LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, (Paris, 2 mai 2017), que, le 22 mars 2011, un incendie s'est déclaré dans la salle de spectacle de l'Elysée Montmartre dépendant de l'immeuble, propriété de la société 72 Rochechouart, et s'est propagé aux locaux pris à bail et exploités dans le même immeuble par les sociétés Commerciale de Montmartre (SCM) et Alaska Glacière ; que, le 6 avril 2011, la bailleresse a notifié la résiliation de plein droit du bail à chacune des sociétés locataires ; que, le 1er septembre 2014, les sociétés SCM et Alaska glacière ont assigné la bailleresse et ses assureurs, les sociétés Axa France IARD et Allianz IARD, en indemnisation des troubles de jouissance subis ;
Sur le moyen unique du pourvoi provoqué, ci-après annexé, qui est préalable :
Attendu que la société Axa France IARD fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action de la société SCM et de la société Alaska glacière contre les assureurs du bailleur ;
Mais attendu qu'ayant relevé que les sociétés SCM et Alaska glacière s'étaient désistées de leur action à l'encontre de la société 72 Rochechouart, la cour d'appel a exactement retenu que ce désistement n'emportait pas renonciation à leur droit de voir établir, à l'encontre de l'assureur du bailleur, la responsabilité de l'assuré, de sorte qu'il était sans influence sur la recevabilité de l'action directe des tiers lésés contre l'assureur ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal :
Vu les articles 1719 et 1722 du code civil ;
Attendu que, pour rejeter les demandes de la société SCM et de la société Alaska glacière, l'arrêt retient que la cause de l'incendie est indéterminée de sorte que le bailleur est exonéré de tout dédommagement ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'incendie qui se déclare dans les locaux d'un colocataire et dont la cause n'est pas déterminée ne caractérise pas un cas fortuit et que le bailleur est responsable envers les autres locataires des troubles de jouissance du fait de l'incendie, la cour d'appel a violé le second texte susvisé, par fausse application, et le premier texte susvisé, par refus d'application ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de la société SCM et de la société Alaska glacière dirigées contre les sociétés Axa France IARD et Allianz IARD et les condamne à régler à chacune une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 2 mai 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Axa France IARD aux dépens des pourvois ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Axa France IARD et la condamne à payer à la société commerciale de Montmartre et à la société Alaska Glacière la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoir principal par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour les sociétés Commerciale de Montmartre et Alaska glacière
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR par confirmation du jugement entrepris, débouté les sociétés commerciale de Montmartre et Alaska Glacière de leurs demandes dirigées contre les sociétés Axa et Allianz et de les avoir condamnées à régler à chacune une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile
AUX MOTIFS PROPRES QUE « les sociétés SCM et ALASKA GLACIERE présentent leurs demandes au visa de l'article 1719 (ancien) du code civil, qui oblige le bailleur de faire jouir paisiblement le preneur de la chose louée pendant la durée du bail, faisant valoir que l'article 1722 (ancien) du code civil est inapplicable, dans la mesure où si ce texte a pour objet de régler le sort du bail indépendamment de toute question de responsabilité et de libérer les parties de tout dédommagement dans le cas où la perte de la chose est due à un cas fortuit, cette condition n'est pas remplie en l'espèce, puisque l'incendie, dont la cause est restée inconnue, a pris dans les locaux de l'Elysée Montmartre, locataire de la SARL 72 ROCHECHOUART qui de jurisprudence constante n'est pas un tiers par rapport au bailleur; que les assureurs objectent que le bénéfice de l'article 1722 du Code civil ne peut pas être refusé au bailleur que si le preneur est en mesure de démontrer que le bailleur a commis une faute à l'origine de la perte de la chose louée et dès lors peu importe, la qualité de tiers ou non du preneur du local dans lequel a pris l'incendie;
