LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 mai 2015), que la société Harex Fibracier industrie (la société HFI), importateur en France de fibres polypropylènes, fabriquées par les sociétés du groupe X..., a conclu en 1993 et 1996, respectivement avec les sociétés Net bati et Aria, un contrat de distribution exclusive limitée à certaines zones géographiques, renouvelable par tacite reconduction et résiliable par chacune des parties ; que, le 21 février 2003, la société HFI a informé la société Net bati de la cession, à la société de droit allemand FIBCO GmbH (la société FIBCO), de son activité de négoce de fibres polypropylènes, dont la gestion serait assurée par la société Eurofibres en cours de formation, filiale de la société FIBCO, et de l'engagement de cette dernière, au nom et pour le compte de la société Eurofibres, à poursuivre le contrat sans aucune modification ; que le 9 avril 2010, la société X... France (la société X...), exerçant son activité sous le nom commercial Eurofibres, a informé les sociétés Net bati et Aria qu'elle envisageait la commercialisation de ses produits dans le secteur du sud-ouest par ses propres agents commerciaux à partir du deuxième trimestre 2010, leur réservant toutefois la possibilité de s'approvisionner en direct ; qu'invoquant une rupture brutale de leurs relations commerciales, les sociétés Net bati et Aria ont assigné la société X... en réparation de leurs préjudices sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société X... fait grief à l'arrêt de déclarer recevables les demandes des sociétés Net bati et Aria alors, selon le moyen :
1°/ qu'une relation commerciale établie s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties ; que dans ses conclusions d'appel, la société X... soutenait que les sociétés Net bati et Aria se fournissaient auprès de la société X... B... et fournissait à l'appui de cette allégation un certain nombre de factures et bons de livraison ; qu'en ignorant ce moyen, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que la charge de la preuve de l'existence d'une relation commerciale établie pèse sur le demandeur à l'indemnisation fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ; que la société X... soulignait que plus aucune relation n'existait entre la société Net bati et le groupe X... depuis 2008 ; qu'en écartant ce moyen au motif que la société X... n'apporterait pas la preuve de cette allégation, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'après avoir constaté, au vu de l'examen des statuts de la société Eurofibres, que l'activité de négoce des fibres polypropylènes cédée par la société FIBCO avait été reprise par la société X... exerçant sous le nom commercial Eurofibres, l'arrêt relève que dans ses lettres des 29 juin 2007 et 3 mars 2008, adressées aux sociétés Net bati et Aria, la société X... se référait au contrat conclu entre les parties en 1993 et à l'attribution d'un secteur géographique ; qu'il relève encore que la lettre du 9 avril 2010 établit qu'elle considérait que la société Aria distribuait, depuis 1996, les produits Eurofibres ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir l'existence d'échanges commerciaux directs entre les sociétés Net bati et Aria, d'un côté, et la société X..., de l'autre, la cour d'appel a répondu aux conclusions prétendument omises ;
Et attendu, d'autre part, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que l'arrêt, ayant constaté que la société X... avait informé la société Net bati le 9 avril 2010 de son intention de commercialiser directement ses produits à compter du deuxième trimestre 2010, a retenu que la relation commerciale entre ces deux sociétés n'avait pas cessé en 2008 ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société X... fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a rompu de façon brutale les relations commerciales avec les sociétés Net bati et Aria et de la condamner au paiement de dommages-intérêts alors, selon le moyen :
1°/ qu'il est permis aux parties à une relation commerciale établie de déterminer les modalités de sa rupture ; que la société X... soutenait que le courrier du 9 avril 2010 n'exprimait qu'une intention de mettre fin à l'exclusivité dont se prévalaient les sociétés Net bati et Aria ; que l'arrêt relève que, par ce courrier, il leur était proposé de rompre partiellement les relations commerciales soit de mettre un terme à ces relations par un rachat de portefeuille de clients, que deux dates de préavis étaient envisagées et qu'il était laissé place à une discussion sur l'option proposée ; qu'en considérant que ce courrier devait être regardé comme rompant la relation commerciale établie et fixant un délai de préavis imprécis courant à compter de cette annonce, quand il résultait de ses propres constatations que la société X... se limitait à proposer aux sociétés Net bati et Aria de s'entendre sur les modalités de rupture, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, ensemble l'article 1134 du code civil ;
2°/ que pour apprécier la durée minimale du préavis mettant fin à une relation commerciale établie, il doit être tenu compte du préavis réellement effectué ; que la société X... soutenait qu'il résultait de son courrier du 29 septembre 2010 qu'elle avait régulièrement mis fin à ses relations avec les sociétés Net bati et Aria au 31 mars 2011 et que ce n'est qu'en août et novembre suivant qu'elle avait mis en place ses agents commerciaux ; qu'en considérant que le délai de résiliation au 31 mars 2011 adressé par courrier du 29 septembre 2010 ne pouvait pas être pris en considération et qu'il n'y avait lieu que de tenir compte du préavis initial de 3 mois adressé par courrier du 9 avril 2010, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
3°/ qu'en cas de violation de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture de la relation commerciale reconnue comme établie ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que la relation commerciale rompue procède de la fin de l'exclusivité de distribution des produits X... dont auraient bénéficié les sociétés Net bati et Aria sur une zone géographique déterminée ; que la société X... rappelait que ces sociétés avaient toujours la possibilité de se fournir en fibres X... aux conditions antérieures ; qu'en accordant une indemnité en considération de la perte de marge brute des sociétés Net bati et Aria générée par la distribution des produits X..., et non de celle résultant de l'exclusivité qui leur était accordée, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté que par sa lettre du 9 avril 2010, la société X... avait informé les sociétés Net bati et Aria de sa volonté de mettre fin à leurs relations commerciales par une rupture, soit partielle, en devenant ses clients, soit totale, en rachetant leur portefeuille client, qu'elle avait fixé à une date approximative le préavis et ouvert une discussion sur l'option proposée, et relevé que la lettre du 29 septembre 2010, postérieure à la notification de la rupture et à l'assignation, ne pouvait être prise en compte pour déterminer le point de départ du préavis, la cour d'appel, par une appréciation souveraine des éléments qui lui étaient soumis, a pu en déduire que la société X... avait rompu la relation commerciale le 9 avril 2010 ;
Et attendu, en second lieu, que sous le couvert d'un grief infondé de violation de la loi, le moyen, en sa troisième branche, ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine, par la cour d'appel, de l'étendue du préjudice;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société X... France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer aux sociétés Net bati et Aria la somme globale de 3 000 euros et rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour la société X... France
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué de déclarer recevables les demandes des sociétés Net Bati et Aria ;
AUX MOTIFS QU'il résulte des statuts constitutifs de la société SAS Eurofibres que la société mentionnée dans la lettre de la société Fibco GmbH, du 21 février 2003, comme devant reprendre son activité de négoce de fibres polypropylène est la société X... France exerçant sous le nom commercial Eurofibres ; que l'intimée a reconnu l'existence du contrat de distribution exclusive en faisant référence dans ses courriers des 29 juin 2007 et 3 mars 2008 à l'existence d'un contrat conclu entre les parties depuis 1993 et à l'attribution d'un secteur géographique ; que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré recevables les demandes des appelantes ; que, par courrier du 9 décembre 1996, la société HFI a confié à la société Aria la concession exclusive de la distribution de fibres fibrillées, sous la dénomination Ariafibres ; que le courrier du 9 avril 2010 adressé à la société Aria par la société X... France établit que cette dernière considérait la société Aria comme distribuant les produits Eurobifres ; que l'intimée, qui pour justifier que la société Net Bati ne lui aurait plus passé de commandes depuis le 9 avril 2008, produit uniquement une attestation émanant de son gérant, M. X..., ne rapporte pas la preuve de son affirmation ; que les appelantes ont qualité à agir et le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré leurs demandes recevables ;
1°) ALORS QUE une relation commerciale établie s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties ; que dans ses conclusions d'appel, la société X... France soutenait que les sociétés Net Bati et Aria se fournissaient auprès de la société X... B... et fournissait à l'appui de cette allégation un certain nombre de factures et bons de livraison ; qu'en ignorant ce moyen, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE la charge de la preuve de l'existence d'une relation commerciale établie pèse sur le demandeur à l'indemnisation fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ; que la société X... France soulignait que plus aucune relation n'existait entre la société Net Bati et le groupe X... depuis 2008 ; qu'en écartant ce moyen au motif que la société X... France n'apporterait pas la preuve de cette allégation, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué de dire que la société X... France a rompu de façon brutale les relations commerciales avec les sociétés Net Bati et Aria et de la condamner à leur verser respectivement les sommes de 48 750 € et 32 500 € à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE les contrats de distribution exclusive signés entre les appelantes et la société HFI ont été transmis à la société X... France , créée début 2003, sans que la liquidation judiciaire de la société HFI, en janvier 2004, n'ait d'incidence sur la validité de ces contrats qui se sont poursuivis avec la société X... France ; que ces contrats pouvaient être résiliés par chacune des parties, le contrat du 11 janvier 1993 prévoyant un préavis de 3 mois ; que par courrier du 9 avril 2010 la société X... France a fait connaître aux appelantes son intention d'étendre à la région sud-ouest sa stratégie de vente en commercialisant directement ou par le biais d'agents commerciaux exclusifs les produits Eurofibres, afin « d'unifier l'ensemble » ; que la volonté de l'intimée de mettre fin à l'exclusivité territoriale dont bénéficiaient les appelantes afin de modifier et d'uniformiser ses pratiques de commercialisation sur l'ensemble du territoire français, n'est pas constitutive d'une rupture abusive ; que la société Net Bati ne rapporte pas la preuve des très lourds investissements qu'elle affirme avoir effectué depuis 1993 ; que la seule contestation par la société X... Z... de l'existence des contrats de distribution, qu'elle n'a pas elle-même conclu, est insuffisante à constituer un acte de rupture que par courrier du 9 avril 2010 la société X... France a informé les appelantes que « ... à partir du 2ème semestre 2010, nous prévoyons la commercialisation de nos produits directement par des agents commerciaux sur le secteur sud-ouest. Comme vous le savez, nous commercialisons notre gamme de produits Eurofibres en direct et par le biais d'agents commerciaux exclusifs, qui ne vendent que nos produits et aucun produit concurrent. Nous souhaitons étendre à l'avenir cette stratégie de vente sur la région sud-ouest et nous permettre ainsi d'unifier l'ensemble. Bien entendu vous pouvez continuer d'acheter nos fibres en direct. En tant que grand-compte, vous serez toujours en relation avec le bureau de Strasbourg. Néanmoins, il est concevable que nous soyons à l'avenir, dans certains cas, concurrents. Aussi, pour cette raison, nous aimerions discuter avec vous la possibilité d'une reprise de votre marché en fibres. Dans ce cas nous rachèterions votre portefeuille client et vous vous engageriez de ne plus commercialiser à l'avenir de fibres directement ou indirectement
» ; que par ce courrier la société X... France a fait connaître aux appelantes sa volonté de mettre fin au contrat d'exclusivité liant les parties, qu'elle leur a proposé soit de rompre partiellement les relations commerciales en devenant ses clientes, soit de mettre un terme aux relations commerciales en rachetant leur portefeuille client ; que ce préavis écrit fixait une date approximative « à partir du 1er semestre 2010 », soit à partir du mois de juillet 2010 et laissait place à une discussion sur l'option proposée aux appelantes ; que le courrier du 9 avril 2010 prévoit un préavis imprécis qui est au minimum de 3 mois ; que le courrier du 29 septembre 2010, ultérieur à la notification de la rupture et à l'assignation, qui résilie au 31 mars 2011 « tout engagement d'exclusivité ... après cette date vos commandes continueront d'être honorées comme par le passé, la présente résiliation ayant pour seul objet de libérer les parties intéressées d'une éventuelle obligation d'exclusivité ou de non-concurrence qui pourrait les lier » ne peut être pris en considération pour apprécier la durée du préavis donné aux appelantes ; que le préavis imprécis donné par la société X... France pour mettre fin à l'exclusivité de distribution dont disposaient les appelantes et rompre, au moins partiellement, les relations commerciales est insuffisant eu égard notamment à la durée des relations commerciales ayant existé entre les parties ; que compte tenu de la durée de la relation commerciale et des circonstances de la rupture, le préavis raisonnable peut être fixé à 12 mois pour la société Net Bati et à 9 mois pour la société Aria ; qu'il convient de déduire de ces délais le préavis de 3 mois donné par courrier du 9 avril 2010 ; (
) que, en cas d'insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire ; que les appelantes soutiennent que sur les années 2007 à 2009 la vente des produits Eurofibres a généré un chiffre d'affaires moyen de 130 000 € par an et que la marge brute était d'environ 50 % ; que l'intimée conteste l'existence d'un préjudice; qu'il doit être alloué à la société Net Bati la somme de 48 750 € (130 000 € : 2 : 12 X 9) et à la société Aira la somme de 32 500 € (130 000 € : 2 : 12 X 6) ;
1°) ALORS QUE il est permis aux parties à une relation commerciale établie de déterminer les modalités de sa rupture ; que la société X... France soutenait que le courrier du 9 avril 2010 n'exprimait qu'une intention de mettre fin à l'exclusivité dont se prévalaient les sociétés Net Bati et Aria ; que l'arrêt relève que, par ce courrier, il leur était proposé de rompre partiellement les relations commerciales soit de mettre un terme à ces relations par un rachat de portefeuille de clients, que deux dates de préavis étaient envisagées et qu'il était laissé place à une discussion sur l'option proposée ; qu'en considérant que ce courrier devait être regardé comme rompant la relation commerciale établie et fixant un délai de préavis imprécis courant à compter de cette annonce, quand il résultait de ses propres constatations que la société X... France se limitait à proposer aux sociétés Net Bati et Aria de s'entendre sur les modalités de rupture, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, ensemble l'article 1134 du code civil ;
2°) ALORS QUE pour apprécier la durée minimale du préavis mettant fin à une relation commerciale établie, il doit être tenu compte du préavis réellement effectué ; que la société X... France soutenait qu'il résultait de son courrier du 29 septembre 2010 qu'elle avait régulièrement mis fin à ses relations avec les sociétés Net Bati et Aria au 31 mars 2011 et que ce n'est qu'en août et novembre suivant qu'elle avait mis en place ses agents commerciaux ; qu'en considérant que le délai de résiliation au 31 mars 2011 adressé par courrier du 29 septembre 2010 ne pouvait pas être pris en considération et qu'il n'y avait lieu que de tenir compte du préavis initial de 3 mois adressé par courrier du 9 avril 2010, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
3°) ALORS QUE en cas de violation de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture de la relation commerciale reconnue comme établie ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que la relation commerciale rompue procède de la fin de l'exclusivité de distribution des produits X... dont auraient bénéficier les sociétés Net Bati et Aria sur une zone géographique déterminée ; que la société X... rappelait que ces sociétés avaient toujours la possibilité de se fournir en fibres X... aux conditions antérieures ; qu'en accordant une indemnité en considération de la perte de marge brute des sociétés Net Bati et Aria générée par la distribution des produits X..., et non de celle résultant de l'exclusivité qui leur était accordée, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil.