LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, ci-après annexé :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er février 2017), que le Syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) a décidé de réaliser une station d'épuration et a confié les études d'avant-projet sommaire (APS) à la direction départementale de l'équipement (la DDE) ; que, sur la base de l'APS, le SIVOM a eu recours à un appel d'offres remporté par la Compagnie des eaux et de l'ozone (la CEO), laquelle s'est vu confier le programme général de la réalisation de cette station avec octroi de l'exploitation de l'ouvrage pour une durée de trente ans ; que la CEO, devenue concessionnaire de la station, a sollicité la DDE pour une mission de maîtrise d'oeuvre correspondant à l'assistance aux marchés de travaux (AMT) ; que la société Ominum de traitement et de valorisation (la société OTV) a été chargée d'une mission de définition des ouvrages de la partie process et de la réalisation des équipements ; que la réception des travaux confiés à la société OTV a eu lieu, sans réserves, le 22 mai 1995, avec effet au 1er janvier 1995 ; que, des désordres consistant en d'importantes corrosions des éléments de la charpente métallique étant apparus, la CEO a assigné l'agent judiciaire de l'Etat en paiement de sommes ; que l'Etat a appelé en garantie la société OTV, qui avait réalisé les travaux concernant ces ouvrages métalliques ;
Attendu que l'agent judiciaire de l'Etat fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande de la CEO ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la DDE, ayant été chargée d'une mission AMT, était investie de la qualité de constructeur au sens de l'article 1792 du code civil, que la possibilité pour la CEO d'accéder en amont de la station aux conduits d'acheminement des effluents pour apporter un traitement réduisant le phénomène de développement des sulfures généré par le passage des effluents en conduits anaérobie, n'était pas discutée, mais que cela relevait du traitement d'une conséquence de la très grande variabilité des effluents à l'origine du litige non suffisamment prise en compte dans le programme de l'opération, que le traitement des eaux n'était prévu dans le cahier des garanties d'OTV, constructeur choisi avec l'assistance de la DDE, que par deux réactifs, le chlorure ferrique et le polymère, que la CEO avait mis en oeuvre, et que la chaux n'apparaissait avec le polymère, dans ce cahier, que pour le traitement des boues, que si la DDE soutenait que trois réactifs auraient dû être utilisés, elle ne l'avait pas rappelé dans le cadre de sa mission d'AMT, à tout le moins au titre des éléments contenus dans l'APS qu'elle avait établi, alors qu'il s'agissait d'un point crucial, la cour d'appel qui, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu en déduire que les manquements commis par la DDE avaient privé l'exploitante d'une connaissance réelle des données relatives aux effluents et qu'elle n'avait pas alertée la CEO, comme elle aurait dû le faire, du risque d'exploitation encouru par suite de la connaissance insuffisante de la nature de ces effluents, dont la très grande variabilité avait été identifiée, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'Etat aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mai deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen produit par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour l'agent judiciaire de l'Etat.
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué de dire que les désordres survenus dans la station d'épuration de Port-Vendres et Collioure exploitée par la Compagnie des eaux et de l'ozone (LA CEO), relèvent de la garantie des constructeurs, que la DDE est responsable de plein droit des désordres litigieux, de fixer à hauteur de moitié le taux d'exonération partielle de la responsabilité de l'Etat, de condamner l'Etat à verser à la Compagnie des eaux et de l'ozone les sommes de 188 449,08 euros HT au titre des travaux réparatoires, de 22 613,89 euros HT au titre des frais de maîtrise d'oeuvre sur ces travaux et de 379 143,19 euros HT au titre des surcoûts générés par les désordres ;
AUX MOTIFS QUE le jugement entrepris a dit que les désordres proviennent de causes étrangères exonératoires liées, non pas à la construction de l'ouvrage, mais à ses conditions d'exploitation, postérieurement à la réception ; que l'appréciation de ces causes appelle les observations suivantes : Sur l'exploitation de la station d'épuration, l'apparition rapide des désordres sur l'installation conduit à pondérer cette argumentation d'une part comme il a été dit parce que l'exploitante est une professionnelle du traitement et de l'épuration des eaux et que d'autre part alors qu'elle a procédé en interne à des relevés et mesures réguliers d'exploitation lui incombant pour ce type d'activité, il résulte des pièces versées que dès l'apparition du phénomène de corrosion des analyses de prélèvements ont été réalisées pour en déterminer les raisons et le