet de Perpignan, qui n'a été suivie d'aucun acte de poursuite à l'encontre de M. X..., ne peut avoir eu pour effet d'interrompre la prescription de l'action civile. Il résulte de l'expertise du docteur D... que Mme Y... a été consolidée le 23 mars 1999, sur le plan psychiatrique et le 12 septembre 1999 au titre des séquelles physiologiques, et en vertu des dispositions de l'article 2226 du code civil, elle disposait d'un délai expirant le 12 septembre 2009 pour engager une action civile en indemnisation des préjudices corporels, qui sont allégués. Or c'est au terme d'un acte d'huissier du I7 juin 2013, soit postérieur de près de quatre ans à l'acquisition de la prescription de l'action civile, qu'elle a assigné M. X... devant le tribunal de grande instance de Tarascon pour voir engager sa responsabilité civile, et obtenir paiement de sommes indemnitaires. Mme Y... est donc prescrite en son action en responsabilité délictuelle. Toutefois l'article 2234 du code civil énonce que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par la suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. Mme Y... soutient qu'elle a été atteinte après les faits de mars 1997 d'une amnésie post-traumatique l'ayant empêchée d'engager une action civile. Or plusieurs éléments qui ressortent des éléments communiqués aux débats militent pour une absence d'impossibilité d'agir de Mme Y.... Du procès-verbal de dépôt de plainte de Mme Y... devant les services de police le 26 mars 2009, il résulte qu'elle a expliqué qu'après sa défenestration en mars 1997, et une reprise de relation avec M. X..., elle a quitté Arles en 1998, et ne l'a plus jamais revu depuis. Elle a précisé : J'ai refait ma vie, j'ai eu un autre enfant mais je n'ai pas oublié.... je fais cette démarche pour mon fils Anthony qui a 19 ans... et a développé une haine envers les hommes qui m'approchent... Il y a quelques années, j'ai voulu faire cette démarche mais j 'ai été mal informée, en 2001, on m'a dit que les faits étaient prescrits, j'avais alors laissé tomber mais je vois aujourd'hui qu'il ne me reste que cette seule démarche pour me reconstruire." La lecture de cette déposition permet d'attribuer le temps écoulé depuis mars 1997, non pas à une impossibilité d'agir ou encore à un fait ayant un caractère insurmontable, et encore moins à une amnésie post-traumatique, dès lors que Mme Y..., qui ne pouvait plus être sous l'emprise physique de M. X..., y relate très précisément que ces faits lui sont parfaitement restés en mémoire et qu'elle n'a pas su ou voulu se renseigner utilement sur les voies de droit qui lui étaient alors ouvertes. La teneur de cette déposition ne permet pas non plus de donner du crédit aux certificats médicaux établis les 18 mai 2012, 25 mai 2014, et le 26 mai 2014, par le docteur Philippe C... qui a écrit, alors qu'il ne suit la patiente que depuis 2012, qu' à "l'époque des faits, l'intéressée était dans une relation d'emprise telle qu'elle n'était pas en capacité sur le plan clinique de faire la démarche d'un dépôt de plainte" et qu'elle "souffrait de plus de troubles mnésiques en lien avec l'amnésie post-traumatique lacunaire constatée lors des différents examens de la patiente." Si elle présente actuellement des troubles mnésiques rien n'autorise à dire qu'elle en aurait souffert depuis 1997 et jusqu'en 2009, et encore moins qu'ils auraient constitué une impossibilité pour elle d'agir. Dans le cadre de l'expertise aux fins médicolégales, le docteur D... a eu recours à un sapiteur en la personne du docteur Christian E..., médecin psychiatre au CHS de [...], qui a examiné Mme Y... le 25 mai 2011, et a indiqué dans ses conclusions qu'elle présentait une "personnalité histrionique" et que "le délai entre 1997 (fait traumatique) et 2009 (plainte) peut être expliqué par un cheminement psychologique du sujet aboutissant à une reconstruction de son histoire où l'ensemble des difficultés psychologiques actuelles est attribué au fait traumatique majeur". Mais en aucun cas ce médecin spécialiste et diplômé en psychiatrie n'a stigmatisé, à propos de ce délai écoulé, une amnésie post-traumatique susceptible de constituer une impossibilité d'agir. En conséquence, Mme Y... qui ne démontre pas qu'elle a été dans l'impossibilité d'agir par la suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure, est déboutée de sa demande de relevé de forclusion,
- ALORS QUE D'UNE PART si en principe l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque deux actions quoique ayant des causes distinctes tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; que la l'action intentée par Mme Y... devant la CIVI et celle intentée sur le fondement de la responsabilité délictuelle à l'encontre de M. X... ont pour but commun la réparation du préjudice corporel qu'elle a subi ; qu'il s'ensuit que l'action diligentée devant la CIVI a interrompu la prescription de son action à l'encontre de M. X... ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil ;
- ALORS QUE D'AUTRE PART, la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir ; qu'en l'espèce, ce n'est qu'après le dépôt du rapport d'expertise établi le 29 août 2011 par le Docteur D... qu'elle a eu connaissance d'une date de consolidation au 12 septembre 1999, ce qu'elle ignorait ; que Mme Y... s'était trouvée ainsi dans l'impossibilité d'agir en responsabilité à l'encontre de M. X... avant le dépôt du rapport du Docteur D... ; qu'en ne recherchant pas si Mme Y... ne s'était pas trouvée dans l'impossibilité d'agir contre M. X... de telle sorte que la prescription n'avait pu courir contre elle avant le 29 août 2011, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2234 du code civil ;
- ALORS QU'ENFIN PART et en tout état de cause, la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la force majeure ; qu'en l'espèce, comme l'avait rappelé Mme Y... dans ses conclusions d'appel (p 6 et 7), il résultait des conclusions catégoriques du Professeur B..., expert près la Cour de cassation, lors de l'expertise médicale de Mme Y... en date du 29 décembre 2014, confortant les conclusions du Docteur C... que cette dernière est sous emprise, ce qui est un élément suffisamment fort pour que les personnes arrivent à avoir, au plus profond d'elles-mêmes, un déni de la réalité d'agressions répétées ou de violences volontaires provenant d'un proche (cf rapport p 11 § 3) et qu'il peut être retenue chez Mme Y... une amnésie psychogène post-traumatique ; que cette réalité médicale est aujourd'hui du domaine de l'exceptionnel et doit reposer sur des éléments précis, sur une anamèse, sur une symptomatologie, ce qui est le cas dans la situation de Mme Y..., qui avait un état antérieur dont il faudra tenir compte dans le cadre de son indemnisation puisqu'une anorexie mentale avait été détectée tôt ; qu'il existe un certain nombre de présomptions graves précises et concordantes permettant d'aller dans le sens d'une amnésie psychogène post traumatique ; en affirmant péremptoirement que si Mme Y... présente actuellement des troubles mnésiques rien n'autorise à dire qu'elle en aurait souffert depuis 1997 et jusqu'en 2009, et encore moins qu'ils auraient constitué une impossibilité pour elle d'agir sans examiner les conclusions du Professeur B..., démontrant que Mme Y... avait été dans l'impossibilité absolue d'agir par suite d'un empêchement résultant de la de la force majeure, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 2234 du code civil.