LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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M. Raymond X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 7e chambre, en date du 25 avril 2017, qui, pour infractions au code de l'urbanisme, l'a condamné à 6 000 euros d'amende, a ordonné la remise en état des lieux sous astreinte et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 6 mars 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Lavielle, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseiller LAVIELLE, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu que M. Raymond X..., propriétaire d'un terrain situé [...] (13), en zone ND secteur 2, espace naturel à protéger du plan d'occupation des sols de la commune, a déposé une demande de permis de construire, le 24 mai 2007, visant à la création d'un centre de services pour associations, destiné à être classé établissement sanitaire et social et prévoyant, en son sein, un logement de fonction pour sa famille, puis, de juin jusqu'au 18 septembre 2007, adressé des pièces complémentaires à la mairie; que n'ayant pas obtenu de réponse dans le délai de deux mois suivant son dernier envoi, il a estimé bénéficier à compter du 19 décembre 2007, d'un permis de construire tacite ; que, le 15 janvier 2008, la mairie lui a toutefois délivré un arrêté de refus de permis de construire visant l'avis défavorable qui avait été émis sur son projet par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales en juillet 2007 ; que M. X..., qui a contesté par courrier ce refus auprès de la mairie, n'a toutefois entamé aucun recours devant le tribunal administratif, puis a déposé une déclaration d'ouverture de chantier le 3 mai 2008 ; que par procès-verbal en date du 1er décembre 2010, les agents assermentés de la police municipale ont constaté sur place l'exécution de travaux effectués sans permis ; que le 16 février 2011, la mairie prenait un arrêté interruptif de travaux que M. X... a contesté immédiatement devant le tribunal administratif en formant un recours en suspension et un recours en annulation, respectivement rejetés le 25 mai 2011 et le 7 mars 2013 ; que M. X... a poursuivi ses travaux et que par procès-verbal en date du 3 juin 2013, les agents assermentés de la police municipale du [...] ont constaté que la maison était entièrement achevée et occupée ; que M. X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence pour construction sans permis de construire, infractions aux dispositions du plan local d'urbanisme, infraction relative à la violation de l'arrêté interruptif des travaux et condamné ; qu'il a relevé appel ainsi que le procureur de la République de cette décision ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 480-4 et L. 610-1 du code de l'urbanisme, 121-3 du code pénal, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt partiellement confirmatif attaqué a déclaré le prévenu coupable de construction sans permis, violation du plan d'occupation des sols et non-respect de l'arrêté interruptif de travaux, et l'a condamné en conséquence à une amende de 6 000 euros et à la remise en état des lieux dans un délai d'un an sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai ;
"aux motifs que M. Raymond X... déposait une demande de permis de construire le 24 mai 2007 visant à la création d'un centre de services pour associations qui serait classé établissement sanitaire et social et prévoyant, dans ce centre, un logement de fonction pour sa famille ; que de juin jusqu'au 18 septembre 2007, M. X... adressait des pièces complémentaires à la mairie à l'appui de sa demande ; que n'ayant pas obtenu de réponse dans le délai de deux mois suivant son dernier envoi, il estimait bénéficier à compter du 19 décembre 2007 d'un permis de construire tacite ; que le 15 janvier 2008, la mairie lui délivrait toutefois un arrêté de refus de permis de construire visant l'avis défavorable qui avait été émis sur son projet de création de centre de services pour associations par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales en juillet 2007 et indiquant que son « projet ne peut être assimilé à un établissement sanitaire et social et que de plus celui-ci ne nécessite pas l'édification d'un logement de fonction » ; que M. X... contestait ce refus auprès de la mairie en lui adressant un courrier mais n'entamait aucun recours devant le tribunal administratif : il affirmait ultérieurement avoir été reçu par le maire qui lui aurait dit que bénéficiant d'un permis de construire tacite, il ne pouvait « rien faire contre lui » ; que M. X... déposait, néanmoins, malgré le refus de permis de construire qui lui avait été signifié, une déclaration d'ouverture de chantier le 3 mai 2008 ; que par procès-verbal du 1er décembre 2010, les agents assermentés de la police municipale du [...] constataient, sur le terrain appartenant à M. X..., l'exécution de travaux effectués sans permis et, en particulier, la création d'un chemin d'accès, des terrassements, une tranchée pour le branchement sur le canal de Provence, un puisard, une fosse septique et le traçage à la bombe fluo orange de futures fouilles d'une construction ; qu'ils relevaient en outre que l'affichage du permis de construire faisait état d'un permis délivré le 18 décembre 2007 mais qu'a priori, vu l'état des travaux ceux-ci avaient été interrompus au moins un an et que le permis de construire était périmé ; [
