LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles 53, V, alinéa 1, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, 25, alinéa 1, du décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001, ensemble l'article 389-6 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, et la règle contra non valentem agere non currit praescriptio ;
Attendu qu'il résulte de la combinaison de ces textes et de cette règle que, lorsque le demandeur est un mineur, l'offre d'indemnisation présentée par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (le FIVA) ne peut être valablement acceptée par les administrateurs légaux qu'avec l'autorisation du juge aux affaires familiales, en sa qualité de juge des tutelles des mineurs ; qu'il s'ensuit que le délai de deux mois prévu pour saisir la cour d'appel de la contestation de l'offre est suspendu entre la date de la saisine de ce juge et sa décision ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'après le décès, [...] , de E... Z... des suites d'une maladie provoquée par l'exposition à l'amiante, sa fille Mme Y..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs, A..., B..., C... et D... Y..., petits-enfants du défunt, a saisi le FIVA aux fins d'indemnisation du préjudice subi par elle-même ainsi que par les enfants du fait de ce décès ; que, par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er octobre 2014, le FIVA a notifié à Mme Y... une offre d'indemnisation en lui demandant de lui adresser l'approbation du juge des tutelles territorialement compétent ; que Mme Y... et son mari, M. Y..., père des enfants mineurs, ont saisi par requête le juge des tutelles ; que, par ordonnances du 2 avril 2015, ce juge, estimant l'offre du FIVA insuffisante, a désigné Mme X... en qualité d'administrateur ad hoc chargé de représenter les intérêts des mineurs ; que, le 6 mai 2015, Mme X..., ès qualités, a saisi la cour d'appel ; que M. A... Y... et Mme B... Y... sont devenus ultérieurement majeurs ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable le recours formé par Mme X..., ès qualités, l'arrêt énonce que M. et Mme Y..., représentants légaux des mineurs, avaient qualité pour saisir la cour d'appel d'une contestation de l'offre du FIVA, à titre conservatoire, dans l'attente de la décision du juge des tutelles sur l'offre d'indemnisation ; que l'intérêt de l'enfant est donc sauvegardé en cas d'absence d'homologation par ce juge dans le délai de deux mois puisque le représentant légal conserve en toute hypothèse le droit de saisir la cour d'appel dans ce délai ; que la procédure devant le juge des tutelles n'a pas de caractère suspensif du délai de recours à l'égard de la proposition d'indemnisation du FIVA ; qu'il en résulte que le délai de recours expirait le 1er décembre 2014 ; que le recours exercé le 6 mai 2015 par Mme X..., ès qualités, n'a donc pas été formé dans le délai prévu par l'article 25 du décret du 23 octobre 2001 ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes et la règle susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, le condamne à payer à la SCP Waquet, Farge et Hazan la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme X..., ès qualités et M. et Mme Y..., ès qualités.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré irrecevable le recours exercé par Me X..., ès qualités d'administrateur ad hoc des enfants mineurs A..., B..., C... et D... Y... à l'encontre de l'offre d'indemnisation du Fiva du 26 septembre 2014 ;
AUX MOTIFS SUIVANTS : en application de l'article 25 du décret du 23 octobre 2001, le délai pour agir devant la Cour d'appel est de deux mois. Le juge des tutelles, saisi par M. Cyril Y... et Mme Marie Z..., épouse Y..., parents des mineurs, le 13 novembre 2014, a rendu une ordonnance le 2 avril 2015 rejetant la demande d'homologation de la transaction entre les représentants légaux et le Fiva du 13 novembre 2014, en ce qu'elle ne préserve pas suffisamment les intérêts patrimoniaux des enfants mineurs. Par une autre ordonnance du 2 avril 2015, le Juge des tutelles, estimant que les intérêts des mineurs étaient en contradiction avec ceux de ses représentants légaux, a désigné Mme X... en qualité d'administrateur ad hoc des mineurs A..., B..., C... et D... Y....
Mme X..., ès qualités, a saisi la Cour d'appel le 6 mai 2015, soit après 1er décembre 2014, date d'expiration du délai de deux mois.
M. et Mme Y..., représentants légaux des mineurs, avaient qualité pour saisir la Cour d'appel d'une contestation de l'offre du Fiva, à titre conservatoire, dans l'attente de la décision du Juge des tutelles sur l'offre d'indemnisation.
