La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/09/2018 | FRANCE | N°17-19525

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 13 septembre 2018, 17-19525


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le premier moyen :

Vu l'article L. 112-1, alinéa 2, du code monétaire et financier ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 25 avril 2017), que, le 29 décembre 1993, la société Yvelines investissements, aux droits de laquelle se trouve la SCI Chartrinvest (la SCI), a donné à bail à la société Chartraine de textiles manufacturés, aux droits de laquelle se trouve la société Eurodif, des locaux commerciaux à compter du 1er janvier 1994 ; qu'après avoir refusé de renouveler

le bail, la SCI a exercé son droit de repentir et offert à la société locataire le re...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le premier moyen :

Vu l'article L. 112-1, alinéa 2, du code monétaire et financier ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 25 avril 2017), que, le 29 décembre 1993, la société Yvelines investissements, aux droits de laquelle se trouve la SCI Chartrinvest (la SCI), a donné à bail à la société Chartraine de textiles manufacturés, aux droits de laquelle se trouve la société Eurodif, des locaux commerciaux à compter du 1er janvier 1994 ; qu'après avoir refusé de renouveler le bail, la SCI a exercé son droit de repentir et offert à la société locataire le renouvellement du bail au 1er février 2006, puis l'a assignée en fixation du montant du loyer révisé ; que la société locataire a demandé que la clause d'indexation prévue au bail soit réputée non écrite ;

Attendu que, pour accueillir la demande de la société Eurodif, l'arrêt retient que l'application de la clause d'indexation insérée au bail renouvelé engendre une distorsion entre l'intervalle de variation indiciaire (2e trimestre 2005 - 2e trimestre 2006 : 12 mois) et la durée écoulée entre les deux révisions (1er février 2006 au 1er janvier 2007 : 11 mois) et que cette distorsion opère mécaniquement un effet amplificateur lors des indexations suivantes pendant toute la durée du bail ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la distorsion retenue ne résultait pas de la clause d'indexation elle-même, mais du décalage entre la date de renouvellement du bail intervenu le 1er février 2006 et la date prévue pour l'indexation annuelle du loyer fixée au 1er janvier 2006, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 avril 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne la société Eurodif aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Eurodif et la condamne à payer à la SCI Chartrinvest la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la SCI Chartrinvest

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré réputée non-écrite la clause « indexation-révision » du bail du 20 décembre 1993 renouvelé le 1er février 2006, et d'AVOIR en conséquence condamné la société Chartrinvest à rembourser à la société Eurodif la somme de 596 322,94 euros en répétition de l'indu versé entre le 1er février 2006 et le 31 décembre 2016, à parfaire en considération des trop-versés de loyers postérieurs ;

AUX MOTIFS QUE la cour doit se prononcer sur la validité, au regard des dispositions d'ordre public de l'article L. 112-1 alinéa 2 du code monétaire et financier de la clause d'indexation insérée au bail litigieux conclu le 29 décembre 1993 sous forme d'un acte authentique, renouvelé le 1er février 2006, portant sur des locaux commerciaux situés à Chartres et subséquemment, sur le bien-fondé de la demande du preneur tendant à obtenir la restitution des loyers prétendument versés de manière indue, entre le 1er février 2006 et le 31 décembre 2016, que, sur l'illicéité prétendue de la clause d'échelle mobile insérée au bail litigieux, cette clause est de manière précise, rédigée comme suit : "Le loyer afférent aux locaux ci-dessus désignés sera susceptible de varier proportionnellement à l'indice du coût de la construction publié trimestriellement par l'INSEE. / Il est précisé que la présente clause constitue une indexation conventionnelle qui ne se réfère pas à la révision triennale prévue par les articles 26 et 27 du décret du 30 septembre 1953 qui est de droit et s'appliquera en tout état de cause. / Le réajustement du loyer se fera en vertu de la présente clause tous les ans à compter de la prise de possession, le loyer devant varier du même pourcentage que l'indice choisi. / L'indice jouera de plein droit, sans qu'il soit besoin d'une notification préalable. / L'indice de base retenu comme correspondant à la fixation du loyer initial stipulé ci-dessous est le dernier indice connu à la date de prise de possession. / Tous les ans à la date anniversaire du présent bail, le loyer sera déterminé et arrondi au franc le plus voisin de la règle de trois, en fonction de l'indice de base et de l'indice du même trimestre de l'année en cours. / Si au cours du bail ou de l'occupation des lieux la publication de cet indice devait cesser, il serait fait application de l'indice le plus voisin parmi ceux existant alors. / Cette indexation est conforme à la législation applicable, l'objet du présent contrat étant la location des murs et l'indice choisi étant celui de la construction, donc en rapport direct" ; que selon l'article L. 112-1 alinéa 2 du code monétaire et financier "Est réputée non écrite toute clause d'un contrat à exécution successive et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d'une période de variation de l'indice supérieure à la durée s'écoulant entre chaque révision" ; que si la référence à un indice de base fixe n'est pas en soi illicite, la variation indiciaire doit toujours être calquée sur la périodicité fixée par la clause ; que compte tenu de la distorsion effective qu'entraîne à l'évidence, l'application du la clause d'indexation insérée au bail litigieux renouvelé à compter du 1er février 2006 entre, l'intervalle de variation indiciaire (12 mois) et la durée s'écoulant pour la première révision (11 mois) et compte tenu par ailleurs, de l'effet amplificateur qu'opère mécaniquement une telle distorsion à l'occasion des indexations suivantes pendant toute la durée du bail, c'est à bon droit et par des motifs pertinents que la cour retient, que dans les circonstances précises de la présente espèce, le preneur conclut que la clause incriminée doit être déclarée réputée non écrite par application des dispositions légales précitées car contraire à l'ordre publie de direction institué par ces dernières, peu important que les faits de l'espèce concernent la première période contractuelle d'indexation du bail renouvelé et peu important par ailleurs, la commune intention des parties puisque, ainsi que le souligne justement la société Eurodif, ces dernières ne disposent pas en la matière de la libre disponibilité de leurs droits ; que l'argument tendant à obtenir un report automatique de la date anniversaire de l'indexation ne saurait davantage être retenu au regard des prescriptions de l'article R. 145-22 du code de commerce alinéa 2 rappelées par le preneur, selon lesquelles si l'un des éléments retenus pour le calcul de la clause d'échelle mobile vient à disparaître, leur révision ne peut être demandée et poursuivie que dans les conditions prévues à l'article L. 145-38 [du code de commerce] » ; qu'il s'évince de tout ce qui précède que le jugement entrepris doit être infirmé en toutes ses dispositions ;

