LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Metracom a confié à la société DHL express France (la société DHL) le transport, de France en Belgique, d'un colis contenant un dossier de candidature à un appel d'offres ; que le colis ayant été livré en retard, la candidature de la société Metracom a été rejetée ; que cette dernière a assigné la société DHL en paiement de dommages-intérêts en raison de la perte de l'appel d'offres et des marchés à venir ;
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches :
Attendu que la société Metracom fait grief à l'arrêt de juger applicable la Convention de Genève du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite CMR, et d'écarter la faute inexcusable du transporteur alors, selon le moyen :
1°/ qu'il résulte de l'article 2, alinéa 1, de la Convention de Genève du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite CMR, que la Convention ne prévoit son application au transport intermodal comportant une phase routière que dans le cas où il est constaté que le véhicule routier contenant la marchandise est lui-même transporté sans rupture de charge ; que pour écarter le moyen tiré par la société Metracom de l'inapplicabilité de la CMR au transport intermodal litigieux, la cour d'appel s'est bornée à rappeler abstraitement les termes de cette disposition sans rechercher concrètement si ses conditions étaient réunies, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 2, alinéa 1, de la CMR ;
2°/ qu'est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ; que pour écarter l'existence d'une faute inexcusable imputable à la société DHL express France la cour d'appel s'est bornée à relever "qu'alors que la lettre de transport ne vise aucun autre intérêt spécial que celui de livrer le colis avant 12 h 00 le lendemain de son expédition, il ne peut être déduit ni du retard dans la livraison, ni du défaut de demande d'instructions complémentaires en cours de livraison [...] de faute caractérisée" ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher s'il ne résultait pas de l'accumulation des manquements reprochés au transporteur, qui, ainsi que l'exposait la société Metracom, avait présenté le colis au jour contractuellement prévu pour la livraison, non pas à l'adresse indiquée, au siège du ministère belge de la Défense, mais au siège de la Commission européenne, où cette erreur lui avait été dûment signalée et n'avait pourtant pris aucune mesure pour respecter malgré tout le délai convenu en ne représentant finalement le colis à la bonne adresse que le lendemain, que celui-ci ne pouvait manquer d'avoir eu conscience du dommage auquel il exposait délibérément et sans nécessité son cocontractant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 29 de la CMR, ensemble l'article L. 133-8 du code de commerce ;
3°/ que la stipulation d'un intérêt spécial à la livraison n'est pas une condition à la réparation intégrale de l'expéditeur victime d'une faute équivalente au dol imputable au transporteur, qu'en se fondant, pour écarter toute responsabilité de la société DHL express France, sur la circonstance que la lettre de transport ne visait aucun autre intérêt spécial que celui de livrer le colis avant 12 h 00 le lendemain de son expédition, la cour d'appel a violé l'article 29 de la CMR par refus d'application, et l'article 26 de la CMR par fausse application ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté que le colis avait été acheminé de France en Belgique et qu'un dommage était survenu lors de la livraison du colis à l'issue d'un transport terrestre, la cour d'appel, sans avoir à effectuer la recherche non demandée invoquée par la première branche, a légalement justifié sa décision de déclarer la CMR applicable ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant énoncé que seule la faute inexcusable définie à l'article L. 133-8 du code de commerce auquel renvoie l'article 29 de la CMR, était susceptible d'écarter les limitations d'indemnisation, l'arrêt retient qu'il ne pouvait être déduit, ni du retard dans la livraison, ni du défaut de demande d'instruction complémentaire en cours de livraison, la preuve d'une faute au sens du texte précité ; qu'en l'état de ces seuls motifs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision d'écarter la faute inexcusable ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en sa troisième branche qui critique un motif surabondant, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur ce moyen, pris en sa cinquième branche, qui est recevable comme étant de pur droit :
