LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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M. Alain X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 2 décembre 2016, qui, pour complicité de faux en écriture publique, l'a condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 31 janvier 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Y..., conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller Y..., les observations de la société civile professionnelle BOULLEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Z... ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-6, 121-7, 441-1 et 441-4 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, manque de base légale ;
"il est fait grief a l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement ayant relaxé le prévenu, d'avoir déclaré ce dernier coupable du délit de complicité du délit de faux en écriture publique et de l'avoir condamné à la peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis ;
"aux motifs que M. Alain X... a, à nouveau, fait valoir qu'il s'est employé empiriquement à faire face à une situation d'urgence dans un cadre légal incertain et qu'il n'était nullement dans son intention de priver les personnes interpellées de quelque droit que ce soit ; que les instructions qu'il a données aux gardiens interpellateurs avaient essentiellement pour objet d'appeler leur attention sur l'urgence qu'il y avait à traiter les arrestations dans les meilleurs délais, ce qui permettait aux intéressés de se voir notifier leurs droits le plus rapidement possible, lors de leur arrivée en centre de rétention ; qu'il n'aurait jamais imposé aux personnels qu'il dirigeait de falsifier quelques pièces que ce soit ; que par ailleurs il n'aurait jamais désigné précisément des fonctionnaires interpellateurs distincts des rédacteurs ; qu'il envisage que l'inexpérience de certains fonctionnaires, notamment M. Nicolas A..., ait pu conduire à une interprétation erronée de ses instructions ; que subsidiairement, il considère qu'il n'est pas établi que ces mêmes instructions aient pu entraîner une altération de la vérité ou traduise une intention de nuire à quiconque ; que la cour constatera que différents gardiens de la paix ayant procédé aux interpellation (sic) dans le cadre de l'opération en cause ont affirmé avoir appliqué sans état d'âme les instructions de M. X... qui ne pouvaient, selon eux, qu'être conformes à celles des autorités policières supérieures ainsi que du Parquet ; que ces instructions comportaient celle de "laisser des blancs dans les procès-verbaux d'interpellation", ce qui ne pouvait que potentiellement porter atteinte aux droits des personnes interpellées, notamment quant au point de départ des délais de recours que leur offre la loi ; qu'en raison de son grade, l'autorité du prévenu ne pouvait que s'imposer aux exécutants de terrain, dont il était le seul interlocuteur direct ; qu'aussi, quelle que soit la finalité des instructions qu'il a données, celles-ci ne pouvaient que conduire à la rédaction de procédures intrinsèquement fausses ; que la présente procédure n'est pas relative aux conséquence (sic) éventuellement préjudiciables aux personnes interpellées de ces faux, mais ne permet pas de les exclure ; qu'il est clair par ailleurs que les objectifs d'efficacité mis en avant par M. X... ont primé pour lui sur toute autre considération ; que son autorité et sa position hiérarchique sur les personnels de police interpellateurs ne peuvent que conduire à le considérer comme complice des faux constatés, conséquences des instructions qu'il a données ; qu'il sera donc déclaré coupable de ce chef et le jugement déféré sera en ce sens infirmé ; que sur la peine, la cour ne pourra que s'étonner de l'ignorance des commissaires de police responsables des conditions matérielles de l'opération et de l'interruption à M. X... de la chaîne des responsabilités ; que par ailleurs, son absence de volonté de nuire aux personnes interpellées est incontestable, sa faute étant comme il a déjà été dit de faire prévaloir des impératifs d'efficacité sur le respect de la loi ; que pour l'ensemble de ces motifs, il sera condamné à une peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis qui ne sera pas mentionnée au bulletin n° 2 de son casier judiciaire ;
"1°) alors que, la complicité par instructions nécessite que le complice ait donné des directives précises de nature à permettre la commission de l'infraction principale ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué s'est borné à invoquer des instructions de « laisser des blancs dans les procès-verbaux » et que « son autorité et sa position hiérarchique sur les personnels de police interpellateurs ne peuvent que conduire à le considérer comme complice des faux constatés, conséquences des instructions qu'il a données », ce qui n'établit pas l'existence d'instructions précises en vue de commettre un faux ; qu'en se prononçant ainsi, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 121-7 du code pénal ;
"2°) alors que, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que l'infraction de faux est un délit intentionnel qui n'est caractérisé que lorsque l'auteur a eu la volonté de réaliser la falsification tout en ayant conscience d'accomplir cette falsification, c'est-à-dire d'altérer la vérité dans des conditions de nature à causer un préjudice ; qu'en l'espèce, le prévenu faisait valoir dans ses conclusions régulièrement déposées et de ce chef délaissées, qu'il n'avait pas eu conscience de l'altération de la vérité des procès-verbaux pré-remplis ni du préjudice causé ; que la cour d'appel s'est pourtant bornée à relever que les « instructions comportaient celle de laisser des blancs dans les procès-verbaux d'interpellation », qu'« en raison de de son grade, l'autorité du prévenu ne pouvait que s'imposer aux exécutants de terrain, dont il était le seul interlocuteur direct » et que « quelle que soit la finalité des instructions qu'il a données, celles-ci ne pouvaient que conduire à la rédaction de procédures intrinsèquement fausses » ; qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du prévenu sur le défaut d'intention, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"3°) alors que, tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision, l'insuffisance de motifs équivalant à leur absence ; qu'encourt en conséquence la cassation l'arrêt fondé sur des motifs hypothétiques ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que « la présente procédure n'est pas relative aux conséquence (sic) éventuellement préjudiciables aux personnes interpellées de ces faux, mais ne permet pas de les exclure » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'une enquête diligentée au sein de l'Unité de coordination de lutte contre l'immigration clandestine à la suite de la plainte d'un ressortissant tunisien interpellé pour séjour irrégulier en France, a établi que, se prévalant d'instructions de leur supérieur hiérarchique, le commandant M. X..., responsable ce jour-là de l'opération de contrôle, les policiers procédant aux interpellations ont complété à la main des procès-verbaux pré-imprimés qui avaient été préalablement mis à leur disposition, en indiquant uniquement le nom et le prénom de la personne, ainsi que le lieu de son interpellation, mais pas l'heure de celle-ci, et que c'étaient des fonctionnaires restés au poste de police, et chargés de rédiger les procédures, qui signaient ensuite les procès verbaux d'interpellation pré-remplis qu'ils n'avaient pas eux-mêmes dressés ; que, poursuivi pour complicité de faux en écriture privée, M. X... a été relaxé par le tribunal correctionnel ; que le ministère public a relevé appel de cette condamnation ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de complicité de faux en écriture publique, l'arrêt relève que le commandant de police X... avait transmis les instructions à ses subordonnés à l'occasion d'une réunion préalable ; que les juges ajoutent qu'en raison de son grade et de sa position hiérarchique, l'autorité du prévenu ne pouvait que s'imposer aux policiers interpellateurs, dont il était le seul interlocuteur direct ; que la cour d'appel retient que ces instructions, et notamment celle de ne pas compléter certaines mentions dans les procès-verbaux d'interpellation, pouvaient potentiellement porter atteinte aux droits des personnes interpellées, notamment quant au point de départ des délais de recours légaux, et que, quelle que soit la finalité des instructions données par M. X..., qui a reconnu poursuivre un objectif d'efficacité, celles-ci ne pouvaient que conduire à la rédaction de procédures intrinsèquement fausses, des conséquences éventuellement préjudiciables aux personnes interpellées ne pouvant être exclues ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que le seul fait pour un officier de police de donner comme instructions aux fonctionnaires, sur lesquels il a autorité, d'établir des procès verbaux d'interpellation incomplets, établit à la fois l'existence d'instructions suffisamment précises, et l'intention de faire dresser par ses subordonnés des actes ne reflétant pas la réalité, ce qui porte nécessairement atteinte tant aux droits des personnes interpellées, qu'à la foi qui doit pouvoir être accordée aux procès verbaux de police, la cour d'appel a justifié sa décision et n'a méconnu aucun des textes visés au moyen ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt et un mars deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.