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08/02/2018 | FRANCE | N°16-26198

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 08 février 2018, 16-26198


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'agressé dans un wagon de métro, Nicolas B... a poursuivi son agresseur sur le quai, que celui-ci l'a repoussé, provoquant sa chute mortelle sur les voies alors que la rame de métro redémarrait ; que l'agresseur a été condamné par une cour d'assises pour vol avec violences ayant entraîné la mort ; que le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) ayant indemnisé de leur préjudice M. et Mme B..., parents de la victime, a

assigné la Régie autonome des transports parisiens (la RATP) en remb...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'agressé dans un wagon de métro, Nicolas B... a poursuivi son agresseur sur le quai, que celui-ci l'a repoussé, provoquant sa chute mortelle sur les voies alors que la rame de métro redémarrait ; que l'agresseur a été condamné par une cour d'assises pour vol avec violences ayant entraîné la mort ; que le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) ayant indemnisé de leur préjudice M. et Mme B..., parents de la victime, a assigné la Régie autonome des transports parisiens (la RATP) en remboursement des sommes versées ;

Sur le moyen unique pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que pour déclarer la RATP responsable de l'accident ayant entraîné le décès de Nicolas B... sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil, l'arrêt retient d'abord que si le métropolitain n'avait pas été à l'origine de la chute, il avait été pour partie l'instrument du dommage et que la RATP ne démontrait pas que le heurt et la chute d'un usager contre un wagon, constituaient un événement imprévisible ;

Qu'en se déterminant ainsi par cette seule affirmation d'ordre général sur le caractère imprévisible de l'événement dans lequel Nicolas B... avait trouvé la mort sans s'expliquer, comme elle y était invitée, sur les circonstances particulières dans lesquelles il était survenu, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;

Sur le moyen unique pris en sa quatrième branche :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que pour statuer comme il l'a fait, l'arrêt retient encore que le comportement d'un tiers qui pousse un usager contre une rame alors que celle-ci redémarre n'est nullement irrésistible pour la RATP, qui dispose de moyens modernes adaptés permettant de prévenir ce type d'accident, de sorte que le fait du tiers ne présentait pas les caractéristiques de la force majeure exonératoire de la responsabilité pesant sur elle ;

Qu'en se déterminant ainsi, par cette seule affirmation d'ordre général, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 septembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la Régie autonome des transports parisiens.

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré la RATP responsable de l'accident survenu le 3 février 2008 ayant entraîné le décès de M. B... et de l'avoir condamnée à verser au FGTI les sommes de 70 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Aux motifs que « Sur la responsabilité de la RATP

Le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'autres Infractions soutient que la RATP, en sa qualité de gardienne des wagons du métro, est responsable du décès de Monsieur B... sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er du Code civil.

Il rappelle que la jurisprudence considère qu'une agression dans un train ne présente pas de caractère d'imprévisibilité et que la chute d'un voyageur sur les voies n'est pas un événement imprévisible ni irrésistible pour la RATP, s'y trouve confrontée quasi-quotidiennement ; que le comportement de Monsieur Mourad C... n'était également nullement irrésistible pour la RATP, laquelle n'a pas pris les mesures nécessaires pour éviter cet accident, puisque le conducteur de la rame ne s'est pas inquiété alors que Monsieur Nicolas B... avait forcé la fermeture des portes, qu'aucun personnel de la RATP ou agent de sécurité n'était présent dans la rame ou sur le quai et qu'enfin aucun dispositif préventif n'a pu empêcher la chute de Monsieur B... sur les voies.

La RATP réplique qu'elle met en oeuvre tous les moyens nécessaires pour assurer la sécurité des voyageurs ; que la mise en place de portes palières, telle qu'effectuée sur les lignes 14 et 1 du métropolitain implique des transformations profondes des stations, qui représentent des coûts extrêmement lourds ne pouvant aujourd'hui être supportés par le seul exploitant et qu'au demeurant aucune disposition légale n'impose l'apposition de ces portes palières.

Elle ajoute que la chute de Monsieur Nicolas B... était parfaitement irrésistible pour la RATP compte tenu de son caractère soudain et de ses conséquences inévitables.

Elle conclut que l'acte de Monsieur Mourad C... est seul à l'origine de l'accident mortel dont a été victime Monsieur Nicolas B... et constitue le fait d'un tiers qui par sa soudaineté et son irrésistibilité a présenté les caractères de la force majeure, de nature à exonérer la RATP de la présomption de responsabilité qui pèse sur elle.

Il ressort de l'ordonnance de mise en accusation que le 3 février 2008 à 7 h 10, Monsieur Nicolas B... qui voyageait dans un wagon du métropolitain circulant sur la ligne 6, a été agressé par Monsieur Mourad C..., qui lui a porté deux violents coups de poing et un coup de pied au visage avant de lui dérober son baladeur numérique de marque Apple, et a poursuivi son agresseur descendu à la station "Pasteur", en sortant difficilement de la rame car le processus de fermeture automatique des portes était enclenché ; que sur le quai Monsieur C... a repoussé Monsieur B... et l'a déséquilibré, puis a lâché la victime, augmentant ainsi l'instabilité de cette dernière ce qui a entraîné sa chute, la tête en avant sur les voies au moment où le train redémarrait. Des voyageurs ont averti le chauffeur de la rame de l'accident lorsque le métro s'est immobilisé à la station suivante. Monsieur B... est décédé d'un polytraumatisme majeur avec amputation des membres inférieurs et éclatement de la boîte crânienne. Entendu, le conducteur de la rame a indiqué qu'il ne s'était aperçu de rien.

Il n'est pas contestable que Monsieur Nicolas B... s'est trouvé en contact avec le métro en mouvement et a été écrasé par ce dernier, et que si le métropolitain n'a pas été à l'origine de la chute, il a été pour partie l'instrument du dommage. La RATP, qui ne démontre pas que le heurt et la chute d'un usager contre un wagon, constituent un événement imprévisible, doit être déclarée responsable des conséquences dommageables de l'accident sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1, du Code civil.

Par ailleurs, le comportement d'un tiers qui pousse un usager contre une rame alors que celle-ci redémarre, n'est nullement irrésistible pour la RATP, qui dispose de moyens modernes adaptés permettant de prévenir ce type d'accident, de sorte que le fait du tiers ne présentait pas les caractéristiques de la force majeure exonératoire de la responsabilité pesant sur la RATP.

Sur la demande en paiement du Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'autres infractions

L'article 706-11 du Code de procédure pénale édicte au profit du Fonds une subrogation dans les droits de la victime à l'encontre, non seulement des personnes responsables du dommage causé par l'infraction, mais également de celles tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle.

En conséquence, la RATP qui est tenue d'indemniser totalement les victimes des conséquences dommageables de l'accident, devra rembourser au Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'autres Infractions la somme de 70 000 euros qu'il a versée à Monsieur et Madame B... en réparation de leurs préjudices » ;

1°), Alors que la RATP faisait valoir en appel qu'elle ne pouvait être raisonnablement tenue de prévoir les comportements délictueux imprévisibles d'individus mal intentionnés ; qu'elle ajoutait, en se fondant sur les différents témoignages recueillis lors de l'enquête et sur la vidéo enregistrée par les caméras situées sur le quai que deux secondes à peine s'étaient écoulées entre le moment où M. B... était descendu précipitamment de la rame pendant la fermeture automatique des portes et celui où il avait chuté du quai à l'instant même où le train redémarrait et qu'au demeurant aucun passager n'avait tiré le frein d'urgence, ce qui démontrait que les événements à l'origine de la chute de M. B... avaient été totalement soudains et donc imprévisibles ; que la Cour d'appel, qui a laissé sans réponse ces conclusions déterminantes, a méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;

2°), Alors, qu' en se bornant à retenir de manière purement générale et abstraite que « la RATP (...) ne démontre pas que le heurt et la chute d'un usager contre un wagon constituent un événement imprévisible » et que « le comportement d'un tiers qui pousse un usager contre une rame alors que celle-ci redémarre, n'est nullement irrésistible pour la RATP, qui dispose de moyens modernes adaptés permettant de prévenir ce type d'accident », sans rechercher, comme cela le lui était demandé par la RATP, si celle-ci pouvait être raisonnablement tenue de prévoir les comportements délictueux imprévisibles d'individus mal intentionnés et, concrètement, si les événements à l'origine de la chute de M. B..., qui avaient duré à peine deux secondes, n'avaient été totalement soudains ce qui les rendaient imprévisibles, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

3°), Alors, que la RATP observait en appel que les consignes de sécurité avaient été parfaitement respectées par le conducteur de la rame ; qu'elle relevait qu'eu égard à la soudaineté, à la violence et au caractère irrationnel de l'agression, celle-ci ne pouvait être ni prévenue ni stoppée par quelque mesure que ce soit ; et qu'elle faisait encore valoir qu'il ne pouvait lui être valablement reproché de n'avoir pas d'ores et déjà installé des barrières de protection autour des voies sur l'ensemble de son réseau, eu égard tant à l'immense difficulté d'une telle installation et à son coût excessivement lourd, qu'au fait qu'une telle mise en place dépend de la décision non pas de ses seuls organes de direction mais du STIF; que la Cour d'appel, qui a délaissé ces conclusions pourtant déterminantes, a derechef méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;

4°) Et alors, et enfin, qu' en se bornant à retenir que « le comportement d'un tiers qui pousse un usager contre une rame alors que celle-ci redémarre, n'est nullement irrésistible pour la RATP, qui dispose de moyens modernes adaptés permettant de prévenir ce type d'accident », sans rechercher, comme cela le lui était demandé par la RATP, si les consignes de sécurité n'avaient été parfaitement respectées par le conducteur de la rame, si eu égard à la soudaineté, à la violence et au caractère irrationnel de l'agression, celle-ci pouvait être prévenue ou stoppée par quelque mesure que ce soit et s'il pouvait raisonnablement être reproché à la RATP de n'avoir pas d'ores et déjà installé des barrières de protection autour des voies sur l'ensemble de son réseau, la Cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 16-26198
Date de la décision : 08/02/2018
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Exonération - Cas - Force majeure - Critères - Imprévisibilité de l'événement - Caractérisation - Défaut - Cour d'appel ayant statué par un motif d'ordre général - Portée

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Exonération - Cas - Force majeure - Critères - Irrésistibilité de l'événement - Caractérisation - Défaut - Cour d'appel ayant statué par un motif d'ordre général - Portée CASSATION - Moyen - Motif de la décision attaquée - Défaut de motifs - Motifs d'ordre général - Responsabilité civile - Exonération - Force majeure - Fait d'un tiers - Caractère imprévisible et irrésistible

Viole les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile en statuant par un motif d'ordre général, la cour d'appel qui se borne à énoncer qu'il n'est pas démontré que le heurt et la chute d'un usager contre un wagon, constituaient un événement imprévisible sans s'expliquer sur les circonstances particulières dans lesquelles celui-ci était intervenu. Une cour d'appel ne peut écarter la force majeure exonératoire par la seule affirmation d'ordre général selon laquelle le comportement d'un tiers qui pousse un usager contre une rame alors que celle-ci redémarre n'est nullement irrésistible pour la Régie autonome des transports parisiens (RATP), qui dispose de moyens modernes adaptés permettant de prévenir ce type d'accident


Références :

article 455 du code de procédure civile

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 19 septembre 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 08 fév. 2018, pourvoi n°16-26198, Bull. civ.Bull. 2018, II, n° 28
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles Bull. 2018, II, n° 28

Composition du Tribunal
Président : Mme Flise
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:16.26198
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