Il en résulte que la procédure concernant la protection des droits du mineur n'est pas incompatible avec l'article 25 du décret du 23 octobre 2001.
La procédure devant le Juge des tutelles n'a pas de caractère suspensif du délai de recours à l'égard de la proposition d'indemnisation formée par le Fiva.
Mme X..., ès qualités, soulève en outre l'inconventionnalité de l'article 25 du décret du 23 octobre 2001 :
- par rapport à l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 disposant que « toute personne dont les droits et les libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles ».
Néanmoins, l'article 25 du décret du 23 octobre 2001 ne prive pas de recours effectif les enfants mineurs pour lesquels la saisine du Juge des tutelles est obligatoire ; simplement, il impartit un délai de deux mois pour saisir la Cour d'appel et le représentant légal du mineur doit saisir la Cour d'appel dans ce délai, que le Juge des tutelles ait répondu négativement ou qu'il n'ait pas répondu dans ce délai ;
- par rapport à l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989 disposant que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».
Toutefois l'intérêt de l'enfant exige aussi que le représentant légal du mineur n'accepte pas une transaction défavorable à son enfant par méconnaissance de ses droits, d'où son obligation de saisir le Juge des tutelles ; cet intérêt est sauvegardé en cas d'absence d'homologation par le juge des tutelles dans le délai de deux mois puisque le représentant légal conserve en toute hypothèse le droit de saisir la cour dans ce délai.
Il en résulte que le recours exercé par Mme X... n'a pas été formé dans le délai prévu par l'article 25 du décret du 23 octobre 2001 et que ce texte ne doit pas être déclaré non conforme à l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et à l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989.
Le recours sera jugé irrecevable car forclos.
ALORS, DE PREMIERE PART, QUE lorsque le demandeur est un mineur, l'offre d'indemnisation présentée par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) ne peut être valablement acceptée par l'administrateur légal sous contrôle judiciaire qu'avec l'autorisation du juge aux affaires familiales, en sa qualité de juge des tutelles des mineurs ; qu'il s'ensuit que le délai de deux mois prévu pour saisir la cour d'appel de la contestation de l'offre est suspendu entre la date de la saisine de ce juge et sa décision, par application des dispositions combinées des articles 53-V, alinéa 1er, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, 25, alinéa 1er, du décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001, ensemble l'article 389-6 du code civil, applicable en la cause, et la règle Contra non valentem agere non currit praescriptio ; qu'en fixant la date d'expiration du délai de recours de deux mois au 1er décembre 2014, deux mois après la notification de l'offre du Fiva en date du 1er octobre 2014 (arrêt, p.4, antépénultième alinéa et p.5, alinéa 1er), sans tenir compte de l'incidence de la procédure devant le Juge des tutelles, également constatée (arrêt, p.4), la Cour d'appel a violé par refus application les dispositions combinées des textes susvisés ;
ALORS, DE DEUXIEME PART, QU'en cas de désignation d'un administrateur ad hoc par le Juge des tutelles, le délai de deux mois ne peut courir qu'à compter de la notification de la décision de désignation à la personne désignée, portant l'indication expresse du délai imparti pour agir au nom des enfants mineurs à compter de cette notification ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel qui a déclaré le recours de l'administrateur ad hoc irrecevable, sans constater que Mme X... avait été informée du délai de deux mois qui lui était imparti pour agir, courant à compter de la notification de la décision du Juge des tutelles la désignant à cette fin, a violé par refus d'application les dispositions combinées des articles 53-V, alinéa 1er, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, 25, alinéa 1er, du décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001, ensemble la règle Contra non valentem agere non currit praescriptio et les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
ALORS, DE TROISIEME PART, QUE si l'article 25, alinéa 1er, du décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001 ouvrant un délai de deux mois pour contester l'offre d'indemnisation du Fiva devait être interprété en ce sens qu'il impartit un délai de recours soumis au régime de la suspension de droit commun existant en matière de prescription, sans prendre égard à la possibilité concrète d'agir de l'administrateur ad hoc, une fois dûment informé de sa désignation ainsi que de la nature du recours et du délai restant à courir, l'interprétation alors retenue de ce texte serait contraire aux dispositions combinées des articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant.