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07/02/2018 | FRANCE | N°16-22767

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 07 février 2018, 16-22767


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix en Provence, 23 juin 2016), statuant sur renvoi après cassation (Soc.,16 juin 2015, n°13-27.974), que Mme Y... a été engagée le 26 octobre 2007 par la société Indigo en qualité de vendeuse dans le cadre de contrats à durée déterminée qui se sont poursuivis, à compter du 1er septembre 2009, sous la forme d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale le 20 août 2010 en résiliati

on judiciaire de son contrat aux torts de l'employeur et en paiement de diverses s...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix en Provence, 23 juin 2016), statuant sur renvoi après cassation (Soc.,16 juin 2015, n°13-27.974), que Mme Y... a été engagée le 26 octobre 2007 par la société Indigo en qualité de vendeuse dans le cadre de contrats à durée déterminée qui se sont poursuivis, à compter du 1er septembre 2009, sous la forme d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale le 20 août 2010 en résiliation judiciaire de son contrat aux torts de l'employeur et en paiement de diverses sommes ; que le 10 novembre 2010, en cours d'instance prud'homale, elle a pris acte de la rupture de son contrat en invoquant le harcèlement moral dont elle était victime ;

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de dire fondée la prise d'acte de la rupture par la salariée et de la condamner au paiement de diverses sommes alors, selon le moyen :

1°/qu'il appartient au salarié d'établir la matérialité de faits précis et concordants constituant, selon lui, un harcèlement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que les attestations produites aux débats par la société Indigo ne démontrent pas que les faits rapportés par les témoignages produits aux débats par Mme Y... « seraient matériellement inexacts voire mensongers » ; qu'en statuant ainsi, quand il appartenait à Mme Y... de démontrer la matérialité des faits qu'elle invoquait au titre du harcèlement moral, la cour d'appel a violé l'article L. 1154-1 du code du travail ;

2°/ que la société Indigo soutenait dans ses conclusions que les SMS, régulièrement produits aux débats, échangés entre Mme Y... et son employeur établissaient qu'ils entretenaient de courtoises relations de travail, exclusives de tout comportement injurieux, autoritaires ou irrespectueux ; que pour retenir que l'employeur ne démontrait pas l'existence de faits objectifs étrangers à tout harcèlement moral, la cour d'appel s'est exclusivement fondée sur les attestations produites aux débats par la société Indigo ; qu'en statuant ainsi, sans examiner, fût-ce sommairement, les copies des SMS régulièrement versées aux débats, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi et de défaut de motivation, le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de preuve et de fait dont elle a, sans méconnaître les règles spécifiques de preuve et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, déduit tant l'existence de faits précis permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral que l'absence de justification par l'employeur d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Indigo aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la SCP Lesourd ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept février deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société Indigo

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que la prise d'acte de la rupture par Mme Amanda Y... était fondée, et d'avoir en conséquence condamné la société Indigo à lui payer les sommes de 8 058 € à titre de dommages et intérêts pour la rupture du contrat de travail, 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral et médical consécutif au harcèlement moral, 816,24 € au titre de l'indemnité de licenciement, et 2 686 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

AUX MOTIFS QUE : « pour faire juger qu'elle avait été victime de harcèlement moral et voir en conséquence la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail être imputée à l'employeur, Madame Y... fait valoir que le gérant, Monsieur A..., tyrannisait ses employées, généralement des jeunes filles qui n'osaient pas se défendre, que tel avait été son cas puisque dès le premier contrat de professionnalisation, elle avait dû supporter le despotisme de l'employeur et avait subi des injures et des pressions ; qu'elle produit aux débats : -la main courante déposée par elle, le 10 octobre 2008 au commissariat de police de Toulon par laquelle elle a déclaré subir des pressions et injures de Monsieur A... dans les termes suivants: « il me traite de conne, d'abrutie, il me fait courir dans tous les sens(...) Je vais travailler avec angoisse, j'ai peur de le croiser, il me harcèle, il fait des sous-entendus malsains ainsi qu'à mes collègues de travail, je suis en arrêt pour état dépressif », -une attestation, régulière en la forme, de Monsieur Marc B..., qui se présente comme son concubin et qui rapporte que : « j'ai été témoin lors de mon passage au magasin Indigo avant de connaître personnellement Amanda Y... des propos suivants de la part de son patron « monte chercher le jean sur l'escabeau »; réponse d'Amanda « mais je suis en robe » réponse du patron « et bien comme ça on verra ta culotte », -une attestation, régulière en la forme, de Monsieur Julien C..., qui se présente comme un collaborateur du magasin (frère de la co-gérante), et qui rapporte avoir vu Monsieur A... s'énerver et jeter des ciseaux dans la direction de Mademoiselle Y... qui n'arrivait pas à ouvrir un carton ; que ce témoin ajoute que Monsieur A..., au motif que les cintres contenus dans le carton étaient mal triés, les avait renversés sciemment aux pieds de Mademoiselle Y... en lui disant « droit dans les yeux, tu ne crois pas que c'est moi qui vais les ramasser quand même... » que la salariée s'était alors mise à pleurer, qu'il la harcelait de reproches concernant son travail et que le témoin avait dû intervenir pour calmer les esprits en demandant à la salariée d'aller prendre sa pause, -une attestation, régulière en la forme, de Madame Laetitia D... qui rapporte avoir personnellement entendu Monsieur A... dire à Madame Y... alors que celle-ci était en alternance dans la boutique Indigo « faut pas être conne », -une attestation, régulière en la forme, de Madame Vanessa E... qui rapporte avoir été témoin de propos injurieux et de harcèlement à l'égard de Madame Y... de la part de Monsieur A... qui disait « qu'elle dansait nue sur le podium du Prosper et que les clients l'avaient vue faire des choses sexuelles dans une voiture (...) « Amanda suce Julien derrière le comptoir , il nique derrière les portants, maintenant je vais fermer Poèmes entre midi et deux comme ça elle pourra sucer Julien tranquillement » tout ça en mimant les gestes » ; que ce témoin ajoute qu'il n'arrêtait pas de dire à Amanda qu'elle était maigre et se moquait de son physique, qu'un jour, il lui avait envoyé une pile de jean's depuis l'escabeau, qu'il traitait les vendeuses de « conne et d'incapable », que Madame Y... lui avait dit en pleurs qu'elle n'en pouvait plus et que son médecin avait dû l'arrêter pour syndrome dépressif pendant une semaine, qu'elle devait travailler ses jours de repos, -l'attestation, régulière en la forme, de Madame Melinda F..., salariée de l'entreprise, qui rapporte avoir constaté que Madame Y... était « déboussolée » lors d'une conversation téléphonique avec Monsieur A..., qu'il lui avait interdit de regarder les vêtements dans le magasin en lui disant de faire attention à elle car il « la voyait à travers la caméra », qu' elle était comme épiée, qu'il lui avait demandé de venir alors qu'elle était en dehors de ses heures de travail, que le témoin l'avait même vue pleurer, que parfois, sans raison, il s'énervait contre Madame Y..., qu'il trouvait un prétexte pour l'appeler et il lui « raccrochait au nez », qu'il traitait Madame Y... « comme une moins que rien puis le lendemain la mettait sur un pied d'estale »,qu'il « prenait un malin plaisir » à donner des consignes puis à les changer, -les arrêts de travail du mois d'août 2010 et d'octobre 2010 mentionnant un état dépressif réactionnel , un syndrome dépressif avec des pleurs incessants ; que ces éléments, qui font état de comportements injurieux, autoritaires et irrespectueux de la part du supérieur hiérarchique à l'égard de la personne de la salariée laquelle avait en outre subi une dégradation de son état de santé, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral ; qu'il s'en suit que l'employeur doit rapporter la preuve que de tels agissements n'étaient pas constitutifs de harcèlement et qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que la société intimée fait valoir que la salariée n'avait produit aucun élément confirmant qu'elle aurait alerté plusieurs fois sur le harcèlement, qu'elle n'y avait fait aucune référence lors de la saisine du conseil de prud'hommes, que lorsqu'il lui avait été demandé de justifier de son absence du 24 août 2010, la salariée n'avait pas invoqué l'existence de ce harcèlement prétendument à l'origine de son absence, que si l'employeur l'avait harcelée dès le début comme soutenu, la salariée n'aurait pas signé un contrat de travail à durée déterminée saisonnier puis un contrat de travail à durée indéterminée, que les attestations produites par la salariée étaient subjectives et partiales ; que la société intimée produit aux débats les attestations régulières en la forme de clientes (Mesdames G..., H..., I... et J...) qui rapportent la gentillesse de Monsieur A..., que Madame Y... semblait ravie de travailler dans la boutique, qu'elle était aidée par la co-gérante, qu'aucune agressivité ou virulence n'avait été constatée à l'égard du personnel ; qu'elle produit encore des attestations, régulières en la forme, d'autres salariés (Messieurs K... et L..., Mesdames M... et N...) qui rapportent n'avoir jamais subi le comportement de Monsieur A..., que celui-ci n'avait jamais eu un comportement agressif ou déplacé à l'égard de Madame Y... laquelle est présentée par l'un des témoins (Monsieur L...) comme « extrêmement sensible qui n'acceptait pas la critique » et ayant même bénéficié de « beaucoup de traitements de faveurs comparés aux autres employés » ; que toutefois, si les attestations produites par la société intimée démontrent que leurs auteurs n'avaient subi ou constaté aucun fait de harcèlement, pour autant elles ne démontrent pas que les faits rapportés par les témoignages concordants produits par Madame Y..., particulièrement ceux de Monsieur C..., Madame D..., Madame E... et Madame F... mettant en cause directement Monsieur A..., seraient matériellement inexacts voire mensongers ; que les faits rapportés par ces témoins sont d'ailleurs corroborés par la main courante déposée au commissariat de police et par les arrêts de travail concomitants aux faits dénoncés ; que les éléments médicaux établissent l'existence d'un syndrome dépressif et de pleurs incessants chez la salariée lesquels symptômes sont manifestement incompatibles avec le prétendu épanouissement professionnel allégué par les témoignages produits par la société intimée ; qu'il s'en suit que l'employeur qui ne justifie pas d'une cause légitime du comportement de Monsieur A... doit se voir imputer des faits de harcèlement moral ; que la gravité de ces faits justifie pleinement la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par la salariée ; que cette prise d'acte prend les effets d'un licenciement non pas sans cause réelle et sérieuse mais nul et, d'ailleurs, la salariée invoque le seuil minimum de six mois de salaire au titre des dommages-intérêts ; que la salariée avait trois ans d'ancienneté dans une entreprise de moins de 10 salariés ; que le salaire mensuel brut était de 1343 euros ; qu'elle est née [...] ; qu'elle ne produit aucun autre élément sur sa situation professionnelle et matérielle après la rupture ; qu'il y a lieu de lui allouer la somme de 8058 euros au titre des dommages-intérêts ; que la salariée est également fondée à obtenir l'indemnisation de son préjudice distinct, savoir son préjudice moral et celui lié à la dégradation de son état de santé par suite du harcèlement subi pendant l'exécution du contrat de travail ; que la cour lui allouera la somme de 3000 euros à titre de dommages-intérêts ; qu'à ces sommes s'ajoutent celles de 816,24 euros au titre de l'indemnité de licenciement et de 2686 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, étant précisé qu'aucune indemnité compensatrice de congés payés y afférents n'est sollicitée » ;

ALORS 1/ QU'il appartient au salarié d'établir la matérialité de faits précis et concordants constituant, selon lui, un harcèlement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que les attestations produites aux débats par la société Indigo ne démontrent pas que les faits rapportés par les témoignages produits aux débats par Mme Y... « seraient matériellement inexacts voire mensongers » (arrêt, p. 5, alinéa 2) ; qu'en statuant ainsi, quand il appartenait à Mme Y... de démontrer la matérialité des faits qu'elle invoquait au titre du harcèlement moral, la cour d'appel a violé l'article L. 1154-1 du code du travail ;

ALORS ET SUBSIDIAIREMENT 2/ QUE la société Indigo soutenait dans ses conclusions que les SMS, régulièrement produits aux débats, échangés entre Mme Y... et son employeur établissaient qu'ils entretenaient de courtoises relations de travail, exclusives de tout comportement injurieux, autoritaires ou irrespectueux (pièces n° 6 et 7) ; que pour retenir que l'employeur ne démontrait pas l'existence de faits objectifs étrangers à tout harcèlement moral, la cour d'appel s'est exclusivement fondée sur les attestations produites aux débats par la société Indigo (arrêt, p. 5) ; qu'en statuant ainsi, sans examiner, fût-ce sommairement, les copies des SMS régulièrement versées aux débats, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 16-22767
Date de la décision : 07/02/2018
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 23 juin 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 07 fév. 2018, pourvoi n°16-22767


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Lesourd, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:16.22767
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