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07/03/2018 | FRANCE | N°16-23556

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 07 mars 2018, 16-23556


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les 13 avril 2006 et 6 novembre 2008, M. Y..., titulaire d'un compte d'instruments financiers dans les livres de la société BNP Paribas, a donné à cette dernière l'ordre d'acquérir des actions de la SICAV de droit luxembourgeois Luxalpha (la SICAV), gérée par la société UBS, puis à compter d'octobre 2008 par la société Access Management Luxembourg ; que la société BNP Paribas a exécuté ces ordres ; que concomitamment au transfert de la gestion de la société Lux

alpha à la société Access Management Luxembourg, la première a offert à ses...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les 13 avril 2006 et 6 novembre 2008, M. Y..., titulaire d'un compte d'instruments financiers dans les livres de la société BNP Paribas, a donné à cette dernière l'ordre d'acquérir des actions de la SICAV de droit luxembourgeois Luxalpha (la SICAV), gérée par la société UBS, puis à compter d'octobre 2008 par la société Access Management Luxembourg ; que la société BNP Paribas a exécuté ces ordres ; que concomitamment au transfert de la gestion de la société Luxalpha à la société Access Management Luxembourg, la première a offert à ses actionnaires le rachat sans frais de leurs actions et en a informé la société BNP Paribas ; que la SICAV a placé ses valeurs en dépôt dans des fonds gérés par la société C... A... Investment Securities ; qu'à la suite de la découverte de fraudes commises par M. A..., le tribunal d'arrondissement de Luxembourg a, par jugement du 2 avril 2009, prononcé la dissolution et la liquidation de la SICAV Luxalpha ; que soutenant que la société BNP Paribas avait acquis pour son propre compte les actions de la SICAV Luxalpha, M. Y... l'a assignée en restitution de leur prix et, subsidiairement, au motif que celle-ci avait manqué à son devoir d'information dans l'exécution de son mandat, en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société BNP Paribas fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de dommages-intérêts au titre d'un manquement à son obligation d'information alors, selon le moyen :

1°/ que le prestataire de services d'investissement qui se borne à assurer la réception et la transmission d'ordres pour le compte de tiers n'est pas tenu d'une obligation d'information envers son client quant aux événements affectant la vie de la société émettrice ; qu'au cas d'espèce, étant constant que la société BNP Paribas n'avait assumé, au profit de M. Y..., qu'une mission de réception et de transmission d'ordres, elle n'était en conséquence tenue d'aucune obligation d'information à son égard relativement aux événements affectant la vie de la Sicav Luxalpha ; qu'en décidant au contraire que la banque avait engagé sa responsabilité en n'informant pas M. Y... du changement de gestionnaire intervenu au sein de la Sicav, la cour d'appel a violé les articles 1147 ancien du code civil et L. 533-11 du code monétaire et financier, ensemble les articles L. 321-1 et D. 321-1 du même code ;

2°/ que la société BNP Paribas soutenait que M. Y... avait été parfaitement informé du changement du gestionnaire de la Sicav Luxalpha au plus tard le 12 novembre 2008, soit antérieurement à la confirmation de son ordre de souscription le 17 novembre 2008, comme le prouvaient des échanges de courriels intervenus entre la société Agami, qui était le conseiller financier de M. Y..., et la société Access Management, qui était le nouveau gestionnaire de la société Sicav Luxalpha, en sorte que M. Y... ne pouvait se plaindre de n'avoir pas été informé en temps utile du changement de gestionnaire de la Sicav ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ce point, avant de conclure que la société BNP Paribas avait commis une faute en s'abstenant d'informer M. Y... du changement de gestionnaire avant qu'il ne confirme l'ordre d'achat du 6 novembre 2008 exécuté le 17 novembre suivant, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1147 ancien du code civil et L. 533-11 du code monétaire et financier, ensemble les articles L. 321-1 et D. 321-1 du même code ;