] que sur le permis tacite et l'infraction de construction sans permis, force est de constater que, quelle que soit la législation applicable, avant ou après 2007 (les nouvelles mesures n'étant pas sensiblement différentes des dispositions antérieurement applicables), et quelle que soit la date à laquelle son dossier a été complet, M. X... n'a jamais bénéficié d'un permis tacite ; que le tribunal administratif statuant en référé le 25 mai 2011 n'a d'ailleurs pas estimé qu'il existait de doutes sérieux sur la légalité de la décision du maire qui avait ordonné la suspension de ses travaux parce qu'ils n'étaient pas autorisés par un permis de construire et que par jugement en date du 7 mars 2013 le tribunal administratif de Marseille a rejeté la requête d'annulation de cet arrêté de suspension des travaux indiquant notamment : « il est constant que par un arrêté, en date du 15 janvier 2008, le maire du [...] a rejeté la demande de permis de construire déposée par M. X... le 24 mai 2007, ce qui a eu pour effet en tout état de cause de retirer le permis tacite qui aurait pu intervenir sur cette demande » ; que le tribunal administratif a donc estimé que quand bien même M. X... « aurait » bénéficié d'un permis tacite celui-ci lui avait été nécessairement retiré par la décision de refus de permis de construire notifiée par le maire de la commune ; que M. X... qui était censé donner des conseils juridiques aux associations ne pouvait ignorer que le délai d'instruction de sa demande de permis de construire était de trois mois et non de deux mois ; qu'alors qu'il aurait dû être alerté par le refus de permis de construire délivré par la mairie et les termes de ce refus de permis de construire, il n'a engagé aucune action ni aucune démarche ; qu'à tout le moins, à partir de l'ordonnance de référé du 25 mai 2011, il ne devait plus avoir aucun doute (à supposer qu'il en ait vraiment eu) sur le fait qu'il n'avait jamais obtenu de permis de construire ; qu'il a néanmoins sciemment poursuivi la construction de son habitation ;
"alors que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ; que les infractions au code de l'urbanisme reprochées au prévenu supposent pour être caractérisées que soit démontrée une intention coupable, consistant dans la conscience qu'a le prévenu de violer la loi ; qu'il ressort des motifs de l'arrêt d'appel que M. X... a pu être légitimement convaincu qu'il était bénéficiaire d'un permis de construire, jusqu'à la décision du juge administratif du 25 mai 2011 constatant l'absence d'un tel permis ; qu'il est, notamment, relevé que M. X... a affirmé que le maire lui aurait dit que plus rien ne pouvait être fait contre le permis tacite ; qu'il n'apparaît d'ailleurs pas que la mairie aurait eu une quelconque réaction lors de la réception de la déclaration d'ouverture de chantier du 3 mai 2008 ; que les agents auteurs du procès-verbal du 1er décembre 2010 ont eux-mêmes admis l'existence d'un permis de construire tacite ; qu'en ne recherchant pas si les incertitudes persistantes, partagées par l'administration elle même, quant à l'existence d'un permis de construire tacite, n'avaient pas eu pour effet d'induire le prévenu en erreur, faisant obstacle à la caractérisation de toute intention coupable de sa part, la cour d'appel n'a pas suffisamment justifié sa décision" ;
Attendu que pour confirmer la déclaration de culpabilité de M. X..., l'arrêt attaqué retient qu' à supposer que son dossier ait été complet le 18 septembre 2007, le permis tacite ne pouvait être obtenu au plus tôt que le 18 janvier 2008, un mois à compter du 18 septembre à l'issue duquel le dossier était considéré comme complet, puis trois mois d'instruction puisque des services extérieurs devaient être consultés, et qu'aucun permis ne lui était donc acquis le 15 janvier 2008, date à laquelle le maire a rejeté sa demande de permis de construire ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs qui établissent que le requérant ne bénéficiait pas d'un permis tacite, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit, que le moyen doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, L. 480-5 du code de l'urbanisme, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale,
"en ce que l'arrêt partiellement confirmatif attaqué a condamné le prévenu à la remise en état des lieux dans un délai d'un an sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai ;
"aux motifs que M. X... a violé la loi de façon délibérée en créant un montage destiné à déguiser le but poursuivi par lui qui était de se construire une maison dans une zone naturelle protégée où cette construction était interdite ; que M. X... a déposé le 18 décembre 2015 une demande tendant à régulariser la situation en « réaffectant le projet en établissement et services multi clientèle pour mes filles, infirmière et future sage-femme, conformément à la documentation FINESS (
) ou autre activité en accord avec la maire afin d'éviter la démolition de la construction » ; qu'il proposait donc de modifier l'affectation du bâtiment construit par lui et qui, dans les plans initiaux, correspondait à son seul logement, en affectant 36m² des 110m² de cette habitation à un usage sanitaire et social, les 74m² restants demeurant son logement de fonction ; que cette demande qui a été refusée démontre, si besoin en était, que M. X... n'a pour seul objectif que de tenter de sauver son habitation illicite ; que le nouveau plan local d'urbanisme est entré en vigueur dans la commune le 9 février 2017 ; que le terrain demeure en zone naturelle à protéger et n'autorise que certains aménagements de bâtiments existants destinés à des activités autorisées dans le secteur ce qui suppose que le bâtiment existant ait une situation légale ce qui n'est pas le cas de ce bâtiment illégalement construit, en parfaite connaissance de cause, par M. X... ; que le jugement déféré sera donc confirmé pour avoir ordonné la remise en état des lieux en leur état antérieur ; que cette remise en état consistera en la démolition de la totalité de la construction avec déblaiement des matériaux de démolition ; qu'il convient toutefois de préciser que cette remise en état devra intervenir dans un délai d'un an et sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai ;
"1°) alors que la cour d'appel qui prononce une mesure de remise en état est tenue de s'assurer que celle-ci ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale du prévenu ainsi qu'à sa situation financière ; qu'en ne recherchant pas en l'espèce si la remise en état ordonnée ne portait pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale du prévenu et à sa situation financière, celui-ci ayant précisé à la cour d'appel bénéficier d'un revenu mensuel de 1 800 euros, la cour d'appel n'a pas suffisamment justifié sa décision ;
"2°) alors que la cour d'appel est tenue d'apprécier l'utilité de la mesure de mise en conformité qu'elle prononce au regard des intérêts protégés par les dispositions du code de l'urbanisme dont elle fait application ; que, si la construction litigieuse se trouve en zone naturelle à protéger, il n'en reste pas moins que la construction d'établissements de tourisme et d'établissements sanitaires et sociaux y était autorisée par le POS, de sorte que la seule présence d'une construction ne peut être considérée comme caractérisant en elle-même une atteinte à l'environnement et au paysage telle que sa destruction doive être ordonnée ; qu'en ne recherchant pas si la mesure de remise en état prononcée présentait une utilité avérée justifiant l'atteinte aux droits du prévenu, la cour d'appel n'a pas suffisamment justifié sa décision" ;
Attendu que pour confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la remise en état des lieux par la démolition de la totalité de la construction avec déblaiement des matériaux de démolition, sous astreinte, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu que le prévenu n'a pas soutenu devant la cour d'appel que la remise en état ordonnée par les premiers juges porterait une atteinte disproportionnée aux droits garantis par les textes conventionnels visés au moyen, au regard de l'impératif d'intérêt général poursuivi par la législation de l'urbanisme ;
D'où il suit que le moyen, nouveau et mélangé de fait et comme tel irrecevable, ne saurait être accueilli ;
Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné le prévenu à une amende de 6 000 euros ;
"aux motifs que le casier judiciaire de M. X... ne comporte pas de mention ; qu'il ressort de la procédure que M. X... qui disposait d'un terrain en zone non constructible et qui par ailleurs avait été adjoint à la mairie connaissait parfaitement tant les conditions de délivrance d'un permis de construire que les conditions de construction dans cette zone et que c'est la raison pour laquelle il a tenté de détourner la législation en construisant une maison qui, selon son propre aveu à l'audience, devait être « sa maison pour sa retraite » et que, pour échapper à l'interdiction de construire dans cette zone, il a tenté de dissimuler son véritable projet sous couvert d'une soi-disant destination sanitaire et sociale d'une partie du bâtiment et de sa prétendue affectation à une association dont il était le président et qui n'a d'autres membres, selon ses déclarations à l'audience, que ceux de sa famille et un ami ; que compte tenu de l'extrême gravité des faits commis, de leur nature et de la personnalité de M. X... telle qu'elle ressort de ces faits, il convient de faire une application exemplaire de la loi ; que le jugement qui n'a pas fait une exacte appréciation des faits de la cause sera donc infirmé sur la peine et M. X... sera condamné à une amende de 6 000 euros ;
"alors qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; que le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu ; qu'en ne motivant pas la peine d'amende prononcée au regard de la situation personnelle du prévenu, notamment au regard de ses ressources et de ses charges, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision et elle a méconnu les articles 132-1 et 132-20 du code pénal" ;
Vu l'article 132-20, alinéa 2, du code pénal, ensemble l'article 132-1 du même code et les articles 485 et 512 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ;
Attendu que, pour prononcer à l'égard du prévenu déclaré coupable une peine d'amende, la cour d'appel, énonce, que compte tenu de l'extrême gravité des faits commis, de leur nature et de la personnalité de M. X... telle qu'elle ressort de ces faits, il convient de faire une application exemplaire de la loi et que le jugement qui n'a pas fait une exacte appréciation des faits de la cause sera donc infirmé sur la peine et M. X... condamné à une amende de 6 000 euros ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans s'expliquer sur le montant des ressources et des charges du prévenu, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 25 avril 2017, mais en ses seules dispositions relatives à la peine d'amende, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le deux mai deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.