traiter, telles l'étude de la GENERALE de CHIMIE de décembre 1995 (pièce AJE n° 14), soit moins de deux ans après la réception ou encore le rapport IRH d'avril 1997 (pièce n° 15) ; que la possibilité pour LA CEO d'accéder en amont de la station d'épuration aux conduits d'acheminement des effluents pour apporter un traitement réduisant le phénomène de développement de sulfures généré par le passage des effluents en conduits anaérobie, n'est pas discutée Mais cela relève du traitement d'une conséquence de la très grande variabilité des effluents à l'origine du litige non suffisamment prise en compte dans le programme de l 'opération ; que sur ce point, le coût d'exploitation de la station est notamment fonction des produits réactifs et de leur quantité nécessaires à traiter ces effluents lorsqu'ils présentent des pics corrosifs ; que l'expert a rappelé (Pièce CEO n° 4 pages 58 et 60) en réponse au dire de LA CEO (annexe 48) que « la teneur en chlorure a été mise en exergue mais pas la teneur en sulfures dont on connaît les conséquences » et il a conclu « sur les sulfures nous maintenons notre analyse la corrosion résulte de la teneur en sulfures en entrée de la station (ce qui était prévisible par la CEO) et des dégagements de H2S » ; que sur le reproche fait à LA CEO de ne pas avoir utilisé trois réactifs comme prévu, la DDE impute encore à LA CEO une erreur d'exploitation en ce que celle-ci n'a pas traité les effluents avec trois réactifs comme elle prétend l'avoir préconisé mais seulement deux, en ayant exclu le lait de chaux pourtant destiné à neutraliser les acides et notamment en l'espèce les dégagements acide sulfureux [Le CCTP prévoyait (page 14 de l'annexe au dire de la DDE annexe 45) un traitement à 3 réactifs polymères, lait de chaux et sel métallique.] ; que LA CEO conteste avoir été destinataire de la préconisation d'un traitement par 3 réactifs et elle fait en outre valoir que sur recommandation du Service d'assistance technique aux exploitants de stations d'épurations (SATESE), service du Conseil départemental conseillant les maîtres d'ouvrage et exploitants de stations d'épuration, elle a été amenée à faire application des préconisations contenues dans le rapport de la GENERALE DE CHIMIE de 1996 et dans celui de la société IRH ENVIRONNEMENT de 1997 ; qu'elle indique qu'après avoir appliqué comme réactifs du chlorure ferrique et du polymère elle a alors remplacé le chlorure ferrique par du polychlorure d'aluminium ; qu'il est certain que dans le contexte de pics d'émanations acides sulfureuses nombreux constatés lors des multiples mesures effectuées par LA CEO peu après la mise en service de la station, une réponse efficiente s'imposait, sachant que les réactifs sont onéreux et leurs quantités prévisionnelles d'ailleurs évaluées dans le cahier des garanties dues par OTV (pièce DDE n° 2 page 4) ; qu'à l'évidence la poursuite et la généralisation de la corrosion des parties métalliques montrent que la réponse a été insuffisante ; que sur ce point il est relevé et souligné par la Cour que le traitement des eaux n'était prévu dans ce cahier des garanties d'OTV, constructeur choisi avec l'assistance de marché de la DDE, que par deux réactifs à savoir le chlorure ferrique et le polymère (page 4), que LA CEO a mis en oeuvre, et que la chaux n'apparaissait avec le polymère dans le cahier des Garanties, que pour le traitement des boues ; que si la DDE soutient que trois réactifs auraient dû être utilisés, il est permis de s'étonner qu'en présence de ce cahier des garanties dues par OTV, elle ne l'ait pas rappelé dans le cadre de sa mission d'Assistance à Marché de Travaux, à tout le moins au titre des éléments contenus dans l'APS qu'elle avait établi, alors qu'il s'agit d'un point crucial ; que l'APS de la DDE mentionne en effet (en page 7 - point 1 b) une prudence particulière dans le développement du projet, précisément en raison de la grande variabilité des effluents, et de l'insuffisante connaissance des données sur ce point en ces termes "L'analyse des données existantes a montré que les eaux usées actuelles contenaient des quantités de chlorure de sodium non négligeables et surtout variables. Cette analyse a aussi mis en évidence l'insuffisance des données statistiques pour bien cerner le problème et le traiter efficacement. Ceci nous amène à choisir une filière permettant deux stades de traitement espacés dans le temps. 1-Rapidement un traitement insensible à la teneur en chlorure et à ses variations mais abattant un taux important de matières en suspension sur la base d'une population prévisionnelle à court terme. (...) 2-A moyen terme, l'extension de cette filière en fonction de l'évolution réellement observée de la population dans l'intervalle, avec mise en place d'une filière biologique complémentaire compatible avec la filière physique et rendue possible par la meilleure connaissance du phénomène « chlorures » et par l'élimination adaptée des causes de variations journalières » ; qu'en conséquence la DDE ne sera admise que partiellement à faire valoir une cause étrangère exonératoire de sa propre responsabilité car nonobstant le professionnalisme de LA CEO, ses manquements à son égard ont privé l'exploitante d'une connaissance réelle des données relatives aux effluents et elle n'a pas non plus alerté la CEO, comme elle aurait dû le faire, du risque d'exploitation encouru par suite de la connaissance insuffisante de la nature de ces effluents dont la très grande variabilité a avait été identifiée ; que les conditions d'exploitation par la professionnelle du secteur qu'a été LA CEO ne seront retenues qu'à hauteur de 50%, la DDE par L'ETAT FRANÇAIS étant tenue à indemniser pour le surplus, dans les termes qui suivent ;
