LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, reprochant à la société de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques Christie's France (la société Christie's) d'avoir, en violation de l'article L. 122-8, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle, inséré, dans ses conditions générales de vente, une clause mettant le paiement du droit de suite à la charge de l'acquéreur, l'association Comité professionnel des galeries d'art (le CPGA) l'a assignée en annulation de la clause litigieuse, concurrence déloyale et abus de position dominante ;
Attendu que la société Christie's fait grief à l'arrêt de déclarer nulle la clause 4-b de ses conditions générales de vente et de la condamner à payer au CPGA la somme de un euro à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen, qu'aux termes de l'article L. 122-8, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de l'article 48 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 portant transposition de la directive 2001/84/CE du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale, le droit de suite est à la charge du vendeur ; que la responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s'opère entre deux professionnels, au vendeur ; que l'existence d'une obligation légale au paiement du droit de suite à la charge du vendeur, telle qu'elle ressort de ce texte, comme des travaux et débats parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi française, n'exclut nullement la possibilité d'aménager de façon conventionnelle la charge du coût de ce droit, dès lors que cet aménagement, ne valant qu'entre les parties au contrat de vente et étant inopposable aux bénéficiaires du droit de suite, n'affecte nullement les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l'auteur ; qu'en retenant, cependant, pour annuler la clause litigieuse des conditions générales de vente de la société Christie's, que les dispositions de l'article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle revêtaient un caractère impératif fondé sur un ordre public économique de direction excluant tout aménagement conventionnel de la charge du coût du droit de suite, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Attendu que, l'assemblée plénière de la Cour de cassation étant saisie d'un pourvoi de la société Christie's fondé sur le même moyen (n° H 17-16.335) contre un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 24 mars 2017 statuant sur renvoi après cassation (1re Civ., 3 juin 2015, n° 13-12.675), il y a lieu de surseoir à statuer jusqu'au prononcé de l'arrêt de l'assemblée plénière ;
PAR CES MOTIFS :
Sursoit à statuer sur le pourvoi jusqu'au prononcé de la décision de l'assemblée plénière de la Cour de cassation saisie du pourvoi formé par la société Christie's France (H 17-16.335) contre un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 24 mars 2017 ;
Renvoie la cause et les parties à l'audience de formation de section du 23 octobre 2018 ;
Réserve les dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour la société Christie's France
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré nulle la clause 4-b figurant dans les conditions générales de vente de la société Christie's France ayant pour objet de faire supporter à l'acheteur le droit de suite, à laquelle elle a eu recours dans les ventes des 27 et 28 mai 2008, des 23, 24 et 25 février 2009, ainsi que lors des ventes postérieures en date des 27 mai 2009 et 1er et 8 décembre 2009 et d'avoir condamné la société Christie's France à payer au CPGA la somme de un euro à titre de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QUE « l'article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle prévoit au profit des auteurs d'oeuvres originales graphiques et plastiques ressortissant d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'espace économique européen, un droit de suite, qui est un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d'une oeuvre après la première cession opérée par l'auteur ou ses ayants droit, lorsqu'intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l'art ; que par dérogation, ce droit ne s'applique pas lorsque le vendeur a acquis l'oeuvre directement de l'auteur, moins de trois ans avant cette vente et que le prix de vente ne dépasse pas 10.000 euros ; que selon l'alinéa 3, le droit de suite est à la charge du vendeur et la responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s'opère entre deux professionnels, au vendeur ; que par arrêt du 26 février 2015 (Christie's France, C-41/14), la Cour de Justice de l'Union Européenne, en réponse à la question suivante : « la règle édictée par l'article 1er §4 de la directive 2001/84/CER du parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre originale, qui met à la charge du vendeur le paiement du droit de suite, doit-elle être interprétée en ce sens que celui-ci en supporte définitivement le coût sans dérogation possible ? », a dit pour droit que « l'article 1er, paragraphe 4, de la directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001, relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce que la personne redevable du droit de suite, désignée comme telle par la législation nationale, que ce soit le vendeur ou un professionnel du marché de l'art intervenant dans la transaction, puisse conclure avec toute autre personne, y compris l'acheteur, que cette dernière supporte définitivement, en tout ou en partie, le coût du droit de suite, pour autant qu'un tel arrangement contractuel n'affecte nullement les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l'auteur » ; qu'une directive ne lie les Etats que quant aux objectifs à atteindre et leur laisse le choix quant aux moyens d'y parvenir ; qu'elle n'emporte donc aucun effet direct dès lors qu'elle a été dûment transposée en droit interne ; qu'ainsi dans sa décision, la CJUE précise que les Etats membres de l'Union européenne sont responsables de ce que la redevance au titre du droit de suite doit être perçue et que cette responsabilité implique que ces Etats sont « les seuls à pouvoir déterminer dans le cadre défini par la directive 2001/84, la personne redevable, chargée du paiement de ladite redevance à l'auteur » ; que la directive énonce que la personne redevable est en principe le vendeur, mais son article 1er §4 combiné avec l'article 25 n'exclut pas que les Etats membres peuvent prévoir des dérogations à ce principe, à condition de choisir la personne redevable parmi les professionnels visés à l'article 1er paragraphe 2 de cette directive, qui interviennent en tant que vendeurs, acheteurs ou intermédiaires dans les actes de revente relevant du champ d'application de la directive ; qu'en tout état de cause, elle ne se prononce pas sur l'identité de la personne qui doit supporter définitivement le coût du droit de suite, l'objectif poursuivi portant sur l'indication de la personne responsable du paiement de la redevance et sur les règles visant à établir le montant de cette dernière ; qu'il en résulte que les législations nationales sont souveraines pour déterminer à qui incombe la charge finale du coût de la redevance ; qu'en l'espèce, à l'occasion de la transposition de la directive de 2001 par la loi n° 2006-961 du 1er août 2006, le législateur français a choisi de faire de l'article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle, un outil de régulation du marché français ; que si l'instauration d'un droit de suite existait en droit interne, depuis 1920, à la charge du vendeur, les galeries d'art en étaient exemptées jusqu'à la promulgation de la loi susvisée ; que le législateur a clairement mis le droit de suite à la charge du vendeur et la responsabilité de son paiement, au professionnel de la vente, alors qu'il n'y était nullement contraint par la directive ; qu'il a fait ce choix pour assainir les règles de la concurrence sur le marché national ; que ce choix délibéré résulte clairement de l'examen des travaux parlementaires ; que selon le rapport de M. Y..., au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat, « seul le vendeur subira une restriction dans l'exercice de l'abusus de son droit de propriété », la personne responsable du paiement (le professionnel) « étant simplement chargée de prélever les fonds sur le prix de vente de l'oeuvre afin de les tenir à la disposition de l'auteur » ; que « le droit de suite est mis à la seule charge du vendeur » et que la simplicité de ce principe contribuera à établir des conditions de concurrence saine entre les principales places de marché au sein de l'Union ; que la faculté de prévoir des dérogations conventionnelles, bien qu'envisagée, a été écartée par le rejet, par la commission mixte paritaire, de l'amendement proposé par M. Z..., visant à permettre des arrangements entre le vendeur et les professionnels participant à la vente, afin d'asseoir une meilleur position concurrentielle de la France, notamment à l'égard de Londres ; qu'enfin, une proposition de loi enregistrée à la Présidence du sénat le 13 octobre 2016, tendant à encourager l'activité culturelle et artistique et à renforcer l'attractivité du marché de l'art, vise en son article 11, à compléter le troisième alinéa de l'article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle par la phrase suivante : « par convention, le paiement du droit de suite peut être mis à la charge de l'acheteur », ce dont il se déduit qu'en l'état actuel de la législation, cet aménagement conventionnel n'est pas autorisé, la loi adoptée le 1er août 2006 revêtant un caractère impératif fondé sur un ordre public économique de direction ; que par conséquent, la clause des conditions générales de la société Christie's visant à imputer la charge définitive du droit de suite à l'acheteur, est contraire aux dispositions impératives de l'article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle imposant que la charge en revienne exclusivement au vendeur et doit, comme telle, être déclarée nulle et de nul effet ; que la société Christie's sera condamnée à payer un euro de dommages et intérêts au Comité professionnel des galeries d'art » ;
ALORS QU'aux termes de l'article L. 122-8 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de l'article 48 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 portant transposition de la directive 2001/84/CE du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale, le droit de suite est à la charge du vendeur ; que la responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s'opère entre deux professionnels, au vendeur ; que l'existence d'une obligation légale au paiement du droit de suite à la charge du vendeur, telle qu'elle ressort de ce texte, comme des travaux et débats parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi française, n'exclut nullement la possibilité d'aménager de façon conventionnelle la charge du coût de ce droit, dès lors que cet aménagement, ne valant qu'entre les parties au contrat de vente et étant inopposable aux bénéficiaires du droit de suite, n'affecte nullement les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l'auteur ; qu'en retenant cependant, pour annuler la clause litigieuse des conditions générales de vente de la société Christie's France, que les dispositions de l'article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle revêtaient un caractère impératif fondé sur un ordre public économique de direction excluant tout aménagement conventionnel de la charge du coût du droit de suite, la Cour d'appel a violé le texte susvisé.