Mais attendu, d'une part, qu'après avoir relevé que c'était la société BNP Paribas et non M. Y... qui figurait sur les registres nominatifs tenus par la SICAV Luxalpha, l'arrêt constate que l'avis diffusé le 17 octobre 2008 par cette dernière, informant ses actionnaires que la gestion de ses actifs était transférée de la société UBS à la société Access Management Luxembourg et de ce qu'ils disposaient d'un délai d'un mois pour demander le rachat sans frais de leurs titres, n'a pas été communiqué par la société BNP Paribas à M. Y... ; qu'il retient que le rôle et les responsabilités d'une société chargée de la gestion des fonds sont tels que tout changement par rapport aux informations contenues dans le prospectus destiné aux actionnaires revêt pour ces derniers une importance primordiale et qu'il n'appartenait pas au prestataire de services d'investissement de se substituer à son client pour apprécier l'intérêt ou la pertinence d'informations relatives au changement de gestionnaire dès lors que celles-ci avaient trait à ses droits d'actionnaire; qu'il en déduit, à juste titre, qu'en s'abstenant de communiquer ces informations à M. Y..., la société BNP Paribas a commis une faute dans l'exécution de son mandat ;

Et attendu, d'autre part, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments qui lui étaient soumis que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a retenu qu'il n'était pas établi que M. Y... avait eu connaissance du changement de gestionnaire à une date qui lui aurait permis de prendre quelque initiative que ce soit ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu que pour fixer le montant du préjudice subi par M. Y..., après avoir relevé qu'en raison du manquement de la société BNP Paribas à son obligation d'information relativement au changement de gestionnaire de la SICAV Luxalpha, M. Y... avait été privé de la possibilité du choix qui aurait dû être le sien de se désengager de la SICAV et de renoncer à une nouvelle souscription en novembre 2008, l'arrêt retient que le préjudice subi par M. Y... doit être évalué en tenant compte de la capacité de la SICAV Luxalpha à racheter ses parts s'il lui en avait été fait la demande et compte tenu de la menace pesant sur la récupération des capitaux retirés de ce fonds dans les trois mois précédant la découverte de la fraude, période durant laquelle M. Y... aurait pu obtenir le rachat de ses actions ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice subi par M. Y... devait être réparé à hauteur de la chance qu'il avait perdue de pouvoir se désengager de la SICAV Luxalpha et renoncer à la souscription du mois de novembre 2008, s'il avait été informé du changement de gestionnaire et de la possibilité qui lui était offerte d'obtenir le rachat sans frais de ses actions, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société BNP Paribas à payer à M. Y... la somme de 550 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 28 juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne M. Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, le condamne à payer à la société BNP Paribas la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept mars deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société BNP Paribas

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement qui lui était déféré en ce qu'il avait rejeté la demande de M. Y... fondée sur le manquement de la société BNP Paribas à son devoir d'information et, statuant à nouveau, d'AVOIR condamné la société BNP Paribas à payer, à titre de dommages et intérêts, la somme de 550.000 € ;

AUX MOTIFS QU'en ce qui concerne l'information relative au changement de gestionnaire, M. Y... rappelle que la Sicav Luxalpha a diffusé le 17 octobre 2008 un avis à ses actionnaires les informant que la gestion de ses actifs était transférée de la société UBS à la société Access Management Luxembourg (Notice to shareholders - pièce appelants n° 39) et que cet avis précisait que les actionnaires disposaient d'un délai d'un mois pour demander le rachat sans frais de leurs titres ; qu'il souligne que le rôle joué jusqu'alors par la société UBS dans la gestion de la Sicav « était évidemment une garantie et un élément déterminant de la confiance des investisseurs » et qu'en conséquence, son retrait au profit d'une autre société « ne pouvait être qu'un signe particulièrement alarmant » ; qu'il soutient que s'il avait eu connaissance de cette information, il aurait demandé le rachat de ses titres, comme, selon lui, l'ont fait beaucoup d'investisseurs, et se serait donc trouvé désengagé de la Sicav avant la découverte de la fraude A... et l'interruption des rachats décidée immédiatement après ; qu'il n'aurait pas non plus souscrit le 6 novembre 2008, pour l'achat de titres supplémentaires Luxalpha ; qu'il considère donc que la banque BNPP, en ne lui transmettant pas cette information, a commis une faute à son égard dont elle doit réparer les conséquences dommageables ; qu'en premier lieu, la banque BNPP qui se borne à observer que M. Y... ne démontre pas qu'il aurait eu connaissance de l'information relative au changement de gestionnaire, ne soutient pas ne pas avoir reçu cette information ; qu'elle n'allègue en outre aucune circonstance qui pourrait rendre vraisemblable qu'elle n'en ait pas été destinataire ; qu'elle fait valoir, en deuxième lieu, qu'un conseil luxembourgeois mandaté par le conseil de M. Y... a écrit le 17 décembre 2008 à la société Access Management Luxembourg pour lui demander des informations sur l'exécution de sa mission et, dans ce courrier, a employé la formule suivante : « en votre qualité de gestionnaire à compter du mois de novembre 2008 » du fonds Luxalpha (pièce appelant n° 5) ; qu'elle en conclut que l'emploi de cette formule démontre que M. Y..., contrairement à ce qu'il prétend, était informé du changement de gestionnaire intervenu en octobre 2008 ; que cet argument ne saurait être retenu dans la mesure où l'emploi de cette formule démontre seulement que l'auteur du courrier avait, le 17 décembre 2008, connaissance du changement de gestionnaire intervenu au mois d'octobre précédent, alors qu'il était trop tard pour que les actionnaires de la Sicav Luxalpha prennent quelque initiative que ce soit ; qu'en troisième lieu, la banque BNPP rappelle que la société Access Management Luxembourg intervenait au sein de la Sicav Luxalpha depuis sa création, en qualité de conseiller pour la gestion, ce dont, selon elle, M. Y... était informé puisque cette information figurait dans le prospectus ; qu'elle en conclut que la circonstance que cette même société soit devenue en octobre 2008 gestionnaire du fonds ne constituait donc pas un « changement déterminant » et qu'au demeurant, M. Y... ne démontre pas « en quoi ce changement a eu un impact sur la ligne de gestion poursuivie » ; mais qu'à supposer que M. Y... ait su que la société Access Management Luxembourg intervenait comme conseiller pour la gestion de la Sicav Luxalpha, on ne saurait considérer pour autant que le fait que cette société soit devenue en octobre 2008 gestionnaire à la place de la société UBS avait si peu d'importance qu'il n'était pas nécessaire de l'en informer ; qu'au contraire, le rôle et les responsabilités d'une société chargée de la gestion d'un fonds sont tels que, quand bien même elle serait conseillée par une société tierce, tout changement par rapport aux informations figurant dans le prospectus destiné aux actionnaires revêt pour ceux-ci une importance primordiale ; qu'on ne saurait, à cet égard, considérer que dans la mesure où la société UBS restait dépositaire des actifs, que la situation de la Sicav Luxalpha ne s'en trouvait pas modifiée, sauf à confondre les rôles respectifs du dépositaire et du gestionnaire ; qu'on ne saurait pas plus, pour cette même raison, exiger de M. Y... qu'il démontre que le changement de gestionnaire a eu un impact sur la gestion du fonds, avant de lui reconnaître le droit à avoir connaissance, comme actionnaire, de ce changement ; que dans ces conditions, il n'appartenait pas à la banque BNPP de se substituer à M. Y... pour apprécier l'intérêt ou la pertinence des informations relatives au changement de gestionnaire, dès lors qu'elles avaient, à l'évidence, trait à ses droits et obligations d'actionnaire ; qu'aussi, en s'abstenant de transmettre à M. Y... l'avis informant les actionnaires du changement de gestionnaire et de la possibilité qui lui était offerte d'obtenir le rachat sans frais de ses actions, la banque BNPP a-t-elle commis une faute en le privant du choix qui aurait dû être le sien de se désengager de la Sicav et de renoncer à une nouvelle souscription en novembre 2008, soit avant l'interruption définitive des rachats intervenue le 15 décembre suivant ; qu'ayant ainsi manqué à son devoir d'information à son égard, elle doit en réparer le préjudice qui en est résulté ; que ce préjudice sera réparé par l'allocation de dommages et intérêts non pas d'un montant égal à l'investissement initial de M. Y..., mais évalué compte tenu de la capacité de la Sicav Luxalpha à racheter ses parts, s'il en avait fait la demande, alors que les actifs dont la vente était supposée financer ce rachat participaient en réalité de la fraude de type « Ponzi » mise en place par C... A... ; qu'il convient, par ailleurs, de tenir compte de la menace que représente la procédure dite de « claw back », c'est-à-dire de la procédure engagée par le liquidateur du fonds BLMIS afin de récupérer les capitaux retirés de ce fonds dans les trois mois précédant la découverte de la fraude, période durant laquelle M. Y... aurait pu obtenir le rachat de ses actions ; que si les chances de succès de cette procédure sont, à ce jour, indéterminées et aléatoires, et s'il est établi que les liquidateurs de la Sicav Luxalpha s'y opposeront, il n'en demeure pas moins que le risque en résultant doit être pris en considération ; que la banque BNPP fait valoir que le préjudice de M. Y... est incertain : elle affirme en effet, qu'un fonds d'indemnisation des victimes de la fraude A... a été créé, auprès duquel M. Y... aurait déposé une demande d'indemnisation ; qu'elle ajoute que des fonds d'investissements se sont par ailleurs, constitués qui rachètent les parts Luxalpha pour un montant de 40% ; que même si ces assertions étaient justifiées, il n'en reste pas moins qu'elles ne remettent pas en cause le caractère certain du préjudice mais qu'elles concernent la désignation du débiteur de l'indemnisation ; qu'or, il a été établi dans les paragraphes précédents que la banque BNPP est le débiteur direct de l'indemnisation ; qu'il s'ensuit que la question de l'indemnisation par un tiers relève du cadre d'exercice de l'action récursoire par la banque BNPP qui n'entre pas dans l'objet du présent litige ; que dans ces conditions, et au vu de ces différents éléments, le préjudice subi par M. Y... sera réparé par l'allocation de la somme de 550.000 euros ; que le jugement sera donc réformé sur ce point ;

1) ALORS QUE le prestataire de services d'investissement qui se borne à assurer la réception et la transmission d'ordres pour le compte de tiers n'est pas tenu d'une obligation d'information envers son client quant aux événements affectant la vie de la société émettrice ; qu'au cas d'espèce, étant constant que la société BNP Paribas n'avait assumé, au profit de M. Y..., qu'une mission de réception et de transmission d'ordres, elle n'était en conséquence tenue d'aucune obligation d'information à son égard relativement aux événements affectant la vie de la SICAV Luxalpha ; qu'en décidant au contraire que la banque avait engagé sa responsabilité en n'informant pas M. Y... du changement de gestionnaire intervenu au sein de la SICAV, la cour d'appel a violé les articles 1147 ancien du code civil et L. 533-11 du code monétaire et financier, ensemble les articles L. 321-1 et D. 321-1 du même code ;

2) ALORS, en toute hypothèse, QUE la société BNP Paribas soutenait que M. Y... avait été parfaitement informé du changement du gestionnaire de la SICAV Luxalpha au plus tard le 12 novembre 2008, soit antérieurement à la confirmation de son ordre de souscription le 17 novembre 2008, comme le prouvaient des échanges de courriels intervenus entre la société Agami, qui était le conseiller financier de M. Y..., et la société Access Management, qui était le nouveau gestionnaire de la société SICAV Luxalpha, en sorte que M. Y... ne pouvait se plaindre de n'avoir pas été informé en temps utile du changement de gestionnaire de la SICAV (conclusions d'appel de la société BNP Paribas en date du 11 avril 2016, p. 35) ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ce point, avant de conclure que la société BNP Paribas avait commis une faute en s'abstenant d'informer M. Y... du changement de gestionnaire avant qu'il ne confirme l'ordre d'achat du 6 novembre 2008 exécuté le 17 novembre suivant, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1147 ancien du code civil et L. 533-11 du code monétaire et financier, ensemble les articles L. 321-1 et D. 321-1 du même code.

SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement qui lui était déféré en ce qu'il avait rejeté la demande de M. Y... fondée sur le manquement de la société BNP Paribas à son devoir d'information et, statuant à nouveau, d'AVOIR condamné la société BNP Paribas à payer, à titre de dommages et intérêts la somme de 550.000 € ;

AUX MOTIFS QU'en ce qui concerne l'information relative au changement de gestionnaire, M. Y... rappelle que la Sicav Luxalpha a diffusé le 17 octobre 2008 un avis à ses actionnaires les informant que la gestion de ses actifs était transférée de la société UBS à la société Access Management Luxembourg (Notice to shareholders - pièce appelants n° 39) et que cet avis précisait que les actionnaires disposaient d'un délai d'un mois pour demander le rachat sans frais de leurs titres ; qu'il souligne que le rôle joué jusqu'alors par la société UBS dans la gestion de la Sicav « était évidemment une garantie et un élément déterminant de la confiance des investisseurs » et qu'en conséquence, son retrait au profit d'une autre société « ne pouvait être qu'un signe particulièrement alarmant » ; qu'il soutient que s'il avait eu connaissance de cette information, il aurait demandé le rachat de ses titres, comme, selon lui, l'ont fait beaucoup d'investisseurs, et se serait donc trouvé désengagé de la Sicav avant la découverte de la fraude A... et l'interruption des rachats décidée immédiatement après ; qu'il n'aurait pas non plus souscrit le 6 novembre 2008, pour l'achat de titres supplémentaires Luxalpha ; qu'il considère donc que la banque BNPP, en ne lui transmettant pas cette information, a commis une faute à son égard dont elle doit réparer les conséquences dommageables ; qu'en premier lieu, la banque BNPP qui se borne à observer que M. Y... ne démontre pas qu'il aurait eu connaissance de l'information relative au changement de gestionnaire, ne soutient pas ne pas avoir reçu cette information ; qu'elle n'allègue en outre aucune circonstance qui pourrait rendre vraisemblable qu'elle n'en ait pas été destinataire ; qu'elle fait valoir, en deuxième lieu, qu'un conseil luxembourgeois mandaté par le conseil de M. Y... a écrit le 17 décembre 2008 à la société Access Management Luxembourg pour lui demander des informations sur l'exécution de sa mission et, dans ce courrier, a employé la formule suivante : « en votre qualité de gestionnaire à compter du mois de novembre 2008 » du fonds Luxalpha (pièce appelant n° 5) ; qu'elle en conclut que l'emploi de cette formule démontre que M. Y..., contrairement à ce qu'il prétend, était informé du changement de gestionnaire intervenu en octobre 2008 ; que cet argument ne saurait être retenu dans la mesure où l'emploi de cette formule démontre seulement que l'auteur du courrier avait, le 17 décembre 2008, connaissance du changement de gestionnaire intervenu au mois d'octobre précédent, alors qu'il était trop tard pour que les actionnaires de la Sicav Luxalpha prennent quelque initiative que ce soit ; qu'en troisième lieu, la banque BNPP rappelle que la société Access Management Luxembourg intervenait au sein de la Sicav Luxalpha depuis sa création, en qualité de conseiller pour la gestion, ce dont, selon elle, M. Y... était informé puisque cette information figurait dans le prospectus ; qu'elle en conclut que la circonstance que cette même société soit devenue en octobre 2008 gestionnaire du fonds ne constituait donc pas un « changement déterminant » et qu'au demeurant, M. Y... ne démontre pas « en quoi ce changement a eu un impact sur la ligne de gestion poursuivie » ; mais qu'à supposer que M. Y... ait su que la société Access Management Luxembourg intervenait comme conseiller pour la gestion de la Sicav Luxalpha, on ne saurait considérer pour autant que le fait que cette société soit devenue en octobre 2008 gestionnaire à la place de la société UBS avait si peu d'importance qu'il n'était pas nécessaire de l'en informer ; qu'au contraire, le rôle et les responsabilités d'une société chargée de la gestion d'un fonds sont tels que, quand bien même elle serait conseillée par une société tierce, tout changement par rapport aux informations figurant dans le prospectus destiné aux actionnaires revêt pour ceux-ci une importance primordiale ; qu'on ne saurait, à cet égard, considérer que dans la mesure où la société UBS restait dépositaire des actifs, que la situation de la Sicav Luxalpha ne s'en trouvait pas modifiée, sauf à confondre les rôles respectifs du dépositaire et du gestionnaire ; qu'on ne saurait pas plus, pour cette même raison, exiger de M. Y... qu'il démontre que le changement de gestionnaire a eu un impact sur la gestion du fonds, avant de lui reconnaître le droit à avoir connaissance, comme actionnaire, de ce changement ; que dans ces conditions, il n'appartenait pas à la banque BNPP de se substituer à M. Y... pour apprécier l'intérêt ou la pertinence des informations relatives au changement de gestionnaire, dès lors qu'elles avaient, à l'évidence, trait à ses droits et obligations d'actionnaire ; qu'aussi, en s'abstenant de transmettre à M. Y... l'avis informant les actionnaires du changement de gestionnaire et de la possibilité qui lui était offerte d'obtenir le rachat sans frais de ses actions, la banque BNPP a-t-elle commis une faute en le privant du choix qui aurait dû être le sien de se désengager de la Sicav et de renoncer à une nouvelle souscription en novembre 2008, soit avant l'interruption définitive des rachats intervenue le 15 décembre suivant ; qu'ayant ainsi manqué à son devoir d'information à son égard, elle doit en réparer le préjudice qui en est résulté ; que ce préjudice sera réparé par l'allocation de dommages et intérêts non pas d'un montant égal à l'investissement initial de M. Y..., mais évalué compte tenu de la capacité de la Sicav Luxalpha à racheter ses parts, s'il en avait fait la demande, alors que les actifs dont la vente était supposée financer ce rachat participaient en réalité de la fraude de type « Ponzi » mise en place par C... A... ; qu'il convient, par ailleurs, de tenir compte de la menace que représente la procédure dite de « claw back », c'est-à-dire de la procédure engagée par le liquidateur du fonds BLMIS afin de récupérer les capitaux retirés de ce fonds dans les trois mois précédant la découverte de la fraude, période durant laquelle M. Y... aurait pu obtenir le rachat de ses actions ; que si les chances de succès de cette procédure sont, à ce jour, indéterminées et aléatoires, et s'il est établi que les liquidateurs de la Sicav Luxalpha s'y opposeront, il n'en demeure pas moins que le risque en résultant doit être pris en considération ; que la banque BNPP fait valoir que le préjudice de M. Y... est incertain : elle affirme en effet, qu'un fonds d'indemnisation des victimes de la fraude A... a été créé, auprès duquel M. Y... aurait déposé une demande d'indemnisation ; qu'elle ajoute que des fonds d'investissements se sont par ailleurs, constitués qui rachètent les parts Luxalpha pour un montant de 40% ; que même si ces assertions étaient justifiées, il n'en reste pas moins qu'elles ne remettent pas en cause le caractère certain du préjudice mais qu'elles concernent la désignation du débiteur de l'indemnisation ; qu'or, il a été établi dans les paragraphes précédents que la banque BNPP est le débiteur direct de l'indemnisation ; qu'il s'ensuit que la question de l'indemnisation par un tiers relève du cadre d'exercice de l'action récursoire par la banque BNPP qui n'entre pas dans l'objet du présent litige ; que dans ces conditions, et au vu de ces différents éléments, le préjudice subi par M. Y... sera réparé par l'allocation de la somme de 550.000 euros ; que le jugement sera donc réformé sur ce point ;

ALORS QUE le préjudice résultant d'un manquement à une obligation d'information s'incarne dans une perte de chance pour le créancier de l'information d'avoir pu prendre une décision différente s'il avait été informé ; que ce préjudice doit être réparé à hauteur de la chance perdue, c'est-à-dire à hauteur de la probabilité pour que correctement informée, la victime eût pris une décision différente ; qu'au cas d'espèce, la cour d'appel a considéré qu'en raison du manquement de la société BNP Paribas à son obligation d'information relativement au changement de gestionnaire de la SICAV Luxalpha, M. Y... avait été privé de la possibilité de faire un autre choix, c'est-à-dire renoncer à une nouvelle souscription de parts de la SICAV et se désengager de celle-ci ; qu'aussi, en jugeant que la perte de chance ainsi subie par M. Y... devait être évaluée compte tenu de la capacité de la SICAV Luxalpha à racheter ses parts s'il lui en avait été fait la demande et compte tenu de la menace de récupération des capitaux retirés de ce fonds dans les trois mois précédant la découverte de la fraude, période durant laquelle M. Y... aurait pu obtenir le rachat de ses actions, quand la perte de chance devait être mesurée à proportion de la probabilité pour que, correctement informé, M. Y... eût pris la décision de ne pas investir de nouveau dans la SICAV Luxalpha et de demander le rachat de ses parts, la cour d'appel a violé l'article 1147 ancien du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 16-23556
Date de la décision : 07/03/2018
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 28 juin 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 07 mar. 2018, pourvoi n°16-23556


Composition du Tribunal
Président : Mme Riffault-Silk (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:16.23556
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