LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° V 16-29.062 et B 17-10.189 ;
Donne acte à la SCI Mane Golern et à M. Y... de ce qu'ils se désistent de leurs pourvois en ce qu'il sont dirigés contre la société Loïc Z... et Gildas D... ;
Sur la recevabilité du pourvoi n° B 17-10.189 :
Attendu qu'une même personne, agissant en la même qualité, ne peut former qu'un seul pourvoi en cassation contre la même décision ;
Attendu que, par déclaration adressée le 5 janvier 2017, la SCI Mane Golern et M. Y... ont formé contre un arrêt rendu le 4 octobre 2016 par la cour d'appel de Paris un pourvoi en cassation enregistré sous le numéro B 17-10.189 ;
Que la SCI Mane Golern et M. Y... qui, en la même qualité, avaient déjà formé le 29 décembre 2016 un pourvoi contre la même décision enregistré sous le n° V 16-29.062, ne sont pas recevables à former un nouveau pourvoi en cassation ;
D'où il suit que le pourvoi n° B 17-10.189 n'est pas recevable ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° V 16-29.062, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article L. 520-1, II, du code des assurances ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la SCI Mane Golern (la SCI), dont le gérant est M. Y..., louait à Bruno B..., aujourd'hui décédé, des murs dont elle est propriétaire, dans lesquels celui-ci exploitait une discothèque à l'enseigne « [...]
» ; que, par l'intermédiaire de la société Espace Europe assurances, cabinet de courtage en assurances, Bruno B... avait conclu, tant pour son propre compte que pour celui de la SCI, un contrat d'assurance auprès des souscripteurs du Lloyd's de Londres (l'assureur), sur la base d'un « questionnaire multirisques discothèque » renseigné et signé par lui ainsi que par M. Y..., représentant la SCI ; que la discothèque a été détruite dans un incendie, le 7 avril 1996, et qu'il a été irrévocablement jugé que l'assureur, pouvant opposer à la SCI la faute intentionnelle de Bruno B..., souscripteur de l'assurance, ne devait pas sa garantie ; qu'estimant que la société Espace Europe assurances avait engagé sa responsabilité pour ne pas les avoir utilement conseillés, ni correctement informés sur la nature, les spécificités et l'étendue de la police d'assurance souscrite pour le compte de la SCI, M. Y... et cette dernière ont assigné la société d'assurance mutuelle CGPA (la CGPA), assureur de la société Espace Europe assurances, en indemnisation ;
Attendu que, pour débouter la SCI et M. Y... de l'intégralité de leurs demandes, l'arrêt retient tout d'abord que le contrat d'assurance pour compte est une stipulation pour autrui et que, dès lors, seul le souscripteur, qui a contracté l'assurance par l'intermédiaire de son courtier, peut revendiquer de celui-ci le respect de son obligation de loyauté et d'information qui découle du contrat de mandat passé avec ce professionnel ; qu'il retient ensuite que le seul fait que M. Y... ait pu suivre de près la négociation du contrat d'assurance en présence du préposé de la société Espace Europe assurances n'est pas de nature à lui conférer la qualité de futur souscripteur et de rendre le courtier débiteur d'obligations à son égard ou à l'égard de la société qu'il représentait ;
Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à établir que, lorsque M. Y... avait, conjointement avec Bruno B..., consulté la société Espace Europe assurances, remplissant et signant avec lui le questionnaire qu'elle leur avait remis pour pouvoir évaluer le risque à assurer, et manifesté ainsi sa volonté de voir la SCI assurée en toute circonstance contre le risque incendie, la SCI n'avait pas la qualité de souscripteur éventuel à l'égard duquel la société Espace Europe assurances était tenue d'une obligation d'information sur les conséquences, pour l'assuré pour compte, des causes de non garantie opposables au souscripteur et d'une obligation de conseil relative à l'adaptation du contrat aux risques que la SCI entendait voir garantir, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen du pourvoi n° V 16-29.062 :
DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi n° B 17-10.189 ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la SCI Mane Golern et M. Y... de l'intégralité de leurs demandes, l'arrêt rendu le 4 octobre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société CGPA aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la SCI Mane Golern et à M. Y... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi n° V 16-29.062 par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. Y... et la SCI Mane Golern.