1°) ALORS QUE la clause d'indexation est réputée non écrite si la période de variation de l'indice est supérieure à celle s'écoulant entre deux révisions du loyer ; qu'en affirmant que devait être réputée non écrite la clause d'indexation du bail renouvelé le 1er février 2006, qui stipulait que le loyer serait « susceptible de varier proportionnellement à l'indice du coût de la construction publié trimestriellement par l'INSEE » et que « le réajustement se fera[it] en vertu de la présente clause tous les ans à compter de la prise de possession, le loyer devant varier du même pourcentage que l'indice choisi », sans constater qu'une telle clause comportait, en elle-même, une distorsion entre l'intervalle de variation indiciaire et la durée écoulée entre deux révisions, la cour d'appel a violé l'article L. 112-1 du code monétaire et financier ;

2°) ALORS QUE la clause d'indexation est réputée non écrite si l'intention des parties est d'organiser une distorsion entre l'intervalle de variation indiciaire et la durée s'écoulant entre deux révisions ; qu'en refusant de se déterminer en considération de la commune intention des parties, après avoir relevé que seule la première révision révélait une distorsion prohibée, consécutive au renouvellement du bail à compter du 1er février et non du 1er janvier 2006, et sans rechercher, comme elle y était invitée, si les parties n'avaient pas entendu indexer annuellement le loyer selon une variation annuelle de l'indice de référence, conformément aux stipulations du bail initial, la première révision selon une distorsion prohibée n'étant que fortuite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 112-1 du code monétaire et financier.

SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la société Chartrinvest à rembourser à la société Eurodif la somme de 596 322,94 euros en répétition de l'indu versé entre le 1er février 2006 et le 31 décembre 2016, à parfaire en considération des trop-versés de loyers postérieurs ;

