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07/03/2018 | FRANCE | N°14-12574;14-12575;14-12577;14-12578;14-12580

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 07 mars 2018, 14-12574 et suivants


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Vu leur connexité, joint les pourvois n° H 14-12.574, G 14-12.575, K 14-12.577, M 14-12.578 et P 14-12.580 ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, que MM. Z..., B..., C..., D... et A... ont travaillé dans l'établissement Usine des Dunes à Lefrincoucke exploité par la société Ascometal (la société) ; qu'indiquant avoir été exposés à l'amiante, ils ont saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice d'anxiété ; que la société a été placée le

7 mars 2014 en redressement judiciaire, M. Y... étant désigné en qualité d'administrat...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Vu leur connexité, joint les pourvois n° H 14-12.574, G 14-12.575, K 14-12.577, M 14-12.578 et P 14-12.580 ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, que MM. Z..., B..., C..., D... et A... ont travaillé dans l'établissement Usine des Dunes à Lefrincoucke exploité par la société Ascometal (la société) ; qu'indiquant avoir été exposés à l'amiante, ils ont saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice d'anxiété ; que la société a été placée le 7 mars 2014 en redressement judiciaire, M. Y... étant désigné en qualité d'administrateur et la société BTSG, en la personne de M. E..., en qualité de mandataire judiciaire ;

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le deuxième moyen :

Vu l'article L. 4121-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, ensemble l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;

Attendu que pour condamner la société à payer à chacun de ses anciens salariés une somme en réparation d'un préjudice d'anxiété, les arrêts retiennent que le fait que l'établissement en cause ne figure pas sur la liste des établissements concernés par le dispositif mis en place par la loi du 23 décembre 1998 relatif à la cessation anticipée d'activité des travailleurs exposés à l'amiante est sans incidence à cet égard, dès lors que l'exposition des salariés de cet établissement au risque d'inhalation de poussières d'amiante, pour n'être pas aussi importante que dans des domaines d'activité tels que notamment la construction et la réparation navale, n'en était pas moins réelle, que la société ne pouvait ni l'ignorer ni ignorer les dangers qui s'y attachaient, et que chacun des salariés a été directement exposé à l'amiante sans que l'employeur ait pris les mesures nécessaires de prévention et de protection ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la réparation du préjudice d'anxiété n'est admise pour les salariés exposés à l'amiante, qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les troisième et quatrième moyens :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils condamnent la société Ascometal à payer à MM. Z..., B..., C..., D... et A... chacun la somme de 7 500 euros en réparation d'un préjudice d'anxiété, les arrêts rendus le 20 décembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;

Condamne MM. Z..., B..., C..., D... et A... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept mars deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits, aux pourvois n° H 14-12.574, G 14-12.575, K 14-12.577, M 14-12.578 et P 14-12.580, par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Ascometal et M. Y..., ès qualités

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché aux arrêts attaqués d'AVOIR rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la Société ASCOMETAL, de l'AVOIR condamnée à verser aux défendeurs aux pourvois la somme de 7.500 € au titre d'un préjudice dit d'anxiété ainsi qu'une somme de 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE la Société Ascometal soutient tout d'abord que les demandes indemnitaires présentement formées par ses anciens salariés sur le fondement du droit commun sont irrecevables et fait valoir sur ce point, en résumé et en substance, que ces demandes se heurtent aux dispositions de l'article L.451-1 du Code de la Sécurité Sociale qui précisent qu'aucune action en réparation des accidents et maladies à caractère professionnel ne peut être exercée conformément au droit commun par la victime ou ses ayants droits, que ces demandes, qui ne peuvent être formées que sur le fondement des dispositions d'ordre public des articles L.461-1 et suivants du même Code, doivent donc être présentées dans un premier temps à la caisse primaire d'assurance maladie appelée à se prononcer sur le caractère professionnel ou non des pathologies invoquées et ensuite soumises au tribunal des affaires de sécurité sociale qui sera ainsi appelé à se prononcer sur la question de savoir si ces pathologies relèvent ou non d'une faute inexcusable de l'employeur et à allouer ensuite à la victime, le cas échéant, des indemnités, notamment au titre du préjudice d'anxiété ; qu'il convient simplement de relever qu'en l'espèce, le salarié n'invoque nullement, à l'appui de ses réclamations, l'existence d'une maladie professionnelle dont il serait atteint en conséquence de son exposition à l'amiante et qu'il ne fait notamment pas état d'une véritable pathologie psychiatrique quelconque consécutive à cette exposition et dont les troubles anxieux qu'il invoque constituerait l'un des éléments constitutifs, mais simplement une souffrance morale consécutive à un manquement imputé à l'employeur à l'obligation de sécurité de résultat dont celui-ci est redevable en exécution de son contrat de travail ; qu'en conséquence, la présente action indemnitaire fondée en définitive sur les dispositions du droit commun de la responsabilité contractuelle et destinée à obtenir la réparation d'un préjudice réparable indépendamment de toute maladie, au sens des articles L.461-1 et suivants du code de sécurité sociale, apparaît parfaitement recevable et relève en outre, au regard des dispositions de l'article L.1411-1 du code du travail, de la compétence de la juridiction prud'homale ; que le jugement déféré doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a considéré que les demandes des anciens salariés étaient recevables ;
(p. 5) que s'agissant du préjudice subi par (les défendeurs au pourvoi), il y a lieu de considérer que certains ne souffrent certes pas actuellement d'une affection pathologique liée à l'amiante, l'anxiété dont ils se plaignent liée à la crainte du développement possible d'une pathologie potentiellement mortelle en raison de l'exposition à l'amiante qu'ils ont subie et susceptible de n'apparaître que dans un grand nombre d'années, et alors qu'il n'est pas contesté qu'un certain nombre des collègues de travail de la Société ASCOMETAL ont été effectivement atteints d'une pathologie liée à l'amiante et que certains d'entre eux sont même décédés, constitue bien un préjudice actuel et effectif indépendamment de tout symptôme ; que, compte tenu de ces éléments et de l'ensemble des éléments d'appréciation communiqués à la cour, il apparaît qu'en fixant à 7.500 € l'indemnité devant être allouée à ce titre, les premiers juges ont opéré une juste appréciation de l'importance de ce préjudice et de l'indemnité destinée à réparer celui-ci ; par ailleurs, que si, ainsi que cela vient d'être indiqué, la crainte, pour le salarié victime de l'inhalation de poussières d'amiante, de la survenance possible d'une des maladies identifiées comme directement liées à cette même cause est source d'une anxiété et que s'il peut découler de cette inquiétude une certaine incapacité de l'intéressé à effectuer des choix et projets personnels pour l'avenir, aucun élément objectif ne permet pour autant de considérer qu'il s'agisse là d'un préjudice distinct du préjudice d'anxiété, dont l'une des composantes est précisément la difficulté d'envisager l'avenir de façon sereine et d'élaborer en conséquence des projets ;

ALORS D'UNE PART, QUE le propre d'une exception d'incompétence est de permettre au défendeur à l'action de contester la recevabilité de la demande formulée par l'autre partie devant la juridiction que celle-ci a choisie, le juge devant trancher le litige selon les règles de droit qui lui sont applicables ; qu'il importe peu, dès lors, que les défendeurs aux pourvois se soient abstenus de faire une déclaration aux organismes de Sécurité Sociale d'une atteinte à leur santé physique ou mentale consécutive à leur activité professionnelle et susceptible d'être prise en charge dans le cadre de l'article L.461-1 du Code de la Sécurité Sociale ; qu'en statuant comme elle l'a fait, en rejetant l'exception soulevée par la société défenderesse, la cour de DOUAI a méconnu son office, violant ainsi les articles 12 et 49 du Code de procédure civile, L.451-1 et L.461-1 du Code de la Sécurité Sociale ainsi que par fausse application l'article L.1411-1 du Code du travail ;

ALORS, D'AUTRE PART, QU'aux termes de l'article L.4121-1 du Code du travail, l'entreprise est désormais tenue des mêmes obligations à l'égard des travailleurs qu'il s'agisse de la protection de la santé physique ou de la santé mentale ; qu'en affirmant cependant que pour les préjudices d'anxiété qui relèvent d'une atteinte directe à la « santé mentale », la responsabilité de l'entreprise devait être recherchée et appréciée, selon un régime de responsabilité obéissant au droit commun appliqué par des juridictions prud'homales, à l'inverse des atteintes à la santé physique qui relèvent de la compétence exclusive des organismes et des juridictions spécialement chargés de la santé au travail, la cour d'appel se fonde sur une distinction injustifiée en violation du texte susvisé ainsi que des articles L.451-1 et L.461-1 du Code de la Sécurité Sociale ;

ALORS, DE TROISIEME PART, QU'ayant relevé que les anciens salariés étaient « anxieux » et que de ce fait ils pouvaient se trouver dans « l'incapacité d'effectuer des choix personnels » pour l'avenir et d'« élaborer des projets », la cour d'appel caractérise, malgré elle, un certain nombre de symptômes des pathologies reconnues et répertoriées tant par la Haute Autorité de la Santé que par l'Organisation Mondiale de la santé de même que par l'article R.351-24-1 du Code de la Sécurité Sociale, ainsi que le faisait valoir la Société ASCOMETAL (p. 3 et 4) de sorte qu'en se bornant à qualifier de simples « souffrances morales » indemnisables à hauteur de 7.500 € le préjudice allégué et en ordonnant sa réparation, selon le droit commun la cour de DOUAI a privé sa décision de base légale au regard tant des articles L.451 et L.461 du Code de la Sécurité Sociale, que des articles 1147 du Code civil et 4121-1 du Code du travail.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché aux arrêts attaqués d'AVOIR condamné la Société ASCOMETAL à verser aux défendeurs aux pourvois une somme de 7.500 € chacun au titre d'un « préjudice d'anxiété » et aussi une somme de 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QU'en vertu du contrat de travail, l'employeur est tenu envers son salarié d'une obligation de sécurité de résultat et qu'il lui incombe notamment, à ce titre, en présence de risques identifiés, de prendre toutes dispositions nécessaires pour en protéger le salarié et qu'un manquement à cette obligation et en particulier à l'obligation de prendre les mesures de prévention nécessaires est de nature, indépendamment de la survenance d'un accident ou d'une maladie, à engager sa responsabilité contractuelle ; qu'en l'espèce il est constant que (les défendeurs au pourvoi) ont travaillé sur le site de l'Usine des Dunes à Dunkerque appartenant à la société Ascometal, site qui était une aciérie spécialisée dans la production d'acier fins et spéciaux ; qu'il n'est également pas contesté que l'amiante était largement utilisé au sein de cet établissement, les très nombreuses attestations de salariés communiquées aux débats indiquent, de façon très précise et circonstanciée (et sans qu'il soit utile d' entrer ici dans le détail des indications fournies par ces témoignages), qu'elle était présente dans pratiquement tous les secteurs d'activité du site (fours, mais aussi aciérie et laminoir, réparation des fours...etc...), en vue en particulier d'assurer l'isolation thermique des installations et machines ou dans les équipements et dispositifs divers destinés à la protection des ouvriers contre la chaleur, les attestations communiquées faisant en outre état de ce que l'atmosphère au sein des locaux du site, tant en raison de la chaleur que du fonctionnement des systèmes de ventilation, se chargeait pratiquement en permanence de poussières d'amiante provenant en particulier des opérations de démontage ou de destruction des joints ou des produits réfractaires ; que s'agissant plus particulièrement du contexte de travail des défendeurs au pourvoi, il est communiqué des attestations de collègues de travail qui confirment qu'ils ont été exposés aux poussières d'amiante dans leurs fonctions d'agent de maîtrise (F. Z...), de démouleur (R. B...), de magasinier (B. A...), de chaudronnier-soudeur (J-P. D...), de mécanicien au service garage (J-M. C...), étant ajouté que ces témoignages précisent tous, par ailleurs, que les salariés n'avaient reçu aucune information relativement aux dangers et aux risques inhérents aux produits et matériaux utilisés et n'avaient été dotés d'aucune protection particulière et notamment d'aucun masque ; que la responsabilité de l'amiante dans la survenance de maladies graves, telles que fibroses et diverses formes de cancers, qui avait été sérieusement évoquée dès la fin du XIXe siècle fut par la suite mise en évidence et démontrée par diverses études épidémiologiques et médicales et par différents rapports, notamment du bureau international du travail, en particulier à partir des années 1970, étant en outre ici rappelé que c'est dès 1945 que les affections respiratoires liées à l'amiante ont figuré au tableau des maladies professionnelles ; que, par ailleurs, et dans le même temps, la législation en matière d'hygiène et de sécurité au travail a pris en compte la dangerosité des poussières inhalées par les salariés dans les locaux industriels et la nécessité de protéger ceux-ci tant par des mesures de prévention individuelle et collective que par des règles de nettoyage et de maintenance, et que s'agissant plus particulièrement de l'amiante, un décret du 17 août 1977 est venu en définitive imposer dans tous les établissements où le personnel est exposé à des poussières d'amiante, des mesures diverses d'analyse régulière d' atmosphère des locaux, de conditionnement des déchets, de vérification technique des appareils de protection collective et individuelle des salariés ou bien encore de prévention et d'information du personnel et de suivi médical de celui-ci ; qu'ainsi, au résultat de ces éléments et de l'ensemble des éléments qui ont été communiqués, il est acquis que la société Ascometal ne pouvait ignorer, durant toute la période où (les défendeurs au pourvoi) ont travaillé sur le site de l'usine des Dunes, ni que ces salariés y étaient effectivement exposés à un risque réel d'inhalation de poussières d'amiante ni les conséquences très graves qui étaient susceptibles d'en résulter pour la santé de ce même salarié ; que le fait que le site dont il s'agit ne figure pas sur la liste des établissements concernés par le dispositif mis en place par la loi du 23 décembre 1998 relatif à la cessation anticipée d'activité des travailleurs exposés à l'amiante est sans incidence à cet égard ; qu'en effet, s'il est certes exact que les activités de sidérurgie, telles que celles qui étaient pratiquées par la société Ascometal sur le site dont il s'agit, ne sont pas visées par ce dispositif législatif particulier qui ne concerne en effet que les activités les plus exposées à l'amiante, il n'en demeure pas moins, au résultat de l'ensemble des éléments ci-dessus synthétisés et analysés, que l'exposition des salariés de ce site au risque d'inhalation de poussières d'amiante, pour n'être pas aussi importante que dans des domaines d'activité tels que notamment la construction et la réparation navale, n'en était pas moins réelle et que la société Ascometal ne pouvait ni l'ignorer ni ignorer les dangers qui s'y attachaient ; qu'il apparaît, au résultat de tout ce qui précède, que la société Ascometal à laquelle il appartenait donc de prendre les mesures de prévention et de protection nécessaires en présence d'un tel risque qu'elle ne pouvait ignorer, ne justifie pas de mesures particulières et adaptées, étant ajouté que les documents communiqués, en particulier les nombreuses attestations produites, ainsi que le fait - attesté par les éléments communiqués au débat, et en particulier par plusieurs décisions de la juridiction de la sécurité sociale - que plusieurs salariés de ce même site ont été atteints de pathologies qui étaient consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante et qui ont été reconnues comme la conséquence d'une faute inexcusable de la société Ascométal, révèlent que les salariés du site concerné n'avaient pas disposé de réels dispositifs de protection individuelle ou collective ni reçu véritablement d'information de la part de leur employeur concernant les risques liés à l'amiante encourus par eux sur ce site ; qu'il apparaît donc, au total, qu'il est bien établi que la société Ascometal a manqué à son obligation de sécurité de résultat et que sa responsabilité à ce titre est engagée ; que s'agissant du préjudice subi, il y a lieu de considérer que (les défendeurs au pourvoi) ne souffrent certes pas actuellement d'une affection pathologique liée à l'amiante, l'anxiété liée à la crainte du développement possible d'une pathologie potentiellement mortelle en raison de l'exposition à l'amiante qu'ils ont subie et susceptible de n'apparaître que dans un grand nombre d'années constitue bien un préjudice actuel, et alors qu'il n'est pas contesté qu'un certain nombre de ses collègues de travail de la Société ASCOMETAL ont été effectivement atteints d'une pathologie liée à l'amiante et que certains d'entre eux sont même décédés, constitue bien un préjudice actuel et effectif indépendamment de tout symptôme ; que, compte tenu de ces éléments et de l'ensemble des éléments d'appréciation communiqués à la cour, il apparaît qu'en fixant à 7.500 € l'indemnité devant être allouée à ce titre, les premiers juges ont opéré une juste appréciation de l'importance de ce préjudice et de l'indemnité destinée à réparer celui-ci ; par ailleurs, que si, ainsi que cela vient d'être indiqué, la crainte, pour le salarié victime de l'inhalation de poussières d'amiante, de la survenance possible d'une des maladies identifiées comme directement liées à cette même cause est source d'une anxiété et que s'il peut découler de cette inquiétude une certaine incapacité de l'intéressé à effectuer des choix et projets personnels pour l'avenir, aucun élément objectif ne permet pour autant de considérer qu'il s'agisse là d'un préjudice distinct du préjudice d'anxiété, dont l'une des composantes est précisément la difficulté d'envisager l'avenir de façon sereine et d'élaborer en conséquence des projets ;

ALORS, D'UNE PART, QUE seuls les salariés qui ont travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, sont fondés à alléguer une anxiété préjudiciable du fait qu'ils sont présumés avoir subi une exposition « significative » au terme de la décision de classement prise par les pouvoirs publics ; que n'étant pas contesté que l'établissement de DUNKERQUE n'entrait pas dans le champ du texte susvisé, la cour de DOUAI a violé par fausse application les articles 1147 du Code civil et L.4121-1 du Code du travail ;

ALORS, D'AUTRE PART ET SUBSIDIAIREMENT, QUE le demandeur à la réparation d'un préjudice d'anxiété qui, à défaut d'appartenir à l'un des établissements définis par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, ne peut se prévaloir de la présomption d'avoir subi une exposition significative, et qui, à défaut d'avoir déclaré une maladie professionnelle prise en charge par la Sécurité Sociale, ne peut davantage se prévaloir de la présomption découlant de l'article L.461-1 du Code de la Sécurité Sociale, doit assumer, en vertu du droit commun, la charge intégrale de la preuve d'un manquement de son employeur à l'obligation de résultat, lequel, comme le soutenait la société exposante (p. 8 et 9) ne saurait résulter que d'une contamination avérée, seule susceptible d'objectiver la cause de l'anxiété alléguée ; qu'en se bornant à relever une absence de mesures de prévention et de protection sur le site des DUNES, la cour d'appel ne caractérise qu'un manquement à une obligation de moyens génératrice d'un simple risque, non indemnisable en lui-même, et non un manquement à l'obligation de résultat sur lequel elle se fonde cependant, privant ainsi sa décision de toute base légale au regard des articles 1147 du Code civil et L.4121-1 du Code du travail ;

ALORS, ENFIN, QU'en se référant à des témoignages imprécis collectés auprès de camarades de travail, la cour d'appel qui ne recherche pas si les faits, non datés, tels qu'ils sont rapportés aux divers postes de travail, sont antérieurs ou postérieurs au décret du 17 août 1977 et si les prétendues expositions au risque d'un agent de maîtrise, d'un magasinier, d'un démouleur, d'un chaudronnier, d'un mécanicien de garage, sont par leur ampleur, leur durée et leur ancienneté de nature à justifier indistinctement un même trouble d'anxiété chez chacun des défendeurs au pourvoi, prive sa décision de base légale au regard tant du décret susvisé que des articles L.4121-1 du Code du travail et 1147 du Code civil ;

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

Le pourvoi reproche aux arrêts attaqués d'AVOIR condamné la Société ASCOMETAL à verser aux défendeurs aux pourvois une somme de 7.500 € en réparation d'un préjudice d'anxiété ainsi qu'une somme de 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE les salariés concernés sont entrés au service de la Société ASCOMETAL, respectivement en 1969 (Monsieur Z...), en 1974 (Monsieur B...), en 1979 (Monsieur A...), en 1973 (Monsieur D...), en 1967 (Monsieur C...)
« que s'il est certes exact que les activités de sidérurgie, telles que celles qui étaient pratiquées par la Société Ascometal sur le site dont il s'agit, ne sont pas visées par ce dispositif législatif particulier qui ne concerne en effet que les activités les plus exposées à l'amiante, il n'en demeure pas moins, au résultat de l'ensemble des éléments ci-dessus synthétisés et analysés, que l'exposition des salariés de ce site au risque d'inhalation de poussières d'amiante, pour n'être pas aussi importante que dans des domaines d'activité tels que notamment la construction et la réparation navale, n'en était pas moins réelle et que la Société Ascometal ne pouvait ni l'ignorer ni ignorer les dangers qui s'y attachaient
; qu'il apparaît donc, au total, qu'il est bien établi que la société Ascometal a manqué à son obligation de sécurité de résultat et que sa responsabilité à ce titre à l'égard de Jean-Marie C... est engagée ; que s'agissant du préjudice subi, il y a lieu de considérer que certains ne souffrent certes pas actuellement d'une affection pathologique liée à l'amiante, l'anxiété dont il se plaignent liée à la crainte du développement possible d'une pathologie potentiellement mortelle en raison de l'exposition à l'amiante qu'ils ont subie et susceptible de n'apparaître que dans un grand nombre d'années, et alors qu'il n'est pas contesté qu'un certain nombre de ses collègues de travail de la Société ASCOMETAL ont été effectivement atteints d'une pathologie liée à l'amiante et que certains d'entre eux sont même décédés, constitue bien un préjudice actuel et effectif indépendamment de tout symptôme ; que, compte tenu de ces éléments et de l'ensemble des éléments d'appréciation communiqués à la cour, il apparaît qu'en fixant à 7.500 € l'indemnité devant être allouée à ce titre, les premiers juges ont opéré une juste appréciation de l'importance de ce préjudice et de l'indemnité destinée à réparer celui-ci ; par ailleurs, que si, ainsi que cela vient d'être indiqué, la crainte, pour le salarié victime de l'inhalation de poussières d'amiante, de la survenance possible d'une des maladies identifiées comme directement liées à cette même cause est source d'une anxiété et que s'il peut découler de cette inquiétude une certaine incapacité de l'intéressé à effectuer des choix et projets personnels pour l'avenir, aucun élément objectif ne permet pour autant de considérer qu'il s'agisse là d'un préjudice distinct du préjudice d'anxiété, dont l'une des composantes est précisément la difficulté d'envisager l'avenir de façon sereine et d'élaborer en conséquence des projets ; que, dans ces conditions et en l'absence de preuve d'un trouble particulier et spécialement démontré dans les conditions d'existence distinct du préjudice d'anxiété, Jean-Marie C... doit être débouté de sa demande tendant à obtenir à ce titre une indemnisation complémentaire ;

ALORS QUE c'est seulement la loi 2002-73 du 17 janvier 2002 qui a imposé à l'employeur de prendre les mesures nécessaires à la protection de « la santé mentale » des salariés ; qu'en se fondant sur cette nouvelle obligation pour rendre la société exposante responsable d'un « préjudice d'anxiété » envers des personnes, qui n'invoquent, par ailleurs, ni une atteinte à leur santé physique, ni une appartenance au régime ACAATA, la cour d'appel qui vise exclusivement des faits d'exposition antérieurs à la loi susvisée et à l'interdiction de tout usage de l'amiante, a fait une application rétroactive de l'article L.4121-1 du Code du travail dans son état actuel en violation tant de celui-ci que des articles 2 du Code civil et 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ;

ALORS, D'AUTRE PART, QU'en vertu des articles 1147 et 1150 du Code civil nul ne peut être déclaré responsable de dommages qui ne pouvaient être tenus pour prévisibles au moment de l'exécution du contrat ; qu'en décidant cependant que la Société ASCOMETAL devrait répondre, pour des travaux terminés de longue date, d'une atteinte à la « santé mentale » des intéressés dont la préservation n'a été imposée que par la loi postérieure du 17 janvier 2002, la cour d'appel a aussi violé les textes susvisés ainsi que les articles 2 du Code civil et 6 de la CESDH.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :

Les pourvois reprochent aux arrêts attaqués d'AVOIR condamné la Société ASCOMETAL à verser aux défendeurs aux pourvois une somme de 7.500 € chacun en réparation d'un préjudice d'anxiété ainsi qu'une somme de 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE les salariés concernés sont entrés au service de la Société ASCOMETAL, respectivement en 1969 (Monsieur Z...), en 1974 (Monsieur B...), en 1979 (Monsieur A...), en 1973 (Monsieur D...), en 1967 (Monsieur C...)
« que s'il est certes exact que les activités de sidérurgie, telles que celles qui étaient pratiquées par la Société Ascometal sur le site dont il s'agit, ne sont pas visées par ce dispositif législatif particulier qui ne concerne en effet que les activités les plus exposées à l'amiante, il n'en demeure pas moins, au résultat de l'ensemble des éléments ci-dessus synthétisés et analysés, que l'exposition des salariés de ce site au risque d'inhalation de poussières d'amiante, pour n'être pas aussi importante que dans des domaines d'activité tels que notamment la construction et la réparation navale, n'en était pas moins réelle et que la Société Ascometal ne pouvait ni l'ignorer ni ignorer les dangers qui s'y attachaient
; qu'il apparaît donc, au total, qu'il est bien établi que la société Ascometal a manqué à son obligation de sécurité de résultat et que sa responsabilité à ce titre est engagée ; que s'agissant du préjudice subi, il y a lieu de considérer que si ceux-ci ne souffrent certes pas actuellement d'une affection pathologique liée à l'amiante, l'anxiété dont il se plaignent liée à la crainte du développement possible d'une pathologie potentiellement mortelle en raison de l'exposition à l'amiante qu'ils ont subie et susceptible de n'apparaître que dans un grand nombre d'années, et alors qu'il n'est pas contesté qu'un certain nombre de collègues de travail de la Société ASCOMETAL ont été effectivement atteints d'une pathologie liée à l'amiante et que certains d'entre eux sont même décédés, constitue bien un préjudice actuel et effectif indépendamment de tout symptôme ; que, compte tenu de ces éléments et de l'ensemble des éléments d'appréciation communiqués à la cour, il apparaît qu'en fixant à 7.500 € l'indemnité devant être allouée à ce titre, les premiers juges ont opéré une juste appréciation de l'importance de ce préjudice et de l'indemnité destinée à réparer celui-ci ; par ailleurs, que si, ainsi que cela vient d'être indiqué, la crainte, pour le salarié victime de l'inhalation de poussières d'amiante, de la survenance possible d'une des maladies identifiées comme directement liées à cette même cause est source d'une anxiété et que s'il peut découler de cette inquiétude une certaine incapacité de l'intéressé à effectuer des choix et projets personnels pour l'avenir, aucun élément objectif ne permet pour autant de considérer qu'il s'agisse là d'un préjudice distinct du préjudice d'anxiété, dont l'une des composantes est précisément la difficulté d'envisager l'avenir de façon sereine et d'élaborer en conséquence des projets ;

ALORS, D'UNE PART QU'en « l'absence de tout symptôme » (p. 5, al.4) l'anxiété que la cour de DOUAI déduit seulement des pathologies affectant d'autres collègues de travail reste purement hypothétique et ne justifie pas la réparation ordonnée ; qu'en statuant de la sorte, la cour de DOUAI a violé ensemble les articles L.4121-1 du Code du travail et 1147 du Code civil ;

ALORS, D'AUTRE PART, QU'en allouant une réparation forfaitaire de 7.500 € aux salariés invoquant un préjudice d'anxiété sans préciser ni l'ancienneté ni l'ampleur ni la durée de l'exposition alléguée, ni même l'importance du trouble par rapport aux capacités psychologiques de l'intéressé ou à sa situation de famille, la cour de DOUAI a méconnu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour quiconque et ainsi violé l'article 1147 du Code civil.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 14-12574;14-12575;14-12577;14-12578;14-12580
Date de la décision : 07/03/2018
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Douai, 20 décembre 2013


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 07 mar. 2018, pourvoi n°14-12574;14-12575;14-12577;14-12578;14-12580


Composition du Tribunal
Président : Mme Farthouat-Danon (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:14.12574
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