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR débouté la SCI Mane Golern et M. Y... de l'intégralité de leurs demandes ;
AUX MOTIFS QUE les appelants soutiennent en premier lieu, au visa de l'article 1147 du code civil, que le courtier a manqué à l'obligation d'information dont il est débiteur à l'égard de la SCI représentée par son gérant en sa qualité de « futur souscripteur », citant les dispositions de l'article L. 511-1 du code des assurances ; qu'ils lui reprochent de ne pas lui avoir fait souscrire un contrat distinct de celui souscrit par le locataire contrairement au souhait et à l'intention des parties ; qu'ils évoquent également divers manquements du courtier qui n'a pas correctement assisté les parties lors de l'établissement du questionnaire de risque et ne s'est pas assuré de la formation d'un contrat au profit de la SCI, soutenant à titre subsidiaire, qu'il a manqué à son obligation de conseil en n'attirant pas leur attention sur la nature de l'assurance contractée et ses conséquences, comme d'ailleurs, sur les limites de l'indemnisation eu égard au choix fait d'une assurance en valeur agréée et non en valeur à neuf ; que la CGPA réplique que le courtier n'était débiteur à l'égard de la SCI d'aucun de voir d'information et de conseil, que celle-ci se présente comme bénéficiaire du contrat d'assurance pour compte ou comme futur souscripteur ; que le contrat d'assurance pour compte est une stipulation pour autrui et dès lors, seul le souscripteur, qui a contracté l'assurance par l'intermédiaire de son courtier peut revendiquer de celui-ci le respect de son obligation de loyauté et d'information qui découle du contrat de mandat passé avec ce professionnel ; que tel n'est pas le cas du bénéficiaire-assuré, celui-ci n'étant pas en relation contractuelle avec le courtier du souscripteur ; que pour soutenir que le courtier était débiteur à l'égard de la SCI représentée par son gérant en sa qualité de « futur souscripteur » d'obligation d'information ou de conseil, les appelants font valoir que la commune intention des parties était que chacun s'assure pour son risque ; que cette affirmation est démentie par les termes du bail commercial du 8 juin 1995 (page 7 § i) qui stipule que « le preneur s'assurera contre les risques d'incendie, d'explosion, de dégâts des eaux et contre les risques locatifs de sa profession ou pouvant résulter de sa qualité de locataire à une compagnie notoirement connues
L'assurance devra porter sur des sommes permettant, en cas de sinistre, la reconstitution du mobilier, du matériel, des marchandises du fonds de commerce ainsi que la reconstruction de l'immeuble du bailleur, avec, en outre, pour ce dernier, une indemnité compensatrice des loyers non perçus à cause du sinistre pendant tout le temps de la construction », imposant ainsi au locataire de faire son affaire de l'assurance de l'immeuble en tenant compte des intérêts du bailleur ; que le comportement ultérieur des parties à l'acte (signature d'un additif au bail fixant les modalités de répartition de la prime absence de réaction à réception d'un certificat d'assurance mentionnant comme assuré « [...] M. C... ») vient conforter cette commune volonté de laisser au locataire le soin d'assurer l'immeuble ; qu'enfin les propos de M. Y... devant les gendarmes au lendemain de l'incendie cité par la cour d'appel de Rennes démontrent qu'il avait parfaitement conscience que seul le locataire était assuré ; que l'attestation de Mme E... compagne de M. Y... en date du 28 mai 2013 qui vient démentir cette commune volonté est dépourvue de valeur probante dans la mesure où la présence de son auteur lors de la négociation des conditions de l'assurance avec le courtier n'a jamais été évoquée au cours de la procédure menée devant les juridictions de Lorient et de Rennes où se discutait la qualification du contrat d'assurance signé le 8 juin 1995 ; que le seul que M. Y... ait pu suivre de près la négociation du contrat d'assurance en présence du préposé de la société Espace Europe Assurances n'est pas de nature à lui conférer la qualité de futur souscripteur et de rendre le courtier débiteur d'obligations à son égard ou à l'égard de la société qu'il représentait ;
1°) ALORS QUE le courtier en assurance est personnellement tenu envers son client d'un devoir d'information et de conseil sur les risques et les caractéristiques des produits d'assurance qu'il propose ; qu'en s'abstenant de rechercher si le questionnaire multirisques professionnels discothèque proposé par le cabinet de courtage Espace Europe Assurances, renseigné et signé le 8 juin 1995 par la SCI Mane Golern en qualité de souscripteur n'établissait pas l'existence d'une convention de courtage en exécution de laquelle la société Espace Europe Assurances était tenue d'une obligation de conseil et d'information à l'égard de la SCI sur les solutions d'assurance proposées, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause ;
2°) ALORS QUE le courtier, en qualité d'intermédiaire d'assurance, est débiteur d'une obligation de conseil et d'information à l'égard de son client, souscripteur seulement éventuel avant la conclusion du contrat d'assurance ; qu'en estimant que le courtier n'était débiteur d'obligations qu'à l'égard du « futur souscripteur », qualité que ne pouvait revendiquer la SCI Mane Golern, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause ;
3°) ALORS QU'en s'abstenant de répondre aux conclusions de la SCI Mane Golern et de M. Y... (p.13) qui faisaient valoir que même dans l'hypothèse où le courtier avait dès le départ considéré qu'il s'agissait de trouver un contrat d'assurance pour le compte d'autrui, il avait manqué à ses devoirs de conseil et d'information pour d'une part ne pas avoir stipulé expressément sur le questionnaire multirisques professionnels, lequel fait partie intégrante du contrat d'assurance, une clause « Assurance pour compte » et pour d'autre part ne pas avoir informé la SCI Mane Golern du régime d'assurance pour compte et notamment du fait que toutes les exceptions opposables au souscripteur, telle la faute dolosive ou intentionnelle de ce dernier, l'étaient également au bénéficiaire de l'assurance, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel (p. 7), M. Y... a sollicité l'indemnisation de son préjudice moral en faisant valoir que le tiers à un contrat pouvait invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel qui lui a causé un dommage ; qu'en retenant que le seul fait que M. Y... ait pu suivre de près la négociation du contrat d'assurance avec le préposé de la société Espace Europe Assurances n'était pas de nature à lui conférer la qualité de « futur souscripteur » et de rendre le courtier débiteur d'obligations à son égard, la cour d'appel a modifié l'objet du litige et a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile.