LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Parke Davis a confié l'organisation d'un transport de marchandises, de la France vers la Grande-Bretagne, à la société Danzas, devenue la société DHL Freight France (la société DHL Freight), qui a choisi la société de droit belge NV European Containers Services (la société ECS) pour le réaliser ; que cette dernière s'est substitué la société Don Valley Supplies ; que la marchandise, entreposée dans la cour de cette société, a été volée en Grande-Bretagne dans la nuit du 9 au 10 septembre 2000 ; que la société Parke Davis a demandé, à titre de réparation, le paiement d'une certaine somme à la société DHL Freight, laquelle a adressé une note de débit du même montant à la société ECS ; que le 7 mai 2002, étant débitrice envers la société ECS de frais de transports, la société DHL Freight lui en a réglé le montant, sous déduction de la somme qu'elle avait demandée au titre du vol des marchandises ; qu'après avoir contesté cette compensation par lettre du 27 juin 2002, la société ECS a assigné devant les juridictions belges, le 5 août 2003, la société DHL Freight en paiement du solde de ses factures de transport ; que le 21 janvier 2010, la Cour de cassation de Belgique a rejeté le pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Gand qui avait déclaré les juridictions belges incompétentes ; que les 4 août, 17 novembre 2010 et 2 janvier 2012, la société ECS a assigné la société DHL Freight en paiement devant une juridiction française ; que la société DHL Freight a opposé la prescription et demandé, à titre reconventionnel et subsidiaire, le paiement d'une certaine somme au titre du vol des marchandises ;
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :
Vu les articles 1273, 1289 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, 2248 du même code dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 juin 2008, ensemble l'article 32 de la Convention de Genève du 19 mai 1956 relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite CMR ;
Attendu que pour déclarer recevable la demande en paiement des frais de transport de la société ECS, l'arrêt retient que la société DHL Freight, ayant compensé, le 7 mai 2002, le montant de ses factures du 27 février 2002 pour la plus récente, avec sa note de débit consécutive au sinistre et procédé au virement de la somme correspondant à la différence, a reconnu être débitrice des sommes réclamées par la société ECS ; qu'il retient encore que la société ECS ayant, par lettre du 27 juin 2002, contesté la compensation et n'ayant donc pas reconnu avoir perçu sa créance, son action n'est pas fondée sur les factures émises mais sur la reconnaissance par la société DHL Freight de leur bien-fondé et sur son engagement à les payer, ce dont il déduit que l'action est soumise non à la prescription d'un an de l'article L. 133-6 du code de commerce mais à celle, décennale, de l'article L.110-4 du même code, alors applicable, et que l'action, ayant été introduite le 5 août 2003, est donc recevable ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la compensation des frais de transport, si elle vaut reconnaissance de dette au profit du transporteur, n'a pas d'effet novatoire et n'entraîne pas l'interversion de la prescription ainsi interrompue, de sorte que, la compensation étant intervenue, en l'espèce, le 7 mai 2002, l'action en paiement des frais de transport, exercée le 5 août 2003, plus d'un an après, était tardive, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen, qui est recevable, comme né de la décision attaquée :
Vu les articles 70 et 567 du code de procédure civile ;
Attendu que pour déclarer la demande reconventionnelle de la société DHL Freight irrecevable, l'arrêt retient que cette demande, n'ayant pas été formée en première instance, est nouvelle et par conséquent irrecevable en application de l'article 564 du code de procédure civile ;
Qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si ces demandes ne se rattachaient pas aux prétentions originaires par un lien suffisant, a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il met hors de cause les sociétés DHL Holding et DHL Global Forwarding et en ce qu'il rejette les exceptions de nullité des assignations, l'arrêt rendu le 19 janvier 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant ledit arrêt et pour être fait droit les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société NV European Containers Services aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société DHL Freight France la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept février deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Le Prado , avocat aux Conseils, pour la société DHL Freight France
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
LE MOYEN reproche à l'arrêt attaqué :
D'AVOIR, en confirmant le jugement, déclaré la société ECS recevable en son action ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « sur la prescription, en application de l'article L.133-6 du code de commerce, l'action en paiement de ses factures par la société ECS est soumise à la prescription annale ; que la facture la plus récente date du 27 février 2002 et venait à échéance le 29 avril 2002 ; que la société ECS a fait assigner la société Danzas le 5 août 2003 soit postérieurement à l'expiration du délai annal ; que la reconnaissance de la dette et la promesse de s'en acquitter entraînent la novation de l'obligation ; que celle-ci n'est plus fondée sur le contrat de transport mais sur la reconnaissance de dette ; que la prescription n'est donc plus annale mais, conformément à l'article L.110-4 du code de commerce alors applicable, décennale ; qu'il appartient à la société ECS de rapporter la preuve de cette reconnaissance et de cet engagement de la société Danzas ; qu'il résulte de l'article 1289 du code civil que la compensation est un mode de paiement et un mode d'extinction usuel des obligations ; que, par lettre du 7 mai 2002, la société Danzas a compensé le montant de ses factures avec sa note de débit consécutive au sinistre et procédé au virement de la somme correspondant à la différence ; qu'en procédant à la compensation des factures avec sa créance alléguée, la société Danzas a entendu compenser sa créance avec sa dette résultant des factures ; qu'elle a donc reconnu être débitrice des sommes réclamées au titre des factures ; qu'elle a entendu payer celles-ci par la compensation ; qu'elle a donc reconnu sa dette et s'est engagée à la payer étant précisé que la compensation et le virement de la somme excédant sa créance invoquée portent sur l'intégralité des factures litigieuses ; que la société ECS a, par lettre recommandée du 27 juin 2002, contesté la compensation opérée ; qu'elle n'a donc pas reconnu avoir perçu, par compensation, sa créance ; que la présente action de la société ECS n'est ainsi pas fondée sur les factures émises mais sur la reconnaissance par la société Danzas de leur bien fondé et sur son engagement à les payer ; qu'elle est donc soumise à la prescription, alors, décennale ; que l'action est, en conséquence, recevable » ;
ET AUX MOTIFS, à les supposer ADOPTES QUE « l'action concerne des factures de transport soumises à la prescription annale de l'article L.133-6 du code de commerce ; que les factures réclamées datent pour la plus récente du 27 février 2002 ; que la société Danzas a réglé une partie de ces factures, après compensation en mai 2002, reconnaissant ainsi qu'elle était bien débitrice et interrompant dès lors le délai de prescription conformément aux dispositions de l'article 2240 du code civil et faisant courir un nouveau délai d'un an ; que par lettre du 9 avril 2003, la société Danzas a annoncé le règlement du solde en rappelant le principe de la compensation, faisant à nouveau courir un nouveau délai d'un an ; que l'action en justice engagée le 5 août 2003 en Belgique n'était donc pas prescrite et a à nouveau interrompu la prescription, malgré la décision d'incompétence des tribunaux belges, conformément aux dispositions de l'article 2241 du code civil qui précise que « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure » ; que l'action en Belgique a duré jusqu'au 21 janvier 2010, décision de la Cour de cassation; que l'assignation du novembre 2010 est intervenue avant la fin du délai de prescription ; que la société DHL Freight (France) sera donc déboutée de sa demande d'irrecevabilité de l'assignation du 17 novembre 2010 pour cause de prescription » ;
1°/ALORS, d'une part, QUE suivant l'article 2240 du code civil, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ; que, suivant l'article 2231 du code civil, l'interruption efface le délai de prescription acquis et fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien ; que la cour d'appel a constaté que, par lettre du 7 mai 2002, la société Danzas a compensé le montant de ses factures avec sa note de débit consécutive au sinistre et procédé au virement de la somme correspondant à la différence, ce dont elle a déduit qu'elle avait ainsi reconnu être débitrice des sommes réclamées au titre des factures; qu'en retenant, pour déclarer recevable l'action de la société ECS, que cette reconnaissance de dette avait fait courir le délai de prescription décennale de l'article L.110-4 du code de commerce, alors applicable, et donc en faisant produire à la reconnaissance par la société Danzas de sa dette, une interversion de prescription, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;
2°/ALORS, d'autre part, QUE suivant l'article 2240 du code civil, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ; que, par motifs adoptés des premiers juges, la cour d'appel a énoncé que la société Danzas a réglé une partie des factures, après compensation en mai 2002, reconnaissant ainsi qu'elle était bien débitrice et interrompant dès lors le délai de prescription et faisant courir un nouveau délai d'un an, mais que par lettre du 9 avril 2003, elle a annoncé le règlement du solde en rappelant le principe de la compensation, faisant à nouveau courir un nouveau délai d'un an, de sorte que l'action en justice engagée le 5 août 2003 en Belgique n'était donc pas prescrite ; qu'en faisant produire à la lettre du 9 avril 2003 de la société Danzas un effet interruptif de prescription, laquelle était pourtant d'ores et déjà interrompue, suivant les propres constatations des premiers juges, par la compensation opérée par le débiteur, la cour d'appel, qui a ainsi déduit un motif inopérant, a violé la disposition susvisée ;
3°/ALORS, enfin et en toute hypothèse, QUE, en présence d'une courte prescription ne reposant pas sur une présomption de paiement, la compensation opposée par un débiteur, si elle vaut reconnaissance de dette et interrompt la prescription, n'a pas d'effet novatoire et, en conséquence, n'entraîne pas l'interversion de la prescription ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles 1273, 1289 et 2240 du code civil, ensemble l'article L.133-6 du code de commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
LE MOYEN reproche à l'arrêt attaqué :
D'AVOIR déclaré irrecevable la demande formée par la société DHL Freight tendant à la condamnation de l'intimée au paiement de la somme de 35 792,47 euros ;
AUX MOTIFS QUE « sur la demande de condamnation de la société ECS, cette demande n'a pas été formée en première instance ; qu'elle est une demande nouvelle; qu'elle est donc irrecevable en application de l'article 564 du code de procédure civile » ;
ALORS QUE suivant l'article 70 du code de procédure civile, les demandes sont recevables si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ; qu'en statuant comme elle l'a fait, par simple affirmation et sans rechercher si la demande de l'exposante ne se rattachait pas par un lien suffisant à ses prétentions originaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la disposition susvisée, ensemble l'article 567 du code de procédure civile.