LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 février 2017), que la société Medipalm a confié à la société Azpeitia transports européens (la société Azpeitia) l'exécution de prestations de transport ; que la société Medipalm a été mise en redressement judiciaire le 23 octobre 2013 ; que se disant non payée de ses factures par la société Medipalm, la société Azpeitia a assigné la société Carrefour hypermarchés (la société Carrefour), en sa qualité, selon elle, de destinataire des marchandises, en paiement d'une certaine somme sur le fondement de l'article L. 132-8 du code du commerce ; que la société Carrefour a formé une demande reconventionnelle en dommages-intérêts en application de l'article 1382 du code civil ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Carrefour fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Azpeitia la somme de 32 663,92 euros alors, selon le moyen, qu'il incombe au voiturier qui réclame le bénéfice de la garantie de paiement à l'encontre du destinataire des marchandises de rapporter la preuve de la certitude de sa créance et notamment de la défaillance du donneur d'ordre ; qu'en condamnant la société Carrefour à régler à la société Azpeitia, le transporteur, la somme de 32 663,92 euros TTC au titre des soixante-trois prestations de transports confiées par la société Medipalm en se fondant sur la circonstance que la société Carrefour était partie au contrat de transport en qualité de destinataire des marchandises transportées, si bien que le succès de l'action n'était pas subordonné à une déclaration de créance au passif du donneur d'ordre, sans rechercher, comme cela lui était demandé, si le transporteur justifiait du caractère certain de sa créance portant sur lesdits transports et, en particulier, de la défaillance du donneur d'ordre, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 132-8 du code de commerce, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa version applicable en la cause, devenu l'article 1103 du code civil ;
Mais attendu que le voiturier pouvant, sur le fondement de l'article L. 132-8 du code de commerce, agir en paiement du prix du transport contre le destinataire des marchandises, garant du paiement au même titre que l'expéditeur, sans avoir à justifier du non-paiement par son donneur d'ordre ni, le cas échéant, à déclarer sa créance au passif de la procédure collective de ce dernier, la cour d'appel n'avait pas à effectuer la recherche inopérante invoquée par le moyen ; que celui-ci n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société Carrefour fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts alors, selon le moyen, que celui qui cause à autrui un dommage est tenu d'en réparer les conséquences ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a débouté la société Carrefour de son action en responsabilité délictuelle exercée à l'encontre de la société Azpeitia en se fondant sur les circonstances qu'il n'était prouvé ni exercice abusif de l'action directe en garantie de paiement ni préjudice réparable s'agissant d'un droit pour le transporteur et d'une obligation contractuelle et légale ; qu'en statuant par ces motifs inopérants sans rechercher, comme cela lui était demandé, si le transporteur n'avait pas commis une négligence fautive en effectuant les transports demandés par le donneur d'ordre dont il connaissait les difficultés, qui ne payait plus depuis neuf mois quand les factures devaient être réglées dans le délai de trente jours, sans même lui adresser de mise en demeure et sans pratiquer de rétention, ce qui l'obligeait à réparer le préjudice subi par la société Carrefour du fait de sa condamnation à payer lesdits transports, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa version applicable en la cause, devenu l'article 1240 du même code ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que la société Carrefour réclamait une indemnité du même montant que celui de sa condamnation au titre de sa garantie en invoquant la négligence fautive de la société Azpeitia pour avoir poursuivi pendant neuf mois sa relation commerciale avec la société Medipalm sans être payée, l'arrêt énonce exactement que le paiement du prix du transport réclamé par le voiturier au destinataire sur le fondement de l'article L. 132-8 du code de commerce, qui n'est que l'exécution d'une obligation légale de garantie, ne peut constituer un préjudice indemnisable ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Carrefour hypermarchés aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la société Azpeitia transports européens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour la société Carrefour hypermarchés
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement qui avait condamné la société Carrefour hypermarchés à régler à la société Azpeitia la somme de 32 663,92 € TTC ;
AUX MOTIFS QUE « la société Azpeitia demande le paiement de la somme de 32.663,92 euros correspondant selon elle aux factures demeurées impayées afférentes aux 63 transports que lui a confiés la société défaillante Medipalm, qu'elle a effectués elle-même et dont la société Carrefour hypermarchés était le destinataire. Cette dernière s'y oppose, faisant valoir que l'appelante ne rapporte pas la preuve de sa qualité de destinataire des marchandises qu'elle conteste, ainsi que du caractère certain de sa créance. Il est rappelé que la charge de la preuve de la qualité de destinataire des marchandises du détendeur à l'action en paiement direct pèse sur le demandeur à cette action, soit ici sur la société Azpeitia, et, que cette preuve peut être rapportée par tous moyens, même si la lettre de voiture est incomplète ou imprécise. En l'espèce, les lettres de voiture litigieuses indiquent comme destinataires certes non pas la société "Carrefour hypermarchés", mais selon le cas "Carrefour" suivi d'un nom de commune et d'une adresse (par exemple "Carrefour Villiers", sis [...] , "Carrefour Ecully", sis 69130 Ecully... etc) et/ou un organisme comme "ID Logitics" ou "ND Logitics" dont le cachet précise "pour le compte de Carrefour" (sic). Il apparaît ainsi que différentes sociétés logistiques ont reçu et accepté la livraison des marchandises en tant que mandataires de "Carrefour" (sic), ce qui atteste d'une organisation logistique importante du groupe Carrefour. Par ailleurs, selon son Kbis, "Carrefour" est l'enseigne de plusieurs établissements, dont l'établissement principal, de la SAS Carrefour hypermarchés, société-mère du groupe Carrefour, étant rappelé qu'il est courant de désigner une société par son enseigne. Enfin, il résulte de l'échange de correspondances intervenu courant décembre 2013 entre Corec, société de recouvrement mandatée par Azpeitia, et la "direction juridique France" de Carrefour, que la qualité de destinataire des marchandises de la société Carrefour hypermarchés n'était absolument pas contestée par cette dernière par suite, au vu de l'ensemble de ces éléments, la preuve de cette qualité est ici suffisamment rapportée. S'agissant du caractère certain de la créance, contrairement à ce que soutient la société Carrefour hypermarchés, celle-ci étant partie au contrat de transport en sa qualité de destinataire des marchandises transportées, elle se trouve tout comme l'expéditeur, garante du paiement du prix du transport à l'égard du voiturier. Par suite, l'action directe de ce dernier n'est pas subordonnée à la déclaration de sa créance au passif de son donneur d'ordre, ici l'expéditeur. En outre, la preuve du prix convenu se déduit de l'envoi des factures par la société Azpeitia à l'expéditeur et donneur d'ordre, la société Medipalm, sans protestation de la part de celle-ci et alors qu'elle était encore in bonis. Le moyen tiré du caractère incertain de la créance sera donc rejeté. En conséquence le jugement sera également confirmé, par motifs adoptés, en ce qu'il a accueilli l'action directe de la société Azpeitia à hauteur de 32.663,92 euros et ainsi condamné la société Carrefour hypermarchés à lui payer ladite somme. Il sera ajouté que les intérêts au taux légal seront dus à compter du 2 décembre 2013, date de la mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception de la société Corec » ;
AUX MOTIFS SUPPOSÉS ADOPTÉS QUE « la Sarl Azpeitia a effectué à la demande de la société Medipalm des prestations de transport à destination des établissements Carrefour qui ont fait l'objet de sept factures émises du 28 février 2013 au 30 septembre 2013, supportées par 111 lettres de voiture, pour une somme totale de 69 095,26 € TTC ; sur le fondement de l'article L. 132-8 du code de commerce, la Sarl Azpeitia faisant valoir qu'elle n'aurait pas été réglée de ses prestations de transport par la société Medipalm, son donneur d'ordre, réclame le paiement desdits transports à la société Carrefour en qualité de destinataire ; l'article L. 132-8 du code de commerce dispose que « La lettre de voiture forme un contrat entre l'expéditeur, le voiturier et le destinataire ou entre l'expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier. Le voiturier a ainsi une action directe en paiement de ses prestations à l'encontre de l'expéditeur et du destinataire, lesquels sont garants du paiement du prix du transport. Toute clause contraire est réputée non écrite. » ; sur l'action directe la société Carrefour entendant se prévaloir du caractère exorbitant du droit commun des dispositions de l'article L. 132-8 du code de commerce créé par la loi Gayssot du 06/02/1998, prévues pour garantir le voiturier contre les défauts de paiement de ses prestations en cas de défaillance de son propre donneur d'ordre, fait valoir afin que l'action directe ne soit pas détournée de son objectif que le demandeur doit justifier être intervenu en qualité de voiturier et avoir personnellement déplacé les marchandise ; en effet qu'une abondante jurisprudence établit que, - l'article L. 132-8 du code de commerce, pouvant conduire l'expéditeur ou le destinataire à payer deux fois le transport, doit être interprété strictement, - La loi qui donne au voiturier le droit d'exercer l'action directe désigne donc le transporteur ayant réalisé effectivement le transport ; ce droit lui étant exclusivement réservé ne saurait être transmis à un autre transporteur, fût-ce par le biais de la subrogation ; comme le montrent les lettres de voitures versées au débat, la société Medipalm apparaît clairement comme l'expéditeur, Carrefour comme le destinataire et la Sarl Azpeitia comme le voiturier pour 63 expéditions effectuées par elle-même la société Carrefour est donc garant du paiement du prix de transport, soit la somme de 32.663,92 € TTC correspondant aux 63 transports directement effectués par la Sarl Azpeitia ; par conséquent pour ce qui concerne les transports effectués par elle-même pour un montant de 32.663,92 € TTC, le donneur d'ordre Medipalm ayant été défaillant, la Sarl Azpeitia serait bien fondée à revendiquer l'application des dispositions de l'article L. 132-8 du code de commerce à l'encontre de la société Carrefour destinataire des marchandises sur la qualité de destinataire de la société Carrefour, les demandes formulées dans ses écritures, compte tenu de sa taille et de la complexité de son organisation, par Carrefour vis-à-vis de la Sarl Azpeitia pour lui demander de justifier de sa qualité de destinataire des livraisons n'apparaît pas être d'une parfaite bonne foi ; l'ensemble des lettres de voiture sont revêtues soit du cachet du service de réception de l'établissement Carrefour daté signé, soit du cachet du service de réception de la société logistique opérant explicitement : « POUR LE COMPTE DE CARREFOUR », également daté signé ; les pièces versées au débat ne laissent planer aucun doute sur le destinataire des marchandises transportées par la Sarl Azpeitia ou ses sous-traitants pour un montant total de 69.095,26 € TTC, à savoir les établissements carrefour » ;
ALORS QU'il incombe au voiturier qui réclame le bénéfice de la garantie de paiement à l'encontre du destinataire des marchandises de rapporter la preuve de la certitude de sa créance et notamment de la défaillance du donneur d'ordre qu'en condamnant la société Carrefour hypermarchés à régler à la société Azpeitia, le transporteur, la somme de 32 663,92 € TTC au titre des 63 prestations de transports confiées par la société Medipalm en se fondant sur la circonstance que la société Carrefour hypermarchés était partie au contrat de transport en qualité de destinataire des marchandises transportées si bien que le succès de l'action n'était pas subordonné à une déclaration de créance au passif du donneur d'ordre sans rechercher, comme cela lui était demandé (conclusions d'appel de l'exposante, p. 24 et s.), si le transporteur justifiait du caractère certain de sa créance portant sur lesdits transports et, en particulier, de la défaillance du donneur d'ordre, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 132-8 du code de commerce, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa version applicable en la cause, devenu l'article 1103 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR débouté la société Carrefour hypermarchés de sa demande de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QUE « la société Carrefour demande la condamnation de la société Azpeitia à lui payer une indemnité égale ait montant des condamnations dont elle ferait l'objet, avec compensation, en réparation de sa négligence fautive ayant consisté à poursuivre sa relation commerciale avec Medipalm pendant 9 mois (de février à octobre 2013) sans être payée, alors que les factures de transport routier sont payables dans un délai maximum de 30 jours à compter de leur émission en vertu de l'article L. 441-6 du code de commerce compte tenu de ce qu'elle était assurée d'être rémunérée par elle-même par le biais de l'action directe, dont l'esprit était ainsi détourné. L'engagement de la responsabilité d'Azpeitia à l'égard de Carrefour suppose que cette dernière rapporte la preuve d'une faute de la première et d'un préjudice pour elle-même, ainsi que d'un lien causal entre ces deux éléments. Or, l'action directe, légalement prévue offerte au transporteur routier, ici accueillie, constituant pour celui-ci un droit, preuve n'est pas rapportée par l'intimée que son exercice serait fautif et que la condamnation au paiement qui en résulte pour elle en sa qualité de destinataire constituerait un préjudice réparable, s'agissant là d'une obligation tout à la fois contractuelle et légale. En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a fait droit à la demande indemnitaire de la société Carrefour sur ce point » ;
ALORS QUE celui qui cause à autrui un dommage est tenu d'en réparer les conséquences ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a débouté la société Carrefour hypermarchés de son action en responsabilité délictuelle exercée à l'encontre de la société Azpeitia en se fondant sur les circonstances qu'il n'était prouvé ni exercice abusif de l'action directe en garantie de paiement ni préjudice réparable s'agissant d'un droit pour le transporteur et d'une obligation contractuelle et légale (arrêt attaqué, p. 6 § 4) ; qu'en statuant par ces motifs inopérants sans rechercher, comme cela lui était demandé (conclusions d'appel de la société Carrefour hypermarchés, p. 28 et s.), si le transporteur n'avait pas commis une négligence fautive en effectuant les transports demandés par le donneur d'ordre dont il connaissait les difficultés, qui ne payait plus depuis neuf mois quand les factures devaient être réglées dans le délai de 30 jours, sans même lui adresser de mise en demeure et sans pratiquer de rétention, ce qui l'obligeait à réparer le préjudice subi par l'exposante du fait de sa condamnation à payer lesdits transports, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa version applicable en la cause, devenu l'article 1240 du même code.