1°) ALORS QUE l'utilisation anormale de l'ouvrage constitue une cause d'exonération de la garantie des constructeurs ; que l'Agent judiciaire de l'Etat soutenait que, comme l'avaient retenu les premiers juges, la Compagnie des eaux et de l'ozone avait exploité la station d'épuration dans des conditions anormales, postérieurement à sa réception, en ne s'assurant pas que les effluents présentaient un taux de H2S inférieur ou égal à 1mg/l en entrée de station, contrairement aux conditions d'exploitation prévues, et que cette faute avait été la cause de la corrosion ; qu'en ne s'expliquant pas sur les conséquences de ce défaut de contrôle des concentrations des effluents lors de l'entrée dans la station, qui, indépendamment de leur traitement ultérieur, ont conduit au phénomène de corrosion, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792, alinéa 2, du code civil ;
2°) ALORS QUE seuls les désordres liés à la construction relèvent de la garantie décennale ; que l'Agent judiciaire de l'Etat soutenait que la corrosion de l'ouvrage était imputable aux conditions dans lesquelles il avait été exploité et à l'absence de mise en place d'un traitement adapté au taux de concentration en H2S (acides sulfureux) ; que l'arrêt constate que la réponse de l'exploitant face aux pics d'émanations acides sulfureuses a été insuffisante ; qu'en n'exonérant que partiellement l'Etat au titre de la garantie de plein droit des constructeurs liée à l'intervention de la DDE comme maître d'oeuvre, en relevant que la Compagnie des eaux et de l'ozone n'avait pas été suffisamment alertée par la DDE sur les risques d'exploitation encourus en raison d'une connaissance insuffisante de la nature de ces effluents dont la très grande variabilité avait été identifiée, sans préciser en quoi ce défaut d'information serait imputable à l'intervention de la DDE comme constructeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792, alinéa 2, du code civil ;
3°) ALORS QUE le constructeur n'est pas responsable au titre du défaut d'information sur le fonctionnement de l'ouvrage lorsque le maître de l'ouvrage dispose de la compétence technique lui permettant de connaître dans quelles conditions il doit être exploité ; que l'Agent judiciaire de l'Etat faisait valoir que la Compagnie des eaux et de l'ozone, compte tenu de sa qualité de professionnelle dans le traitement des eaux usées, ne pouvait ignorer la nécessité d'ajuster le traitement à l'effluent et qu'elle avait été informée par le biais d'étude et de rapports, en phase de diagnostics préalables à la construction de la station, de l'importance d'un traitement des eaux par trois réactifs, dont la chaux, permettant de limiter le phénomène d'acidification (conclusions d'appel, pp. 10-11) ; qu'en se bornant à énoncer que les manquements de la DDE ont privé l'exploitante d'une connaissance réelle des données relatives aux effluents et que la DDE aurait dû l'alerter sur le risque d'exploitation encouru par suite d'une connaissance insuffisante des effluents, sans rechercher si l'exploitant ne disposait pas en tout état de cause de ces informations, de sorte qu'aucun manquement ne pouvait être retenu à l'encontre de la DDE, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil ;
4°) ALORS QUE l'Agent judiciaire de l'Etat soutenait que la Compagnie des eaux et de l'ozone avait nécessairement eu connaissance du dossier de concours comportant l'avant-projet sommaire que la DDE avait réalisé pour le Sivom ; qu'en relevant que la DDE avait mis en avant dans l'avant projet sommaire qu'il fallait faire preuve d'une prudence particulière dans le développement du projet, précisément en raison de la grande variabilité des effluents, et de l'insuffisante connaissance des données sur ce point en ces termes, que toutefois elle n'avait pas formulé d'observations sur le cahier des garanties d'OTV, pour en déduire que la DDE avait commis des manquements privant l'exploitante d'une connaissance réelle des données relatives aux effluents et qu'elle n'avait pas alerté cette dernière sur le risque d'exploitation encouru par suite d'une connaissance insuffisante des effluents, sans s'expliquer sur la circonstance spécialement invoquée que l'exploitante avait connaissance de cet avant projet sommaire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.