LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y... a été engagé le 9 février 1977 en qualité de vendeur automobile par la société Neubauer, puis a poursuivi ses fonctions en qualité de directeur d'établissement au sein de la société Automobile Neubauer à partir du 1er octobre 2001 ; que le 14 octobre 2010, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement, qui s'est déroulé le 25 octobre 2010 ; qu'il a été licencié pour motif économique le 15 novembre 2010 ; que le 22 décembre 2011 il a saisi la juridiction prud'homale, notamment pour faire constater que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et pour obtenir certaines sommes au titre de dommages-intérêts, en particulier pour un harcèlement moral ;
Sur le troisième moyen :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige ;
Attendu que, pour dire que le licenciement n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient qu'il est établi que la société a attendu l'entretien du 25 octobre 2010, préalable à son licenciement, pour remettre au salarié les propositions de reclassement qu'il a refusées, de sorte que la formulation de ces propositions de reclassement à ce stade, en ce qu'elle revêt un caractère tardif, permet d'établir le manquement de la société à son obligation de reclassement, privant ainsi le licenciement économique du salarié d'une cause réelle et sérieuse ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les possibilités de reclassement s'apprécient au plus tard à la date du licenciement, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et attendu qu'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif critiqué par le deuxième moyen du pourvoi et relatif à la perte de chance de percevoir le capital de fin de carrière ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a condamné la société Automobile Neubauer à verser à M. Y... la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral, l'arrêt rendu le 24 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points restant en litige, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mai deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour la société Automobile Neubauer.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
:IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit le licenciement de M. Y... sans cause réelle et sérieuse et d'avoir condamné en conséquence la société Automobile Neubauer à lui payer les sommes de 267.500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 453,33 euros à titre de rappel de salaire pour les 16 et 17 novembre 2010, 13.060 à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 1.306 euros de congés payés y afférents, ainsi que 20.000 euros au titre de la perte de chance de percevoir le capital de fin de carrière, outre le remboursement à l'organisme social concerné des indemnités de chômage dans la limite de six mois ;
AUX MOTIFS QUE, sur la rupture, en application de l'article L. 1233-3 du code du travail, est constitutif d'un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non-inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ; que lorsqu'une entreprise fait partie d'un groupe, les difficultés économiques de l'employeur doivent s'apprécier tant au sein de la société, qu'au regard de la situation économique du groupe de sociétés exerçant dans le même secteur d'activité, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national ; qu'une réorganisation de l'entreprise ne constitue un motif de licenciement que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe dont elle relève, en prévenant des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi du salarié licencié ; que la sauvegarde de compétitivité ne se confond pas avec la recherche de l'amélioration des résultats, et dans une économie fondée sur la concurrence, la seule existence de celle-ci ne représente pas une cause économique de licenciement ; que par application de l'article L. 1233-4 du même code, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure ne peut être réalisé dans le cadre de l'entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient ; que les offres de reclassement proposées au salarié doivent êtres écrites et précises ; que le reclassement doit en outre être recherché avant le licenciement, dès que celui-ci est envisagé, au sein de la société comme au sein des sociétés du groupe entre lesquelles la permutabilité du personnel est possible, et l'employeur doit s'expliquer sur la permutabilité et ses éventuelles limites, au regard des activités, ou de l'organisation, ou du lieu d'exploitation ; que dans le cadre de cette obligation, il appartient encore à l'employeur, même quand un plan social a été établi, de rechercher effectivement s'il existe des possibilités de reclassement, prévues ou non dans le plan social, et de proposer aux salariés dont le licenciement est envisagé des emplois disponibles ; qu'il ne peut notamment se borner à recenser dans le cadre du plan social les emplois disponibles au sein de la société et dans les entreprises du groupe ; qu'en l'espèce, il est établi que la société Automobile Neubauer a attendu l'entretien du 25 octobre 2010, préalable à son licenciement, pour remettre à M. Y... trois propositions de reclassement qu'il a refusées, de sorte que la formulation de ces propositions de reclassement à ce stade, en ce qu'elle revêt un caractère tardif, permet d'établir le manquement de la société à son obligation de reclassement, privant ainsi le