LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 décembre 2016), rendu en référé, que, le 6 novembre 2007, la société Redevco, aux droits de laquelle vient la société Saint Thibault, a donné à bail en renouvellement à la société Cetamp;amp;A France des locaux à usage de bureaux et d'entreposage ; que, le 25 juin 2015, la société locataire a donné congé des lieux à effet du 31 décembre 2015 ; qu'en octobre 2015, des tiers ont occupé les parkings et voies d'accès aux locaux loués dont ils ont été expulsés le 23 décembre 2015 à la suite d'une instance en référé engagée par la société locataire ; que, le 15 janvier 2016, la société Saint Thibault a saisi le juge des référés d'une demande de provision au titre des loyers et charges du quatrième trimestre 2015 ; que la société Cetamp;amp;A France a invoqué la compensation des sommes dues par elle avec les frais de la procédure d'expulsion ;
Attendu que, pour accueillir la demande de la société Saint Thibault, l'arrêt retient que, compte tenu de leur nature, de leur fonction au regard de l'activité exercée dans les lieux par la société Cetamp;amp;A France et de leur situation à proximité immédiate des locaux loués au sein d'un espace clôturé, les voies d'accès et emplacements de stationnement constituent une "dépendance" au sens de l'article 1er du bail, de sorte que la société locataire, en tant que preneur et gardien des lieux loués occupés par des tiers, doit supporter les conséquences financières de la procédure d'expulsion ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les voies et emplacements n'étaient pas inclus dans l'assiette du bail, la cour d'appel, qui a interprété la convention des parties, a excédé ses pouvoirs et violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 décembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Saint Thibault aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Saint Thibault et la condamne à payer à la société Cetamp;amp;A France la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour la société Cetamp;amp;A France
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné la société Cetamp;amp;A France à régler à la société Saint Thibault la somme provisionnelle de 547 395,90 € TTC, avec intérêts au taux légal courant à compter du 5 janvier 2016 ;
AUX MOTIFS QU'« aux termes de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile le président peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s ‘il s'agit d'une obligation de faire ; le bail liant les parties précise à l'article 1er « objet et désignation » que le bailleur donne à bail les locaux dépendant d'un ensemble immobilier sis [...] , ZAI de la Courtillière ci-après - "locaux à usage d'entreposage, de bureaux, de locaux sociaux et de locaux techniques d'une surface utile d'environ 19 620 m² situés au rez-de chaussée de l'immeuble, bureaux accessoires et locaux sociaux d'une surface utile d'environ 332 m² situés au premier étage de l'immeuble, bureaux accessoires et locaux sociaux d'une surface utile d'environ 334 m² situés au deuxième étage de l'immeuble, Les locaux sont complétés par deux plateaux techniques légers installés à titre précaire par le preneur sous son entière responsabilité sur une surface utile d'environ 21 066 m² ; (...) Tel que ces locaux existeront, avec leurs aisances et dépendances, le preneur déclarant bien connaître l'immeuble", il résulte par ailleurs de ce bail que les locaux loués sont affectés par le preneur à l'usage exclusif d'"entreposage et bureaux accessoires" ; le procès-verbal de constat comportant des photographies dressé le 22 décembre 2015 par Maître X... huissier de justice à la demande de la société Cetamp;amp;A France -se présentant comme locataire- établit notamment que - divers véhicules et caravanes sont implantés [...] sur la voie de droite en entrant, certains véhicules étant stationnés le long de la limite de propriété à droite en entrant, - le long du bâtiment et notamment devant l'accès aux quais de chargement numérotés de 1 à 13 est stationnée une quinzaine de véhicules et caravanes et sur la voie d'accès aux dits quais, sont présents divers appareils ménagers et des ordures, - dans le prolongement du bâtiment depuis la rue et jusqu'en fond de parcelle, est implantée une vingtaine de véhicules et caravanes sur la voie d'accès et de manoeuvre, - devant l'accès au quai de chargement numéroté 15 , il existe un véhicule ainsi qu'une caravane, et dans le prolongement du bâtiment depuis ledit quai et vers le fond gauche de la parcelle est stationnée une dizaine de véhicules et caravanes, - en fond de parcelle et sur les places de stationnement matérialisées par le marquage au sol sont implantés divers véhicules et caravanes, - le long du bâtiment et notamment devant les accès aux quais de chargement numérotés de 23 à 48 et dans ce sens, est stationnée une trentaine de véhicules et caravanes, - dans l'axe des quais de chargement et sur la voie d'accès et de manoeuvre implanté une dizaine de véhicules et caravanes divers ; il est donc manifeste que les véhicules et caravanes des gens du voyage sont stationnés sur les voies d'accès et de manoeuvre, devant l'accès aux quais de chargement des bâtiments loués et sur les places de stationnement matérialisées par un marquage au sol, le tout situé dans un espace clôturé ; la société Cetamp;amp;A France ne conteste pas exercer dans les bâtiments objets du bail une activité de marquage et de stockage de vêtements depuis janvier 1990 laquelle nécessite notamment le déchargement et le chargement quotidien de produits textiles par les quais de chargement par des camions empruntant les voies d'accès et de manoeuvre, stationnant sur les aires de parking prévues à cet effet situées en bordure des postes à quais donnant directement accès à l'entrepôt de stockage ; par ailleurs la société intimée ne conteste pas que les aires de stationnement sont utilisées par les employés travaillant sur son site ; elle a d'ailleurs fait constater -en sa qualité de locataire- par un huissier de justice l'occupation sans droit ni titre de ces aires dès le 15 octobre 2015 comme cela résulte de ce procès-verbal lui permettant ainsi d'obtenir le 18 novembre 2015 une ordonnance de référé d'expulsion des gens du voyage sur le fondement d'un trouble manifestement illicite consistant dans l'atteinte portée à son droit de jouissance étayé par la production du bail et de son avenant conclus avec la société Redevco Franco ; dès lors les emplacements en cause compte tenu de leur nature -voies d'accès/voies de manoeuvre/accès aux quais de chargement/place de stationnement- de leur fonction au regard de l'activité exercée dans les lieux par la société Cetamp;amp;A France -stockage de vêtements nécessitant un déchargement/chargement quotidien par les quais de chargement par des camions- et de leur situation à proximité immédiate des locaux loués au sein d'un espace clôturé, sont manifestement indispensables à l'exploitation des locaux commerciaux et constituent, avec l'évidence requise en référé, une "dépendance" telle que visée à l'article 1er du bail et comme tels inclus dans l'assiette de ce bail ; en conséquence le moyen soulevé par la société Cetamp;amp;A France d'une compensation entre la créance alléguée par le bailleur et les frais qu'elle a dû engager suite à l'occupation sans droit ni titre des lieux par les gens du voyage, n'est pas sérieuse puisqu'en tant que preneur et gardien des lieux occupés par ces derniers, inclus dans l'assiette du bail, elle doit seule en supporter les conséquences financières et ce en application de l'article 1725 du code civil qui prévoit que le bailleur n'est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voies de fait à sa jouissance ; il s'ensuit que la société Cetamp;amp;A France ne peut valablement prétendre solliciter le bénéfice de l'article 7.12 du bail prévoyant que "Toutefois, si exceptionnellement aucune exploitation ne s'avérait possible totalement ou partiellement et/ou si l'accès des locaux était totalement condamné notamment par suite de travaux imposés par le bailleur, le loyer et les charges cesseraient de courir pendant la durée de l'impossibilité de l'accès" dès lors que l'impossibilité totale ou partielle d'exploiter les locaux du fait du stationnement par les gens du voyage et des voies de fait qu'ils auraient commises, relève de son fait exclusif puisque résultant d'une négligence dans le gardiennage des locaux, aisances et dépendances dont elle avait seule la garde, l'usage et le contrôle au titre du bail » ;
1) ALORS QUE le juge des référés ne peut octroyer de provision qu'à la condition que l'obligation du défendeur ne se heurte à aucune contestation sérieuse ; que se heurte à une contestation sérieuse la demande qui nécessite une interprétation d'un écrit ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, statuant en référé, a considéré que le moyen soulevé par la société Cetamp;amp;A France d'une compensation entre la créance alléguée par le bailleur et les frais qu'elle a dû engager à la suite de l'occupation par les gens du voyage des voies d'accès et emplacements de parkings n'était pas sérieuse en retenant que le preneur était gardienne de ces voies et emplacements dans la mesure où ils étaient inclus dans l'assiette du bail qu'en statuant ainsi, quand cette inclusion n'était pas prévue par le contrat de bail (production n° 1), la cour d'appel a interprété ce contrat et tranché une contestation sérieuse en violation de l'article 809, alinéa 2 du code de procédure civile ;
2) ALORS, en tout état de cause, QUE l'article 7.12 du contrat de bail du 6 novembre 2007 prévoyait que « si exceptionnellement aucune exploitation ne s'avérait possible totalement ou partiellement et/ou si l'accès des locaux était totalement condamné notamment par suite de travaux imposés par le bailleur, le loyer et les charges cesseraient de courir pendant la durée de l'impossibilité de l'accès » ; que pour condamner la société Cetamp;amp;A France à payer la somme provisionnelle de 547 395,90 € au titre des loyers, la cour d'appel a jugé qu'elle ne pouvait pas prétendre ne pas être débitrice des loyers sur le fondement de l'article 7.12 dès lors que l'impossibilité d'exploiter résultait de son fait (arrêt attaqué, p. 6 in fine et 7) quand cet article ne distinguait pas selon que l'impossibilité d'accès ou d'exploitation visée résultait ou non d'un fait du preneur; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a interprété l'article 7.12 et tranché une contestation sérieuse en violation de l'article 809, alinéa 2 du code de procédure civile ;
3) ALORS, en tout état de cause, QUE c'est seulement dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable que le juge des référés peut accorder une provision au créancier ; qu'en l'espèce, pour priver la société Cetamp;amp;A France du bénéfice de l'article 7.12 du contrat de bail, la cour d'appel a considéré que l'impossibilité d'exploiter les lieux faisant l'objet du bail résultait de sa négligence (arrêt attaqué, p. 6 in fine et 7), ce qui était contesté (conclusions d'appel de l'exposante, p. 7) ; qu'en appréciant l'existence d'une négligence de la société exposante, quand celle-ci était contestée, la cour d'appel a tranché une contestation sérieuse en violation de l'article 809, alinéa 2 du code de procédure civile.