LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 3 mars 2016),
que, selon acte du 22 juillet 2011, M. et Mme X... sont propriétaires, d'un bâtiment à usage d'entrepôt provenant de la division d'une propriété ; que cet acte reprenait les dispositions d'un acte de vente des 28 et 31 mars 1956 qui stipulait : « la société acquéreur maintiendra tel qu'il est établi actuellement le jour de souffrance qui se trouve sur l'arrière du grand local » ; que Mme A..., Mme Z... et M. Z... (les consorts Z...), propriétaires d'une parcelle voisine, issue de la division de la même propriété, ont assigné M. et Mme X... en suppression des ouvertures crées sur leur bâtiment et en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen :
Vu l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
Attendu que, pour accueillir la demande en suppression des ouvertures, l'arrêt retient que l'auteur commun des parties n'a jamais autorisé l'ouverture de jours en vue directe sur le fonds devenu celui des consorts Z... à partir du local acquis par M. et Mme X... et que ce local ne bénéficiait que d'un seul jour de souffrance devant être maintenu tel qu'établi ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la clause de l'acte des 28 mars et 31 mars 1956 se rapportait au seul jour de souffrance existant dans la façade et interdisait de le transformer en fenêtre permettant une vue mais n'empêchait pas l'acquéreur de créer d'autres jours conformes aux dispositions des articles 676 et 677 du code civil, la cour d'appel, qui a dénaturé cet acte, a violé le principe susvisé ;
Et sur le second moyen :
Vu l'article 624 du code de procédure civile ;
Attendu que la cassation sur le premier moyen entraîne l'annulation, par voie de conséquence, des dispositions qui sont critiquées par ce moyen ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne Mme A..., Mme Z... et M. Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme A..., Mme Z... et M. Z... et les condamne à payer à M. et Mme X... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un mai deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR dit que les époux X... avaient pratiqué des ouvertures sur le mur de façade leur bien immobilier cadastré [...] donnant sur le fonds des consorts A... /Z... en contravention avec les conditions particulières figurant à leur titre de propriété, et de les AVOIR en conséquence condamnés à supprimer les fenêtres, ouvertures et évacuations, de toutes natures, qu'ils avaient installées sur le mur en cause et à remettre en état la façade côté fonds des consorts A... /Z... , à l'identique en pierres sèches ;
AUX MOTIFS QUE « l'auteur commun, M. D... a vendu, par actes des 28 et 31 mars 1956, à la Société Coopérative des Producteurs de Marrons de La Garde Freinet (Marrons du Luc), devenue la coopérative Copsolfruit : « 1° un immeuble à usage anciennement de remise avec grenier à foin, actuellement le local de trempage et manipulation des marrons, figurant au cadastre sous le n°189 de la section C » et « 2° une parcelle de terrain détachée d'une plus grande parcelle appartenant aux vendeurs », prise en « bordure de la route nationale 558 à l'est et à l'ouest du local objet de l'article premier ci-dessus avec puits dans la partie à l'est dudit local, une construction a déjà été édifiée par la société acquéreuse sur la partie ouest » ; qu'il a ensuite, sur le terrain contigu, créé un lotissement le 26 janvier 1959, lotissement dans lequel l'auteur des consorts A... /Z... a acquis différents lots, en limite du local précédemment vendu à la coopérative ; qu'il est constant que les époux X... ont acquis de la coopérative Copsolfruit le local visé au 1er point de l'acte de vente précité ; or, que l'acte de vente à la Coopérative des Marrons devenue la coopérative Copsolfruit, prévoyait expressément des conditions particulières dont il résulte que « la société acquéreuse maintiendra tel qu'il est établi actuellement le jour de souffrance qui se trouve sur le derrière du grand local compris sous l'article 1er de la désignation » ; que ces conditions particulières prévoyaient également la construction par la coopérative d'un bâtiment de triage et d'expédition de marrons sur la partie du terrain côté cimetière ; que dans ce cadre, la coopérative s'engageait à ne pas faire de construction d'une hauteur supérieure à celle prévue sur le plan établi à cet effet par M. Marcel E..., architecte, et le vendeur acceptait, en ce qui concerne cette construction, des ouvertures à pratiquer du côté de son jardin en vue de donner du jour à cette construction, à un mètre soixante du sol du plancher ; que d'autre part, la société acquéreuse pouvait, sur le bâtiment qu'elle avait elle-même édifié en qualité de locataire des lieux, ouvrir sur la façade nord-est un jour de souffrance mobile à un mètre soixante du sol ; qu'enfin, il a été prévu que la société devait laisser sur la toiture du grand local la console maintenant les fils amenant l'électricité au jardin des vendeurs et devait laisser le passage aux personnes chargées d'effectuer les réparations aux lignes électriques en cas de panne ; que la cour constate que lorsque ces conditions particulières se réfèrent au local vendu, celui-ci est expressément désigné par l'expression « grand local » ; qu'il en résulte que, contrairement à ce que soutiennent les époux X... et à ce qu'a retenu le tribunal, l'auteur commun n'a jamais autorisé l'ouverture de jours en vue directe sur le fonds devenu celui des consorts A... / Z... à partir du local que les intimés ont acquis et que le local ne bénéficiait que d'un seul jour de souffrance devant être maintenu tel qu'établi ; qu'indépendamment de la question des annulations tant de l'autorisation de lotir que des permis de construire des époux X..., les conditions particulières ainsi rappelées ont été reprises dans leur intégralité dans l'acte d'achat des époux X... en date du 22 juillet 2011 et leur sont donc opposables ; qu'elles résultent de la volonté de l'auteur commun, visent au respect de l'intimité dans les relations de voisinage et dérogent aux dispositions des articles 676 et 677 du code civil, étant surabondamment relevé que les ouvertures pratiquées par les époux X... ne respectent pas les dispositions de l'article 678 du même code et que, dans un premier temps et contrairement aux énonciations de leur permis de construire de 2013 qui prévoyait des ouvertures en verre fixe et opaque, les intimés avaient installés des fenêtres et non pas de simples jours de souffrance ; que les intimés ne contestent pas non plus avoir installé des évacuations d'eau donnant directement sur le fonds contigu ; que dès lors, il y a lieu de faire droit à la demande des appelants et de condamner les époux X... à la remise en état du mur de façade côté fonds des appelants à l'identique en pierres sèches en supprimant toutes les fenêtres et ouvertures de quelque nature que ce soit qu'ils ont pratiqués sur ce mur ; que les consorts A... /Z... ne résident pas sur place et devront être avertis suffisamment à l'avance pour ces travaux de remise en état si ceux-ci devaient se faire par l'extérieur, dans le respect des règles de l'art, sans qu'il y ait lieu de les interdire pendant la période estivale et la demande d'astreinte sera en voie de rejet ; que le jugement sera ainsi infirmé » ;
1°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que dans l'acte de vente des 28 et 31 mars 1956, dont les « conditions particulières » étaient reproduites dans l'acte de vente du 22 juillet 2011, il était stipulé que « la société acquéreur maintiendra tel qu'établi actuellement le jour de souffrance qui se trouve sur le derrière du grand local, compris sous l'article premier de la désignation » (productions n° 9, p. 5-6 ; production n° 8, p. 12) ; que ces stipulations, qui se rapportaient au seul jour de souffrance existant déjà dans la façade, et interdisaient notamment de le transformer en une fenêtre pouvant s'ouvrir et laisser passer la vue, n'interdisaient pas à l'acquéreur de créer d'autres jours à châssis fixe et verre dormant conformes aux dispositions des articles 676 et 677 du code civil, offrant également, par définition, des garanties de discrétion suffisantes ; que dès lors, en jugeant que « les conditions particulières (
) résultent de la volonté de l'auteur commun, visent au respect de l'intimité dans les relations de voisinage et dérogent aux dispositions des articles 676 et 677 du code civil », de sorte que les actes de vente défendaient à l'acquéreur de créer de nouveaux jours même satisfaisant aux dispositions légales précitées (arrêt attaqué, p. 6), la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de l'acte de vente des 28 et 31 mars 1956, repris dans l'acte de vente du 22 juillet 2011, et a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) ALORS, en tout état de cause, QUE dans leurs conclusions d'appel, les époux X... faisaient valoir, photographies à l'appui, que l'ensemble des ouvrages litigieux étaient désormais fermés au moyen de pavés de verre opaques, fixes et scellés (conclusions d'appel, p. 9, et pp. 12 à 15 § 1) ; qu'ils précisaient que ces pavés de verre « opaques » – c'est-à-dire laissant uniquement passer la lumière sans permettre de discerner les formes, et offrant des garanties de discrétion totales – constituaient de simples puits de lumière ne permettant pas de vue quelconque sur le fonds voisin (ibid., en partic. p. 14 § 7, et p. 15 § 1) ; qu'ils soulignaient que ces caractéristiques, et notamment l'opacité des pavés de verre, avaient été établies par constat d'huissier, par le rapport d'un géomètre-expert, et constatées par les premiers juges (conclusions d'appel, p. 12 et 14 ; production n° 10 ; production n° 11 ; jugement entrepris, p. 4 avant-dernier §) ; que dès lors, la cour d'appel, qui a elle-même rappelé que les stipulations de l'acte de vente des 28 et 31 mars 1956, reprises dans l'acte de vente du 22 juillet 2011, et relatives au jour de souffrance, « visent au respect de l'intimité dans les relations de voisinage », mais qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si les ouvrages créés par les époux X... n'interdisaient pas toute indiscrétion sur le fonds voisin de sorte que leur création n'était pas exclue par les actes de vente précités, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable au litige ;
3°) ALORS, en toute hypothèse, QUE la cour d'appel a elle-même constaté que les conditions particulières de l'acte de vente des 28 et 31 mars 1956, reproduites dans l'acte de vente du 22 juillet 2011, prévoyaient à tout le moins le maintien d'un jour de souffrance dans la façade litigieuse (arrêt attaqué, p. 6 ; productions n° 9, p. 5-6 ; production n° 8 p. 12) ; que dès lors, à supposer que la cour d'appel ait condamné les époux X... à fermer l'ensemble des six ouvrages présents sur la façade au moyen de pierres sèches, elle n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé 1134 du code civil dans sa rédaction applicable au litige.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR condamné les époux X... à payer à Mme Frédérique A... épouse B..., M. Vincent Z... et Mme Mathilde Z... la somme de 7.000 € chacun à titre de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QU'« en ce qui concerne la demande de dommages et intérêts présentée par les appelants, les époux X... ne sauraient sérieusement soutenir que les travaux d'ouverture ont été effectués depuis l'intérieur du bâtiment, sauf à la suite de la chute d'une planche ayant nécessité le droit du tour d'échelle pour la récupérer et pour les besoins du coffrage alors même qu'ils reconnaissent que le lierre a été décroché et une branche de figuier coupé, opérations qui ne peuvent matériellement s'effectuer depuis l'intérieur de leur bien, au regard de la configuration des lieux telle qu'elle est matérialisée par les photos produites ; que la violation de la propriété des consorts A.../ Z... est ainsi établie et la voie de fait qui en est résultée ainsi que les préjudices moraux et de jouissance causés par les ouvertures illicites seront exactement indemnisés par l'allocation de la somme de 7.000 € de dommages et intérêts à chacun des appelants, étant rappelé que, à condition qu'elle ait été versée, la provision à laquelle les époux X... ont été condamnés par l'arrêt de la présente cour en date du 8 novembre 2012 s'impute de plein droit sur le montant des condamnations définitivement arrêtées par les juges du fond saisis aux mêmes fins que le juge des référés ; que le jugement sera de nouveau infirmé » ;
ALORS QUE dans leurs conclusions d'appel, les époux X... soutenaient avoir réalisé les travaux d'ouverture depuis l'intérieur du bâtiment, et n'avoir que brièvement posé une échelle sur le fonds voisin afin de récupérer une planche tombée à terre lors du coffrage (conclusions d'appel, p. 15 à 20) ; qu'ils soulignaient que les pièces produites par les consorts A... /Z... faisaient uniquement état de la présence de cette échelle, que les intéressés n'auraient pas manqué de faire constater la présence d'un échafaudage sur leur terrain si tel avait été le cas, et qu'un tel échafaudage était en outre matériellement impossible à installer en raison d'un abri en bois placé contre la façade (conclusions d'appel, p. 18-19) ; qu'ils précisaient encore que les encadrements n'avaient pu être réalisés que de manière inélégante précisément parce qu'ils avaient été fait depuis l'intérieur de l'immeuble, et qu'il existait de nombreuses imperfections en façade, dont des coulages et des linteaux de travers non bouchés en façade, ce qui s'expliquait par une réalisation des travaux depuis l'intérieur rendant malaisé les finitions extérieures (conclusions d'appel p. 18 et 20) ; qu'ils produisaient une attestation de l'entrepreneur confirmant que tous les travaux avaient été effectués depuis l'intérieur (conclusions d'appel p. 15 ;
production n° 12) ; qu'ils soutenaient encore que les travaux relatifs aux plantations avaient eux aussi été réalisés depuis l'intérieur du bâtiment, s'agissant du lierre décroché de leur mur – qui pouvait être décroché depuis les ouvertures créées avant qu'elles soient fermées –, comme de la branche du figuier coupée sur un mètre, qui venait toucher la façade comme en avait attesté l'entrepreneur et pouvait donc être facilement coupée depuis l'intérieur (conclusions d'appel, p. 15, 16, 17 et 19 ; production n° 11) ; qu'ils soulignaient en outre, au sujet du lierre décroché, que les consorts A... /Z... ne faisaient état que de « végétations pendantes » (conclusions d'appel, p. 19, §§ 6-7), ce qui confirmait bien un décrochage de la façade depuis les ouvertures créées, et non la pénétration sur le fonds voisin qui aurait permis de décrocher le lierre jusqu'au sol voire de le couper ; que l'atteinte au droit de propriété des consorts A... /Z... , à supposer qu'elle existe, était donc minime et consistait à être allés reprendre une planche tombée sur leur fonds ; qu'à la différence de ces explications précises et étayées d'éléments de preuve, les consorts A... /Z... se contentaient d'affirmations non fondées (conclusions d'appel adverses, p. 13-14) ; que dans ces conditions, en se bornant à énoncer que « les époux X... ne sauraient sérieusement soutenir que les travaux d'ouverture ont été effectués depuis l'intérieur du bâtiment, sauf à la suite de la chute d'une planche ayant nécessité le droit du tour d'échelle pour la récupérer et pour les besoins du coffrage alors même qu'ils reconnaissent que le lierre a été décroché et une branche de figuier coupé, opérations qui ne peuvent matériellement s'effectuer depuis l'intérieur de leur bien, au regard de la configuration des lieux telle qu'elle est matérialisée par les photos produites » (arrêt attaqué, p. 6 dernier §), sans répondre au moyen précité des époux X... en ce qu'ils expliquaient avec précision, preuves à l'appui, comment ils avaient réalisé les différents travaux depuis l'intérieur du bâtiment, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.