Considérant qu'il est acquis aux débats que la ruine de l'immeuble appartenant à la SARL 72 ROCHECHOUART est consécutive à un incendie qui a pris dans les locaux dans lesquels était exploitée la salle de spectacle de l'Elysée Montmartre et qu'il s'est propagé aux locaux voisins et a déstabilisé l'ensemble de l'immeuble; que la cause de cet incendie demeure indéterminée, le technicien du laboratoire central de la Préfecture de Police dépêché sur les lieux a localisé la zone du départ du sinistre à gauche du bar de l'établissement et, tout en émettant l'hypothèse d'une défaillance d'un équipement électrique, a conclu que la cause de l'incendie restait techniquement indéterminée; que cette conclusion n'est pas remise en cause par les parties;
Que dès lors que la ruine de l'immeuble est consommée, les relations entre le bailleur et les preneurs sont régies par les articles 1741 et 1722 (anciens) du code civil qui pour le premier dispose que "le contrat de louage se résout par la perte de la chose louée" et pour le second énonce que "si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n y a lieu à aucun dédommagement" ;
Qu'il s'ensuit:
- d'une part que dans la mesure où la chose louée a disparu, l'exécution du bail est devenue impossible et les parties sont déchargées de leurs obligations contractuelles, la généralité de la formule (tout dédommagement) impliquant que l'exonération se rapporte à tous les dommages susceptibles de naître de la disparition du bien;
- d'autre part, que le locataire, demandeur en indemnisation, supporte la charge de la preuve que la ruine de l'immeuble est due à la faute du bailleur (ou des personnes dont il doit répondre) et non à un cas fortuit; qu'en l'espèce, le seul fait que la cause du sinistre n'a pas été établie avec certitude et qu'aucune faute du bailleur (ou des personnes dont il doit répondre) n'a été mise en évidence et n'est même d'ailleurs alléguée suffit à exonérer le bailleur et donc ses assureurs, de tout dédommagement;
Que le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il déboute les sociétés SCM et ALASKA GLACIERE de l'intégralité de leurs demandes;
Considérant que les appelantes, parties perdantes seront condamnées aux dépens d'appel et devront rembourser les frais irrépétibles exposés par les assureurs, dans la limite de 3000€ à chacun »
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « la S.A.R.L. 72 ROCHECHOUART est propriétaire d'un ensemble immobilier sis à Paris 18ème 1 et 1 BIS rue du Steinkerque et 72 à 76 boulevard de Rochechouart assuré auprès des compagnies AXA et ALLLANZ. Qu'elle a notamment donné à bail commercial un lot principal qui porte sur la salle de spectacle de l'Elysée Montmartre à la société GARANCE PRODUCTION et deux lots à usage de boutique respectivement à la SARL ALASKA GLACIERE et la S.A.R.L. SOCIÉTÉ COMMERCIALE DE MONTMARTRE.
Attendu que sur le fondement des dispositions combinées des articles 1719 et 1722 du code civil, la S.A.R.L. ALASKA GLACIERE et la S.A.R.L. SOCIÉTÉ COMMERCIALE DE MONTMARTRE exercent contre les assureurs du propriétaire une action en dommages et intérêts afin de réparer les préjudices nés du trouble de jouissance dont elles ont été victimes causés par l'incendie du 22 mars 201l dans la salle de spectacles de l' Elysée Montmartre, en leur qualité de colocataires lésés et qui a engendré la disparition de la chose louée et la résiliation de plein droit des baux.
Mais attendu que de l'articulation des dispositions des articles 1719, 1722 et 1725 du code civil on peut déduire que le bailleur est responsable pendant la durée du bail du trouble de jouissance à moins qu'il ne provienne de la faute du preneur, du fait d'un tiers ou d'un cas fortuit, mais il n'y a point de cas fortuit lorsque la destruction de la chose louée résulte de la faute du locataire ou de celle du bailleur.
Attendu qu'en l'espèce s'il est constant que le fait générateur de la ruine de l'immeuble a pris naissance chez un colocataire qui n'est pas un tiers à l'égard du bailleur, les preneurs demanderesses ne rapportent pas la preuve qui leur incombe que de ce que l'incendie à l'origine de la destruction de la chose louée soit de la faute du bailleur, la S.A.R.L. 72 ROCHECHOUART et la circonstance que le sinistre ait pris naissance chez un colocataire qui n'est pas un tiers ne suffit pas à engager la responsabilité du bailleur.
Que la disparition de la chose louée par une cause étrangère aux parties génère l'anéantissement de leur relations contractuelles et les demanderesses seront déboutées de l'intégralité de leur action.
Attendu que l'équité commande de ne pas faire en l'espèce application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Attendu que l'exécution du présent jugement est sans objet.
Attendu que la S.A.R.L. ALASKA GLACIERE et la S.A.R.L. SOCIÉTÉ COMMERCIALE DE MONTMARTRE doivent les dépens »
1/ ALORS QUE la perte totale de la chose louée n'exclut tout dédommagement que si elle survient par cas fortuit ; que l'incendie qui s'est déclaré dans les locaux d'un locataire et dont la cause est demeurée inconnue, ne caractérise pas un cas fortuit ; que le bailleur, qui est responsable envers le preneur des troubles de jouissance causés par les autres locataires, est donc tenu de réparer les dommages causés par un incendie dont la cause est inconnue et qui, ayant pris naissance dans l'un des locaux loués par lui, s'est propagé dans les locaux d'autres preneurs et les a détruits ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que les locaux loués aux sociétés commerciales Montmartre et Alaska Glacière par la société 72 Rochechouartont été détruits par un incendie ayant pris naissance dans les locaux d'un autre locataire de cette société, et dont la cause demeurait inconnue ; qu'en affirmant que la circonstance que la cause du sinistre n'ait pas été établie avec certitude et était étrangère aux parties, exonérait le bailleur de tout dédommagement, la cour d'appel a violé l'article 1722 du code civil par fausse application et l'article 1719 du code civil par refus d'application ;
2/ ALORS subsidiairement QUE la perte totale de la chose louée n'exclut tout dédommagement que si elle survient par cas fortuit ; qu'il appartient au bailleur, qui se prétend libéré à l'égard du preneur de son obligation de lui assurer une jouissance paisible, d'établir le cas fortuit à l'origine de la perte de la chose louée ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt qu'en raison d'un incendie survenu dans les locaux de l'un des locataires du bailleur, les locaux loués aux sociétés Alaska Glacière et société commerciale de Montmartre dans lesquels il s'était propagé, ont été détruits ; qu'en jugeant qu'il appartenait aux sociétés preneuses de démontrer que la perte de la chose louée était survenue en raison d'une faute du bailleur pour obtenir l'indemnisation de leurs préjudices, lorsqu'il appartenait au bailleur d'établir que la perte trouvait son origine dans un cas fortuit, la cour d'appel a inversé la charge en violation des articles 1315 devenu 1353, et 1722 du code civil. Moyen produit au pourvoi provoqué par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour la société Axa France IARD
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré recevable l'action de la SCM et de la SARL ALASKA GLACIERE à l'encontre de la SA AXA France IARD et de la SA ALLIANZ IARD ;
AUX MOTIFS QUE « bien qu'ayant intimé la SARL SARL 72 ROCHECHOUART, les sociétés appelantes n'ont pas fait procéder à la signification de leurs déclaration et conclusions d'appel, cette société n'étant, par conséquent, pas partie à l'instance devant la cour ; que la SA AXA France IARD admet qu'il est constant que la recevabilité de l'action directe n'est plus subordonnée à l'appel en la cause de l'assuré par la victime mais prétend que le désistement d'action des appelantes à l'encontre de leur bailleur, emporte leur renonciation définitive à rechercher sa responsabilité alors que celle-ci est une condition de l'action directe et elle en déduit, visant un arrêt de la Cour de cassation rendu le 11 juillet 1977, que le désistement équivaut à une mise hors de cause et partant, à une renonciation de la victime à voir établir la dette de responsabilité de l'assuré ; que les appelantes objectent que le désistement d'action à l'encontre du bailleur est totalement indifférent et sans effet sur l'action directe de l'article L. 124-3 du code des assurances qui ouvre une action de la victime contre l'assureur par la volonté de la loi, totalement indépendante de ses droits contre le responsable assuré ; que la victime trouve dans le droit propre sur l'indemnité d'assurance qui lui est conféré par l'article L. 124-3 du code des assurances, la source d'une action directe lui permettant de poursuivre son paiement par l'assureur, l'un des objets de cette action étant de permettre l'établissement de la responsabilité de l'assuré ; qu'en l'espèce, les sociétés SCM et SARL ALASKA GLACIERE se sont désistées de leur action à l'encontre de la SARL [...] ; que ce désistement n'emporte nullement renonciation à leur droit de voir établir, à l'encontre de l'assureur, la responsabilité de l'assuré, la recevabilité d'une telle action contre l'assuré n'étant nullement une condition d'exercice de l'action directe à l'encontre de l'assureur ; que dès lors l'action des appelantes à l'encontre des assureurs de la SARL [...] est recevable » ;
1° ALORS QUE l'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée ;
que le désistement d'action est une renonciation à la sanction du droit dont on se prétend titulaire ; que, portant sur le droit lui-même, le désistement d'action anéantit toute possibilité de faire valoir ce dernier en justice ; que pour juger recevable l'action directe des sociétés SCM et ALASKA GLACIERE à l'encontre des assureurs de la société 72 ROCHECHOUART, bailleresse assurée, la cour d'appel a jugé que « les sociétés SCM et SARL ALASKA GLACIERE se sont désistées de leur action à l'encontre de la SARL 72 ROCHECHOUART mais que ce désistement n'emporte nullement renonciation à leur droit de voir établir, à l'encontre de l'assureur, la responsabilité de l'assuré, la recevabilité d'une éventuelle action directe contre l'assuré n'étant nullement une condition d'exercice de l'action directe à l'encontre de l'assureur » ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 384 du code de procédure civile ;
2° ALORS QUE l'action directe de la victime contre l'assureur est fondée sur son droit à réparation ; que si l'appel en cause de l'assuré n'est pas une condition de recevabilité de l'action directe, l'exercice de cette action, hors la présence de l'assuré, est subordonné à la condition que la responsabilité de ce dernier puisse encore être recherchée ; qu'en affirmant que « les sociétés SCM et SARL ALASKA GLACIERE se sont désistées de leur action à l'encontre de la SARL 72 ROCHECHOUART, mais que ce désistement n'emporte nullement renonciation à leur droit de voir établir, à l'encontre de l'assureur, la responsabilité de l'assuré, la recevabilité d'une éventuelle action directe contre l'assuré n'étant nullement une condition d'exercice de l'action directe à l'encontre de l'assureur », quand, ayant renoncé à leur droit de faire établir la responsabilité du bailleur en s'étant désistées de leur action à son égard, il leur était devenu impossible de débattre de la responsabilité du bailleur dans le cadre de l'action directe dirigée contre l'assureur, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 124-3 du code des assurances et 384 du code de procédure civile.