AUX MOTIFS QUE sur le bien-fondé de la demande subséquente de restitution de la surévaluation du loyer, la société Eurodif s'estime en droit d'obtenir la restitution subséquente de l'ensemble des majorations appliquées aux loyers réclamés en exécution de la clause litigieuse réputée non écrite dès la prise d'effet du bail renouvelé et par suite, le versement de 596 322,94 euros toutes taxes comprises selon décompte arrêté au 31 décembre 2016 récapitulant les augmentations annuelles de loyers, acquittées entre 2007 et 2016 ; qu'elle souligne que les conséquences de cette demande de restitution ne sauraient être soumises au régime de la répétition de l'indu mais à celui des règles de la nullité de sorte que comme l'action tendant à faire réputer la clause illicite non écrite, les restitutions résultant du retrait de cette stipulation sont imprescriptibles ; qu'elle précise encore que : - quoi qu'il en soit, le débat concernant l'application des règles de la prescription quinquennale est en l'espèce inexistant puisque le point de départ de ce délai institué à l'article 2224 du code civil, correspondant au jour où l'action peut être engagée, il se trouve être au cas présent, fixé au 4 novembre 2010, date du prononcé de l'arrêt de la cour de céans ayant définitivement fixé le montant du loyer de renouvellement ; - la prescription quinquennale, à supposer qu'elle soit applicable, a été valablement interrompue par la signification par la société bailleresse de son acte extrajudiciaire du 2 décembre 2014, du mémoire récapitulant ses demandes dans le cadre de la demande de révision de loyer ; - l'action en révision, initiée par la société bailleresse, implique en application des articles L. 145-39 et R. 145-22 du code de commerce, l'existence d'une clause d'échelle mobile valable ; - dès lors que ce n'est pas le cas, la SCI Chartrinvest doit être déboutée de sa demande à ce titre ; que la société Chartrinvest se borne à répondre que la demande de restitution n'est pas fondée et que quoi qu'il en soit, les restitutions et la répétition de l'indu liées à l'exécution d'une clause réputée et déclarée non écrite ne peuvent être réclamées que dans la limite de la prescription quinquennale prévue par l'article 2224 du code civil ; que le mécanisme institué par l'article L. 112-1 du code monétaire et financier relevant sans contestation possible d'un ordre public de direction à laquelle la volonté privée des parties ne peut déroger, le fait d'avoir payé le loyer réclamé sans protestation durant plusieurs années, ne saurait valoir renonciation à se prévaloir de l'illicéité de la clause dont s'agit ; que si le bailleur doit au demeurant nécessairement restituer les augmentations de loyer résultant de l'application de la clause litigieuse invalidée, censée n'avoir jamais existé, la demande de répétition aujourd'hui formée ne peut d'évidence s'exercer que dans la logique de la prescription quinquennale de droit commun de l'article 2224 du code civil, alignée sur celle de l'article 110-4 du code de commerce ; que selon l'article 2224 précité, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que la société Eurodif apparaît donc être recevable et fondée à solliciter la restitution des surfacturations pratiquées dans les cinq années ayant précédé le 4 novembre 2010, date de sa connaissance du montant du loyer du bail renouvelé ; qu'au vu du décompte établi se rapportant aux augmentations de loyers pratiquées entre 2007 et le 31 décembre 2016, ne faisant l'objet d'aucune contestation du calcul mathématique retenu, il sera ainsi, fait droit à la réclamation dans les termes du dispositif ci-après ;

1° ALORS QUE l'action relative au paiement des loyers se prescrit par cinq ans à compter du paiement ; qu'en condamnant la société Chartrinvest au paiement des sommes trop versées entre 1er février 2006 et le 31 décembre 2016 au titre de la clause d'indexation réputée non écrite, quand il était constant que la société Eurodif avait sollicité ce remboursement par acte signifié le 2 décembre 2014, ce dont il résultait que son action était prescrite pour les loyers antérieurs au 2 décembre 2009, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L. 110-4 du code de commerce ;

2° ALORS QUE la prescription court à compter du jour où le titulaire d'un droit a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer l'action ; qu'en affirmant, pour juger recevable l'action en paiement de la société Eurodif, que celle-ci n'avait eu connaissance du montant du loyer renouvelé qu'à la date du 4 novembre 2010, à l'issue de la procédure en déplafonnement du loyer dont avait été déboutée la société Chartrinvest, sans rechercher s'il ne résultait pas de l'application, dès le renouvellement du bail en 2006, de la clause d'indexation stipulée au bail initial, qu'elle avait connaissance de l'irrégularité de la clause et de l'existence de trop versés dès cette date, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L. 110-4 du code de commerce ;

3° ALORS QUE l'arrêt confirmatif du 4 novembre 2010 de la cour d'appel de Versailles déboute la société Chartrinvest de son action en déplafonnement du loyer et constate, en conséquence, que le loyer du bail commercial renouvelé le 1er février 2006 doit rester fixé en fonction de la variation de l'indice de référence conformément aux stipulations du bail initial du 28 décembre 1993 ; qu'en affirmant néanmoins que la société Eurodif n'avait pu agir en restitution des sommes trop versées avant cette décision, étrangère à la clause d'indexation stipulée dans le bail conclu en 1993 et mise en oeuvre dès le renouvellement du bail en 2006, la cour d'appel a dénaturé l'arrêt précité, en violation de l'article 1192 du code civil, ensemble le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 17-19525
Date de la décision : 13/09/2018
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

BAIL COMMERCIAL - Prix - Révision - Clause d'indexation - Distorsion entre la période de variation de l'indice et la durée entre deux révisions - Licéité - Conditions - Distorsion ne résultant pas de la clause d'indexation

La distorsion entre la période de variation indiciaire et la durée écoulée entre deux révisions, prohibée par l'article L. 112-1, alinéa 2, du code monétaire et financier, doit résulter de la clause d'indexation elle-même et non du seul décalage entre la date de renouvellement du bail et la date prévue pour l'indexation annuelle


Références :

article L. 112-1 du code monétaire et financier

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 25 avril 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 13 sep. 2018, pourvoi n°17-19525, Bull. civ.Bull. 2018, III, n° 97.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles Bull. 2018, III, n° 97.

Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin
Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Piwnica et Molinié

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.19525
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award