licenciement économique de M. Y... d'une cause réelle et sérieuse et ce, indépendamment de l'appréciation de la réalité du motif économique du licenciement, de l'acceptation de la CRP ou de la réception au demeurant contestée d'une proposition de modification de son contrat de travail pendant son arrêt de travail ; qu'il y a lieu dans ces conditions de déclarer le licenciement de M. Y... dépourvu de cause réelle et sérieuse et de réformer la décision entreprise de ce chef ; que compte tenu de l'effectif du personnel de l'entreprise, de la perte d'une ancienneté de plus de 33 ans ainsi que des conséquences matérielles et morales du licenciement à son égard, en particulier la difficulté avéré pour ce salarié âgé de 56 ans de retrouver un emploi, la perte de revenus de 2010 à novembre 2013 à hauteur de 108 500 euros abstraction faite de la perte des avantages en nature, ainsi que la perte de ses points retraite et de ses points de retraite complémentaire cadre jusqu'à son départ à la retraite, et par voie de conséquence, la perception d'une retraite inférieure à celle à laquelle il aurait pu prétendre à ces titres ainsi que cela résulte des pièces produites et des débats, il lui sera alloué, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail (L. 122-14-4 ancien) une somme de 267.500 euros à titre de dommages-intérêts, sans qu'il y ait lieu de faire droit séparément aux demandes formulées aux titres de la perte de revenus, de la perte des points retraite et du préjudice moral et du non respect de la procédure de reclassement, dénuées de caractère distinct ; que l'absence de cause du licenciement pour motif économique a pour effet de priver la CRP de cause et d'obliger l'employeur à verser au salarié les indemnités de préavis et des congés payés afférents, sauf à tenir compte du mois de salaire qui lui a déjà été versé à ce titre ainsi que le fait le salarié, de sorte qu'il n'y a pas lieu de déduire du montant qui lui est dû, les sommes directement versées par l'employeur à Pôle emploi au titre de ladite convention ; qu'il y a lieu également de faire droit pour les mêmes motifs à la demande de rappel de salaire pour les journées des 16 et 17 novembre 2010 ;
1°) ALORS QUE le juge ne peut fonder sa décision sur un moyen qu'il a relevé d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office le moyen tiré du caractère tardif des propositions de reclassement, sans inviter préalablement les parties à s'expliquer sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU' en toute hypothèse, l'employeur qui envisage de procéder à un licenciement pour motif économique peut faire une proposition de reclassement jusqu'à la date du licenciement ; qu'il en résulte que l'employeur qui propose au salarié des postes de reclassement le jour de l'entretien préalable, par hypothèse antérieur à l'éventuel licenciement, satisfait aux exigences légales ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que la société Automobile Neubauer avait manqué à son obligation de reclassement en raison du caractère tardif des propositions de reclassement, pourtant effectuées lors de l'entretien préalable à un éventuel licenciement ; qu'en limitant ainsi la période au cours de laquelle l'employeur pouvait tenter de reclasser le salarié, la cour d'appel, qui a ajouté une condition que la loi ne prévoit pas, a violé l'article L. 1233-4 du code du travail.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
:IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Automobile Neubauer à payer à M. Y... la somme de 20.000 euros au titre du capital de fin de carrière ;
AUX MOTIFS QUE, sur le capital de fin de carrière : à l'appui de la demande de condamnation de son employeur à lui verser le capital de fin de carrière dont il estime avoir été privé à raison de son licenciement, M. Y... fait valoir que la convention collective nationale des services de l'automobile prévoit le versement par l'employeur d'un capital de fin de carrière, dont les modalités de calcul fixées par l'article 17 du Régime Professionnel Obligatoire appliquées à son ancienneté, conduisaient à retenir un pourcentage de 73,2% de l'assiette forfaitaire de 32.400 euros au moment de l'âge légal d'ouverture de ses droits à la retraite, correspondant au capital de fin de carrière de 23.716,80 euros qu'il n'a pu percevoir ; que la société Automobile Neubauer qui s'oppose aux prétentions formulées par M. Y... à ce titre, arguant de ce que la convention collective prévoit que ce capital est versé par l'OAD dans le cadre d'un fonds créé à cet effet et que M. Y... ne pouvait le percevoir compte tenu du montant de son indemnité de licenciement supérieure à l'assiette de calcul du capital de fin de carrière, ajoute qu'il s'agit en réalité d'une perte de chance de percevoir le versement d'un capital de fin de carrière par l'OAD ; que l'article 1.23 c) la convention collective nationale des services de l'automobile dispose que lors de leur départ à la retraite, les salariés bénéficient, dans les conditions fixées par les règlements de prévoyance, d'un capital de fin de carrière versé par l'OAD (Organisme assureur désigné) dans le cadre d'un fonds collectif financé par des cotisations à la charge exclusive des entreprises et qu'en cas d'insuffisance de ce fonds, le versement du capital de fin de carrière incombe à l'employeur, calculé selon des modalités et une assiette qui en l'espèce, ne sont pas discutées ; que si comme le souligne l'employeur, aucun élément ne permet de considérer que M. Y... aurait effectivement poursuivi sa carrière au sein de l'entreprise jusqu'à l'âge de départ à la retraite s'il n'avait pas été licencié, et conduit à considérer qu'il s'agit en réalité d'une perte de chance de percevoir ce capital, il n'en demeure pas moins que licencié à l'âge de 56 ans, les chances de M. Y... de retrouver un emploi dans le secteur automobile et par conséquent de percevoir le capital litigieux revêtaient un caractère hypothétique, de sorte que le préjudice qui en est résulté doit être évalué à la somme de 20.000 euros mis à la charge de l'employeur, la perception de l'indemnité légale de licenciement qui ne peut s'analyser une indemnité légale de départ volontaire, a fortiori s'agissant comme en l'espèce d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, ne pouvant être opposée au salarié ;
ALORS QUE la cassation à intervenir des dispositions de l'arrêt jugeant le licenciement sans cause réelle et sérieuse entraînera par voie de conséquence l'annulation des dispositions réparant la perte de chance du salarié de percevoir le capital de fin de carrière prévu par la convention collective nationale des services de l'automobile, en application de l'article 624 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
:IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Automobile Neubauer à payer à M. Y... la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;
AUX MOTIFS QUE, sur le manquement à l'obligation de sécurité, à l'appui de ses prétentions, M. Y... invoque une dégradation de ses conditions de travail ayant abouti au burn-out à l'origine de son arrêt de travail de 18 mois, constituée notamment par la pression exercée par la présence régulière dans ses locaux de M. B..., mandataire social de la SA Neubauer, par l'arrêt de l'alimentation en véhicules du département occasions et du chiffre d'affaires afférent dans la perspective de réaliser une opération immobilière, ainsi que par la prise de décisions à son insu pendant ses congés, outre les tentatives pour obtenir qu'il soit placé sous la subordination de ses deux adjoints, tout en lui reprochant de coûter trop cher à l'entreprise ; que la société Automobile Neubauer réfute les accusations de M. Y..., arguant de ce que la fermeture du département occasion était motivé par des considérations économiques et qu'il n'a jamais été dans les intentions de la société de réaliser une opération immobilière et que s'il a été remplacé par un mandataire social pendant son absence, ses adjoints n'ont jamais eu vocation à le remplacer, son poste ayant été supprimé ; que le manquement à l'obligation de sécurité invoqué par M. Y... à l'encontre de son employeur, est susceptible de caractériser des faits de harcèlement moral ; que cependant, aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que selon l'article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ; que l'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, M. Y... n'est pas contredit quand il décrit l'omniprésence de M. B..., mandataire social de la SA Neubauer dans les locaux de la société Automobile Neubauer en particulier à compter de janvier 2009, la prise de décisions en son absence, en particulier la décision de supprimer à compter de septembre 2007 l'alimentation de l'activité de vente de véhicules d'occasion qui constituait son coeur de métier et conduisait ainsi à nier la réalité du travail qu'il avait réalisé pendant de longues années ; qu'il est également établi que l'intéressé a été victime d'un burn-out et qu'à son retour d'arrêt maladie, son employeur qui avait confié son poste à M. B... de la SA Neubauer, l'a dispensé d'activité jusqu'à l'engagement de la procédure de licenciement le concernant ; que l'ensemble de ces faits dont le salarié établi la réalité, contrairement à ce que soutient l'employeur, permettent de présumer l'existence à son égard d'un harcèlement moral ; que l'employeur, non seulement ne justifie pas par un quelconque élément objectif l'omniprésence d'un mandataire social en la personne de M. B... à compter de janvier 2009 au sein de l'entité dirigée par M. Y..., ni la fermeture de l'alimentation du département occasion rouvert après son licenciement, ni la dispense d'activité du salarié en dépit d'un avis d'aptitude après son arrêt de travail et ne peut justifier par une quelconque nécessité de le laisser se reposer, l'interdiction faite aux salariés de se mettre en rapport avec lui pendant son arrêt maladie, la circonstance que M. B... directeur général ait pu déjeuner avec lui étant à cet égard indifférent ; qu'il résulte de ce qui précède que le manquement à l'obligation de sécurité, résultant des actes de harcèlement moral auxquels a été exposé M. Y... est caractérisé ; que le préjudice qui en résulte pour le salarié doit être évalué à la somme de 15.000 euros ;
ALORS QUE l'exercice par l'employeur de son pouvoir de direction des personnes, ou de son pouvoir d'organisation de l'entreprise, ne caractérise pas en soi un harcèlement moral, même si les salariés en subissent des implications négatives ; que la présence continue d'un mandataire social dans les locaux de l'entreprise, la suppression d'une des activités d'une filiale décidée par le dirigeant du groupe et la dispense d'activité temporaire et rémunérée ne laissent pas, même prises dans leur ensemble, présumer l'existence d'un harcèlement moral ; qu'en affirmant néanmoins le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.