Vu les articles 41, alinéa 1, et 23, alinéa 5, de la CMR ;
Attendu que pour rejeter les demandes indemnitaires de la société Metracom, l'arrêt retient qu'aucune faute inexcusable n'étant caractérisée, la société DHL est bien fondée à opposer les limitations de sa responsabilité stipulées aux conditions générales de transport figurant au dos de la lettre de voiture, et d'après lesquelles, elle n'est tenue par l'article 6 qu'"aux seules pertes directes et à l'intérieur des limites par kilo/livre" et ne garantit pas, selon l'article 9, les "préjudices causés du fait d'un retard dans la livraison de l'envoi" ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'une clause contractuelle qui exonère le transporteur de toute responsabilité pour retard est nulle, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il déclare recevable l'action de la société Metracom, l'arrêt rendu le 29 novembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société DHL express France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Metracom la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mai deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Alain Bénabent , avocat aux Conseils, pour la société Metracom
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'avoir débouté la société Metracom de l'ensemble de ses demandes tendant à obtenir réparation des préjudices que lui a causé le retard pris par la société DHL Express France dans la livraison du colis qu'elle lui avait confié ;
AUX MOTIFS QUE « 1. Sur la loi applicable au transport [
]
Que pour voir écarter l'application au contrat de la Convention de Genève du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite CMR, et revendiquée par la société DHL, la société Metracom se prévaut de ce que l'acheminement du colis n'a pas été entièrement réalisé par transport routier ;
Qu'aux termes de l'article 2.1 de la CMR, dont l'application est d'ordre public, il est énoncé que "si le véhicule contenant les marchandises est transporté par mer, chemin de fer, voie navigable intérieure ou air sur une partie du parcours, sans rupture de charge sauf, éventuellement, pour l'application des dispositions de l'article 14, la présente convention s'applique néanmoins pour l'ensemble du transport de sorte que le moyen manque en droit, et qu'il convient d'apprécier la responsabilité de la société DHL selon la CMR ;
2. Sur la responsabilité du transporteur
[
]
Qu'aux termes de la CMR, il est disposé à l'article 17.1 que "le transporteur est responsable de la perte totale ou partielle, ou de l'avarie, qui se produit entre le moment de la prise en charge de la marchandise et celui de la livraison, ainsi que du retard à la livraison" ;
Qu'aux termes de son article 17.2, "le transporteur est déchargé de cette responsabilité si la perte, l'avarie ou le retard a eu pour cause une faute de l'ayant droit, un ordre de celui-ci ne résultant pas d'une faute du transporteur, un vice propre de la marchandise, ou des circonstances que le transporteur ne pouvait pas éviter et aux conséquences desquelles il ne pouvait pas obvier" ;
Qu'aux termes de son article 29.1, "le transporteur n'a pas le droit de se prévaloir des dispositions du présent chapitre qui excluent ou limitent sa responsabilité ou qui reversent le fardeau de la preuve, si le dommage provient de son dol ou d'une faute qui lui est imputable et qui, d'après la loi de la juridiction saisie, est considérée comme équivalente au dol" ;
Qu'enfin, aux termes de l'article 26.1 de la CMR, il est disposé que "l'expéditeur peut fixer, en l'inscrivant à la lettre de voiture, et contre paiement d'un supplément de prix à convenir, le montant d'un intérêt spécial à la livraison, pour le cas de perte ou d'avarie et pour celui du dépassement du délai convenu" ;
Qu'il en résulte que la faute de la société DHL doit être appréciée d'après l'article L. 133-8 du code de commerce aux termes duquel "seule est équipollente au dol la faute inexcusable du voiturier ou du commissionnaire de transport. Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable.
Toute clause contraire est réputée non écrite" ;
Que la faute caractérisée de l'article L. 133-8 précité susceptible de priver le transporteur du droit de se prévaloir des limitations de responsabilité prévues par la CMR ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle ;
Qu'alors que la lettre de transport ne vise aucun intérêt spécial que celui de livrer le colis avant 12 heures le lendemain de son expédition, il ne peut être déduit, ni du retard dans la livraison, ni du défaut de demande d'instruction complémentaire en cours de livraison imputés à la société DHL, la preuve d'une faute caractérisée ;
Qu'en conséquence, la société DHL est bien fondée à opposer les limitations de sa responsabilité stipulées aux conditions générales de transport figurant au dos de la lettre de voiture, et d'après lesquelles, elle n'est tenue par l'article 6 qu'"aux seules pertes directes et à l'intérieur des limites par kilo/livre" et ne garantit pas, article 9, les "préjudices causés du fait d'un retard dans la livraison de l'envoi" ;
Que par ces motifs, il convient d'infirmer le jugement et de débouter la société Metracom de sa demande principale » ;
1°/ ALORS QU' il résulte de l'article 2, alinéa 1 de la CMR que la Convention ne prévoit son application au transport intermodal comportant une phase routière que dans le cas où il est constaté que le véhicule routier contenant la marchandise est lui-même transporté sans rupture de charge ; que pour écarter le moyen tiré par la société Metracom de l'inapplicabilité de la Convention au transport intermodal litigieux, la Cour d'appel s'est bornée à rappeler abstraitement les termes de cette disposition sans rechercher concrètement si ses conditions étaient réunies, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 2, alinéa 1, de la CMR ;
2°/ ALORS, ET SUBSIDIAIREMENT, QU' est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ; que pour écarter l'existence d'une faute inexcusable imputable à la société DHL Express France la Cour d'appel s'est bornée à relever « qu'alors que la lettre de transport ne vise aucun autre intérêt spécial que celui de livrer le colis avant 12h00 le lendemain de son expédition, il ne peut être déduit ni du retard dans la livraison, ni du défaut de demande d'instructions complémentaires en cours de livraison [...] de faute caractérisée » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher s'il ne résultait pas de l'accumulation des manquements reprochés au transporteur, qui, ainsi que l'exposait la société Metracom, avait présenté le colis au jour contractuellement prévu pour la livraison, non pas à l'adresse indiquée, au siège du Ministère belge de la Défense, mais au siège de la Commission européenne, où cette erreur lui avait été dûment signalée et n'avait pourtant pris aucune mesure pour respecter malgré tout le délai convenu en ne représentant finalement le colis à la bonne adresse que le lendemain, que celui-ci ne pouvait manquer d'avoir eu conscience du dommage auquel il exposait délibérément et sans nécessité son cocontractant, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 29 de la CMR, ensemble l'article L 133-8 du code de commerce ;
3°/ ALORS, ET SUBSIDIAIREMENT, QUE la stipulation d'un intérêt spécial à la livraison n'est pas une condition à la réparation intégrale de l'expéditeur victime d'une faute équivalente au dol imputable au transporteur, qu'en se fondant, pour écarter toute responsabilité de la société DHL Express France, sur la circonstance que la lettre de transport ne visait aucun autre intérêt spécial que celui de livrer le colis avant 12h00 le lendemain de son expédition, la Cour d'appel a violé l'article 29 de la CMR par refus d'application, et l'article 26 de la CMR par fausse application ;
4°/ ALORS, ET A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE, QUE les juges du fond sont tenus de respecter les limites du litige telles qu'elles sont fixées par les conclusions respectives des parties ; que pour débouter totalement la société Metracom de sa demande indemnitaire, la Cour d'appel s'est fondée sur une clause des conditions générales de la société DHL excluant sa responsabilité en cas de retard, dont cette dernière, qui ne sollicitait qu'une limitation de sa responsabilité, ne demandait pas application ; qu'en statuant ainsi la Cour d'appel a modifié les termes du litiges et a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
5°/ ALORS, ET A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE, QU'une clause contractuelle qui exonère le transporteur de toute responsabilité vis-à-vis-à-vis de l'expéditeur est nulle et de nul effet ; qu'en refusant toute indemnisation à la société Metracom sur le fondement d'une clause des conditions générales de la société DHL excluant sa responsabilité en cas de retard la Cour d'appel a violé l'article 41, alinéa 1, de la CMR, ensemble l'article 23, alinéa 5 de ce texte.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Metracom à payer à la société DHL Express France la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE « la société Metracom succombe dans son action, en sorte qu'il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société DHL au paiement des frais irrépétibles et aux dépens et que, statuant à nouveau de ces chefs, il est équitable de condamner la société Metracom à verser à la société DHL la somme de 5000 euros ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel » ;
ALORS QU'EN TOUTE HYPOTHESE les juges du fond sont tenus de respecter les limites du litige telles qu'elles sont fixées par les conclusions respectives des parties ; qu'en l'espèce la Cour d'appel a condamné la société Metracom à payer à la société DHL Express France la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, cependant que, dans le dispositif de ses conclusions, cette dernière n'avait demandé, sur ce fondement, que la somme de 3000 euros ; qu'en statuant ainsi la Cour d'appel a modifié les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civil.