LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu les articles 44 et 45 du code de procédure civile, ensemble l'article 3, alinéa 2, du code civil ;
Attendu que, lorsqu'une succession comporte des immeubles situés dans l'un et l'autre de deux pays dont le défunt a la nationalité, le renvoi opéré par la loi du lieu de situation de l'immeuble impose que le critère de rattachement à la loi nationale du défunt soit apprécié selon les règles de conflit de lois prévues par la loi du pays renvoyant ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'Antoine X..., de nationalité française, et son épouse, Louisette B..., de nationalité française et espagnole, sont décédés respectivement les [...], à Aix-en-Provence, laissant pour leur succéder leurs trois enfants, Michèle, Gérald et Hélène ; que dépendent de leurs successions des biens immobiliers situés en France et en Espagne ; que Mme Hélène X... a assigné ses frère et soeur devant le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la communauté ayant existé entre leurs parents et de la succession de chacun d'eux ; que M. X... a soulevé l'incompétence de la juridiction saisie pour connaître de la succession de Louisette B..., s'agissant des biens immobiliers situés en Espagne ;
Attendu que, pour rejeter cette exception d'incompétence et dire que la loi française est applicable à l'entière succession X..., après avoir énoncé que la loi espagnole applicable aux biens immobiliers situés en Espagne, dispose, à l'article 9.8 du code civil, que la succession est régie par la loi nationale du défunt et, à l'article 9 du même code, que lorsqu'une personne détient la nationalité espagnole en plus d'une deuxième nationalité non prévue dans les lois espagnoles ni dans les traités internationaux, la nationalité espagnole doit prévaloir, ce dont il résulte que deux nationalités sont en conflit, celle du for et celle de l'Etat renvoyant, l'arrêt retient que les deux époux avaient la nationalité française, que leur succession a été ouverte en France où se trouvait leur dernier domicile, que la liquidation de leur régime matrimonial est soumise à la loi française et que partie des actes accomplis en Espagne par la défunte l'ont été alors qu'elle n'avait que la nationalité française, de sorte que le renvoi à la loi française doit être appliqué conformément à la loi espagnole dont la finalité est l'unité successorale, dès lors que la nationalité française prévaut ;
Qu'en statuant ainsi, en faisant prévaloir la loi française à l'égard d'un binational, alors que la loi nationale de rattachement, au sens du code civil espagnol, devait être déterminée selon les dispositions de la loi étrangère telles qu'interprétées par son droit positif, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 novembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne Mmes Hélène et Michèle X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mai deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. X....
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR dit que le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence est compétent pour statuer et prononcé l'ouverture des opérations de liquidation, comptes et partage de la communauté ayant existé entre les époux X..., l'entière succession de feu Antoine X... et l'entière succession de feue Louisette X... ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « la succession de Mme X... B... qui a la double nationalité franco-espagnole, qui est décédée en France à Aix-en-Provence, et celle de M. Antoine X..., de nationalité française, décédé en France à Aix-en-Provence, comporte, les époux étant mariés sous le régime de la communauté, des biens immobiliers situés en France et en Espagne. Aux termes de l'article 3 alinéa 2 du code civil, les immeubles (situés sur le territoire français) même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française. L'article 44 du code de procédure civile précise qu'en matière réelle immobilière, la juridiction du lieu où est situé l'immeuble est seule compétente. L'article 45 du même code dispose qu'en matière de succession, sont portées devant la juridiction dans le ressort de laquelle est ouverte la succession jusqu'au partage inclusivement : les demandes entre héritiers
les demandes relatives à l'exécution des dispositions à cause de mort. La loi espagnole applicable aux biens immobiliers situés en Espagne selon l'article 44 précité renvoie à la loi nationale de la défunte soit à sa double nationalité comme suit : l'article 9.8 du code civil espagnol : « La succession à cause de mort se régira par la loi nationale du défunt au moment du décès, indépendamment de la nature des biens et du pays où ils se trouvent ». L'article 9 du code civil espagnol : « Lorsqu'une personne détient la nationalité espagnole en plus d'une deuxième nationalité non prévue ni dans nos lois ni dans les traités internationaux, la nationalité espagnole doit prévaloir ». Il en résulte que deux nationalités sont en conflit, celle du for et celle de l'Etat renvoyant. L'article 12-2 du code civil espagnol prévoit « le renvoi au droit étranger sera considéré fait à sa loi matérielle, sans tenir compte du renvoi que ces normes de conflit peuvent faire à une autre loi qui n'est pas la loi espagnole ». Or, en l'espèce, le dernier domicile des époux [...] était situé en France à Aix- en- Provence depuis 1990, leur succession a été ouverte en France, tous deux ont la nationalité française, la liquidation de leur régime matrimonial est soumise à la loi française, partie des actes accomplis en Espagne par la défunte l'ont été alors qu'elle n'avait que la nationalité française, de sorte que le renvoi à la loi française doit être appliqué conformément aux dispositions de la loi espagnole dont la finalité est celle de l'unité successorale alors que la nationalité française prévaut. Il s'ensuit que c'est à bon droit que le juge de la mise en état a jugé que le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence est compétent pour connaître de l'ensemble des successions des époux X... /B... et qu'il convient de confirmer l'ordonnance déférée » ;
AUX MOTIFS PRESUMES ADOPTES QUE : « sur l'exception d'incompétence : sur la loi applicable en matière mobilière : l'article 45 du code civil dispose que : « en matière de succession, sont portées devant la juridiction dans le ressort de laquelle est ouverte la succession jusqu'au partage inclusivement : - les demandes entre héritiers, - les demandes formées par les créanciers du défunt, - les demandes relatives à l'exécution des dispositions à cause de mort » ; en ce qui concerne les successions mobilières, la loi applicable est celle du dernier domicile du défunt ; en l'espèce, compte tenu des pièces versées aux débats par Mme Hélène X... épouse Y..., tant feu Antoine X... que feue Louisette X... sont tous deux décédés en France, étant tous deux domiciliés à Aix-en -Provence ; il s'ensuit que c'est la loi française qui s'applique sur les biens mobiliers entrant dans la succession ; sur la loi applicable en matière immobilière : l'article 44 du code civil dispose que : « en matière réelle immobilière, la juridiction du lieu où est situé l'immeuble est seule compétente ». La loi applicable en matière de succession immobilière est celle du lien de situation de l'immeuble, que des dispositions testamentaires les concernant existent ou pas ; viole l'article 3 du code civil la décision qui n'applique pas au besoin d'office la règle de conflit désignant en matière de succession immobilière la loi étrangère du lieu de situation de l'immeuble et qui ne recherche pas si cette loi ne renvoie pas à la loi française du dernier domicile du défunt ; en l'espèce la succession de la famille X... porte sur les immeubles situés en France et en Espagne ; en l'espèce la règle de conflit de loi française désignant la loi du lieu de situation de l'immeuble renvoie à la loi espagnole ; l'article 9-8 du code civil espagnol dispose que : la succession pour cause de décès est régie par la loi nationale du de cujus au moment de son décès, quelle que soit la nature des biens ou le pays où ils se trouvent » ; l'article 12-2 du code civil espagnol précise que « le renvoi au droit étranger sera considéré fait à sa loi matérielle, sans tenir compte du renvoi que ces normes de conflit peuvent faire à une autre loi qui n'est pas la loi espagnole ». En l'espèce, la règle de conflit de loi française désignant la loi du lieu de situation de l'immeuble, soit en l'espèce, la loi espagnole pour la part des immeubles de la succession X... situés en Espagne, le législateur espagnol consacre dans sa volonté d'assurer l'unité successorale en matière mobilière et immobilière, la règle de renvoi à la loi nationale du de cujus ; ainsi par application combinée de la règle fondamentale du droit international privé des successions contenue dans l'article 9-8 instituant le principe d'unité successorale mobilière et immobilière et le mécanisme de renvoi institué à cette fin par l'article 12-2, c'est la loi nationale française qui a vocation à s'appliquer ; c'est au regard du droit français de la nationalité et des dispositions des articles 17 et suivants du code civil français que doit être interprétée la notion de « loi nationale » de l'article 9-8 du code espagnol permettant la mise en oeuvre du mécanisme de renvoi ; en droit de la nationalité, la loi française ne saurait être valablement évincée, conformément aux dispositions de l'article 17 de notre code civil, qu'en cas de disposition contraire d'un traité ou autre engagement international signé et ratifié par la France ; en l'espèce aucun traité n'a été conclu entre la France et l'Espagne ; la notion de loi nationale consacrée par le code civil doit donc être interprétée par le tribunal de céans à la lumière des textes français en vigueur en ce domaine ; la règle française de conflit de loi successorale immobilière ne saurait avoir pour résultat d'imposer au juge français l'application de l'intégralité du droit international privé dans sa généralité, encore moins à ce dernier à mettre en oeuvre les règles du droit espagnol de la nationalité ; la nationalité française est attribuée, s'acquière ou se perd selon les dispositions fixées par les articles 17 et suivants du code civil français, sous réserve de l'application des traités et autres engagements internationaux de la France ; en cas de cumul ou de conflit de nationalité, la nationalité française est la seule devant être prise en compte par le juge français ; en cas de conflit de nationalité, l'article 9-9 du code civil espagnol énonce : « Lorsqu'une personne détient la nationalité espagnole en plus d'une deuxième nationalité étrangère non prévue ni dans les lois ni dans les traités internationaux, la nationalité espagnole doit prévaloir » ; néanmoins dans cette dernière hypothèse, selon le principe de prédominance de la loi du for, si le justiciable peut être considéré comme ressortissant d'un pays étranger par les autorités dudit pays, par l'effet de sa nationalité française, il reste soumis à la loi française que le juge saisi doit prendre seule en considération ; il en résulte que dans les deux hypothèses, en application des articles 17 et suivants du code civil français, la nationalité de feus Antoine et Louisette X... relève de l'application de la loi française ; il en résulte qu'en application des règles françaises de conflit de lois, tant en matière mobilière qu'immobilière, il doit être fait application de la loi matérielle successorale française à l'intégralité de la succession X... ; il convient en conséquence de rejeter l'exception d'incompétence soulevée par M. Gérald X... et de dire que l'entière succession X... tant mobilière qu'immobilière relève de la compétence du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence » ;
ALORS 1°) QUE la règle de conflit de lois du droit espagnol, désigné par la règle de conflit de lois française, soumet la succession d'une personne de nationalité espagnole à la loi espagnole ; qu'en considérant que le renvoi à la loi française devrait être appliqué à la succession de Louisette X..., de nationalité franco-espagnole, s'agissant d'immeubles situés en Espagne, dans la mesure où la nationalité française devrait prévaloir, la cour d'appel a violé les articles 44 et 45 du code de procédure civile, ensemble l'article 3 du code civil et excédé ses pouvoirs ;
ALORS 2°) QUE la règle de conflit de lois étrangère, appliquée dans le cadre du renvoi, doit être interprétée selon les dispositions de droit étranger ; qu'en considérant que c'est au regard du droit français qu'il conviendrait d'interpréter la notion de « loi nationale » de l'article 9-8 du code espagnol, la cour d'appel a violé les articles 44 et 45 du code de procédure civile, ensemble l'article 3 du code civil et excédé ses pouvoirs ;
ALORS 3°) QUE en se bornant à retenir que les époux X... étaient de nationalité française, que leur régime matrimonial était soumis à la loi française, que leur dernier domicile était situé en France, sans tenir compte de ce que les donations litigieuses, portant sur des immeubles situés en Espagne, avaient été consenties par Mme X..., de nationalité espagnole et revendiquant cette nationalité espagnole, devant un notaire espagnol et en application du droit espagnol, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 44 et 45 du code de procédure civile, ensemble l'article 3 du code civil et excédé ses pouvoirs.